Le livre imprimé va t-il survivre au numérique ?
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 28 février 2013, 02:51 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Arlette Lucie Ndetchou dans le cadre du cours Economie du document.
L'existence du livre imprimé remonte à plus de cinq siècles. Il a longtemps été considéré comme le principal support des connaissances (du moins, depuis l'invention de l'imprimerie vers 1450 par Gutenberg, période au cours de laquelle il a connu son expansion). Le livre imprimé se voit aujourd'hui fortement concurrencé, voire menacé par la venue du numérique, soutenu par le web qui, en l'espace de quelques années, a connu une avancée exponentielle.Le livre imprimé à l’agonie…
Le numérique signe-t-il l’arrêt de mort de l’imprimé ?
Telle est la question qui se pose et qui s’impose même pratiquement à tous, au regard de la grande envergure que prend le numérique et la multiplication des supports de lecture. Selon Florent Taillandier pour Cnet, les gens qui possèdent des liseuses lisent deux fois plus de livres (25 en moyenne par an), que les lecteurs sur support imprimé (14 en moyenne par an). De plus en plus, les gens délaissent même les liseuses au profit des tablettes, puisqu’ils considèrent que la lecture sur liseuse n’est pas différente de la lecture sur imprimé, dans la mesure où la liseuse ne livre qu’une transposition fidèle de l’imprimé. Pourtant, le lecteur veut être en mesure de manipuler le texte, de copier et coller au moyen de simples clics, des passages qu’il souhaiterait citer. Grâce au numérique et par l’intermédiaire de sa tablette, le lecteur peut transporter avec lui autant de livres qu’il souhaite et qu’il pourra consulter en tout lieu et en tout temps, sans aucune gêne liée aux contraintes de poids ou d’espace. Il peut, de plus, chercher et acquérir des livres sans avoir à se déplacer. Le numérique permet d’économiser aussi bien l’espace du lecteur que son temps.
L’un des aspects du numérique qui fait son succès, c’est la navigabilité qu’il offre au lecteur à travers les liens hypertextes qui permettent d’étayer et d’approfondir un sujet. Le texte s’en trouve enrichi et interactif. On en est arrivé, selon le Mobnotate (Ici) de Ricky Wong, à générer des liens entre des livres à l’aide d’algorithmes qui pourraient même aller chercher des articles en relation avec le sujet de lecture. Et comme l’affirme Hugh McGuire, grâce aux hyperliens qui conduisent d’un endroit à un autre, les livres et l'internet vont fusionner d’ici cinq ans. Certaines maisons de presses, comme Les Presses universitaires de France (PUF) qui ont commencé à numériser leurs fonds, annoncent par ailleurs qu’il est probable, qu’en 2014, il n’existe plus de version imprimée de leurs revues. Avec les nombreux nouveaux appareils numériques (liseuses, tablettes, ordinateurs portables, ordinateurs fixes, smatphones), le nombre d’e-lecteurs s’est aussi accru et à l’inverse, on a assisté à la baisse des ventes des livres imprimés. Cette tendance s’est observée à travers le monde. Mais elle ne s’est pas maintenue très longtemps.
Chute vertigineuse du numérique et résurrection du livre imprimé …
Passé l’effet de mode ou l’attrait de la nouveauté observé, on assiste à un ralentissement du marché du livre numérique. D’où la question de savoir si le-marche-du-livre-electronique est en panne. De nombreuses études montrent qu’en France, ça n’a jamais vraiment décollé, en partie à cause de son coût élevé. Même aux États-Unis où il y a eu un véritable boom du livre numérique, la baisse est drastique. Kelly Gallagher, vice-président de Bowker, parle du passage «d'une croissance exponentielle à une croissance incrémentale» et on note par ailleurs que plus le numérique se répand, moins il touche les lecteurs; les nouvelles cibles sont plus adeptes de jeux vidéo. C’est la raison pour laquelle le marché des liseuses s’effondre peu à peu pour laisser la place aux tablettes qui sont multifonctionnelles (300 000 liseuses vendues contre 3,4 millions de tablettes en 2012). Comme l’affirme Jordan Selburn d'iSuppli à laTechnology Review, « Les gens veulent faire d'autres choses sur leurs appareils que seulement lire des livres». De plus, 60% de ceux qui achètent des livres numériques aux États-Unis retournent au livre imprimé qu’ils consomment encore plus qu’avant. Enfin, une catégorie de lecteurs, nostalgiques du livre imprimé, justifient leur attachement par les vertus qu’ils en tirent. Selon eux, la page du livre est unique pour son parfum, senteur qui grise l’appétit du lecteur et maintient un lien affectif avec le document. Par ailleurs, feuilleter les pages d’un livre n’est pas, pour ces lecteurs, un acte banal. C’est une poésie, un acte de communication intime entre le livre et eux. Et par conséquent, seuls les lecteurs qui ont feuilleté les pages d’un livre imprimé peuvent ressentir cette sublime magie.
