La question qui se pose ici est celle de savoir si le livre imprimé va résister à la vague déferlante du numérique. En fait, en quoi la montée du numérique fait-elle craindre pour l’avenir du livre imprimé? Le numérique est-il si puissant et si bien implanté? Et le livre imprimé est-il tant que ça à l’article de la mort ?

Le livre imprimé à l’agonie…

Le numérique signe-t-il l’arrêt de mort de l’imprimé ?

Telle est la question qui se pose et qui s’impose même pratiquement à tous, au regard de la grande envergure que prend le numérique et la multiplication des supports de lecture. Selon Florent Taillandier pour Cnet, les gens qui possèdent des liseuses lisent deux fois plus de livres (25 en moyenne par an), que les lecteurs sur support imprimé (14 en moyenne par an). De plus en plus, les gens délaissent même les liseuses au profit des tablettes, puisqu’ils considèrent que la lecture sur liseuse n’est pas différente de la lecture sur imprimé, dans la mesure où la liseuse ne livre qu’une transposition fidèle de l’imprimé. Pourtant, le lecteur veut être en mesure de manipuler le texte, de copier et coller au moyen de simples clics, des passages qu’il souhaiterait citer. Grâce au numérique et par l’intermédiaire de sa tablette, le lecteur peut transporter avec lui autant de livres qu’il souhaite et qu’il pourra consulter en tout lieu et en tout temps, sans aucune gêne liée aux contraintes de poids ou d’espace. Il peut, de plus, chercher et acquérir des livres sans avoir à se déplacer. Le numérique permet d’économiser aussi bien l’espace du lecteur que son temps.

L’un des aspects du numérique qui fait son succès,  c’est la navigabilité qu’il offre au lecteur à travers les liens hypertextes qui permettent d’étayer et d’approfondir un sujet. Le texte s’en trouve enrichi et interactif. On en est arrivé, selon le Mobnotate (Ici) de Ricky Wong, à générer des liens entre des livres à l’aide d’algorithmes qui pourraient même aller chercher des articles en relation avec le sujet de lecture. Et comme l’affirme Hugh McGuire, grâce aux hyperliens qui conduisent d’un endroit à un autre,  les livres et l'internet vont fusionner d’ici cinq ans. Certaines maisons de presses, comme Les Presses universitaires de France (PUF) qui ont commencé à numériser leurs fonds, annoncent par ailleurs qu’il est probable, qu’en 2014, il n’existe plus de version imprimée de leurs revues. Avec les nombreux nouveaux appareils numériques (liseuses, tablettes, ordinateurs portables, ordinateurs fixes, smatphones), le nombre d’e-lecteurs s’est aussi accru et à l’inverse, on a assisté à la baisse des ventes des livres imprimés. Cette tendance s’est observée à travers le monde. Mais elle ne s’est pas maintenue très longtemps.

Chute vertigineuse du numérique et résurrection du livre imprimé …

Passé l’effet de mode ou l’attrait de la nouveauté observé, on assiste à un ralentissement du marché du livre numérique. D’où la question de savoir si le-marche-du-livre-electronique est en panne. De nombreuses études montrent qu’en France, ça n’a jamais vraiment décollé, en partie à cause de son coût élevé. Même aux États-Unis où il y a eu un véritable boom du livre numérique, la baisse est drastique. Kelly Gallagher, vice-président de Bowker, parle du passage «d'une croissance exponentielle à une croissance incrémentale» et on note par ailleurs que plus le numérique se répand, moins il touche les lecteurs; les nouvelles cibles sont plus adeptes de jeux vidéo. C’est la raison pour laquelle le marché des liseuses s’effondre peu à peu pour laisser la place aux tablettes qui sont multifonctionnelles (300 000 liseuses vendues contre 3,4 millions de tablettes en 2012). Comme l’affirme Jordan Selburn d'iSuppli à laTechnology Review, « Les gens veulent faire d'autres choses sur leurs appareils que seulement lire des livres». De plus, 60% de ceux qui achètent des livres numériques aux États-Unis retournent au livre imprimé qu’ils consomment encore plus qu’avant. Enfin, une catégorie de lecteurs, nostalgiques du livre imprimé, justifient leur attachement par les vertus qu’ils en tirent. Selon eux, la page du livre est unique pour son parfum, senteur qui grise l’appétit du lecteur et maintient un lien affectif avec le document. Par ailleurs, feuilleter les pages d’un livre n’est pas, pour ces lecteurs, un acte banal. C’est une poésie, un acte de communication intime entre le livre et eux. Et par conséquent, seuls les lecteurs qui ont feuilleté les pages d’un livre imprimé peuvent ressentir cette sublime magie.

Vous avez dit multitâche ?

Avec sa tablette, le lecteur est dispersé, son attention n’est pas entièrement dédiée au sujet de lecture. La lecture n’est plus linéaire, elle est fragmentée. Il n y a plus de longues heures de concentration comme celles dédiées au livre imprimé. A ce sujet, Antoine Robitaille (Le devoir, 18 février 2013) affirme que « le patient tueur [de l’imprimé]… l’ère numérique … propage le virus du déficit d’attention». Je dirais qu’il s’agit même du virus du détournement d’attention. En effet, le lecteur est constamment distrait dans sa lecture, son attention est détournée du texte par des alertes, des messages divers qui surgissent de partout. Certes, si la multiplication des hyperliens dans le texte numérique, rendue possible par la plasticité, permet d’enrichir le texte, d’apporter des éclairages nouveaux à la lecture, il n’en demeure pas moins qu’il y a de fortes chances qu’à force de papillonner d’un texte à l’autre, le lecteur se perde dans ce labyrinthe, qu’il ne retrouve plus son texte d’origine et ainsi n’en termine jamais la lecture.  D’ailleurs, on sait même qu'un tiers des lecteurs ne dépassent pas la 50e page d'un livre.

L’épine dans le pied du numérique…

Les DMR constituent aussi un frein au livre numérique. En fait, certains auteurs ne veulent pas publier leurs livres en numérique de peur d’être piratés. C’est sans doute la raison pour laquelle des fournisseurs de livres numériques ont décidé de les crypter, pour empêcher leur copie ou leur prêt. Seulement, ces dispositifs de cryptage posent deux problèmes majeurs : d’une part, un lecteur peut acheter légalement son livre et ne pas être en mesure de l’ouvrir parce qu’il y a incompatibilité entre le format du livre et sa liseuse. Évidemment, il s’en trouvera fortement frustré. D’autre part, le lecteur trouve que ses droits sont bafoués, il n’a même pas la propriété matérielle du livre numérique, contrairement au livre imprimé qu’une fois qu’il l’a acquis, il peut le conserver, le donner, le prêter, le revendre ...  Or beaucoup de lecteurs refusent de sacrifier la possession ou le partage des livres. Et l’ironie est que les pirates arrivent à contourner les DMR !

En somme, ce qu’il convient de relever est que les funérailles du livre imprimé sont annoncées depuis plus de quinze ans, mais comme un subtil roseau, il plie mais ne rompt pas ! En fait, est-ce tant la montée du numérique qui menace le livre imprimé ou ce sont les pratiques culturelles qui risquent de tuer la lecture, quel qu’en soit le support ?