Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mercredi 22 septembre 2010

Vie privée, bibliothèques et Google-Books

Dans une discussion récente avec Silvère Mercier (ici), je m'étonnais que les bibliothécaires francophones ne prêtent pas plus d'attention à l'anonymat de la lecture dans le monde numérique. Justement un papier vient de paraitre sur le sujet :

Elisabeth A. Jones et Joseph W. Janes, “Anonymity in a World of Digital Books: Google Books, Privacy and the Freedom to Read,” dans (présenté au Internet, Politics, Policy 2010: An Impact Assessment, Oxford Internet Institute, 2010). Pdf

À vrai dire l'article n'amène pas sur le fond d'autres arguments que ceux déjà connus (voir par ex ici). Mais il appuie son raisonnement sur un livre de Helen Bissenbaum paru en 2009 que je ne connaissais pas et qui m'a bien intéressé, du moins par sa présentation dans l'article et les extraits et commentaires que j'ai pu en lire jusqu'ici :

Helen Nissenbaum, Privacy in Context: Technology, Policy, and the Integrity of Social Life (Stanford Law Books, 2009).

Le concept clé de Nissenbaum est «l'intégrité contextuelle» (contextual integrity) qui n'est pas une définition de ce qui serait privé vs ce qui serait public, mais une construction à partir de normes informationnelles d'une situation appropriée, c'est-à-dire moralement acceptable dans un contexte donné. Les normes sont évolutives et leurs paramètres sont précisés (contextes, acteurs, attributs et principes de transmission). Enfin un cheminement par étapes est proposé pour juger de la validité d'une nouvelle intégrité contextuelle qui peut être résumé en deux phases : Les nouvelles pratiques sont-elles conformes aux normes de l'ancien contexte ? La négative ne signifie pas qu'il faille nécessairement les rejeter, tout dépend des risques encourus par rapport aux bénéfices généraux. Cette mesure en termes moraux fait l'objet de la seconde phase.

Il est facile de montrer ainsi que les pratiques de Google violent les principes de l'anonymat de la lecture édictés dans le contexte des bibliothèques publiques des États-Unis (phase 1) et les auteurs suggèrent que le nouveau contexte créé ne répond pas non plus aux considérations morales de liberté, d'autonomie et de justice. Ce deuxième point est discuté dans l'article à mon avis un peu rapidement, même si je suis d'accord avec la conclusion. La difficulté à trancher sur la deuxième phase montre peut-être la limite de la méthode de Nissenbaum. Néanmoins, il paraît difficile d'éviter un débat moral et politique lorsque l'on aborde les notions de sphères privée et publique, toutes deux indispensables à notre humanité.

Voici, pour finir un extrait d'une interview d'H Nissenbaum du 18 janvier 2010 (ici trad JMS) :

Les questions les plus urgentes soulevées par le livre sont à mon avis :

D'abord de démontrer que la distinction entre privé et public, aussi utiles qu'elles soient dans d'autres espaces de la philosophie du droit et de la politique, est une impasse complète pour conceptualiser un droit à la vie privée et pour édicter une politique. De mon point de vue, on a perdu bien trop de temps à décider si telle ou telle information, tel ou tel lieu étaient privés ou publics quand, en réalité, ce qui comptait au final était quelles contraintes devaient être imposées sur la circulation de cette information dans cet espace. Nous pourrions faire des progrès beaucoup plus rapides si nous prenions de front cette dernière question plutôt que de nous enfermer dans la première.

Ensuite de contester la définition de la vie privée comme un contrôle sur les informations qui nous concernent, qui domine le monde politique aujourd'hui, même si elle est moins répandue dans le monde académique. Le problème de cette définition est qu'elle met immédiatement la vie privée en contradiction avec d'autres valeurs, présentées comme plus pro-sociales. Si le droit de la vie privée est le droit de contrôle, alors, il doit être évidemment limité, négocié, modéré par l'intérêt général ! De plus, il n'est même pas évident que le contrôle offrira une meilleure protection au sujet. Imaginez, par exemple, que tout ce qui concerne le dossier santé d'un individu soit soumis à son consentement pour sa divulgation et mettez cet individu dans une situation où on lui offre en échange un emploi, un prêt ou un gain à la loterie.. Heureusement, la loi des États-Unis reconnait le besoin de réelles contraintes pour la circulation de l'information selon les lieux et les contextes de la vie et, bien que des critiques ont été émises sur les faiblesses de certains termes de ces lois, je crois que l'approche globale est bonne.

mercredi 26 mai 2010

Bibliothèques et Web de données au W3C

À l'initiative de Tom Baker, Emanuelle Bermès et Antoine Isaac un nouveau groupe d'incubation vient de s'ouvrir au W3C sur Library linked data. Tout est expliqué ici et en français sur le blogue d'Emmanuelle Bermès .