Vous avez dit multitâche ?
Avec sa tablette, le lecteur est dispersé, son attention n’est pas entièrement dédiée au sujet de lecture. La lecture n’est plus linéaire, elle est fragmentée. Il n y a plus de longues heures de concentration comme celles dédiées au livre imprimé. A ce sujet, Antoine Robitaille (Le devoir, 18 février 2013) affirme que « le patient tueur [de l’imprimé]… l’ère numérique … propage le virus du déficit d’attention». Je dirais qu’il s’agit même du virus du détournement d’attention. En effet, le lecteur est constamment distrait dans sa lecture, son attention est détournée du texte par des alertes, des messages divers qui surgissent de partout. Certes, si la multiplication des hyperliens dans le texte numérique, rendue possible par la plasticité, permet d’enrichir le texte, d’apporter des éclairages nouveaux à la lecture, il n’en demeure pas moins qu’il y a de fortes chances qu’à force de papillonner d’un texte à l’autre, le lecteur se perde dans ce labyrinthe, qu’il ne retrouve plus son texte d’origine et ainsi n’en termine jamais la lecture. D’ailleurs, on sait même qu'un tiers des lecteurs ne dépassent pas la 50e page d'un livre.
L’épine dans le pied du numérique…
Les DMR constituent aussi un frein au livre numérique. En fait, certains auteurs ne veulent pas publier leurs livres en numérique de peur d’être piratés. C’est sans doute la raison pour laquelle des fournisseurs de livres numériques ont décidé de les crypter, pour empêcher leur copie ou leur prêt. Seulement, ces dispositifs de cryptage posent deux problèmes majeurs : d’une part, un lecteur peut acheter légalement son livre et ne pas être en mesure de l’ouvrir parce qu’il y a incompatibilité entre le format du livre et sa liseuse. Évidemment, il s’en trouvera fortement frustré. D’autre part, le lecteur trouve que ses droits sont bafoués, il n’a même pas la propriété matérielle du livre numérique, contrairement au livre imprimé qu’une fois qu’il l’a acquis, il peut le conserver, le donner, le prêter, le revendre ... Or beaucoup de lecteurs refusent de sacrifier la possession ou le partage des livres. Et l’ironie est que les pirates arrivent à contourner les DMR !
En somme, ce qu’il convient de relever est que les funérailles du livre imprimé sont annoncées depuis plus de quinze ans, mais comme un subtil roseau, il plie mais ne rompt pas ! En fait, est-ce tant la montée du numérique qui menace le livre imprimé ou ce sont les pratiques culturelles qui risquent de tuer la lecture, quel qu’en soit le support ?
Commentaires
Pour un éditeur et en fin compte pour un lecteur, le choix du format pour un livre dépend de plusieurs facteurs.
Acheter une lisseuse ou une tablet, même si leurs prix ont chuté dernièrement, reste encore un investissement qui pour plusieurs, se justifie difficilement. Cette réalité a mené Amazon et Google de subventionner leurs liseuses et tablets, ainsi, élargir le marché d’information numérique (livres, musique, vidéo, jeux).
Aux États-Unis, en décembre 2012, Pew Research Center a publié une étude intitulée : E-book Reading Jumps; Print Book Reading Declines (http://libraries.pewinternet.org/20...), il démontre une tendance croissante des vents des livres numériques aux États-Unis. Je trouve intéressant leur tableau sur le profil du lecteur de livre numérique, nous pouvons voir comment l'âge, l'éducation et le revenu vont jouer un rôle sur le choix du format (fracture numérique).
