Ce billet a été rédigé par Francis Bédard dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Aux côtés du principal support de lecture électronique, l’écran d’ordinateur, se trouvent de plus en plus d’alternatives possédant chacune leurs avantages et, ce qui nous intéresse ici, différentes manières de gérer la vente du contenu. Bien que ce dernier ne soit pas aussi profitable que la vente de contenants (Steve Jobs affirmait en 2003 que les pertes de son nouveau iTunes store pouvaient être compensées par les fortes ventes des iPods), il est tout de même une source d’interrogations pour tous les acteurs du milieu. Nous nous pencherons dans les prochaines lignes sur les cas de trois gros joueurs dans le milieu de la vente de documents écrits numériques : Amazon, le iBookstore de Apple et le futur Google Edition.

Pour le moment, c’est Amazon et son Kindle qui sont les rois de la vente de livres électroniques (70% de la vente de lecteurs de liseurs électroniques et 80% de la vente de ''eBooks''), mais les riches royaumes de Google et d’Apple regardent ces terres fertiles et assemblent leurs armées. Dans cette économie en plein boum qui se cherche beaucoup, les larges réserves de capitaux pouvant absorber des débuts difficiles et même des échecs pourraient faire la différence.

Les formats

Le premier aspect sur lequel nous nous pencherons est celui du format, question qui fait partie intégrante de la stratégie des entreprises.

Amazon a opté pour le format AZW, un format propriétaire qui était le seul à être pris en charge par le Kindle avant le mois de novembre 2009. Il est maintenant possible de lire les fichiers PDF natifs et on peut transférer certains fichiers en AZW à travers un service en ligne. Les livres vendus par Amazon pour Kindle sur son système sans fil sont en AZW et ne peuvent pas être lus sur les autres liseurs numériques, Kindle a donc joué la carte du verrouillage, que nous élaborerons dans le paragraphe suivant, et pour l’instant, la stratégie semble fonctionner.

La musique achetée à travers iTunes est protégée et ne peut être lue qu’avec un iPod, Apple oblige ainsi, tout comme Amazon avec son format AZW, les acheteurs de ses produits à acheter ses contenus. Pour un petit joueur, ce serait l’équivalent d’un harakiri, mais pour Apple, qui détient une très grande part du marché des lecteurs Mp3, cela est plutôt l’équivalent d’une clôture élevée autour de ses brebis. Quand on a acheté pour plusieurs centaines de dollars de Mp3 « Apple only », on aura tendance à racheter du matériel Apple dans le futur. Toutefois, l’arrivée du ''iPad'' et du ''iBookstore'' marque un changement dans la stratégie de la firme. Au lieu de créer son propre format propriétaire, Apple a décidé d’adopter le format ePub pour sa tablette. Ce format est lisible par plusieurs plateformes dont le lecteur portable de Sony et par Adobe Digital Editions pour les ordinateurs. Donc, pas de verrouillage pour ce qui est des livres sur le iBookstore, décision intelligente qui risque d’en convaincre certains qui sont réfractaires à l’idée de lire sur un écran LCD. Le succès du iBookstore est difficile à prévoir, mais la force d’Apple est de ne pas compter uniquement sur un type de contenu, mais sur la convergence de plusieurs pratiques. Amazon jouait donc les mêmes cartes que Apple, mais celui-ci change de tactique pour jouer sur le terrain du roi du e-book.

La question maintenant est de savoir comment jouera Google pour son futur projet Edition qui est annoncé pour juin 2010. Google ne planifie pas, pour l’instant, de lancer son propre liseur. Les livres électroniques vendus seront lisibles sur le plus grand nombre de plateformes possibles. Notre bibliothèque virtuelle se consultera en ligne, dans les nuages, et gardera en mémoire tous les livres achetés, ceux-ci pourront être consultés hors-ligne par la suite sur la plateforme avec laquelle on a accédé à la bibliothèque virtuelle. C’est donc pour une stratégie complètement ouverte qu’a opté Google, l’objectif est de vendre les livres, pas de matériel, et il sera intéressant de voir si Apple ira jusqu’à laisser les utilisateurs du iPad acheter leurs e-books chez le rival Google afin de marginaliser Amazon et son AZW.

Les prix

Un terrain très important pour les utilisateurs et les éditeurs reste incertain : les prix des e-books. Sur ce terrain, les choses ont bougé très rapidement dernièrement, et les articles de deux journalistes du New York Times peuvent nous aider à comprendre la partie qui se joue sur ce terrain entre Amazon, Apple et les principales maisons d’édition. Avant l’arrivée d’Apple, Amazon était le seul joueur et les éditeurs suivaient ses règles, c’est-à-dire qu’Amazon se gardait 65% de toutes les ventes d’''e-books'', le reste étant séparé entre auteurs et éditeurs. De plus, il vendait les nouveautés et les best-sellers 9.99 US$. À ce prix et à ce pourcentage, Amazon perdait de l’argent, mais tout comme Apple, le bas prix du contenu avait pour but de pousser les ventes du contenant, le Kindle.

Les éditeurs, mécontents du faible pourcentage qui leur était imparti tout comme du faible prix des livres, ont été ravis de voir Apple pointer son nez pour négocier des ententes pour son iBookstore (belle ironie, iTunes étant critiqué par l’industrie musicale pour garder 70% du 0.99$ que les utilisateurs paient par chanson). Donc, Apple aurait proposé à certains éditeurs de fixer leurs propres prix pour les livres et la firme ne se garderait que 30% des ventes. Répondant à cette attaque, Amazon aurait proposé d’augmenter à 70% la part des éditeurs si ceux-ci consentaient à lui vendre les droits des e-books. La bataille entre Amazon et Apple allait bon train lorsque Macmillan, une des principales maisons d’éditions américaines, annonce qu’elle augmentera le pris de ses e-books pour le Kindle. Amazon, voyant qu’elle ne peut plus garder le contrôle sur le marché, se retire et laissera les éditeurs augmenter leurs prix. Apple a réussi à faire fléchir le roi et les éditeurs sortent gagnants du combat.