Google mise tout sur la pub ciblée
Par Jean-Michel Salaun le samedi 14 août 2010, 23:24 - Moteurs - Lien permanent
Le Wall Street Journal vient de publier un entretien avec le prolixe directeur financier de Google, E. Schmidt :
Holman W. Jr Jenkins, “Google and the Search for the Future,” The Wall Street Journal, Août 14, 2010, ici.
Les propos s'adressent aux actionnaires s'inquiétant d'une fuite en avant technologique de la firme qui ne distribuerait pas assez de dividendes alors que c'est une machine à cash. Mais pour M. Schmidt l'enjeu est d'abord de préserver la position de Google sur la publicité sur le web au moment où la recherche (search) est de plus en plus dépassée. Extraits (trad JMS) :
« Je pense vraiment que la plupart des gens ne veulent pas que Google réponde à leurs questions, poursuit-il. Ils veulent que Google leur dise ce qu'ils devront faire ensuite. »
« (..) Nous savons grosso modo qui vous êtes, à quoi vous faites attention, qui sont vos amis. » Google sait aussi à moins d'un mètre près où vous êtes.
Aux dires de M. Schmidt, une génération de puissants appareils de poche est sur le point de sortir, capables de nous surprendre avec des informations que nous ne savions pas vouloir connaître. « Ce qui rend les journaux si fondamentalement fascinant - les trouvailles fortuites (serendipity) - peut aujourd'hui être calculé électroniquement. » (..)
« La technologie sera si efficace qu'il sera très difficile pour les gens de regarder ou consommer quelque chose qui n'aura pas été d'une certaine façon taillée sur mesure pour eux. » (..)
M Schmidt pense que la réglementation est inutile car Google est fortement incité à préserver les droits des usagers, sinon ils s'enfuiront en une minute si Google fait quoi que ce soit avec les renseignements personnels qu'ils trouvent trop sensibles. (..)
« Je ne crois pas que la société comprenne ce qui arrive quand tout est accessible, potentiellement connu et enregistré par tout le monde tout le temps ». Il prédit, apparemment sérieusement, qu'un jour chaque jeune arrivé à l'âge adulte aura le droit de changer automatiquement de nom pour désavouer sa jeunesse fêtarde enregistrée sur les sites des médias sociaux de leurs amis.
« Je veux dire que nous devons vraiment penser ces questions à un niveau sociétal, ajoute-t-il. Je ne parle même pas des choses vraiment effrayantes, comme le terrorisme ou la perversité. »
Ainsi E. Schmidt confirme que tous les efforts de Google ne portent que sur un seul mode de revenu : la publicité ciblée. C'est aussi la justification de la gratuité d'Androïd pour les opérateurs de téléphonie mobile, des récentes prises de positions à propos de la neutralité du net avec Verizon ou encore des efforts sur Chrome OS. Bien sûr, cette stratégie est dangereuse pour ses concurrents qui ont d'autres sources de revenus, car elle a tendance à les assécher en proposant grâce à son marché biface gratuitement ce qu'ils vendent à leurs clients. Elle l'a été pour la presse et globalement les industries de contenu, elle l'est aujourd'hui pour Apple et pour Microsoft, c'est à dire la micro-informatique.
Il a raison d'indiquer que des questions d'éthique se posent. Mais il n'est pas sûr que sur ce point le débat soit à la hauteur des enjeux.
Ajoutons que le journaliste du WSJ ne parait pas convaincu par tous les arguments, notamment concernant la facilité à quitter Google en cas de problème ou encore la propension de la firme à investir dans les services non rentables comme YouTube.
Actu du 30 août 2010
A compléter avec cet excellent article que je n'avais pas repéré :
Jessica E. Vascellaro, “Google Agonizes on Privacy as Ad World Vaults Ahead,” wsj.com, Août 10, 2010, rub. What They Know, ici.
Voir en particulier l'animation du graphique.
Commentaires
Bonjour Jean-Michel,
Merci une fois de plus de la veille, et de la mise en évidence de points saillants dans la multiplicité de déclarations, informations et analyses.
Y a-t-il quelque part une réflexion solide sur un éventuel "asséchement" du marché des annonceurs ? Après tout, pour que les annonceurs investissent dans l'achat d'espace, il faut qu'ils aient des produits à vendre, à un prix qui supporte l'investissement promotionnel. Si la numérisation massive et pervasive, créatrice de produits numériques ensuite indexés et diffusés à titre "gratuit" par Google et les réseaux numériques, laisse de moins en moins de place à des produits marchands, la machine publicitaire ne risque-t-elle pas de se gripper ?
Salut Alain,
Je ne connais pas vraiment de réflexion sur l'éventuel assèchement du marché des annonceurs. Mais je ne suis pas sûr de suivre ton raisonnement. Ce que rend Google gratuit, ce ne sont que les produits informationnels.
Les annonceurs visés sont ceux de l'économie matérielle, tout particulièrement la publicité locale géolocalisée. Il y a là un gisement vraisemblablement considérable, d'autant que les modalités et l'automatisation de la vente des espaces réduit radicalement les coûts de transaction. Voir :
http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jm...
La numérisation tend, à ce qu'il me semble, à réduire considérablement le domaine de l'économie matérielle. Il me semble qu'une proportion considérable d'annonceurs actuels sur le web provient plutôt de l'économie immatérielle. Il serait intéressant de mesurer cette proportion.
Certes, la publicité locale géolocalisée pour des services ou bien matériels de "proximité" peut expliquer l'incitation générale à tolérer ou encourager le traçage technique des acheteurs potentiels — ainsi que les investissements de Google dans le domaine de la cartographie, de l'indexation spatiale des offreurs. Mais les offreurs/annonceurs locaux peuvent-ils espérer un accroissement significatif de leur part de marché ou du panier de vente, répercuter dans les prix à la consommation le coût des intermédiaires et de la promotion numérique ?
Même s'il s'agit d'un cabinet intéressé, tu trouveras chez IAB les réponses à tes questions :
http://www.iab.net/insights_researc...
Notamment à la page 12 de ce rapport, tu verras la répartition des annonceurs en ligne pour les US qui ne concernent pas, loin de là, que l'économie immatérielle :
http://www.iab.net/media/file/IAB-A...
On constate aussi dans ce rapport que la recherche reste, de loin, la meilleure source de revenu publicitaire et que les revenus sont concentrés sur un très petit nombre de firmes, en réalité sur Google tout seul. Il faut donc relativiser les propos prospectifs de M. Schmidt.