Le contenu de livre est important aussi. Dans l’article que vous avez cité, « Le marché du livre électronique est-il en panne?», nous apprenons que chez O'Reilly 50 % des livres vendus sont en format PDF. Je peux confirmer de ma propre expérience, pour es livres d'informatique, je préfère le format numérique parce qu'il me permet de faire copier-coller les exemples de code et si je veux trouver un passage la fonctionnalité de recherche me vient en aide.
Il y a un autre domaine où l'avenir du livre numérique est brillant, celui des manuelles
scolaires. Les éditeurs se réjouissent de l'inexistence du marché de revente pour les livres numériques (http://www.zdnet.com/blog/apple/pub...).
La question du DRM est encore à résoudre, pour que l'intérêt des auteurs/éditeurs et celui des lecteurs soient protégés. Les injustices qui frappent présentement les lecteurs, affectent aussi les bibliothèques. Pour savoir plus sur cette guerre entre les éditeurs et les bibliothèques, je vous invite à lire l'article de David Vinjamuri : http://www.forbes.com/sites/davidvi...
Bonjour Arlette,
La question que vous soulevez à la fin du billet de blogue est très intéressante : "est-ce tant la montée du numérique qui menace le livre imprimé ou ce sont les pratiques culturelles qui risquent de tuer la lecture, quel qu’en soit le support ?" À ce sujet, Silvestra Mariniello, directrice du département d'études cinématographiques de l'UdeM a écrit un article dans lequel elle développe l'idée d'une "culture de l'écran". Elle s'intéresse à ce passage que nous vivons entre un temps ou dominait l'écriture et la lecture et un autre ou les médias audiovisuels prennent plus de place. Ce n'est plus une surprise de dire que les écrans de télévision, mais surtout ceux d'ordinateurs, dominent aujourd'hui notre univers culturel. Cela a des conséquences sur nos façons d'apprendre et sur notre mémoire. Les gens sont plus habitués de voir des images, ils en sont même bombardés. De quelle façon cette "culture de l'écran" affecte notre façon de regarder les choses ainsi que notre compréhension du monde? En fait je pense que la question n'est plus : est ce que l'imprimé va disparaître?, mais : quelle influence sur nos vies peut avoir un simple changement de support?
À ce sujet, il est intéressant de lire Innis qui a fait l'histoire des supports depuis l'argile, le papyrus, le codex, le papier, l'imprimerie, etc. Innis a traversé l'histoire avec pour point de départ les effets que peuvent avoir un changement de support sur la vie culturelle et économique d'un empire ou d'une civilisation. Selon lui, lorsque le support utilisé était léger, la civilisation allait s'étendre dans l'espace. Lorsque le support était lourd et difficile à transporter, la civilisation durait dans le temps. Un regard en arrière nous aide donc à voir à quel point les transformations actuelles peuvent avoir des conséquences qu'on ne peut même pas estimer ou imaginer.
Mariniello, Silvestra, "La litéracie de la différence", dans Jean-Louis Déotte, Marion Froger et Silvestra Mariniello (dir), Appareil et Intermédialité, Paris, Éditions L'Harmattan, 2007, p.163-187
Innis, Harold. The bias of communication. Toronto ; Buffalo, NY : University of Toronto Press c2008
Un écrivain m'a parlé de son craint des livres numériques. Selon son contrat, il reçoit un certain pourcentage sur le prix de chaque livre vendu. Si les livres numériques vont coûter moins cher, son revenu va diminuer aussi. Avez-vous plus d'information sur comment les auteurs peuvent se protéger dans ce nouveau modèle d'affaires?
Quelles que soit les statistiques sur lesquelles on se base pour comparer la montée de l’économie numérique, la consommation du livre numérique reste, selon moi, contestataire. En effet, le marché de l’e-book reste limité dans certains coins du monde. Si la percée du livre numérique a fait ses preuves en Europe, en Amérique du nord et dans certains pays de l’Asie, qu’en est-il du tiers monde? (La fracture numérique). Dans les pays en voie de développement, le livre imprimé a toujours sa valeur tant et autant que le support numérique demeure inaccessible. En outre, la consommation du livre numérique restera marginale tant que l’offre des e-books se fait quasiment dans la langue anglaise.
