Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mercredi 04 juillet 2012

C'est l'éditeur qui fait la littérature... politique

La nouvelle ministre de la culture aurait affirmé dans une récente réunion du Syndicat national de l'édition (ici) : "C'est l'éditeur qui fait la littérature". Il s'agit évidemment d'une grosse sottise, qui a donné lieu à de nombreux commentaires et railleries. Il suffit de remarquer que selon cette affirmation la littérature n'aurait alors que deux cents ans, âge de la fonction d'éditeur... Mais ce n'est pas la pertinence du propos qui m'intéresse mais plutôt les circonstances de son énonciation.

La remise en contexte de la phrase atténue sa brutalité. Toujours selon le même site, la ministre aurait expliqué :

« L'éditeur a un rôle éminent dans le processus de création. C'est une question passionnante. Et sans entrer dans un débat philosophique sur le processus de création, quand on écrit, chez soi, on a besoin d'avoir le regard d'un éditeur, pour venir sanctionner, dans le bon sens du terme. C'est-à-dire, donner le jugement d'un professionnel, sur le texte que l'on est en train de rédiger. Et sans cela, même si on se publie soi-même, et que l'on peut toucher un public au travers des réseaux, on n'a pas cette reconnaissance de se sentir écrivain. L'écrivain ne naît qu'au travers du regard de l'éditeur. Et moi je l'ai ressenti en tant qu'auteur : j'aurais pu écrire le même livre que celui que j'ai rédigé… si je n'avais pas eu Jean-Marc Roberts NdR : patron de la maison Stock, fi..., le résultat n'aurait pas été le même. »

Un bon éditeur joue, en effet, un rôle éminent dans la production d'un livre et je puis aussi, à ma modeste place, en témoigner. Même si bien des expériences différentes d'écriture coexistent sur tous les supports et que l'on peut multiplier les témoignages de déconvenue dans la relation auteur-éditeur, les hérauts du web méconnaissent souvent la temporalité et l'interaction indispensable à une écriture lente bien différente de la leur qui s'approcherait plutôt de la vitesse de la pensée. Mais une nouvelle fois, ce n'est pas ce qui m'intéresse dans ce débat.

La dernière phrase de la citation me parait la plus révélatrice. La ministre, elle-même auteur de romans, a l'expérience du travail avec un éditeur jusqu'à l'organisation de la promotion à la sortie du livre (itw). Comme la plupart de ses prédécesseurs à ce poste, c'est une littéraire, familière du petit monde français de l'édition. Cela est plutôt heureux au ministère de la culture.

La familiarité des politiques avec les éditeurs dépasse pourtant très largement en France ce ministère. Un homme politique se doit d'avoir écrit, ou au moins signé, des livres et c'est encore mieux s'ils ont un peu de style. L'écriture d'un livre ne garantit pas carrière politique, mais l'absence de son nom sur la couverture de livres y est une anomalie. Un homme politique français "normal" doit (devrait) être un écrivain et l'éditeur est le mieux placé pour lui rendre ce service. Voici quelques exemples dans le gouvernement actuel : Ayrault, Fabius, Peillon, Taubira, Moscovici, Duflot, Valls, etc... sans oublier Filippetti bien sûr. Le même exercice dans l'opposition donnerait évidemment un résultat équivalent. On peut être sûr que, même s'ils n'ont pas toujours écrit eux-mêmes leurs livres, les hommes politiques les ont initiés, relus et ont suivi l'avancement de leur publication. Ils ont ainsi tous engagés un rapport de familiarité avec l'édition.

Ainsi plus peut-être que dans d'autres pays, le livre est en France un média politique et, dans cette tradition, l'éditeur joue un rôle clé. On manque de recherche dans ce domaine pour étayer une thèse, mais j'ai l'intuition que cette connivence avec les politiques pèse sur la sur-représentation du point de vue traditionnel des éditeurs et induit une myopie sur le rôle des bibliothèques, réduites à un rôle de distribution (à la remarquable exception près de la période Jean Gattégno), et aujourd'hui quelques contresens sur le numérique, compris comme un simple vecteur de diffusion d'oeuvres.

jeudi 28 juin 2012

Otlet et les humanités numériques

Intéressant article comparant le projet de P. Otlet aux enjeux du web d'aujourd'hui :

Müller, Bertrand. « DOCUMENTATION ET SCIENCES SOCIALES : DES MUSĖES LABORATOIRES AUX HUMANITÉS DIGITALES ». E-dossiers de l’audiovisuel. Sciences humaines et sociales et patrimoine numérique.