C'est une nouvelle potentiellement très importante pour plusieurs raisons :

  • Tout d'abord, il s'agit, sauf erreur de ma part, du premier groupe à prendre de front la problématique des bibliothèques au W3C qui est le principal lieu de discussion et de consensus sur les normes du web. C'est un lieu un peu étrange, sans jeu de mots «hors normes» et fondamental, où les préconisations de normes justement se prennent au consensus entre experts. Les principaux industriels y sont évidemment très actifs et omniprésents. Il est essentiel que les bibliothèques, premières institutions impactées par le Web, y aient enfin la parole.
  • Le sujet du groupe est au cœur des sciences de l'information, si l'on pense comme à l'EBSI que ce cœur est bien constitué des compétences sur l'organisation de l'information consignée (classification, indexation, métadonnées) et celles sur la recherche d'information. Dans ces conditions, le dit Web des données, y compris dans ses ambiguïtés, se trouve bien au cœur de la problématique des sciences de l'information.
  • Les tentatives actuelles des industriels pour verrouiller, à leur profit et de diverses manières, les usages du Web doivent laisser place à des initiatives d'institutions prônant l'intérêt général. En espérant qu'il ne soit pas trop tard.

Bien sûr les groupes du W3C sont très techniques et accessibles seulement aux initiés. Emmanuelle Bermès mérite toute notre reconnaissance et nos encouragements pour cette initiative en souhaitant qu'elle soit soutenue et puisse déboucher sur d'importantes décisions pour les institutions documentaires.

jeudi 13 mai 2010

«La pierre angulaire de la ville de savoir»

La ville de Montréal vient de publier un document-manifeste d'une trentaine de pages sur la Bibliothèque du XXIème siècle. C'est un document étonnant, constat, projet et même rêve, dans sa formulation à la fois analytique, précise, prospective et lyrique qui positionne la bibliothèque publique au centre des enjeux éducatifs, culturels et sociaux de la ville de demain.

Clairement Montréal, après avoir fêté les 5 ans de la très grande bibliothèque (ici), aime ses bibliothèques et a pris la mesure de leur impact sur le développement urbain. Ci-dessous la page de conclusion.

Bib-XXI-Montreal.jpg

L'étude sera présentée à la Commission permanente sur le développement culturel et la qualité du milieu de vie en séance publique le 3 juin à 19h à l'Hotel de ville ().

L'EBSI participe à cet élan, des nouvelles prochainement à ce sujet.

jeudi 29 avril 2010

Lire dans un écrin

Hier c'était le cinquième anniversaire de l'ouverture la Grande bibliothèque à Montréal qui vient de fêter son trois millionième visiteur annuel. La Grande bibliothèque est une des pièces maîtresses de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Une réussite incomparable. Tout est dit ici dans ces vidéos :

Anniversaire-BAnQ.jpg

Rien à ajouter sinon Bravo !

Deux petits commentaires :

Si la Grande bibliothèque est très ouverte sur le numérique, c'est avant tout une bibliothèque classique, dont le modèle est porté ici à son meilleur. Ainsi faut-il relativiser les discours de rupture qui foisonnent sur le web.

L'Ebsi, par l'augmentation des cohortes d'étudiants et la révision de ses programmes, entend bien, modestement et à sa place, participer au renouveau des professions de l'information où le Québec a, à l'évidence, son mot à dire.

jeudi 26 novembre 2009

A very short conversation..

À lire absolument, le point fait par Lionel Maurel sur le feuilleton juridico-politique Google Books (ici). Il fait une lecture documentée et fine de la dialectique entre la stratégie industrielle et la construction du droit. On voit l'Histoire de la construction du Web-média s'écrire sous nos yeux

Nous n’en sommes qu’au tout début. Le jeu de rôle entre les industriels, la société civile et les pouvoirs publics est essentiel et passionnant à suivre en direct. Mais in fine, on arrivera à un modèle stable comme cela a été le cas pour la presse, le cinéma, la radio. Pour ce média-ci, la maîtrise des données (logs) est sans doute l’enjeu essentiel et il n’est pas étonnant que Google n'ait encore fait aucune concession sur ce point.

Reste que le jeu joué par les bibliothèques américaines a été étrange dans cette affaire et qu’elles paraissent se réveiller un peu tard. Il est ironique avec le recul de relire la genèse du projet, la première «chimère», pour reprendre l'expression de L. Maurel :

Search Me? Google Wants to Digitize Every Book. Publishers Say Read the Fine Print First. By Bob Thompson Washington Post Staff Writer Sunday, August 13, 2006; D01 ici

La bibliothèque de Standford a été la première contactée et ses responsables ont été invités chez Google. Extrait de l'article :

In September 2003, Keller and Herkovic drove down to Mountain View to hear a proposition from Page and some other Googlers.

"It was a very short conversation," Keller says. "Basically they said, 'What do you think about digitizing every book in the library?' And we said, 'Yay!' "

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