Si je pars de ta question fort intéressante : est-ce tant la montée du numérique qui menace le livre imprimé ou ce sont les pratiques culturelles qui risquent de tuer la lecture, quel qu’en soit le support ? Moi je trouve que c’est plutôt l’invasion du numérique qui a bouleversé les habitudes des lecteurs. L’humain est devenu aussi multitâche que son appareil. On ne peut plus se concentrer sur une tâche à la fois ! C'est le Pew Research Center (1) aux États-Unis qui le dit. Dans une étude récemment dévoilée, le groupe de recherche estime en effet que plus de la moitié des Américains — 52 % pour être précis — n'est plus capable aujourd'hui de regarder la télévision sans faire autre chose au même moment avec un autre écran, celui d'une tablette, d'un ordinateur ou d'un téléphone dit intelligent(2). Ceci rejoint ce que tu viens d’évoquer dans ton billet « on sait même qu'un tiers des lecteurs ne dépassent pas la 50e page d'un livre. »
La lecture sur écran ne favorise pas la concentration. L’attention du lecteur est tout le temps tiraillée par la multitude des liens qui est à sa disposition et la commodité de navigation qui lui est proposée. C’est pour cela, le débat restera inachevé entre les défenseurs de l’imprimé et du numérique. Les uns voient que le livre imprimé restera malgré tout un compagnon vivant, légendaire et irremplaçable. Les autres jugent l’e-book comme un outil pratique et pas contraignant. Finalement je peux dire que les deux supports sont complémentaires et favorisent la généralisation de l’acte de la lecture chez toutes les générations.
Pour conclure, j’aimerais soulever un autre point qui fait surgir le débat sur le livre imprimé vs livre numérique et qui n’a pas été évoqué dans ce billet notamment celui de la durée de vie de chaque support et les effets de chaque support sur l’écologie. A ce propos, voir « Livre papier vs livre numérique : lequel est le plus écolo ? »
http://www.consoglobe.com/livre-pap...
(1) Pew research center : <http://www.pewinternet.org/Reports/... Consulté le 4 mars 2013
(2) <http://www.ledevoir.com/opinion/blo...
Consulté le 4 mars 2013
Pour ma part, mon cœur balance entre les deux. J’utilise ma tablette avec ma bibliothèque d’une centaine de livres dans les transports en commun et salles d’attente de ce monde. À la maison, j’aime bien avoir une pile de livres empruntés à la bibliothèque sur des sujets plus ciblés. Pour moi, la lecture numérique permet une liberté de transport, car je peux changer de lecture au gré de mes envies sans m’imposer le poids physique de l’objet! Par contre, j’adore percevoir de façon tangible ma progression de lecture lorsque j’insère mon signet de carton. L’acte de lecture est pour moi plus gratifiant avec un livre en main. Sur ma tablette, j’utilise rarement les hyperliens (je fais référence ici de lecture de livres électroniques et non de sites ou magazines) et ne peux m’empêcher de lire mes courriels entrants. Je crois que l’avenir du livre papier se fera dans une utilisation partagée avec le numérique. On se rend compte de la disparition de supports papier pour certains types de produits comme les encyclopédies et les journaux. Une transition s’opère, mais il ne faut pas oublier que le numérique est un luxe qui est loin d’être accessible à la majorité.
Bonjour Adam,
Merci pour les liens complémentaires dont l'exploitation apportera d'autres lumières à ce billet.
En ce qui concerne la question de la rémunération, elle ne cesse de diviser éditeurs et auteurs sur les conditions d'exploitation des livres numériques. Les auteurs estiment que le livre numérique devrait leur rapporter au moins autant que le livre imprimé, rémunération à laquelle il faudrait inclure les revenus liés à la diffusion et à la commercialisation, telle que la publicité.
Pour en savoir plus, je vous propose les liens suivants sur les droits numériques des auteurs:
http://www.enviedecrire.com/droits-...
http://www.sgdl.org/les-services/le...
