La guerre est déclarée au royaume des eBooks
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 24 février 2010, 08:49 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Francis Bédard dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.
Aux côtés du principal support de lecture électronique, l’écran d’ordinateur, se trouvent de plus en plus d’alternatives possédant chacune leurs avantages et, ce qui nous intéresse ici, différentes manières de gérer la vente du contenu. Bien que ce dernier ne soit pas aussi profitable que la vente de contenants (Steve Jobs affirmait en 2003 que les pertes de son nouveau iTunes store pouvaient être compensées par les fortes ventes des iPods), il est tout de même une source d’interrogations pour tous les acteurs du milieu. Nous nous pencherons dans les prochaines lignes sur les cas de trois gros joueurs dans le milieu de la vente de documents écrits numériques : Amazon, le iBookstore de Apple et le futur Google Edition.
Pour le moment, c’est Amazon et son Kindle qui sont les rois de la vente de livres électroniques (70% de la vente de lecteurs de liseurs électroniques et 80% de la vente de ''eBooks''), mais les riches royaumes de Google et d’Apple regardent ces terres fertiles et assemblent leurs armées. Dans cette économie en plein boum qui se cherche beaucoup, les larges réserves de capitaux pouvant absorber des débuts difficiles et même des échecs pourraient faire la différence.
Les formats
Le premier aspect sur lequel nous nous pencherons est celui du format, question qui fait partie intégrante de la stratégie des entreprises.
Amazon a opté pour le format AZW, un format propriétaire qui était le seul à être pris en charge par le Kindle avant le mois de novembre 2009. Il est maintenant possible de lire les fichiers PDF natifs et on peut transférer certains fichiers en AZW à travers un service en ligne. Les livres vendus par Amazon pour Kindle sur son système sans fil sont en AZW et ne peuvent pas être lus sur les autres liseurs numériques, Kindle a donc joué la carte du verrouillage, que nous élaborerons dans le paragraphe suivant, et pour l’instant, la stratégie semble fonctionner.
La musique achetée à travers iTunes est protégée et ne peut être lue qu’avec un iPod, Apple oblige ainsi, tout comme Amazon avec son format AZW, les acheteurs de ses produits à acheter ses contenus. Pour un petit joueur, ce serait l’équivalent d’un harakiri, mais pour Apple, qui détient une très grande part du marché des lecteurs Mp3, cela est plutôt l’équivalent d’une clôture élevée autour de ses brebis. Quand on a acheté pour plusieurs centaines de dollars de Mp3 « Apple only », on aura tendance à racheter du matériel Apple dans le futur. Toutefois, l’arrivée du ''iPad'' et du ''iBookstore'' marque un changement dans la stratégie de la firme. Au lieu de créer son propre format propriétaire, Apple a décidé d’adopter le format ePub pour sa tablette. Ce format est lisible par plusieurs plateformes dont le lecteur portable de Sony et par Adobe Digital Editions pour les ordinateurs. Donc, pas de verrouillage pour ce qui est des livres sur le iBookstore, décision intelligente qui risque d’en convaincre certains qui sont réfractaires à l’idée de lire sur un écran LCD. Le succès du iBookstore est difficile à prévoir, mais la force d’Apple est de ne pas compter uniquement sur un type de contenu, mais sur la convergence de plusieurs pratiques. Amazon jouait donc les mêmes cartes que Apple, mais celui-ci change de tactique pour jouer sur le terrain du roi du e-book.
La question maintenant est de savoir comment jouera Google pour son futur projet Edition qui est annoncé pour juin 2010. Google ne planifie pas, pour l’instant, de lancer son propre liseur. Les livres électroniques vendus seront lisibles sur le plus grand nombre de plateformes possibles. Notre bibliothèque virtuelle se consultera en ligne, dans les nuages, et gardera en mémoire tous les livres achetés, ceux-ci pourront être consultés hors-ligne par la suite sur la plateforme avec laquelle on a accédé à la bibliothèque virtuelle. C’est donc pour une stratégie complètement ouverte qu’a opté Google, l’objectif est de vendre les livres, pas de matériel, et il sera intéressant de voir si Apple ira jusqu’à laisser les utilisateurs du iPad acheter leurs e-books chez le rival Google afin de marginaliser Amazon et son AZW.