Résumé :

Avec le numérique, nous entrons dans un nouveau régime documentaire. La notion de « musée laboratoire » s’inscrit dans une démarche documentaire mise en place dans les années 1930, notamment sous l’impulsion du visionnaire belge Paul Otlet. L’expression récente « Humanités digitales » permet de pointer de nouvelles façons d’envisager le rapport entre les sciences humaines et sociales et l’univers numérique dans lequel nous baignons désormais. Une réflexion sur les rapprochements de ces deux périodes de transition, de transformation des systèmes documentaires, témoigne de l’articulation importante entre le développement des sciences sociales, de la documentation et la mise en place de nouvelles institutions de gestion et de conservation des patrimoines.

Extraits :

Paul Otlet associait étroitement le développement de la documentation avec celui de la sociologie qui s’inscrivent dans une société renouvelée, internationalisée et mieux informée. À l’image de la sociologie, la documentation est-elle aussi globale, interactive et relative. La documentation, pensée en fonction des exigences et des besoins propres de la discipline, était au centre de l’organisation du «laboratoire de recherches sociologiques» qu’était l’Institut international de sociologie Solvay. L’enregistrement de la littérature scientifique sous toutes ses formes et en particulier celle des articles de revues faisait l’objet des soins des Archives sociologiques, dont l’objectif consistait en une « sorte de mise à pied d’œuvre de tout un matériel que la sociologie utilisera pour les besoins de son édification ». (...)

Le projet des Humanités digitales qui se met en place aujourd'hui dans un univers technologique très différent —caractérisé à la fois par le tout numérique, par le développement d'Internet et plus récemment du Web 3.0 dit Web des données (ou Web des connaissances) et qui se déploie dans le «Cloud computing» — est confronté à des échelles très différentes à des problèmes similaires à ceux des années 1930 : création et production de données nouvelles, diversification et interaction des supports, redéfinition des traitements et des modes de conservation, mais aussi émergence de nouvelles formes de division intellectuelle et sociale du travail.(..)

Aujourd'hui, dans le nuage informatique, le livre et le document sont profondément redéfinis, l'unité de référence n'est plus le biblion mais les données et les métadonnées. Cependant, si le numérique transforme le livre, il ne le détruit pas. Avec la multiplication des tablettes de lecture, on peut même penser que le livre aura raison de l’ordinateur.

La « raison documentaire » s’inscrivait encore dans une logique de dépassement du support-livre et de la diversification des supports contenue dans l’idée générale de « document ». L’ère numérique dans laquelle nous sommes entrés ne modifie pas seulement les supports en les unifiant, ne change pas seulement nos outils de travail en les informatisant, elle nous impose de nouvelles formes de connaissance, de nouveaux modes de penser et de diviser le travail intellectuel. Le livre et le document sont désormais numériques mais, surtout, ils sont décomposés dans de nouvelles unités : les données et l’information, les métadonnées et les bases de données. Les enjeux du développement des humanités digitales ne se réduisent donc pas à préparer ou accompagner les chercheurs à l’usage des instruments informatiques et des documents numériques, ni à valoriser des analyses particulières, ils résident aussi dans la capacité des humanités à comprendre les transformations majeures qui nous entraînent irréversiblement dans un nouveau régime documentaire.

A lire aussi dans le même dossier un entretien avec Maurizio Ferraris :

Philosophe reconnu dans le champ de l'herméneutique, Maurizio Ferraris a récemment proposé une théorie qu’il a appelée « documentalité » (Documentalità. Perché è necessario lasciare tracce. Laterza, 2009). Souvent reprise dans des domaines autres que la philosophie, la théorie de la documentalité est un essai de « grammatologie comme science positive », selon les termes de son auteur. En parlant de « société de l'enregistrement et du document », Ferraris approche, à partir d'un cadre philosophique classique, les enjeux du patrimoine et des archives à l'ère du numérique. Il est intéressant de voir comment son approche herméneutique traite les questions relatives aux bouleversements technologiques apportés par le numérique avec une influence sur le statut de la mémoire.

Ca bouge sur le front de la théorie du document...

Sur P. Otlet, voir aussi le numéro de juin 2012 de la revue belge Les cahiers de la documentation qui lui est entièrement consacré. Sommaire

mercredi 27 juin 2012

Master architecture de l'information : dernier jour

Actualisation : Les demandes d'inscription sont maintenant fermées pour la première session. Une seconde session se tiendra du 20 juillet 2012 au 22 août 2012 compris.

Attention !

Pour celles et ceux qui voudraient faire acte de candidature au master en architecture de l'information, premier master francophone de sa spécialité, c'est aujourd'hui le dernier jour pour remplir le formulaire de pre-inscription sur le site de l'ENS de Lyon. Toutes les informations sur les modalités de candidatures sont ici.

Une seconde session sera ouverte fin août en fonction des places encore disponibles. Cela reste donc aléatoire.

Master-AI-Plaquette1.jpg Master-AI-Plaquette2.jpg

jeudi 14 juin 2012

Pédauque et webinaires

Malgré les tentatives de relance d'écriture collective (ici et ), Pédauque est resté plutôt silencieux ces derniers mois, mais il n'est pas resté inactif.

