La valeur économique de nos traces sur le web : une question de dépendance mutuelle
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 24 février 2010, 06:28 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Alejandro Labonne Reyes dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.
En navigant sur le web, nous pouvons trouver beaucoup d’informations en ce qui concerne les traces que nous y laissons. Certains documents nous démontrent la facilité avec laquelle nous pouvons reconstruire l’identité de n’importe quel individu en utilisant ses traces (ici). D’autres sites nous donnent des instructions ou nous offrent de logiciels pour les effacer. Et même certains sites nous exhortent à en laisser plus (ici).
En somme, la plupart d’informations trouvées sur le web font le lien entre traces et vie privée. Peu d’information concerne l’aspect économique des nos traces sur le web. Pourquoi cela ? Quelle est la raison de cet oubli ? Puisque le web est gratuit nous ne nous sentons pas affectés par le côté économique du web sauf pour certains sites payants. La gratuité des services web : moteurs de recherche, courriel, stockage d’information, réseaux sociaux, etc. va de soi, nous n’y pensons plus. D’une certaine façon, elle est devenue anodine et sans importance. Nous sommes peu conscients de l’importance primordiale de cette gratuité dans les enjeux économiques du web.
La gratuite des services Web n’est pourtant pas banale, elle est calculée. Prenons l’exemple de Google. Comme d’autres acteurs sur le web, il nous propose une panoplie de services gratuits et efficaces. Grâce à ses services et leur gratuité, il capture notre attention. Attention qu’il va vendre aux annonceurs par le biais de services comme adsense. Ce modèle du marché du contenu et de l’attention n’a rien de nouveau, il a été utilisé par la télévision et la presse. Cependant, avec le web, le marché de l’attention et du contenu prend toute une autre tournure. Le modèle offert par Google serait en train de devenir le modèle néo-libéral par excellence et, à l’intérieur de ce modèle, nos traces sur le Web joueraient un rôle essentiel pour l’économie web.
Google incarne le modèle de l'économie néo-libérale par excellence car cette compagnie possède tous les aspects nécessaires pour établir et contrôler le prix des publicités sur le web sans aucun contrôle de l'État. En effet, Google détient la plupart du marché de l'accès et de la distribution de l'information numérique ainsi que de la mesure de l'audience (grâce à son Page Rank) et par conséquent, il peut fixer le prix des publicités de manière plus exacte que la concurrence. En effet, en 2006, 99% du chiffre d'affaires de Google provient de la publicité. Nous parlons d’un chiffre de 10 milliards de USD.
Tout ceci grâce à la gratuité et au souci d'efficacité avec lesquels Google a pu créer en nous, tous, une certaine dépendance (pour de meilleurs et plus rapides résultats de recherche) et parce que cette dépendance aux services de Google a effacé la concurrence et a détruit les barrières de protection que d'autres marchés du contenu (presse, radio, télévision) avaient érigées. (Sous cette perspective, la lutte entre Google et la Chine n'est pas exclusivement une lutte en faveur du droit à l'information, mais aussi au contrôle du marché de l'attention et de l'accès à l'information).
Au fil des années, grâce à nos constantes recherches sur son moteur de recherche, Google a construit toute une base de données sur nos comportements en tant que navigateurs sur le web. C’est sur cette base de données comportementales que le succès économique de Google repose. Le 11 mars 2009 Google annonçait qu’il commencerait à proposer un ciblage publicitaire sur la base du profil construit grâce à la navigation des internautes (ciblage comportemental).
Mais comme tout service web, Google pourrait aussi endurer des coups mortels à cause d’un autre modèle économique qui semble s’imposer de plus en plus, le modèle encouragé par Facebook. Dans un billet récent Didier Durand nous fait part des problèmes du modèle algorithmique de Google face au modèle de bouche à oreille de Facebook, particulièrement en ce qui concerne aux nouvelles sur le web. En ce sens, la dépendance que de manière très calculée Google suscite constamment chez nous pourrait aussi nous pousser ailleurs, si nous trouvons un Pusher du contenu numérique plus efficace, donc Google est condamné à toujours peaufiner ses algorithmes de recherche, à monter toujours la dose d’efficacité et d’exactitude pour nous maintenir dépendants. Mais jusqu’où ira-t-il ?
Seul le temps nous le dira.
Il nous reste au moins comme consolation savoir que Google est devenu aussi dépendant de nous : de nos traces, de chaque clic et de chaque recherche que nous faisons, comme nous le sommes de ses services.
