Batailles de titans : la stratégie d’Apple
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 28 février 2013, 03:10 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Michael David Miller et Ariane Parayre dans le cadre du cours Économie du document.
À la fin de l’année 2012, le Wall Street Journal prédisait que, pour 2013, la Grande guerre qui fait rage entre les titans des technologies, c’est-à-dire Apple, Google, Facebook et Amazon se livrerait sur les terrains du contenu (software) et des appareils (hardware), terrains aux contours de plus en plus flous.
Source : http://www.flickr.com/photos/dullhunk/8251577325/sizes/m/in/photostream/
Dans cette bataille épique, quelle est la stratégie générale d’Apple et, plus spécifiquement, quelle est celle adoptée sur le marché du livre électronique (ebook) ?
Des portails exclusifs
Impossible d’aborder la stratégie globale de vente d’Apple sans parler du lien qui unit, pour le géant à la pomme croquée, contenu et appareils. D’abord, il faut noter que la très grande majorité des revenus de l’entreprise proviennent de la vente d’appareils comme le mentionne Jean-Michel Salaün sur son blogue.
Dans ce contexte, quel rôle revient au contenu ? Celui, non moins essentiel, d’argument de vente : à la suite d’un produit Apple, l’iTunesStore, l’AppStore et le iBookStore, portails exclusifs faciles à utiliser, permettent le téléchargement de contenus gratuits et, bien sûr, payants. On y encourage l’utilisateur à se procurer, contre paiement, des options complémentaires à ses applications ou des versions « améliorées » de celles-ci.
Dans ce contexte, il importe de comprendre que ce ne sont pas seulement certains contenus qui sont réservés aux utilisateurs Mac mais aussi la manière, simpliste et exclusive, d’y accéder. Conséquemment, Apple, dans cet environnement fermé, a l’opportunité de contrôler leur utilisation tout en faisant la promotion de ventes dites complémentaires (après tout, le concept même d’application tel que popularisé par l’AppStore et l’Android Market n’est-il pas avant tout une façon de contrôler du contenu ?).
Apple vs. the World
Sur cet aspect d’accessibilité aux contenus, la clientèle d’Apple est probablement davantage favorisée que celle des autres. En effet, et plus précisément en lien avec le marché du livre électronique, il existe sur l’AppStore des applications gratuites pour émuler les livres offerts chez les principaux concurrents d’Apple dont ceux d’Amazon (Kindle) et de Barnes & Noble (Noox). Par exemple, un usager pourra lire sur son iPad un livre acheté chez Amazon en utilisant l’application Kindle qu’il aura téléchargé de l’AppStore. C’est ainsi qu’Apple empêche ses opposants de détenir un avantage concurrentiel qui passerait par une exclusivité de contenus. À l’inverse, la compétition, elle, n’a pas accès aux contenus détenu par Apple.
Pour les consommateurs, ce gain a cependant un prix : celui du coup d’acquisition plus élevé des appareils Mac. Du côté de l’entreprise, cela équivaut, le plus simplement du monde et selon la logique marchande, à une augmentation de ses revenus.
Une stratégie au banc des accusés
Si les adversaires d’Apple ne peuvent détenir l’avantage de l’exclusivité, sur quel autre atout peuvent-ils miser? Celui, bien sûr, des prix les plus bas. Il est indéniable que le Kindle et le Noox coûtent moins chers que l’iPad. Or, Apple justifie le prix de sa tablette par une offre accrue d’options (souvent sous forme d’applications), un design attrayant et des fonctionnalités multimédias.
Et, sur cette question monétaire, qu’en est-il des prix relatifs au contenu ? On apprenait que, pour cet enjeu particulier, Apple a pris des moyens qui joueraient dangereusement avec les limites de la légalité, tel que l’a rapporté, entre autres, Radio-Canada. Ainsi, la compagnie aurait fixé les prix des livres électroniques à la hausse avec la complicité de grandes maisons d’édition pour empêcher Amazon de vendre à rabais. Pratique monopolistique illégale ou avantage concurrentiel négocié ? Chose certaine, la Commission européenne a absous l’entreprise californienne et ses éditeurs moyennant certaines conditions. De l’autre côté de l’Atlantique, Washington maintient sa poursuite et le procès devrait avoir lieu en juin 2013. Pour le moment, en se fiant à la décision européenne, on peut conclure que, sur les grands champs de bataille, tous les coups sont permis. L’avenir nous dira où se placera la justice du côté de chez l’Oncle Sam et si Apple, dans un désir d’écraser toute concurrence, est allé, sur sa propre patrie, trop loin...