Les prix
Un terrain très important pour les utilisateurs et les éditeurs reste incertain : les prix des e-books. Sur ce terrain, les choses ont bougé très rapidement dernièrement, et les articles de deux journalistes du New York Times peuvent nous aider à comprendre la partie qui se joue sur ce terrain entre Amazon, Apple et les principales maisons d’édition. Avant l’arrivée d’Apple, Amazon était le seul joueur et les éditeurs suivaient ses règles, c’est-à-dire qu’Amazon se gardait 65% de toutes les ventes d’''e-books'', le reste étant séparé entre auteurs et éditeurs. De plus, il vendait les nouveautés et les best-sellers 9.99 US$. À ce prix et à ce pourcentage, Amazon perdait de l’argent, mais tout comme Apple, le bas prix du contenu avait pour but de pousser les ventes du contenant, le Kindle.
Les éditeurs, mécontents du faible pourcentage qui leur était imparti tout comme du faible prix des livres, ont été ravis de voir Apple pointer son nez pour négocier des ententes pour son iBookstore (belle ironie, iTunes étant critiqué par l’industrie musicale pour garder 70% du 0.99$ que les utilisateurs paient par chanson). Donc, Apple aurait proposé à certains éditeurs de fixer leurs propres prix pour les livres et la firme ne se garderait que 30% des ventes. Répondant à cette attaque, Amazon aurait proposé d’augmenter à 70% la part des éditeurs si ceux-ci consentaient à lui vendre les droits des e-books. La bataille entre Amazon et Apple allait bon train lorsque Macmillan, une des principales maisons d’éditions américaines, annonce qu’elle augmentera le pris de ses e-books pour le Kindle. Amazon, voyant qu’elle ne peut plus garder le contrôle sur le marché, se retire et laissera les éditeurs augmenter leurs prix. Apple a réussi à faire fléchir le roi et les éditeurs sortent gagnants du combat.
Commentaires
Bonjour Francis,
Il faudra peut-être ajouter un nouveau joueur dans votre analyse : Microsoft, que les blogueurs ont tendance à enterrer un peu vite.
Voir : http://bibliobs.nouvelobs.com/20100...
mais aussi : http://www.lemonde.fr/economie/arti...
Merci M. Salaün,
L'alliance avec Microsoft apportera assurément beaucoup de poids à Amazon. Voici quelques liens reliés au billet:
Le constructeur de matériel HP travaille actuellement avec Microsoft, Adobe et Google sur ce qui pourrait être les principaux concurrents au iPad : http://bits.blogs.nytimes.com/2010/...
Les livres du iBook store ne seront pas aussi libres finalement : http://latimesblogs.latimes.com/tec...
Les prix chez Apple pourraient être moins hauts que prévu : http://www.nytimes.com/2010/02/18/t...
Ce sont les mêmes compagnies qui vont défendre leur effort de banalisation des droits du consommateur vis-à-vis des contenus numériques (les restrictions sur la migration, la duplication, la revente, etc.) par l’appel au respect des créateurs!
Alors que ces fameux créateurs ne touchent qu’un pourcentage minime du chiffre d’affaires des véritables gagnants du modèle : les pourvoyeurs.
Ces pratiques ne vont pas sans faire parler d’elles, et servent comme autant d'alibis pour certains pirates.
Cette guerre entre les gros joueurs de l'industrie est comme toutes les autres guerres : elle se fait souvent au dépant des populations civiles. Les compagnies tentent d'imposer leur matériel et leurs contenus afin de prendre la plus grande part du marché. Mais il n'y a là rien de nouveau, leurs objectifs économiques ne sont en aucun cas cachés et les gros éditeurs ont les mêmes motivations. Les lecteurs et les créateurs ont beaux se trouver aux deux extrémités de la chaîne, ils ne sont pas les joueurs les plus puissants.
