Ce billet a été rédigé par Jean-François Cusson, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

Depuis quelques mois, une pétition circule en France pour promouvoir et défendre la loi sur le prix unique du livre (connue aussi comme la loi Lang, ou loi n° 81-766 du 10 août 1981). Les détails de la pétition, intitulée « Pour le livre » peuvent être consultés ici. Ce mouvement est apparu en réaction à la remise en question, au printemps 2008, de certaines dispositions de la loi à l’Assemblée Nationale française. Un bon résumé des évènements est disponible via le portail littéraire du Nouvel Observateur. Par ailleurs, un autre évènement a secoué dernièrement le monde du livre français : la levée, en cour de cassation, d’un jugement interdisant à la filière française du libraire en ligne Amazon d’offrir gratuitement à ses clients les frais de port sur leurs achats. Ces deux événements, bien qu’ils ne soient pas directement liés, illustrent bien les bouleversements importants qui affectent présentement le modèle économique du commerce du livre dans l’Hexagone. Ce rapide rappel de l’actualité française permet, par ricochet, d’aborder certaines problématiques qui touchent nos libraires québécois.

Le monde du livre québécois est en grande partie régie par la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, communément appelée « loi 51 » (texte de la loi) Adopté en 1979, cette loi stipule, entre autre chose, que les organismes publics (comme les écoles, les bibliothèques publiques, les ministères, etc.) doivent effectuer leurs achats de livres auprès d’une librairie agréée. Je n’entrerai pas dans l’énumération des détails de l’agrément; il suffira ici de souligner qu’une librairie agréée doit posséder un fond important et diversifié et que les collectivités doivent effectuer leurs achats dans une librairie de leur région, sans pouvoir bénéficier de remise de prix.

Alors que la France a choisi d’encadrer le prix de vente des livres (mesure qui a par exemple pour effet d’empêcher les plus gros joueurs de vendre à perte pour attirer le client vers d’autres produits), le gouvernement québécois a plutôt opté pour une politique qui promeut la librairie et soutient sa présence à travers le territoire en grande partie à cause de l’obligation, pour les clients institutionnels, de la fréquenter. En d’autres mots, on pourrait dire que le modèle québécois propose une gestion de la demande, alors que le modèle français se concentre sur un encadrement de l’offre.

Il serait facile, partant de cette position quelque peu biaisée qui est la mienne, de déclarer le modèle québécois supérieur à celui de son homologue d’outre-Atlantique. Dans un premier temps, je me contenterai de produire quelques chiffres concernant la libraire indépendante (dont l’état me paraît un bon étalon pour mesurer la diversité et le dynamisme de l’économie du livre dans un contexte donné).

Au Québec, 31,8 % des ventes de livres ont été réalisées chez des libraires indépendants (statistique produite par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec). La librairie indépendante française, quant à elle, occuperait un segment de 18,8% du marché (selon le Centre nationale du Livre). Il existerait donc un écart de 13 points entre les deux marchés. Pour ma part, j’en conclue que le modèle québécois est plus favorable aux petits commerçants que le modèle français. Ceci dit, la librairie indépendante française n’est pas si mal en point si on la compare avec son homologue américaine, qui n’occuperait plus que 3 à 9 % du marché selon Publisher Weekly (ici).

Cela ne veut pas dire que les libraires indépendants québécois ne soient pas menacés. En 2007, ils n’enregistraient que 0,9 % d’augmentation de leur chiffre d’affaires alors que les grandes chaînes (principalement les groupes Archambault et Renaud-Bray) affichaient une progression de 22,9 % ici). Face à cette perte de terrain, les libraires indépendants (unis sous la bannière LIQ) se sont regroupés pour mettre sur pied le portail livresquebecois.com, un site consacré à la promotion et à la diffusion du livre québécois. Comptant environ 25 000 titres, le catalogue du portail est directement lié au fond des librairies participantes. Lors de l’achat, l’internaute a la possibilité de verser un pourcentage des profits engendrés par la vente à la librairie de son choix ou de les répartir sur l’ensemble des librairies participantes.

A première vue, cela me semble une initiative intéressante, bien que je m’interroge sur sa viabilité sur le moyen et le long terme. Mise à part quelques petits encadrés publicitaires dans le quotidien Le Devoir, le portail ne semble bénéficier d’aucune promotion médiatique importante. Cette initiative m’apparaît plus comme une campagne de consolidation d’une clientèle existante que comme une véritable campagne de promotion adressée au grand public. J’ai essayé, sans succès, de communiquer avec la responsable des ventes pour avoir une idée des résultats préliminaires. Je reviendrai plus tard compléter ce billet si je devais recevoir une réponse dans les semaines à venir.

Par ailleurs, et pour revenir avec ma comparaison entre les deux modèles francophones, une rapide recherche sur Google suffit à démontrer le peu d’intérêt médiatique que suscite la librairie indépendante québécoise, en particulier lorsqu’on refait l’exercice avec son homologue français. Ce qui me ramène à mon interrogation de départ : la loi québécoise encadrant le commerce du livre est-elle mieux construite (ou meilleure ?) que son pendant français ? Ou s’agit-il au contraires de deux contextes tout à fait étranger l’un à l’autre, irréconciliables ? Parle-t-on moins, au Québec, du sort de la librairie indépendante parce qu’on considère que sa survie et son développement sont assurés par le cadre juridique existant ? Les menaces qui pèsent sur les librairies indépendantes sont-elles les mêmes au Québec qu'en France ?