Commentaires
Il est indéniable que la stratégie commerciale d’Apple est extrêmement efficace. Au départ, le renouvellement quasi annuel de ses produits permet une publicité constante. D’ailleurs, ses publicités sont créatives et toujours avant-gardistes et démontrent la plupart du temps, la simplicité des produits. Les produits Apple sont assez dispendieux et cette gamme de prix contribue à l’image de la marque qui se veut de qualité supérieure. Apple réussit à créer des besoins ou du moins à créer des désirs et de la convoitise. J’irais même jusqu’à dire qu’il est un des principaux acteurs de l’obsolescence programmée avec son renouvellement constant et l’arrêt de mise à jour des « vieux » appareils qui se produit de plus en plus rapidement. Reste à voir si la disparition de Steve Jobs et de son sens du marketing entraînera une chute de l’entreprise.
Les procès antitrusts sont toujours intéressants à suivre, ça ressemble un peu à une énorme partie d'échecs... ou à une guerre, avec ses tactiques, ses stratégies et ses alliances circonstancielles. On pourrait se demander si ce type de procès n'est pas intégré au plan d'affaires des grandes multinationales. Apple, comme Microsoft et d'autes avant, semble se dire : "Voyons jusqu'où on peut aller trop loin ." Je pose la question... est-ce vraiment le cas ? Cette compagnie a probablement de très bon avocats. Bref, tout le monde ou presque connaît les règles du jeu. Ce scénario darwinien devient banal, et pendant ce temps les consommateurs sont souvent floués, voire lésés. En fin de compte, qui est le plus malin, le mieux informé ? Le consommateur ou le producteur ? Ce procès, même s'il était prévisible, soulève une multitude d'interrogations; mais, pour le moment, il faut suivre attentivement l'évolution des événements. Voir le lien ci-dessous.
http://www.actualitte.com/justice/a...
Apple privilégie clairement le design de ses produits (« vu ») par rapport au contenu, ce qui me fait douter qu'il y ait vraiment une stratégie approfondie exclusivement pour son marché du livre. Cette compagnie, justement parce qu'elle met l'accent sur ses supports (iPod, iPad, iPhone, etc.), se doit de renouveler et de réinventer constamment son offre de produits. Comme Jean-Michel Salaün l'explique dans une de ses vidéos (https://www.youtube.com/watch?v=5IC...), le iPhone (et je dirais aussi le iPad) est une tentative de jumeler les trois dimensions du document: le « vu » est présent par le support qu'on peut avoir dans sa poche, le « lu » est présent dans le fait qu'on peut aller sur le Web pour chercher du contenu, le « su » est présent par le réseau de contacts développé à même le téléphone (ou par le biais de Facebook). En ce sens, la stratégie de la compagnie Apple pourrait donc être de proposer des produits multitâches, comme vous l'avez mentionné dans votre billet, qui allient les trois dimensions du document. Même si le prix de ses produits est plus dispendieux, je pense quand même que le consommateur voit dans l'achat d'un iPhone par exemple une économie d'argent par rapport au montant qu'il débourserait en se procurant une liseuse, un téléphone et un ordinateur portable, sans parler du côté utilitaire que représente cet objet (il est moins compliqué de seulement avoir le iPhone dans sa poche que de traîner liseuse, téléphone et ordinateur).
Apple contrôle chaque étape de sa production, du début jusqu’à la fin, de la conception à la fabrication (voir à ce sujet http://www.marketing-strategie.fr/2... ). Ni les analystes, ni les consommateurs savent exactement quel produit sera lancé puisque tout est conçu dans le secret le plus absolu. Cela fait aussi partie de la stratégie marketing d’Apple.
Apple est une marque “désirée”. En fait, il s’agit de la marque la plus convoitée au monde. Il est communément admis que ses produits sont plus chers que ceux de ses concurrents et les consommateurs sont prêts à payer cette différence.
Est-ce que la mort de Steve Jobs y changera réellement quelque chose? Il est possible de croire que non car sa philosophie est profondément ancrée au coeur même de son entreprise.
Est-ce que la poursuite intentée contre Apple est réellement un “test” qui vise à connaître les limites du système judiciaire? N’est-ce pas plutôt un déni pur et simple des lois au nom de la libre entreprise? De la même manière qu’il est presque impossible de connaître à l’avance les détails concernant les futurs produits qu’Apple commercialisera, il est difficile de trancher avec certitude cette question sans être dans les petits papiers de ceux qui composaient la “garde rapprochée” de Steve Jobs.
Finalement, ce pourrait aussi être une façon d’user du vieil adage : “ Parlez de moi en bien, parlez de moi en mal, mais parlez de moi! ”. Combien coûterait une couverture médiatique de cette ampleur? De toute façon, il y a fort à parier que la plupart des fidèles de la marque ne la délaisseront pas pour une telle bavure. Et c’est sans parler qu’Apple pourra toujours nier les faits, cultivant ainsi le “mystère” qui plane constamment autour de l’entreprise. Une autre technique de marketing, qui sait?
