Hervé, les nuages et l'UdeM
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 01 octobre 2008, 07:14 - Web 2.0 - Lien permanent
(La solution du problème et d'autres questions, ici)
Hervé Le Crosnier a publié un article sur le Cloud Computing qui a été très remarqué, sinon commenté dans la biblioblogosphère francophone.
Hervé Le Crosnier, A l'ère de l'«informatique dans les nuages», Le Monde Diplomatique août 2008, p.19 ici
On peut y lire notamment : L’indépendance des personnes, des entreprises et même des nations ne se mesure plus seulement au territoire, à la géographie et à l’espace collectif, mais aussi aux rapports qu’elles entretiennent avec ces nouvelles usines de la production « immatérielle ».
Hervé, de passage à Montréal, est venu faire une conférence à l'EBSI, sur ce sujet et plus largement sur les rapport entre les professions documentaires et les développements récents du Web. Nous avons filmé et enregistré en vidéo cette conférence et nous allons, bien entendu, la mettre en ligne, comme nous l'avions fait lors de son précédent passage (voir ici). L'ensemble sera d'autant plus intéressant que l'on pourra ainsi mesurer à la fois l'avancement de la situation, des problématiques et aussi les éventuelles évolutions de l'analyste.
Seulement voilà, il reste une question à résoudre. Forts de l'expérience précédente, nous savons que la notoriété du conférencier dans le (petit mais réactif) monde de la bibliothéconomie francophone va entraîner un pic de téléchargements au moment de l'annonce de la mise en ligne. Le fichier que nous avons monté, qui inclut cette fois les diapos, est lourd. Il est probable que notre serveur, robuste mais modeste, ne tiendra pas le choc. Il est aussi probable que la direction informatique de l'Université nous fera quelques observations à ce sujet. Sans doute, dira-t-on, on peut découper le fichier en séquences, mais d'une part il s'agit d'un travail supplémentaire, de l'autre rien ne garantit que cela nous préserve du danger, même si celui-ci reste relatif et éphémère. C'est un petit problème et il trouvera facilement une solution.. mais les petits riens sont parfois significatifs de grands mouvements.
Il y a, en effet, une solution très simple et radicale à ce problème : déposer le fichier sur YouTube. La tentation est grande tellement le geste est simple et éviterait bien des petits tracas, mais alors qu'en est-il de l'«indépendance» de l'université de Montréal suivant le discours même de celui qui sera ainsi rendu accessible grâce à Google ? Ce simple exemple ironique du quotidien d'un service montre qu'il faudra très très bientôt définir précisément les services dont on souhaite garder la maitrise et ceux que l'on pourra, qu'il faudra, déléguer à l'extérieur. Il faudra aussi définir une politique claire de partenariat externe.
J'ajouterai personnellement un dernier argument : YouTube est un service déficitaire de Google, très déficitaire. En réalité tant que la firme n'a pas trouvé le moyen de rentabiliser le service, et rien n'indique pour le moment qu'elle soit sur cette voie, déposer des vidéos sur YouTube, c'est exploiter la puissance informatique de Google ainsi que la notoriété du service, mais certainement pas renforcer sa puissance économique.
Donc patience, très bientôt vous pourrez visionner Hervé. Où ? Surprise..
Complément du 3 octobre 2008
Sur le Cloud Computing, voir le dossier très clair signalé par D. Durand :
David Castaneira, “Cloud Computing : quelle définition pour un concept enchanteur ?,” Le MagIT, Septembre 8, 2008, ici.
Commentaires
Que voilà une question intéressante parce que concrète, Jean-Michel, bien loin des anathèmes théoriques de certains blogueurs par ailleurs bien heureux d'être référencés par ces damnés moteurs monopolistiques !
Deux questions qui me rendent perplexe :
- en quoi l'université de Montréal perd-elle la maitrise de sa vidéo ? Il lui suffit de déposer sa vidéo sur You tube pendant un mois, parallèlement à un dépôt sur son propre site web, le temps de passer le premier cap de connexions (et d'en comptabiliser le nombre comme d'en noter les commentaires), puis de retirer la vidéo une fois le premier flot passé... En outre, il y azura peut-être en plus des commentaires qui ne seraient pas apparus dans le monde étroit des seuls biblioblogueurs, et c'est uine vraie valeur ajoutée !
