Hyperconcurrence des médias : Les stations de télévision en péril ?
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 24 février 2010, 07:09 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Anne-Marie Roy dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.
L’ère numérique est également devenue l’ère de l’hyperconcurrence. En effet, la multitude de services, de technologies et de supports offerts afin de se procurer de l’information a grandement bouleversé le marché des télécommunications. C’est pourquoi l’on parle aujourd’hui de la notion d’hyperconcurrence. D’ailleurs, le Groupe de recherche sur les mutations du journalisme (GRMJ) est en train de développer un projet de recherche sur cette notion afin de mesurer l’impact de ce changement de paradigme sur le journalisme télévisé. Le groupe de recherche note que :
« La croissance de l'offre médiatique et l'intensification de la concurrence paraissent évidentes si l'on considère qu'en deux décennies l'offre de télévision dans un marché comme celui de la région de Montréal est passé de trois à plus de cinquante canaux. L'accès à l'information que permettent maintenant des technologies comme Internet, le satellite et, bientôt la « Web-TV », achèvent de projeter le citoyen-consommateur dans un nouvel univers médiatique. »
Vous pouvez lire l’énoncé complet du projet de recherche ici.
Dans ce contexte, comment les stations de télévision peuvent-elles répondre aux demandes des consommateurs qui recherchent plus de liberté dans la gestion de leur temps et de choix ?
La clé réside probablement dans l’adaptation. Les stations de télévision doivent s’adapter au numérique. C’est d’ailleurs pourquoi, plusieurs stations offrent de nombreux compléments et services en ligne par le biais des forums de discussion et de blogues complétant l’information télédiffusée. Plusieurs sites offrent même des rediffusions en ligne. Le site TOU.TV, qui met ligne plusieurs émissions francophones, semble être une bonne illustration de ce phénomène grandissant. L’intérêt de ce site est qu’il offre à la fois des séries d’archives et des séries actuellement en ondes.
Les auteurs du site entrent alors eux-mêmes en concurrence avec leurs propres diffusions télévisuelles. Cette concurrence affectera certainement les artistes qui, n’étant pas les maîtres du jeu, risquent de voir une baisse de leurs revenus. La crainte se fait déjà sentir comme en témoigne cet article de Cyberpresse : Avec Tou.tv, les artistes craignent une perte de revenus. De plus en plus, ces jeux de concurrence semblent se complexifier et soulever plusieurs problèmes.
Ainsi, je me demande si une simple adaptation sera suffisante pour assurer la pérennité des stations de télévision ? Devant l’essor d’un tel phénomène, devrait-on alors réglementer la web-télé ? Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) se penche présentement sur la question. Le rapport De la télévision ou non? Trois types d’écran, une seule réglementation présente des conclusions où la réglementation propre à la télévision en terme de contenu serait amenée tranquillement à disparaître afin de permettre une ouverture plus grande à tous les diffuseurs et consommateurs dans un contexte numérique et d’assurer le dynamisme d’Internet. Ainsi, on favoriserait une déréglementation de la télévision au profit d’Internet. Cela risquerait d’amener plusieurs problèmes, notamment pour les artistes qui devraient alors seuls défendre leurs intérêts. À ce sujet, je vous suggère ce billet de Martin Lessard : Télévision sur Internet : "Peut-elle être assujettie aux mêmes règles que la télévision traditionnelle. J’en conclus donc que le marché tend plutôt vers une déréglementation qui ne se fera pas au profit des artisans de la télévision traditionnelle.
Finalement, la génération C, qui a grandi avec les technologies numériques et le web verra-t-elle encore des avantages au petit écran ? Comment les professionnels de la télédiffusion pourront-ils retenir l’attention de ces nouveaux consommateurs habitués à tout obtenir d’un seul clic ? Cette génération verra-t-elle la disparition de la diffusion traditionnelle ?
Commentaires
Bonjour Anne-Marie,
Est-ce que la notion d'hyper-concurrence rend bien compte de l'évolution de ce marché ? Pas sûr.
Ne s'agit-il pas plutôt du passage d'une économie de flot où la captation de l'attention est réalisée par la continuité des programmes à une économie du Web, plus proche de la bibliothèque où la captation de l'attention est faite par le choix ?
Mais, il n'y a pas forcément grande concurrence chez les diffuseurs, qui captent l'attention. Voyez, par exemple la place dominante que commence à prendre Hulu.
http://www.fastcompany.com/mic/2010...
ou encore, du côté de l'UGC, la position de YouTube.
Selon moi, l’hyper-concurrence se décline non pas au niveau des diffuseurs uniquement, mais bien au niveau des stations de télévisions. Plusieurs stations se divisent maintenant en une suite de chaînes spécialisées dans une logique de concurrence pour capter l’attention. Cette concurrence est aujourd’hui accrue par le Web, car celui-ci offre maintenant la possibilité de regarder le contenu de ces chaînes quand l’usager le désire. Donc, les stations de télévision, qui devaient déjà se faire concurrence entre-elle sur la « plate-forme télévisuelle », doivent maintenant aussi le faire sur la « plate-forme » numérique. C’est l’ajout de ce niveau de concurrence qui me fait adopter la notion d’hyper-concurrence.
