Ce billet a été rédigé par Evelyne Beaulieu et Dominique Bilodeau dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

En 2005, les Français ont téléchargé presque 1 milliard de fichiers de musique illégalement.(ici). Afin de contrer ce phénomène, qui ne fait que prendre de l’ampleur, l’État français a décidé d’adopter une loi : la loi Hadopi. Le principe de cette législation est simple, il s’agit d’une riposte graduée : les internautes suspectés de téléchargement illégal recevront deux avertissements, un par courriel, puis un second par lettre recommandée. Cependant, à la troisième infraction, les contrevenants encourent la suspension de leur abonnement Internet pour une durée maximale d'un an, mais également une amende, voire d'une peine de prison, ainsi que le paiement de dommages et intérêts aux ayants droit (ici). L’objectif de cette riposte est de diminuer le phénomène du téléchargement illégal. Le coût de cette opération est évalué à environ 70 millions d’euros pour la première année (ici).

Il est encore trop tôt pour dresser un bilan, car la mise en application de cette loi ne devrait être effective qu’à partir de l’été 2010 (ici). Mais, on peut se demander avec raison si l’adoption d’une telle loi est économiquement efficace. Pour répondre à cette question, l’étude des différents milieux et paliers de la culture est essentielle. De cette manière, il est possible de prendre connaissance de l’impact financier du téléchargement illégal sur cette industrie.

Mis à part un léger recul en 2006, les revenus engendrés par l’industrie de la musique ont augmenté de façon continue entre 2000 et 2007 (ici). La croissance des revenus générés par les spectacles des artistes compense largement pour les pertes subies par la baisse d’achat des œuvres sur supports physiques. Néanmoins, le piratage a eu un effet catastrophique sur l’industrie du CD, les revenus générés par ce support ont chuté de 60% en six ans (ici). Le téléchargement illégal a cependant un effet bénéfique sur l’industrie du concert puisque ce dernier donne une plus grande diffusion musicale aux nouveaux artistes.

Qu’en est-il de l’industrie du DVD et du cinéma ? Le DVD se copie très facilement, c’est pourquoi le marché français du DVD a vu sa valeur reculer de 7,5 % et son volume de 5,5 % en 2008 (ici). Ce marché a diminué de près d’un tiers en quatre ans. Le cinéma quant à lui se porte très bien. Malgré la crise qui sévissait, l’industrie a enregistré 200 millions d’entrées en salle pour l’année 2008. Ce qui représente 5% de plus que l’année précédente (ici).

La riposte graduée permettra-t-elle à l’industrie d’engendrer encore plus de profits ? Le problème est que la loi s’applique uniquement aux systèmes de Peer to Peer (déf) hébergés en France. Or, il s’agit d’une faille importante puisque la majorité des utilisateurs vont tout simplement migrer vers des serveurs internationaux ou d’autres plates-formes. Ces derniers continueront de télécharger illégalement sans aucun problème (ici). De plus, un rapport commandé par le gouvernement hollandais conclut à un impact positif de cette pratique sur l’économie : Surprise, bien que la plupart des « pirates » téléchargent essentiellement des œuvres protégées sans les payer, l’impact sur l’économie est au final positif. Le rapport va même jusqu’à chiffrer cet impact à 100 millions d’euros par an sur la seule économie hollandaise (en faisant une – bien peu scientifique – règle de trois à partir des populations respectives des deux pays, on pourrait extrapoler l’impact sur la France à 370 millions d’euros. affirme F Epelboin sur ReadWriteWeb France (ici). Dans cette optique, l’application d’une loi visant la répression du téléchargement illégal est économiquement inefficace.

D’autres alternatives existent et ces dernières seraient sans doute plus efficaces si leur but était de trouver une solution qui prioriserait la protection de la propriété intellectuelle des artistes. L’UFC-Que Choisir (doyenne des associations de consommateurs d'Europe occidentale) estime qu’à moyen terme la licence globale apparaît être la meilleure solution pour réconcilier les intérêts des ayants-droit et des consommateurs. Les premiers bénéficieraient ainsi d’une rémunération équitable pour l’utilisation de leurs œuvres, les seconds auraient la garantie d’un accès de qualité à la culture et à un tarif raisonnable (ici).

Dans une autre optique, l’adoption de la loi Hadopi aurait-elle un objectif caché ? Cette loi aurait-elle pour objectif réel de permettre à l’État français d’instaurer un certain contrôle sur le Web? Cela expliquerait en partie pourquoi l’État français a décidé d’appliquer une telle loi alors que le rapport Cédras (ici) faisait état des multiples failles que comportait ce type de loi. Si c’est le cas, la ratification d’une telle loi pourrait être économiquement efficace, mais nous n’allons pas débattre de cette question ici ().