"Apple privilégie clairement le design de ses produits (« vu ») par rapport au contenu, ce qui me fait douter qu'il y ait vraiment une stratégie approfondie exclusivement pour son marché du livre."
Oui, Apple privilégie le design de ses produits mais il importe de prendre en considération que la tactique commerciale de l’entreprise comporte de nombreuses facettes. À ce propos, nous vous invitions à consulter l’article de Bruno Maltais auquel nous faisons référence dans notre billet: http://blogues.radio-canada.ca/surl...
Si cet aspect du contenu n’est pas important, pourquoi avoir risqué des poursuites? À moins que les allégations qui pèsent sur Apple soient complètement fausses? C’est aussi possible.
"En ce sens, la stratégie de la compagnie Apple pourrait donc être de proposer des produits multitâches, comme vous l'avez mentionné dans votre billet, qui allient les trois dimensions du document."
Il s'agissait indéniablement d'un avantage concurrentiel lors de la sortie du premier iPhone et de l'iPad. Est-ce toujours le cas aujourd’hui? D’autres compagnies proposent aussi des produits qui allient les trois dimensions du document. Voir entre autres l’exemple du Blackberry Z10: http://ca.blackberry.com/fr/smartph... .
Un autre point "payant" en lien avec la stratégie marketing d'Apple est sa capacité à créér un "buzz" autour de la sortie de ses nouveaux produits. En jouant avec le côté secret, et cela de la fabrication de ses produits jusqu'au fameux jour du lancement, Apple titille la curiosité des gens, et donc leur intérêt! Les gens veulent du APPLE... et vite!!!!!!!!!!!!!!!!!
Source:
Blog Stratégie Marketing: <http://www.marketing-strategie.fr/2...
Bonjour. Je voudrais signaler une (toute petite) erreur : La liseuse de Barnes & Noble se nomme le Nook (et non le Noox). D'ailleurs, tout comme le kindle book d'Amazon, Barnes a pour stratégie de remplacer toutes les équivalences du mot ebook par nook book sur son site (même la New York Times bestseller list ebook qui fait référence aux Etats-Unis a été rebaptisée New York Times bestseller list nook book...)
Par ailleurs, s'il est certain que les appareils apple sont plus chers, rappelons que l'iPad est la tablette la plus désirée par les consommateurs. De même, alors que Amazon et Barnes ont sortis des liseuses (quoi que Amazon va bientôt sorti sa tablette), des études ont démontré que les lecteurs de livres numériques utilise majoritairement des tablettes plutôt que de "simples" liseuses (ou ereaders).
Dans tous les cas, ça reste une stratégie intéressante dans un contexte ou le format propriétaire et les écosystèmes fermés posent de plus en plus débat.
Merci à tous pour vos commentaires qui alimentent ce blogue depuis la publication du billet.
Effectivement, la sortie d'un nouveau produit Apple est toujours un "happening" entretenu par de nombreux secrets (voir à ce sujet le commentaire no 4).
Madame Landry: le lien ne fonctionne pas. Faites-vous référence au même lien que celui du commentaire no 4?
Malo: Merci pour la correction.
"des études ont démontré que les lecteurs de livres numériques utilise majoritairement des tablettes plutôt que de "simples" liseuses (ou ereaders)". Si vous connaissez de telles études, nous serions très intéressés à les consulter. Merci de nous envoyer le(s) lien(s).
Synthèse des commentaires
Commentaire no 1 : « La stratégie commerciale d’Apple est extrêmement efficace ». Elle se déploie à travers un renouvellement constant de ses produits (participant alors à l’obsolescence technologique « programmé »), une publicité créative et avant-gardiste ainsi qu’un prestige entretenu grâce à une gamme de prix plus élevés.
Commentaire no 2 : Est-ce que le procès anti-monopole d’Apple s’inscrit dans sa stratégie commerciale?
Commentaire no 3 : « Apple privilégie clairement le design de ses produits (« vu ») par rapport au contenu (…). Cette compagnie (…) se doit de renouveler et de réinventer constamment son offre de produits ».
L’iPhone et l’iPad « est une tentative de jumeler les trois dimension du document » c’est-à-dire le « vue », le « lu » et le « su ». Apple propose donc des appareils multitâches, ce qui justifie un prix plus élevé.
Commentaire no 7 : Apple crée un « buzz » marketing en maintenant le secret autour de ses produits.
Commentaire no 8 : Ce commentaire reprend les notions de prestige et de prix. L’auteur ajoute : « des études ont démontré que les lecteurs de livres numériques utilise [sic] majoritairement des tablettes plutôt que de "simples" liseuses (ou ereaders)».