Bonjour Julie,
Je vous remercie pour vos remarques que je trouve à la fois intéressantes et pertinentes. J'apprécie particulièrement la façon dont vous abordez la question centrale qui clôt le billet. En effet, ne sommes-nous pas tous victimes de la culture de l'écran - je ferais mieux de parler de dictature de l'écran - au point où notre relation avec le livre numérique se fait de plus en plus complexe? De plus, la question de savoir les chamboulements qu'apporteront dans nos vies de lecteurs les changements de support me paraît bien approprié. Il en a été de même lorsqu'on est passé de l'oralité à l'écriture. En fait, ce qui est à redouter est moins la disparition d'un de ces supports que les effets que la substitution de l'imprimé par le numérique pourrait produire dans notre univers. Par conséquent, la controverse autour de ce débat s'éternisera, car les nostalgiques de l'imprimé vivraient le remplacement du livre papier par le numérique comme une tragédie, tandis que les amateurs de lecture sur écran considéreraient ce changement comme un pas de géant pour l'avenir de la lecture. Quoi qu'il soit, il serait bien malin de prendre une position tranchée. Une autre manière de voir serait d'adopter le point de vue de Hubert Guillaud selon lequel "plus qu'un changement de support, le passage du papier à l'électronique marque un changement de culture ... et ce changement a de nombreuses implications concrètes jusque dans la forme de nos écrits et dans la manière dont nous construisons nos raisonnements."
http://owni.fr/2011/03/18/le-papier...
Bonjour Loubna,
Il est indéniable que la fracture numérique est une réalité incontestable. En fait le tiers monde est le parent pauvre de l'avènement du numérique. D'ailleurs, comment parler du numérique dans des espaces géographiques où le simple accès à internet relève du luxe? Par ailleurs, comment accéder à la nouvelle mue du livre quand l'obtention du livre papier relève déjà d'une mission difficile à cause de son coût sur le pouvoir d'achat des lecteurs? Il est toutefois permis d'être optimiste. Pour terminer sur ce point, il me semble qu'aucun continent n'est épargné par les effets de la fracture numérique qui relève aussi d'un problème générationnel. Systématiquement, les personnes âgées de quelque aire géographique que ce soit, sont plus poussées, par nostalgie, à l'utilisation de l'outil auquel elles se retrouvent le mieux: l'imprimé. À l'opposé, les jeunes ont tendance à se laisser attirer par les sirènes de la nouvelle technologie, d'où leur préférence pour le livre numérique qui répond mieux à leurs aspirations.
Pour ce qui est de la durée de vie de chacun de ces supports, le livre papier ne résiste pas aux salissures, aux déchirures dues aux manipulations. Or le livre numérique ne montre aucun signe de vieillissement dû aux diverses utilisations. Par contre, les livres numériques vendus avec DRM ne sont pas retéléchargeables. D'autre part, une fois consommés sur l'un ou l'autre des supports, dans le cadre de la rivalité de la lecture, les livres perdent de leur valeur.
Du point de vue écologique, s'il est vrai que le livre papier coûte cher à l'environnement, il n'en demeure pas moins vrai que la fabrication des appareils numériques cause encore plus de mal à l'environnement.
Bonjour Pascale,
Je conviens avec vous que dans la mesure où on ne peut arrêter les progrès technologiques, et étant donné que le livre imprimé n'entend pas baisser pavillon, il est incontestable que l'avenir des deux supports (numérique et imprimé) est lié.
Toutefois, en ce qui concerne la disparition des journaux dont vous faites mention, on voit que la réalité est toute autre. Il n y a qu'à se rendre dans des stations de métro pour se rendre compte que les papiers journaux n'ont jamais été autant présents. Et à l'allure où ils sont lus, il est fort à parier qu'ils ont encore de vieux jours devant eux.
Merci Arlette pour ces liens, je vais les transmettre à mon amie. J'aimerais avoir ton opinion et éventuellement la réaction des autres aussi, sur la question du DRM.
Dans cet écosystème du livre numérique, j'ai l'impression que les droits des lecteurs (et j'inclurais dans ce groupe les bibliothèques aussi) sont complètement ignorés. Si les auteurs ont certains moyens de se négocier un contrat qui va les protéger, le rôle des lecteurs est réduit à un statut de vaches à lait, bons juste pour leurs cartes crédits.
Si le livre est en train de devenir une bien rivale, comme la baguette, je me demande si les habitudes d'achat/de lecture ne vont pas changer? En plus, si on ajoute le « virus de déficit de l'attention » mentionné par Arlette et Julie, quel sera l'impact sur la littérature et sur le livre en général?
