Ce billet a été rédigé par David Nadeau, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

L’Association Nationale des Éditeurs de Livres (ANEL) du Québec a un nouveau président depuis le 11 septembre 2008 : Gaétan Lévesque président-directeur d’XYZ éditeur. À ma grande surprise, c’est une entrevue empreinte d’optimisme que ce dernier accordait au journal Le Devoir dans son édition du 20 et 21 septembre 2008. Moi qui suis plutôt néophyte dans l’étude de l’économie du document, j’étais plutôt sous l’impression que les différents acteurs de la chaine du livre subissaient également les contre-coups de l’explosion du numérique et de la menace du livre électronique (des exemples ici ou ). J’achevai de me convaincre du contraire et constatai de la relative bonne santé du monde de l’édition en lisant la conclusion de l’entrevue où M. Lévesque déclare que :

(le) bilan global (du marché de l’édition) est néanmoins plutôt bon. On ne désespère pas, et nous ne sommes pas déprimés! Depuis les cinq dernières années, le chiffre de vente a augmenté, année après année.

S’ils ne sont pas en situation de crise, les éditeurs de livres sont tout de même confrontés à la nécessité de faire évoluer leurs pratiques (voir Jeff Gomez pour une intéressante réflexion sur le sujet). Pour faire entrer les éditeurs de livres dans le XXIème siècle, M. Lévesque établit les priorités suivantes :

  • Favoriser la diffusion des livres à l’étranger et dans les régions du Québec.
  • Consolider les marchés des bibliothèques publiques et scolaires
  • Participer au développement d’un réseau étendu de librairies.

Pas un mot sur l’édition électronique et sur le ebook. Rien non plus à propos de l’explosion du Web 2.0 et de l’information gratuite sur l’internet. Si on prévoyait que la numérisation des supports et la gratuité de l’édition numérique allaient précipiter le livre en enfer, la révolution se fait toujours attendre. Les analyses et les explications de ce non-événement abondent : ici, ici ou .

Aujourd’hui, les préoccupations des éditeurs semblent plutôt concerner les enjeux de la distribution de leurs produits, ce qui amène naturellement à s’interroger sur la viabilité du modèle de la chaine du livre que nous connaissons depuis le XVIIème siècle. Dans la chaine traditionnelle du livre, l’éditeur ne participe pas à la distribution, laissant le travail de commercialisation aux distributeurs et aux libraires pour ne se concentrer que sur le travail en amont de cet objet qu’est le livre.

Cependant, avec l’émergence de l’internet et plus particulièrement des sites de vente en ligne, il devient de plus en plus facile, économique et efficace de faire soi-même la commercialisation d’un produit comme le livre.

Il est entendu que dans une l’économie de l’espace public, l’éditeur développe un catalogue de titres en n'ayant qu’une idée approximative des destinataires ciblés. Il s’inscrit dans une logique de diffusion où il ne se concentre que sur la production du bien. Puis, il confie sa collection à un distributeur qui assurera la distribution des livres en librairie. L’éditeur sait pertinemment que de son catalogue, seulement quelques titres connaitront un succès commercial dont les revenus serviront à financer les titres ayant moins bien fonctionné. Les lois de l’offre et de la demande étant ce qu’elles sont, ce ne seront que les bons vendeurs qui se retrouveront bien exposés en vitrine chez le libraire. Les autres titres seront ou bien absents des étalages, ou bien relégués dans les rayonnages les moins accessibles. Dans ce modèle, il y aurait certainement une augmentation de la rentabilité pour l’éditeur s’il y avait une meilleure circulation de tous les titres de son catalogue, et non pas seulement quelques gros vendeurs. En se référant aux travaux de Chris Anderson sur la Longue Traîne et ses conséquences, l’exploitation par les éditeurs du marché de l’Internet « composé de millions de niches où les choix très éclectiques des consommateurs se répartissent sur des multitudes de titres » semblerait possible.

Illustrons par le modèle désormais classique qu’est le site Amazon. En plus de pouvoir virtuellement contenir une quantité infinie d’articles, il offre l’avantage de présenter des résumés d’ouvrages, des photographies de la couverture et de la quatrième de couverture, des extraits et même des commentaires de lecteurs et des hyperliens vers d’autres ouvrages.

S’il y a présentement crise auprès des acteurs de la chaîne du livre, c’est à mon sens davantage du côté des libraires qu’il faudrait la chercher. La réaction plutôt négative des lecteurs face au livre électronique combinée à une démocratisation du développement de sites de ventes en ligne intégrant les fonctionnalités du Web 2.0 laisse plutôt entrevoir de belles opportunités d’affaire pour les éditeurs. Ce n’est donc pas surprenant de constater que le projet prioritaire de M. Lévesque est de mettre sur pied, d’ici 2009, une plate-forme numérique pour la promotion des nouveautés de l’édition québécoise qui comportera des liens vers des plates-formes d’achat en ligne. Le polémiste pourra alors déclarer que sous cet éclairage, la logique de diffusion peut désormais se passer des librairies et que nous sommes bien rendus à l’heure des achats de livres via l’internet. Il n’y a qu’à voir les débats en France actuellement pour constater à quel point la question est sensible (Nicolas Morin, François Bon, Syndicat français de la librairie). Heureusement, je ne serai pas cet oiseau de malheur, et je vous renvoie à ce billet visant à rassurer les libraires des bons sentiments des éditeurs.