Extrait d'un billet publié au printemps ici :

Précédemment nous trouvions une représentation du livre sur chacun des sommets du triangle, même si la différence de perspective soulignait les différences de dimensions. Cette fois, le document n’apparait plus qu’au centre, comme un navigateur qui le reconstruira à la demande de l’internaute. On pourrait dire que le système documentaire a réintégré la construction du document. La notion « parenthèse Gutenberg » prend alors une tout autre ampleur. L’imprimerie avait sorti la production documentaire des bibliothèques, des infrastructures épistémiques de l’époque. Le numérique réintègre la production documentaire dans l’infrastructure épistémique contemporaine : le web.

WS-dimensions-document.jpg

Il y aurait une thèse à écrire sur l'émergence et l'évolution du navigateur. En attendant qu'un étudiant futé s'y mette, voici une superbe infographie aussi intéressante par ce qu'elle présente que parce qu'elle cache. L'évolution du web, réalisée par une équipe de développeurs de Google Chrome. L'objectif est évidemment de montrer que le dernier né des navigateurs est celui qui s'appuie sur les technologies les plus performantes parce que les plus actuelles.

L'infographie a l'avantage de résumer l'évolution des navigateurs et des langages, méthodes et logiciels qui les portent. Depuis l’ancêtre Mosaïc, qui a posé le concept, seuls six navigateurs se sont imposés, dont cinq sont encore en fonction. Les dernières tendances montreraient une montée de Chrome au détriment d'Explorer, toujours leader, et surtout de Firefox. Le navigateur est le principal instrument de la constitution du néodocument du nouveau millénaire, sa matrice.

Quelles leçons tirer de ce graphique ? En voici quelques-unes sans prétendre du tout épuiser le sujet :

  • Le très petit nombre d'alternatives et l'énorme succès de quelques-unes souligne l'importance de la normalisation de fait. Le néodocument remplace de plus en plus les anciens documents qui règlent notre vie en société et il a naturellement a envahi notre quotidien et suppose un contrat de lecture pour être repéré, décrypté et éventuellement transmis. Il nous serait insupportable d'avoir à apprendre plusieurs contrats de lecture. Passer d'un navigateur à un autre, aux fonctionnalités pourtant très proches est souvent agaçant, sans compter que nous devons aussi apprendre à gérer d'autres services concurrents (messageries, applications des mobiles, etc.).
  • Tous les navigateurs sont gratuits, et pourtant, ils sont le fruit d'un intense travail de recherche-développement, d'ajustements et d'intégration de fonctionnalités continues. Cette gratuité est significative. On paye sa connexion, mais on n'imagine pas payer la matrice du néodocument.
  • La difficulté du navigateur Opéra, un des plus anciens et, on le voit bien sur l'animation, un des plus innovants, souligne l'importance d'un écosystème pour le développement du néodocument. Explorer, Safari et tout récemment Chrome profitent de leur inclusion de fait dans le système documentaire de l'internaute, par la bureautique, le design ou la recherche. Firefox se place dans une position d'alternative libre, mais était de fait soutenu par Google. L'arrivée de Chrome le fragilise.
  • L'inclusion progressive des services au navigateur mériterait d'être étudiée de près. Depuis le multimédia, la dynamique, l'interactif, le partage, etc., elle marque l'évolution de la typographie numérique, du texte et de la fonction de transmission, les trois dimensions du néodocument.