851180_chart.jpgPour survivre et prospérer, les bibliothèques publiques doivent démontrer que les avantages qu’elles génèrent pour la société surpassent les coûts. Mais les bibliothèques publiques n’étant pas des entités économiques standards – où les services rendus le sont contre rémunération – l’utilisation d’outils mesurant le rendement financier n’est pas approprié. Alors comment mesurer la valeur économique des bibliothèques publiques? Il n’y a toujours pas, à l’heure actuelle, de consensus sur la méthodologie à utiliser. Les chercheurs dans le domaine sont toutefois très actifs et continuent leurs travaux.

Un éventail de méthodes

Plusieurs bibliothèques utilisent la méthode de l’analyse coûts/bénéfices, qui consiste à demander aux utilisateurs de quantifier la valeur qu’ils accordent aux différents services rendus. Si le coût de ces services est moindre que les bénéfices, le ratio coût/bénéfice est positif. À ce jour, le ratio de la plupart des bibliothèques évaluées a été de 3:1 ou plus, ce qui est un résultat supérieur à ceux obtenus dans d’autres domaines du secteur public – entre autres en santé, éducation et transport.1

Une autre méthode souvent utilisée est celle de l’évaluation contingente (contingent valuation). Il s’agit d’une méthode qui se sert d’enquêtes pour estimer la valeur des biens publics. On crée ainsi un marché hypothétique, dans lequel les répondants doivent prendre des décisions économiques : combien sont-ils prêts à payer pour tel niveau de service (WTP : willingness to pay) ou encore de combien leurs comptes de taxes devraient-ils baisser pour accepter que ce service soit aboli (WTA : willingness to accept). En utilisant cette méthode pour évaluer les bibliothèques publiques de la Norvège, Aabo2 a obtenu un rapport coûts-avantages très positif de 1 pour 4 (2005). De son côté, la British Library3 a fait l’exercice en 2003. L’étude est arrivée à la conclusion que chaque année, la British Library génère une valeur 4.4 fois plus grande que ce qu’elle coûte en fonds publics.

“ You must value yourself in today’s economy.

If you don’t, you have no value.”

— Tim Lynch, Florida State University Center for Economic Forecasting 1

Cette nouvelle pression pour donner une valeur « économique » aux bibliothèques publiques a toutefois quelques effets pervers, notamment dans le monde anglo-saxon. En effet, certaines études – dont Making cities stronger : Public library contributions to local economic development réalisée en 2007 par « Urban Libraries Council »4 - invitent les bibliothèques  publiques à accorder une plus grande place aux besoins du milieu des affaires afin d’accroître la valeur économique de celles-ci.

cbl-with-sign-2.jpgCe rapport recommande notamment aux bibliothèques publiques d’investir davantage dans les bases de données d’affaires et de former le personnel afin qu’il puisse répondre aux besoins de ce domaine. On incite ainsi les bibliothèques à devenir des partenaires du développement économique en bonifiant l'offre de services aux compagnies locales, aux chercheurs d'emplois ainsi qu'en offrant des formations sur l'utilisation des ordinateurs - ce qui diminueraient les coûts de formation pour les entreprises. On semble vouloir évacuer toute la dimension  « ludique » des bibliothèques, comme si cela ne valait pas grand-chose du point de vue « économique ». Les budgets alloués aux bibliothèques publiques étant limités, on peut craindre une diminution des dépenses pour le côté plus récréatif de ces institutions si on accorde une trop grande importance aux besoins des entreprises. Il y a là « rivalité » pour l’allocation des fonds publics.

Est-ce que la tendance se maintient ?

Toutefois, il y a une partie du milieu qui ne s'attarde pas qu’à une définition quantitative de la valeur des bibliothèques. Oui, des résultats validés par des outils de mesure économique parlent le même langage que les dirigeants qui octroient les budgets des organismes publics, mais la meilleure façon de faire pression sur ceux-ci et de s'assurer que la valeur des bibliothèques est reconnue n'est-elle pas d'ancrer la valeur des bibliothèques dans la conscience populaire d'une collectivité pour que celle-ci soit le défenseur de ses propres bibliothèques? Cette position demande donc de parler non pas un langage économique, mais social et culturel en développant une marque de commerce des bibliothèques à l'aide de diverses initiatives pour rejoindre sa communauté et démontrer directement à celle-ci la valeur des institutions qui la serve. Cette autre dimension est développé dans les nouvelles Lignes directrices pour le développement des bibliothèques publiques au Québec où la vision des bibliothèques est décrite entre autres par ces mots :

« Elle contribue à vitaliser le milieu, à stimuler le potentiel de développement des individus et de la communauté et à édifier une société démocratique plus juste et plus libre. »5

Affiche.jpgSans bien sûr faire fi des indicateurs traditionnels (pourcentage de la population inscrite ou taux de roulement des collections par exemple) et en oubliant pas de mentionner l’importance d’une collaboration étroite avec les administrations locales, ce guide tend vers l’idée de bibliothèques publiques ayant comme valeur primaire une approche participative et centrée vers l’usager. Cette approche trouve écho dans un projet que le réseau des bibliothèques de Montréal ont mis en place en 2013, le Festival Montréal joue.6 Cette initiative combine plusieurs partenaires dont des entreprises de jeux vidéo installées à Montréal, offrant une vitrine pour celles-ci, et les bibliothèques de la ville qui démontrent ainsi la diversité de leur offre. La couverture médiatique a sûrement permis aux bibliothèques un sacré coup de publicité et peut-être même, aider à dépoussiérer la marque de commerce des bibliothèques envers les jeunes et les moins jeunes. Elle démontre également la possibilité de créer des liens avec d’autres milieu dont celui des affaires sans oublier la dimension ludique de la bibliothèque.

   Un récent article de blog7 suggère l’idée d’une bibliothèque axée sur la littératie informatique, mais l’amène encore plus loin en imaginant une « bibliothèque - centre de création » où les usagers apprennent à créer leurs propres machines et systèmes. L’idée est de ne pas seulement enseigner comment utiliser un ordinateur ou l’internet, mais aussi les principes et l’architecture physique et intellectuelle qui soutendent les outils de notre siècle. Les bibliothèques devenus des lieux de fabrication pour les inventeurs seraient donc en mesure de prouver directement leur valeur économique !

« They (libraries) should be book-lined, computer-filled information-dojos where communities come together to teach each other black-belt information literacy, (...) to show them how to master the tools of the networked age from the bare metal up. » 7

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1. Americans For Libraries Council, 2007, Worth Their Weight: An Assessment of the Evolving Field of Library Valuation, ala.org/worththeirweight.pdf

2. World Library and Information Congress: 71th IFLA General Conference and Council, Libraries - A voyage of discovery,  ifla.org/119e-Aabo.pdf

3. British Library, 2003, Measuring our value, bl.uk/measuring.pdf

4. Urban Institute, 2007, Making Cities Stronger,  urban.org/1001075.html

5. ASTED, Lignes directrices pour les bibliothèques publiques du Québec, asted.org/product=3045

6. Festival Montréal joue,  arene.bibliomontreal.com

7. Libraries, Hackspaces and E-waste: how libraries can be the hub of a young maker revolution, raincoast.com/blog/cory-doctorow

Source des photos

1. Sxc.hu/photo/851180

2. City Business Library

3. Montréal joue