Le silence n'était pas du à une moindre conscience de l'importance d'une réflexion collective et ouverte de fond sur le web documentaire, mais plutôt au constat que les outils et méthodes qui avaient permis l'écriture de textes à de nombreuses mains n'étaient plus adaptés aux pratiques du web d'aujourd'hui, à l'avancement des analyses et sans doute aussi à l'évolution de l'organisation de la recherche.

C'est pourquoi le petit groupe à l'initiative de la relance a cherché et expérimenté d'autres dispositfs et d'autres formules qui marient réflexions de fond, ouverture et légéreté de procédures (en passant merci à Alexandre Monnin et Franck Rebillard qui ont été nos premiers cobayes. Nous pensons avoir trouvé maintenant un système satisfaisant, un webinaire qui marie visio, prise de notes collectives et questions des internautes. L'ensemble a vocation à être réuni dans une synthèse par la suite.

Vous pouvez visionner ici le premier webinaire enregistré en ligne sur presse en ligne et temporalité du web, accompagné de ses notes. Les prochains se tiendront à l'automne. Ils seront annoncés et vous pourrez les suivre en direct, prendre des notes sur Framapad et poser des questions sur Twitter.

mardi 12 juin 2012

Zazie lit 1984 dans le métro de Montréal

Zazie-dans-le-metro.jpg (Photo prise sur le web non créditée)

Témoignage lu ici :

Ma journée en prison pour avoir lu 1984 dans le métro

En ce dimanche 10 juin 2012, j’ai tenté de participer à une manif-action consistant à me déplacer pendant quelques heures du métro Berri au métro Jean-Drapeau en vue de manifester pacifiquement mon désaccord face au Grand Prix de Formule 1, évènement qui prône ce que je considère comme étant des idéologies sexistes.

Vêtue d’une robe fleurie et d’un sac rempli d’objets dangereux tels qu’une pomme, une bouteille d’eau et trois livres, j’ai voulu pointer du doigt la haute présence policière et l’attitude frôlant le terrorisme du SPVM depuis le début du conflit gouvernemental en lisant calmement 1984 de George Orwell, un roman d’anticipation présentant une société prise avec un régime policier totalitaire.

Après m’être faite fouiller par un policier à mon arrivée au métro Berri-UQAM, j’ai pris place dans un wagon en direction de la station Jean-Drapeau, mon livre à la main. Lors de mon retour vers le centre-ville, j’ai lu face à un policier et une femme a lu avec moi, par-dessus mon épaule. Nous avons été prises en photographie et le policier, voyant que nous étions deux dangereux personnages, a appelé son équipe en renfort pour nous accueillir en bonne et due forme à Berri. Avec les autres passagers du wagon, nous avons été placés face contre mur et nous avons ensuite été amenés à l’extérieur, par les sorties de secours, où on nous a dit de ne pas revenir sous peine d’être arrêtés. Aucune réponse lorsque j’ai demandé ce qu’il y avait de mal à lire dans le métro.

J’ai commis un acte irréparable de désobéissance civile en redescendant dans la station et en retournant lire dans un wagon. Lorsque les policiers m’ont vu manger ma pomme, ils m’ont crié qu’ils reconnaissaient mes tatouages et m’ont interceptée. J’ai demandé ce que j’avais fait de mal, autre que de lire pacifiquement, et j’ai eu pour réponse que j’avais désobéi à leurs ordres. J’ai reposé ma question, à savoir ce qu’il y a de mal à être dans le métro à lire, et je n’ai pas eu de réponse. On m’a mise en état d’arrestation et les deux policiers se sont fait un chaleureux high five pour se féliciter de leur bon travail. On m’a amenée, telle une criminelle, au centre de détention du SPVM au centre-ville de Montréal, où on m’a prise en photographie sous toutes mes coutures. Après avoir enregistré tous mes effets personnels, les policiers m’ont conduite à la cellule 52 où étaient présentes trois autres femmes. J’ai passé la journée derrière les barreaux, autour d’une toilette sale, couchée sur un banc, sans savoir quand j’allais être relâchée, pour avoir lu dans un wagon de métro et pour avoir récidivé à cet acte révolutionnaire. Vers 15h30, j’ai été libérée avec un constat d’infraction me disant que tout ce cirque avait eu lieu pour un refus de circuler.

État policier ? J’ai honte de mon Québec.

Marilyne Veilleux, étudiante à la maîtrise en sciences de l’information à l’Université de Montréal.

Sans doute, dira-t-on, elle a cherché la provocation cette nouvelle Zazie. Oui, évidemment. Mais la provocation révèle parfois d'inquiétantes dérives très éloignées de la tradition québécoise de tolérance comme le montre cet autre témoignage de journalistes.

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