L'article de Cnet mentionne que les lecteurs sur support numérique lisent plus que les adeptes du codex. Je me demande si le support numérique a augmenté leur consommation de lecture ou si ce ne serait pas plutôt parce que, justement, ils lisaient déjà davantage qu'ils sont passés au numérique.
Adam,
Les DMR ou verrous numériques sont un sujet qui fâche les lecteurs, car ils limitent l'utilisation que ces derniers peuvent faire des livres numériques. L'interopérabilité est quasi inexistante, dans la mesure où un livre acheté sur une tablette par exemple, peut ne pas être transférable sur d'autres supports. À ce sujet, je vous invite à lire Jiminypanoz.com/2011/11/27/livre-numerique-interoperabilite.
Les lecteurs militent pour le retrait des DMR et la question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir s'ils accepteraient de payer plus cher pour avoir des livres sans DMR.
Je suis d'avis que, dans la mesure où les barrières érigées avec les DMR autour des livres numériques semblent si facilement surmontables, tout laisse à penser que les DMR servent moins à protéger le copyright qu'à assurer la main-mise des grandes maisons d'édition sur le marché du livre électronique. À ce propos, certains libraires indépendants américains, affectés par les DMR, accusent Amazon de monopoliser illégalement la vente des livres numériques:http://www.actualitte.com/usages/dr...
Le déficit de l'attention se caractérise ici par la propension à être en même temps sur Facebook, à gérer son compte Twitter, répondre à ses mails, envoyer des messages textes, écouter de la musique, tout en lisant un article ou un livre. La lecture à ce moment est-elle effective, pertinente et digne d'intérêt? Le cerveau humain ne peut traiter efficacement autant d'informations à la fois, n'en déplaise aux digital natives. La conséquence pour la littérature est entre autres, comme l'affirme Philip Roth, "le nombre de vrais lecteurs, ceux qui prennent la lecture au sérieux, se réduit... Quand ils lisent, les vrais lecteurs ne se laissent pas distraire par autre chose... Ils ne tombent pas dans le piège de la télévision, et ils ne s'arrêtent pas toutes les cinq minutes pour faire des achats sur le Net ou parler au téléphone. Mais c'est indiscutable, le nombre de ces gens qui prennent la lecture au sérieux baisse très rapidement."
http://www.lemonde.fr/livres/articl...
Audrey,
L'article de Florent Taillandier mentionne effectivement que les lecteurs sur support numérique lisent plus que ceux sur support papier. Ce sont en effet de gros lecteurs à la base. Mais il convient de préciser que le support en question est la liseuse qui est à usage unique, conçu principalement pour lire des textes numériques, à l'opposé des autres appareils numériques multifonctionnels, avec lesquels il serait difficile d'obtenir les mêmes résultats de lecture.
@Arlette: Je pense que ce serait une erreur de dire que la "culture de l'écran" n'a que des effets négatifs. On a souvent un préjugé positif en faveur de la lecture et du livre comme moyen d'apprentissage ou de réflexion. Or, les écrans de télévision et de cinéma présentent aussi de nombreux avantages. Ils permettent souvent une expérience sociale lorsqu'il y a échange après ou pendant le visionnement d'un produit culturel. De plus, les écrans sont peut-être l'occasion d'une expérience plus directe et physique moins conceptualisée, moins intellectuelle de la réalité, c'est d'ailleurs la thèse de Kracauer, grand théoricien du cinéma, cité dans l'article de Mariniello (dans mon commentaire précédent). Ainsi, lorsque je parlais des effets de la 'culture de l'écran' sur nos vies, nos façons de penser, notre mémoire et notre expérience, je ne voulais pas nécessairement que ces effets soient perçus uniquement négativement. D'un autre côté, il est vrai que l'avènement des médias audiovisuels est lié à l'essor de la société de consommation, de la publicité et peut-être d'une certaine forme d'influence subtile et de superficialité...
Kracauer, Siegfried. Theory of Film: The Redemption of Physical Reality. Princeton University Press, 1960.
Merci Julie, pour la précision apportée.