Commentaires
Bonjour Alejandro,
Je suis bien d’accord avec toi lorsque tu affirmes que la gratuité du Web n’est qu’apparente puisque nous fournissons une foule d’informations concernant nos renseignements personnels et habitudes de vie. Ces bases de données comportementales permettent d’atteindre un large auditoire à un prix très faible.
Je pense que cette gratuité a un autre impact beaucoup plus important au niveau économique. Le fait que Google offre des logiciels comparables à des produits payants, tel qu’Office de Microsoft… On ne peut pas accuser ces derniers de faire de la concurrence déloyale puisqu’il offre un service gratuit, mais en diversifiant ses services Google devient en quelque sorte indispensable ce qui crée une concurrence féroce sur le marché de l’attention. Cette concurrence a pour effet selon moi d’augmenter le prix des produits que nous nous procurons.
Comme le dit si bien Xavier Wauthy : « La consommation gratuite de biens proposés par le Web 2.0 a un prix direct : l’information que vous fournissez aux sites auxquels vous vous affiliez. Elle a aussi un prix indirect : les montants publicitaires investis par les annonceurs sont répercutés dans le prix auquel les biens de consommation courante sont vendus. En bout de course, nous payons toujours! »
Mais puisque Internet devient un outil inévitable dans le développement de toutes les facettes de l’économie, il sera essentiel selon moi de resserrer les lois sur l’utilisation des traces laissées par les utilisateurs. Qu’arrivera-t-il lorsque des lois strictes feront leur apparition sur la publicité sur le Web? Je pense par exemple à Loi sur la protection du consommateur du Québec interdit aux entreprises de produire de la publicité à but commercial destinée aux enfants de moins de 13 ans. Cette loi ne s’applique pas pour l’instant au Web, mais comment Google gérera-t-il cette situation s’il si trouve confronté? Je pense que Google ne devra non seulement peaufiner ses services, mais il devra bientôt jongler avec les lois qui ne tarderont pas à être omniprésentes… Les réseaux sociaux n’y échapperont pas eu aussi! Je pense que le vainqueur sera celui qui réussira à offrir un système sécuritaire et respectant la législation tout en restant attrayant pour l’utilisateur.
Bonjour Alejandro,
Sur la question du modèle Google, je vous suggère la lecture de B. Girard. P ex un entretien ici :
http://www.cairn.info/revue-multitu...
Extrait :
«Le modèle de Google n’est efficace que s’il met à notre disposition des données gratuites. Arriver sur une page qui vous invite à acheter un article ne présente, en général, pas grand intérêt, alors que la valeur ajoutée d’un article offert gratuitement est sans équivoque. Or, ce faisant, il s’oppose aux intérêts des sociétés de droit d’auteur. Tant que cette question n’aura pas été réglée, l’ambition de Google de mettre sur le net toute la connaissance du monde sera bridée.
Ce modèle repose, par ailleurs, sur l’exploitation d’informations de nos usages. La qualité des réponses dépend d’informations que Google recueille sur les internautes (leur situation géographique, la langue qu’ils utilisent, etc.). Or, la collecte de ces informations suppose une grande confiance de la part des internautes. Celle-ci tient à ce que Google ait jusqu’à présent su protéger ces informations. Il n’est pas certain que ce sera toujours le cas.»
Une question qui se pose ici, selon moi, est de savoir si le consommateur préfère payer de façon indirecte des services qui se présentent comme étant gratuits mais qui se sert de ses informations personnelles et de son attention pour faire des profits, assez faramineux il faut l'avouer, ou de les payer de façon directe pour un même service sans les inconvénients cités plus haut. De bâtir un système où, contre paiement, les gens auraient accès au même type de service tout en étant assurés que les informations qui leur sont attachées ne soient pas conservées et qu'il ne serait pas inondé de publicité. Peut-être sur le modèle d'une coopérative, par exemple. J'avoue ne pas être une experte du domaine mais c'est une possibilité qui m'est apparue au cours de mes lectures!
Salut,
J’aimerais soulever quelques points concernant Google, la vie privée et la publicité.
1) D’abord qu’en termes d’invasion de la vie privée et de bombardement publicitaire agaçant et parfois frôlant l’inégalité, Google se comporte, pas mal bien.
Le slogan Do not evil, leur signature depuis belle lurette, nous dit assez de la façon de faire de cette compagnie. Il est toujours intéressant de comparer Google à Yahoo, car Google a toujours voulu se démarquer de leur compétiteur.
