Ce billet a été rédigé par Marie-Claude Ratté dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Nous assistons depuis quelques années déjà à la popularité grandissante des supports pour les livres électroniques (comme le Kindle). D’ailleurs, parmi les dépenses moyennes de culture et de communication des ménages québécois (ici), l’audiovisuel est en tête de liste. Néanmoins, même si au niveau de l’imprimé les quotidiens perdent de la vitesse, les livres, pour leur part, résistent à cette décroissance. Les éditeurs de livres doivent-ils alors investir dans le numérique? Certes, même si les livres numériques gagnent en popularité, ils n’ont pour l’instant toujours pas donné de résultats probants en terme économique ou d’usage. Pourtant, cela ne veut pas dire que dans un futur rapproché les lecteurs de livres ne vont pas se diriger massivement vers le livre numérique. Advenant un tel scénario, une autre question se pose : est-ce que les éditeurs de livres doivent craindre le numérique? En effet, la popularité du livre numérique et sa facilité d’accès permettent dorénavant aux auteurs de s’autopublier.

L’autopublication est une avenue particulièrement intéressante pour les auteurs à succès dont l'autorité au sein du grand public n’a plus besoin de faire ses preuves pour connaître la popularité. Prenons l’exemple de Marc-Édouard Nabe qui a vendu plusieurs milliers d’exemplaires de son roman « L’Homme qui arrêta d’écrire » sur sa plateforme d’autoédition (ou d’antiédition comme il se plaît à l’appeler). Un autre auteur, Joe Konrath, a vendu lui aussi plusieurs milliers d’exemplaires de ses livres électroniques autoédités sur le Kindle. M. Salaün résume en ces termes le pourquoi de ce succès fulgurant : il a choisi de s'autoéditer en réduisant drastiquement le prix de vente de ses livres à 2,99 $. De ce fait, ses droits en pourcentage ont augmenté car ils sont partagés en moins d'acteurs, et en même temps l'augmentation des exemplaires vendus augmente mécaniquement les revenus de façon spectaculairement plus importante que le manque à gagner de la baisse du prix.

Les avantages de l’autopublication sont multiples pour les auteurs. En effet, ils peuvent entre autres décider de la couverture de leur livre, mais surtout, ils peuvent choisir le prix auquel ils le vendront. Un contrat avec un distributeur, au lieu d’un éditeur, permet aux auteurs d’obtenir un plus grand pourcentage de revenus (s’ils réussissent à en vendre plusieurs exemplaires). De plus, le livre numérique les met à l’abri des ruptures de stock puisque celui-ci ne sera jamais épuisé tant et aussi longtemps qu’il restera en ligne.

Néanmoins, l’autopublication comporte certains inconvénients et le succès qui s’en suit n’est pas à la portée d’auteurs moins connus. Le rôle de l’éditeur est primordial pour ces derniers, car c’est lui qui prend les risques financiers pour veiller à la promotion et à la marchandisation des œuvres. De plus, le fait d’être partenaire avec un éditeur peut favoriser la notoriété de l’auteur en question par rapport au lecteur, car le renom d’une maison d’édition est également un gage de qualité. Le blogue Aldus, qui relate le succès de l’auteur Marc-Édouard Nabe, mentionne que ce dernier prouve que le format papier n’est plus essentiel ni pertinent pour un auteur d’aujourd’hui. Pourtant, comme Hubert Guillaud le démontre, les auteurs auront encore besoin des éditeurs, notamment pour continuer à vendre leurs exemplaires papier qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, loin de là. Également, même s’il est relativement facile de promouvoir par soi-même un produit sur les différents réseaux sociaux sur le web, il reste utopique de de penser que ce moyen de promotion, facile d’accès et gratuit, puisse rejoindre aussi facilement un grand nombre de lecteurs. Hubert Guillaud ajoute : Croire que tous les lecteurs vont trouver le site de leur auteur préféré tout seul, c'est, me semble-t-il, mal comprendre le fonctionnement du net, où les parcours sont justement démultipliés...

Ainsi, comme nous pouvons le constater, le succès de l’autopublication demeure, pour le moment, le privilège d’auteurs ayant été fortement popularisés précédemment grâce au travail de promotion d’un éditeur. Toutefois, cet engouement pour l’autoédition témoigne d’un malaise récurrent chez les auteurs : le pourcentage ridiculement bas (on parle de 10 % du prix net du livre, qu’il soit numérique ou non) que les éditeurs leur accordent (consultez cet article pour d’autres détails). De plus, il y a le prix du livre numérique qui est égal ou légèrement plus bas que celui d’un livre imprimé. Pourtant, la mise en marché du livre électronique est beaucoup moins coûteuse pour l’éditeur que celle du livre imprimé. Pour constater cet état de fait, voici des blogues (parmi plusieurs) qui en traitent : Actualitté et Entre-nous-soit-dit.

Même si l’industrie du livre imprimé résiste, les éditeurs de livres devront s’atteler à trouver une solution pour ne pas voir leurs auteurs (qui garantissent leurs fonds) partir à leur compte. Mark Coker parle alors d’une bascule du pouvoir entre l’éditeur et l’auteur. Pour contrer l’abandon de l’édition pour l’autopublication, la solution serait peut-être alors de rendre cette bascule plus équilibrée entre les deux parties dans un contexte d’édition numérique de livres. Dans ce cas, les éditeurs pourraient envisager d’investir dans le numérique.