Il n'est pas dans mon intention de vouer la culture de l'écran aux gémonies. Elle a indéniablement des vertus, notamment, entre autres, dans l'apprentissage scolaire, le rapport à l'image ou encore dans le cas de la télévision (pratiquement le seul écran à le faire) qui réunit autour d'elle la cellule familiale. Mais, il n'en demeure pas moins vrai que la culture de l'écran apporte, comme il l'a été mentionné, de nombreux bouleversements dans nos vies, non seulement dans notre rapport à la lecture, mais aussi dans nos relations familiales et sociales. Je limiterai la réflexion à la lecture, pour souligner ce que Alain Giffard appelle la "surcharge cognitive" et qu'il définit comme étant le "trop grand nombre d'informations qui ne peuvent pas ne pas être prises en compte, bien qu'elles ne concernent pas exclusivement et centralement la tâche en cours." Et les principales causes de cette surcharge cognitive sont les liens hypertextuels, la fonction multitâche du lecteur dont l'attention est constamment sollicitée. À ce propos, Nicholas Carr (cité par Alain Giffard) affirme que sous l'effet du numérique, "la lecture approfondie qui s'effectuait naturellement est devenue un combat."
http://alaingiffard.blogs.com/cultu...
Votre billet est très agréable à lire et on peut le constater par le nombre de commentaires déposés!
En posant la question à l’inverse: le livre numérique va dépasser le livre imprimé ? Peut-être, mais pas avant de surmonter certains obstacles majeurs actuels. Présentement, plusieurs facteurs nuisent à la montée du livre numérique. Ainsi, la quantité de livres numériques produits par les éditeurs et la clientèle qui lit ces livres restent marginaux dans l’ensemble du marché du livre présentement. Le choix de livres numériques est extrêmement limité (probablement pour protéger la propriété intellectuelle comme l’avez mentionné): il n’est pas possible d’avoir nos livres préférés en format numérique ni dans toutes langues. D’ailleurs, l’anglais prime dans le marché du livre numérique… De plus, pour que la lecture d’un livre numérique soit possible de manière soutenue et confortablement, il est nécessaire de le lire à l’écran d’une tablette, car les smartphones (les plus gros vendeurs auprès du public) ont un écran trop petit pour permettre la lecture efficace d’un livre. À cela s’ajoutent les coûts de l’achat d’une tablette, qui sont accessibles à une marge de la population qui peut se permettre d’acheter deux appareils mobiles différents (smartphones + tablette) en plus d’un ordinateur. Comme vous le soulignez bien à la fin du billet, ce sont les pratiques culturelles qui détermineront l’évolution du marché du livre numérique.
Merci de vos commentaires Rafael,
Vous faites bien de mentionner le coût relativement élevé des tablettes. C'est un aspect assez important que j'ai laissé de côté dans le billet. Bien que l'on note la baisse des prix des tablettes, ceux-ci demeurent tout de même onéreux pour beaucoup. Néanmoins, les constructeurs mettent constamment sur le marché de nouvelles versions de tablettes dites "plus performantes" et selon une étude du cabinet américain Gartner qui montre que le marché des tablettes numériques et des téléphones multimédias est en pleine croissance, la vente de ces appareils devrait être de 1.2 milliard à travers le monde en 2013. (http://www.gartner.com/newsroom/id/...). Ces appareils sont utilisés en priorité pour aller sur les réseaux sociaux, chercher de l'information, jouer à des jeux vidéos, regarder des films ou écouter de la musique. La lecture pratiquée est plus celle des courriels et souvent de l'actualité.
De ce fait, il est évident que l'évolution technologique et la révolution numérique ont un impact certain sur les pratiques culturelles et ce qui est plus à redouter pour la lecture, sous toutes ses formes, c'est bien la montée de l'audiovisuel.
La question de la lecture à l’écran en opposition au livre imprimé soulève tout un débat! J’aimerais d’abord soulever quelques points, sans vouloir dire en faveur des liseuses et des tablettes, qui répondent du moins à quelques affirmations du billet.