Toutefois, internet et les valeurs de liberté que ses créateurs défendaient permettent aux lecteurs de n'être prisonniers d'aucun mode de vente de contenu unique. Plusieurs constructeurs de liseuses de e-books offrent des produits de grandes qualités sans emprisonner le lecteur dans son propre mode. Ainsi, on peut, par exemple, acheter un lecteur prenant en charge les pdf et le epub pour ensuite télécharger des livres totalement gratuitement et légalement. Plusieurs sites francophones réunissent des milliers de livres électroniques gratuits libres de droit :
http://beq.ebooksgratuits.com/pdf/i...
http://www.ebooksgratuits.com/
http://www.livrespourtous.com/
Et plusieurs auteurs profitent du lien direct avec le lecteur qu'offre internet pour offrir des textes gratuitement :
http://www.ebooksgratuits.com/adres...
Bonjour Francis,
Il y a aussi la question de la forme, qui n'est pas non plus sans incidence économique. Plus on s'éloigne de la reproduction de la forme livre, plus la fabrication est coûteuse. C'est aussi un des enjeux de la concurrence iPad-Kindle ou écran luminescent-epaper.
Voyez ce billet de V. Clayssen :
http://www.archicampus.net/wordpres...
Cette différence entre le type de lecture qu'offrira le iPad et celle qu'offre déjà les liseuses à encre électronique amènera peut-être la création de deux marchés au lieu d'une compétition. Une récente annonce (http://www.bloomberg.com/apps/news?...) laissait croire à l'apparition prochaine d'une génération de liseuses à papier électronique en dessous de 150$. Il est envisageable que dans une dizaine d'années le prix descende sous la barre des 100$, ce qui éliminerait pour plusieurs le besoin de choisir, on pourra acheter une liseuse confortable pour la lecture de roman et une tablette pour la lecture plus interactive et en couleur.
Deux autres liens d'actualité au sujet du prix des eReaders :
http://www.nytimes.com/2009/08/05/t...
http://blogs.zdnet.com/BTL/?p=29815
Désolée, Françis, pour mon retard à répondre à ton entrée, je me suis trompée dans les titres!
La guerre que se livre les grands joueurs dans ce domaine est, en un sens, une extension des guerres qu'ils se sont menés sur d'autres terrains afin de gagner la plus grande part de marché possible. Et il semble que l'industrie du livre imprimé ait voulu éviter les erreurs de l'industrie de la musique. Le jeu de la concurrence leur a été profitable et, en un sens, je crois qu'il est préférable que ce jeu puisse venir balancer un peu les règles du marché.
Mais un élément qui peut aussi venir jouer dans cette guerre est la popularité des différents supports aux livres électroniques. Les prévisions sont très favorables pour le moment ces derniers et il semble que le marché est appelé à s'agrandir. Mais jusqu'à quel point les consommateurs vont-ils suivre le mouvement? Bon, je sais que je suis vieux jeu mais je préfère encore une bonne vieille version papier qu'un support électronique pour lire en paix. Mais qu'en sera-t-il à long terme? Et à quel rythme se développera ce créneau? Ces produits sont encore relativement nouveaux et je crois qu'ils sont là pour rester mais seront-il réellement le support privilégié pour les lecteurs de tout acabit? Peut-être la guerre s'essoufflera d'elle-même ou sera encore plus féroce, c'est à voir!
En terminant, j'ajouterais dans la liste des sites intéressants pour les livres électroniques, le site du Projet Gutenberg, que j'adore parcourir... :)
http://www.gutenberg.org/wiki/Main_...
Bonjour Francis,
Voir cette intéressante synthèse de V. Clayssen et ses commentaires :
http://www.archicampus.net/wordpres...
Bonjour à tous,
Petite correction Francis lorsque tu dis que : "la musique achetée à travers iTunes est protégée et ne peut être lue qu’avec un iPod, Apple oblige ainsi, tout comme Amazon avec son format AZW, les acheteurs de ses produits à acheter ses contenus."
Cela n'est plus vrai depuis l'arrivée du format iTunes Plus. Apple n'est plus tenu de protéger les fichiers avec DRM, c'est pourquoi la musique achetée sur l’iTunes Store fonctionne avec de nombreux lecteurs mp3, pas seulement avec le iPod. La protection DRM était avant tout une contrainte technique qui empêchait la compatibilité avec d'autres lecteurs mp3, même si cette contrainte jouait en la faveur d'Apple.
http://support.apple.com/kb/HT2698
De toute façon, maintenant que le iPod est "le baladeur numérique le plus vendu au monde", cela n'a plus vraiment d'importance.
http://en.wikipedia.org/wiki/IPod
Christian