D’après son histoire (http://ecosphere.wordpress.com/2006...), ils ont continué dans la même voie que leur portail, lequel est très dépouillé en comparaison à celui de Yahoo, en offrant leurs publicités exclusivement dans une deuxième colonne à droit des résultats de recherche. De plus, les publicités chez Google ne sont que de liens vers de sites web avec une ligne de texte. Yahoo. Par contre, nous bombarde d’information, pop-up, multimédia et nous présente les liens publicitaires au tout début des résultats de notre recherche (aujourd’hui sur un fond jaune, mais pendant très longtemps, il était difficile de distinguer les uns des autres).
2) Je ne suis pas certain que pour la majorité d’internaute la vie privée soit un enjeu de taille en ce moment, époque dans laquelle les gens dévoilent ce qui ont mangé la veille où suivent les péripéties constants de la nouvelle starlette du jour sur twitter (50 millions de message par jour http://fr.tv.yahoo.com/26022010/27/...). Ce qui tout le monde veut sont des résultats fiables et la plus vite possibles.
Cependant, pour Google la vie privée est un vrai problème, mais pour d’autres motifs. En stockant des informations confidentielles, ils pourraient se voir forcés à les dévoiler à des tiers : Google ne veut surtout pas se faire exiger de présenter les adresses IP de tous ceux qui ont tapé aljasira sur leur moteur de recherche par exemple.
3) En ce qui concerne d’autres possibles maux de tête chez Google, on pourrait mentionner : les langues et la recherche multilingue. D’un part, Google a été conçu pour travailler majoritairement en anglais, dans d’autres langues il n’a pas la même efficacité. Par exemple pour des langues dans lesquels, les accents font la différence entre deux mots différents (français et espagnol). L’autre aspect, la question de la recherche multilingue, serait, à mon avis, une mine d’or pour un moteur de recherche qui puisse automatiquement faire une traduction correcte d’un mot en
Salut Évelyne et Christine,
J’aimerais soulever quelques points par rapport au modèle Google est la vie privée. D’abord, chez Google la confidentialité des renseignements sur ses utilisateurs c’est une chose qui leur tient à cœur. Je ne crois pas qu’ils aient peur de perdre des utilisateurs, car dans cette époque des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, la vie privée n’est pas une notion très importante pour la moyenne des utilisateurs. Ce qui fait peur à Google c’est la possibilité de se faire demander de dévoiler des informations à de tiers, principalement le gouvernement. Chez Google on nous dit qu’ils travaillent pour améliorer la confidentialité des données stockées et je pense qu’ils savent que l’internaute est plus préoccupé par l’efficacité des résultats que par la confidentialité des données.
En ce qui traite les publicités, il est toujours intéressant de comparer Google à Yahoo, car le premier a toujours voulu se démarquer du deuxième. Quand Google a commencé à s’intéresser à la publicité, ils ont continué dans la même voie que son portail d’entrée lequel est très dépouillé, en créant les liens publicitaires qu’on les connaît dans une deuxième colonne à droit de l’interface. Tout le contraire chez Yahoo lequel avec son portail plein d’information, des images et des pop ups nous bombarde constamment des publicités. Et quoi dire de la façon dont il nous présente les liens publicitaires au tout début de la page des résultats. En ce sens, Google reste un exemple à suivre en ce qui concerne une façon de faire passer la publicité sans nous mettre mal à l’aise.
Par rapport à la législation, effectivement elle est très importante et les gouvernements traînent de la patte. Elle est un enjeu de taille en ce qui a trait à la confidentialité des nos renseignements personnelles et à des politiques pour encadrer les publicités sur le web, mais principalement pour la question des droits d’auteur dans laquelle les joueurs qui demandent des actions de la part des gouvernements sont plus imposantes en termes des ressources financières que l’internaute moyen.
C'est assez amusant de considérer que malgré ces millions dépensés en publicité en ligne (qui fait vivre complètement des entreprises comme Google), le message publicitaire émis soit si facile à esquiver/ignorer. Contrairement à la télévision ou au cinéma, où le massage publicitaire occupe un segment complet de l'attention, souvent intercalé au contenu audiovisuel non publicitaire, la publicité sur le Web ne peut se déployer que spatialement : en sus du contenu « réel » motivant son visionnement. Les petits onglets commerciaux, les bannières fixes ou mobiles de toutes sortes, les "pop-up" (qui se font rares) - l'internaute aguerri les évite sans mal, et apprend vite à focaliser son attention sur le contenu « réel » d’une page donnée.