La lecture à partir d’une liseuse n’est pas limitée, dans tous les cas, à une « transposition fidèle de l’imprimé ». Bien qu’il s’agisse du même texte, la liseuse offre quand même quelques options de base. Dans certaines liseuses, un dictionnaire est inclus et il est possible de chercher une définition en quelques clics. Le lecteur peut aussi annoter le texte et en souligner des parties. Par exemple, le Kindle, produit par Amazon, permet aussi de sauvegarder et de partager des extraits d’un document. Aussi, il est possible de changer la taille des caractères d’un document, cette option permet à des individus ayant des problèmes de la vision d’avoir accès à une plus vaste collection de documents, puisqu’il ne s’agit pas d’édition spécialisée en gros caractères.
Aussi, lorsqu’on parle de la lecture avec une tablette et non une liseuse, il ne faut pas oublier qu’une tablette est un appareil qui n’est pas exclusivement utilisé pour la lecture, au contraire de la liseuse, dont la fonction est la lecture. La lecture sur tablette se rapprocherait plutôt de la lecture à l’ordinateur (portable ou PC) et il ne doit pas y avoir tant de personnes qui lisent des romans devant ce type d’appareils, puisque comme plusieurs l’ont souligné, le grand nombre de diversions sur les tablettes et les ordinateurs rendent une lecture en continu beaucoup plus difficile.
En ce qui concerne les problèmes d’incompatibilité entre les différents formats des livres numériques, il existe des logiciels gratuits, comme Calibre, qui permettent de changer le format d’un document.
Somme toute, je crois aussi que le livre imprimé restera un format qui perdurera encore très longtemps. Mais les options offertes par les liseuses et les tablettes assureront une coexistence des différents modes de lecture.
Merci Josée, de votre apport.
Synthèse des commentaires :
Je vous remercie pour les commentaires, de même que les nombreuses références complémentaires qui ont contribué à enrichir ce billet.
De nombreux points importants ont été soulevé dans les différents commentaires déposés sous le billet. Ils ont porté notamment sur les coûts des appareils numériques qui restent élevés pour la bourse de beaucoup de personnes, bien que les prix aient quelque peu été revus à la baisse. Malgré son prix jugé élevé, le marché des tablettes numériques et des téléphones intelligents se porte plutôt bien, surtout aux États-Unis, à en croire les résultats de nombreuses études dont celle menée par le cabinet Gartner. Cette montée du numérique, avec toutes les fonctionnalités qu’il offre, entraine inévitablement la baisse de la lecture sous toutes ses formes. En effet, force est de constater qu’aujourd’hui notre environnement culturel est fortement dominé par les écrans de télévision et d’appareils numériques (ordinateurs, tablettes, liseuses et téléphones multimédias). Et comme le suggère la remarque qui a été faite, le changement de support, de l’imprimé pour le numérique affecte considérablement nos vies et marque une mutation culturelle. Nous sommes ainsi passé de la culture de l’imprimé à celui de l’écran. La lecture à l’écran, bien qu’offrant de nombreux avantages, notamment dans le transport et les possibilités multiples qu’elle offre de pouvoir enrichir le texte, a malheureusement ceci d’inconvenant qu’elle ne favorise pas la concentration et ne permet pas une lecture profonde du livre, à cause des nombreuses sollicitations dont le lecteur fait l’objet.
Il a également été souligné le problème que posent les DRM dans l’utilisation que peut faire le lecteur de son livre numérique acheté légalement. Il en ressort que les DRM servent officiellement à protéger le droit d’auteur, mais surtout, ils permettent d’accroitre le monopole des grosses pointures sur le marché du numérique et leur assurer un avantage compétitif par rapport à la concurrence.
Il a ensuite été question de fracture numérique dont sont victimes les pays en développement et dans une moindre mesure les pays développés. Cette partie de la population mondiale n’ayant pas accès à internet ou ne s’en servant pas, continue de lire exclusivement des livres papiers.
Les autres aspects évoqués ont été ceux de la durée de vie des livres imprimé et numérique et leurs effets sur l’écologie. Le livre imprimé à une durée de vie illimitée, malgré les effets du temps et de la manipulation sur son aspect physique. Le livre numérique, du fait de sa dématérialisation, permet de préserver les forêts, mais il est aussi constitué de produits chimiques néfastes à l’environnement.
En définitive, il ressort que pour l’instant il n’est pas question de parler de la disparition d’un support de lecture au profit de l’autre. Le livre imprimé continue d’exister et chemine au côté du numérique.