- en quoi serait-ce indécent de contribuer à une confortation économique par l'usage d'un service avec plus value (en l'occurrence l'exposition améliorée d'une vidéo bien référencée, signalant explicitement la propriété de l'UM) en échange d'un gain pour le fournisseur ? C'est ce que nous pratiquons tous les jours dans toutes les transactions économiques personnelles ou professionnelles... et que les chercheurs pratiquent avec perversité en surpayant des revues à fort facteur d'impact dans lesquelles la valeur intrinsèque est leur propre travail et la valeur ajoutée la vénération qu'ils portent à ces mêmes revues !
Salut Bertrand,
Oui, on peut partir du concret pour poser des questions plus générales, mais parfois le concret masque le fond des choses et je ne suis pas contre la théorie non plus ;-).
Sur tes deux questions :
1) Mettre la vidéo un mois sur YouTube est en effet une solution possible (je fais suivre aux responsables ;-). La question de la maitrise, ou plutôt de l'indépendance, ne se joue pas sur une seule vidéo, mais sur la tentation de la facilité : pourquoi si cela est si simple faire un effort, financier et en temps de travail, pour bâtir un autre système de diffusion ? Il y a là, peut-être mais cela reste à analyser plus finement, un risque. Toute la question est de savoir où se trouve le cœur de notre métier qu'il ne faut pas déléguer au risque de ne plus assumer correctement notre mission.
2) Je n'ai pas de problème de principe à déléguer à un service commercial, qui donc devra bien trouver une rémunération, des fonctions à condition d'en tirer avantage et de garder la maîtrise de l'essentiel (v parag. plus haut). Mais en l'occurrence ce service là a une indéniable tendance monopolistique et il est préférable d'être prudent en maintenant des alternatives. L'exemple que tu donnes des revues est intéressant : faut-il se contenter de constater le sur-prix demandés par les éditeurs en situation de monopole ou chercher à bâtir des alternatives ?
L'utilisateur impatient et peut-être naïf aimerait vous suggérer les possibilités offertes par www.4shared.com/ , jusqu'à 5Gb c'est gratuit, au delà c'est payant mais ça reste modeste pour le rapport qualité-prix.
Toutes mes excuses pour cette intervention involontairement publicitaire, mais je considère qu'il s'agit là plutôt d'envisager une solution technique à un problème qui lui reste communautaire.
Bonjour,
Pourquoi ne pas déposer la vidéo sur iTunes U dont l'Université de Montréal est très fière d'être la première université francophone membre de ce service offert par Apple itunesu.umontreal.ca/. Une alternative intéressante à YouTube ou bien que l’accès soit ouvert et gratuit (sur iTunes U également) il y règne le plus complet désordre et ou les questions relatives à la qualité et à la crédibilité des contenus posent quelques problèmes.
Je n’ai rien contre la démocratisation de l’accès, mais il me semble que de rassembler dans un même espace – virtuel ou non – un ensemble de documents (vidéos, sons, fichiers PDF, etc.) ayant une même finalité est une option ayant fait ses preuves. Ce site reprend une des activités essentielles de la bibliothèque universitaire (ou autre) : la mise en collection de documents pédagogiques. Le matériel déposé se retrouve donc dans la collection de l’université participante. Il bénéficie de cette façon de cette façon de la visibilité et de la renommée de l’institution qui, elle-même, profite de la notoriété des conférenciers. Les documents peuvent également être indexés, catalogués (attribution de métadonnée) et organisés par thèmes.
Est-ce que la bibliothèque joue un rôle à ce niveau ? La question reste ouverte, mais en ce qui concerne l’Université de Montréal je ne crois pas. Du moins, rien ne l’indique sur le site qui est administré par le Bureau de l’environnement numérique d’apprentissage (BENA) et le Bureau des communications et des relations publiques (BCRP) de L’Université.
Il reste la question du verrouillage technologique. iTunes est un logiciel propriétaires. Il faut donc en posséder une copie pour accéder au site. Le logiciel est toutefois disponible gratuitement (une stratégie utilisée avec succès par Adobe et son logiciel Acrobat Reader) et peut-être installé sur toutes les plateformes. On peut de cette façon, et uniquement si on le désire, profiter de l’offre « exceptionnelle » de iTunes concernant le téléchargement à la carte et payant de musique et de vidéos ou autres contenus numériques :o)
Je ne suis pas un expert (je découvre le service), mais il faudrait analyser de manière plus précise les différentes implications de ce service. Est-ce que les Universités doivent payer pour avoir accès au service ? Probablement. Comment les droits sont-ils administrés ? Mais en première analyse, il représente certainement une option de diffusion intéressante pour les documents pédagogiques et un exemple intéressant de redocumentarisation des pratiques de communication scientifique.