Par contre, il est vrai que pour l'instant, sur le Web, il n'y a pas une grande concurrence entre les diffuseurs. Peut-être est-ce seulement parce que c'est un phénomène récent. Il va donc être intéressant de suivre les diffuseurs "pionniers" afin de savoir s'ils vont réussir à garder le contrôle de l'attention...
Il y a eu des tentatives dans le sens de TOU.tv, c’est-à-dire de la diffusion en ligne par le biais d’un site ou d’une application Web, mais ces efforts semblent mis à mal par l’incompatibilité entre le caractère international du Web, et le caractère souvent national des accords au niveau des droits de diffusion. Le contenu des sites comme Hulu, portail Web officiel (à l’inverse de Youtube…) pour certains canaux télévisuels américains, est généralement inaccessible aux visiteurs étrangers, par exemple ceux du Québec.
Il semble même que les intermédiaires à portée internationale comme Joost (entreprise du créateur de Kazaa et de Skype) sont délaissés en faveur de sites financés directement par les grandes chaînes américaines et au contenu limité géographiquement, comme le sont Hulu ou le site de Comedy Central, par exemple. Les gros joueurs de la télé ne laissent pas s’échapper facilement le contrôle étroit de leur marchandise.
http://gigaom.com/2009/06/30/what-w...
Paul Cauchon, dans son article du Devoir du 1er mars 2010, "Combien pour un épisode de La Galère", soulève l'intéressante question de la valeur du contenu télévisuel sur Internet. Apparemment, la compagnie Apple, tenterait de négocier la vente d'émission de télévision à 99 cents sur Itunes et d'ouvrir ainsi la voie au développement de son Ipad. Cela soulève de nombreux débats, surtout car on craint une dévalorisation du contenu télévisuel. Cette négociation semble amener une nouvelle concurrence aux diffuseurs par cable ou satellite. Comment les stations de télévision réagiront-elles? Quels types de diffusion seront les plus avantageux pour elles? Cela reste à suivre...
Bonjour Antonin,
Je n'avais pas pensé à la dimension géographique du problème. Peut-être que le contrôle géographique est la seule façon pour les stations de télévision pour l'instant de contrôler la concurrence. Par contre, il n'est pas si étonnant de constater le caractère national de la diffusion sur le Web, car le contenu télévisuel est souvent à caractère national. Exception faite, pour la télévision américaine qui connait une diffusion plus internationale. Ce qui n'est pas le cas des émissions du Québec ou de l'Argentine par exemple. Les concepts sont souvent adaptés en fonction des pays où l'émission est diffusée.
Bonjour,
Je complèterais simplement en suggérant que la solution existe probablement dans la diversité des offres, qui elle seule peut tenir compte de la variété tant des besoins que des usages des télé/web/spectateurs. Preuve en est, le site (très bien fait) de l'excellente (je ne suis pas complètement objective ici...) chaîne de télévision franco-allemande, Arte (http://www.arte.tv) qui répond autant aux exigences et aux avantages de la télévision numérique que celle dont on peut disposer sur Internet.
Bonjour Iris,
Effectivement, les usagers ont des exigences et des besoins variés. L'offre sur le Web vient peut-être répondre aux besoins d'une partie des usagers sans pour autant concurrencer les stations de télévision. Comme Jean-Michel le disait, on assiste à un passage d'une économie de flot continu à une économie motivée par la liberté des choix. La question qui se pose est donc de savoir si les deux types d'économies peuvent survivre malgré la concurrence qu'elles s'opposent par leur offre commune de contenu télévisuel. D'ailleurs, le passage d'une économie à l'autre soulève encore plusieurs questions et débats dans le monde de la télévision. En effet, comme Antonin le soulevait, la question des droits de diffusion est souvent d'ordre nationale. Alors, comment faire respecter ces droits dans le contexte international du Web? De plus, la valeur du contenu télévisuel est également soulevée, puisque le Web entretient majoritairement une culture de la gratuité qui est peu compatible avec le domaine des productions télévisuelles qui coûtent cher à produire. De plus, il ne faut pas oublier la rémunération des artisans... Est-ce que la vente d'attention au marché des annonceurs sur le Web sera suffisante afin d'assurer une rentabilité à cette industrie? Cela reste à voir... mais pour l'instant ce sont les usagers qui semblent le plus profiter de cette offre de service et pas les artisans.
Bonjour Anne-Marie,
Il semblerait que la TV ne soit si menacée si l'on en croit le NYT :
http://www.nytimes.com/2010/02/24/b...
en français sur Courrier international :
http://www.courrierinternational.co...
Les deux derniers articles proposés par Monsieur Salaun font état des cotes d’écoute élevées lors de la diffusion de grands événements. Le public sera, à mon avis, toujours intéressé par ce type d’événements, mais qu’en est-il de la grille télévisée hebdomadaire? Parlera-t-on de la dernière intrigue du téléroman Virginie sur Twitter et Facebook? Ces articles semblent donc aller dans le sens de la spécialisation des services afin de satisfaire les goûts et les intérêts de différents publics cibles. Dans cette optique les chaines de télévision générales survivraient grâce à quelques événements annuels et les cotes d’écoute marginales d’une partie de la population. Je pense donc que tu as raison Anne-Marie en disant que la survie des chaines traditionnelles passe par l’adaptation!