En fait, il semble que la publicité en ligne doive recourir de plus en plus au subterfuge, au trompe-l’œil, à la confusion visuelle : je pense aux sites de contenu où le lien de téléchargement d’un fichier est entouré d’une multitude de liens commerciaux, assurant que statistiquement un certain nombre de visiteurs cliquera par erreur un lien publicitaire. Ces pratiques semblent même s’importer dans les journaux traditionnels, où on voit apparaître des pages publicitaires affectant un style journalistique qui frise la supercherie.
Christine pose une question intéressante. Personnellement, je préfère payer indirectement pour les services gratuits sur Internet. Si Google utilise mes traces pour permettre aux annonceurs de me proposer de la publicité ciblée, cela ne me dérange pas vraiment puisque rien ne m'oblige à visiter les liens ou acheter les produits qui me sont proposés. Je ne pense pas que cela représente un problème pour les consommateurs avertis. Comme plusieurs personnes, je n'apprécie pas la surabondance de publicité lorsque je visite une page web. Je suis plus tolérant envers Google en raison de la gratuité et la qualité de ses services.
Amazon utilise aussi nos traces pour nous proposer des produits en fonction de nos intérêts. Un ami me disait un jour qu'il était en désaccord avec cette pratique commerciale. Je ne suis pas du même avis. Les suggestions d'Amazon m'ont souvent permis de découvrir des disques ou des livres dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Et pour les produits qui ne m'intéressent pas, je les ignore, tout simplement.
Par contre, l'histoire de Marc L. (http://www.le-tigre.net/Marc-L.html) est assez inquiétante. Pouvoir rassembler autant de renseignements sur une personne représente selon moi un risque de fraude et c'est beaucoup plus ciblé que les publicités de Google... Il faut choisir de manière presque scrupuleuse les informations personnelles que l'on partage avec les autres internautes.
Je suis bien d’accord avec Antonin, la publicité sur le Web n’a pas le même impact que celle présente à la télévision. Cependant, certains sites Web commencent à adopter une approche semblable à la télévision en ce qui concerne la publicité. Je pense par exemple à :
http://www.beezik.com/beezik/member... un site hébergé en France permettant de télécharger légalement et gratuitement de la musique. L’utilisateur pour télécharger un morceau de musique doit regarder une plage publicitaire de quelques secondes. Il doit rester les yeux rivés sur son ordinateur car il n’a que quelques secondes pour appuyer sur le lien démarrant le téléchargement. Sans doute ce type de publicité deviendra-t-il plus courant dans les années à venir…
Voir aussi sur ce sujet Tristan Nitot (lire les commentaires) :
http://standblog.org/blog/post/2010...
Salut Antonin et Louis Nicolas,
Je sais qu’il semble terriblement paradoxal que des compagnies qui vivent en plus de 90% des publicités, comme Google et Facebook, soient valorisées à des milliards de dollars, surtout si la moyenne des internautes qui cliquent sur les liens sponsorisés nous semble tout à fait infime. Mais quand la revue Forbes annonce que les compagnies dépensent plus en publicité sur le web que sur papier, cette nouvelle devrait être un indicateur de la valeur économique des nos traces sur le web, bien qu’en apparence toutes ces dépenses sembleraient du gaspillage.
Lien : http://www.forbes.com/2010/03/07/ad...
Salut Christine, en ce qui concerne des moteurs de recherche autre Google, plus particulièrement en coopérative ou alternatifs, on trouve sur le web FOOXX, mais il est encore en développement, car il n'indexe pas lui-même le web, mais utilise les autres moteurs pour bâtir sa base de données. Néanmoins, il offre d'autres solutions aux algorithmes chez Google qui deviennent de plus en plus controversés, car parfois donnent toujours les mêmes résultats. Par exemple, pou un travail hier en cherchant des informations sur divers formats pour le stockage des images, Google m'a donné en primer lieu Wikipédia. Pourquoi faire une recherche sur Google s'il va me donner toujours le même résultat, vaut mieux taper l'adresse Wikipedia tout suite sans passer par un intermédiaire.
http://docsdocs.free.fr/spip.php?ar...
http://www.fooxx.com/
Il semble incroyable qu’un autre moteur de recherche puisse supplanter Google, mais il l’a fait avec Altavista et Hot Bot.
Cependant, Google est devenu une icône est point de repère dans tous les aspects de la société, même les plus inattendus :
http://transformingtheology.org/cal...
Voir aussi :
How Google collects data about you and the Internet sur Pingdom :
http://royal.pingdom.com/2010/01/08...
Traduit par N. Debaets : http://oseox.fr/blog/index.php/807-...