À titre d’information et peut-être pour pousser un peu la réflexion sur la nature de ces transformations pour les organisations. Les vidéos des principaux conférenciers (Barbara Czarniawska, Bruno Latour, Linda Putnam, Haridimos Tsouka, et James R. Taylor) présents au colloque What is an Organization? Materiality, Agency and Discourse organisé par le groupe de recherche Organisation, langage et gouvernance du département de communication de l’Université de Montréal sont disponible gratuitement sur le site.
Dany
(Note de JMS : Je dois des excuses à Hervé car mon anti-spam un peu violent avait effacé son commentaire. Mais il l'a retrouvé dans son cache de FireFox.. les mystères, démons et magies du Web. Merci à lui donc pour ce retour)
Bonjour,
Oui, la question est intéressante.... Elle me semble même assez centrale pour les Universités.
Elle a deux aspects :
- l'immédiat : on doit faire face à un pic d'usage, et donc utiliser les
ressources disponibles. Pour fonctionner, le "capitalisme cognitif" doit
générer des "externalités positives" (cf. Yann Moulier Boutang). Parmi
celles-ci, l'ouverture de capacités d'expression, la possibilitié
d'utiliser les ressources réseau et calcul. Mais peut-on considérer avec
le détachement proposé par Bertrand Calenge un tel usage ? N'y a-t-il
pas de diable caché dans les détails, les petits caractères des termes
d'utilisation ?
- l'avenir, et notamment la question de savoir si les Universités ont un
rôle de prestataires de formation (marché des services) ou un rôle de
construction des communs du savoir. Dans ce cas, qui je vous l'avoue est
celui qui m'intéresse le plus, il devient essentiel de disposer d'une
infrastructure universitaire "indépendante" des nouvelles puissances
mondiales que sont les vecteurs de type Google (YouTube) et consorts.
Mais que veut dire infrastructrure universitaire indépendante ?
Il y a encore beaucoup de débat pour le définir. Cela ne sera pas propre
à une Université particulière, comme le sont aujourd'hui les "centres de
calculs". Un nuage de serveurs est une opération industrielle lourde,
qui doit faire appel à des capitaux, des compétences, une garantie de
continuité de service, bref toutes ces choses qui ne peuvent résulter
que d'une décision politique... et d'un outil coopératif, éventuellement
régional (Europe) ou multilatéral (Francophonie).
La question au fond est de savoir si l'on considère les vecteurs comme
de simples prestataires plus compétents que d'autres, et dans ce cas
l'externalisation est une solution envisageable, ou bien si l'on
considère que les vecteurs ont un projet d'organisation du monde (du
web-monde, mais aussi du monde réel au travers de la gestion des
personnes, des livrets de santé, des droits d'accès, et des calculs
stratégiques pour les entreprises ou les Etats, des archives....). Et
dans ce cas de savoir si ce projet est compatible avec les formes
actuelles (avec tous leurs défauts, mais aussi leurs équilibres) de la
démocratie et des Droits de l'Homme (place des libertés individuelles,
respect de la vie privée, garantie
de l'expression libre, accès de tous au savoir... bref relire la DUDH
est toujours fascinant).
Reste le concret immédiat.... Même si ça ne me plaît guère d'avoir le
logo YouTube tatoué sur ma conférence, comme j'ai répondu à l'EBSI, en
situation de besoin, il faut faire avec...
Je sais que mes projets sur l'indépendance des communs de la
connaissance ont encore un long chemin à accomplir pour avoir l'oreille
des décideurs.... et les financements garantissant l'indépendance de la
recherche (notamment l'indépendance par rapport à l'industrie de
l'influence, qui finance principalement les vecteurs). C'est par exemple
l'enjeu d'un projet de Forum Social Mondial "Sciences et Démocratie"
dans lequel je me suis investi (fsm-sciences.org
Mais, au delà de l'immédiat, il me semble essentiel de penser l'avenir,
et pour cela, tous les autres acteurs de la mise en ligne de cours en
vidéo, je pense par exemple à l'Université des Savoirs, doivent être
concernés par cette question.
Bon, je retourne justement à la conclusion de mon article sur le
vectorialisme que je présenterai à la Conférence Documents et Société
2008 les 16 et 17 novembre à Paris (www.doc-soc.fr/) ... et qui
n'est pas très éloignée de ce débat.