Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 22 décembre 2006

L'accélération du cycle de l'innovation

Pour terminer l'année, voici quelques prévisions du cabinet de consultant Gartner pour 2007 (synthèse sur l'Atelier, d'où je tire la citation ci-dessous) :

"vu la durée de vie moyenne d'un blogueur et la croissance actuelle des blogs, il existe déjà plus de 200 millions d'ex-blogueurs. Le pic du nombre de blogueurs atteindra environ 100 millions au cours de la première moitié de 2007". L'engouement pour les blogs devrait donc s'estomper. Ce nouveau canal d'expression, s'il a suscité une forte adhésion à ses débuts, devrait lasser un grand nombre d'internautes qui n'arrivent pas à tenir régulièrement à jour leur nouveau journal intime virtuel.

Pour les habitués du cabinet, ce n'est pas une révélation. Il s'agit de la suite logique du cycle de l'innovation, tel qu'il est représenté sur un graphique (diapo d'août 2006) :

On y voit le Web 2.0 au sommet des spéculations, juste avant la désillusion. Ce qui est remarquable, c'est qu'il s'agit d'une innovation de moins de deux années, qui a donc grimpé la pente inflationniste à une vitesse record.

Parmi les dix autres prévisions pour 2007, on trouve :

  • 75% des entreprises seront infectées par des virus à la fin 2007,
  • Vista sera la dernière innovation majeure de Microsoft,
  • vers 2010, le coût des PC aura baissé de 50%,
  • à la même époque, les téléphones portables seront géographiquement repérables au niveau mondial,
  • d'ici 2011 les entreprises vont perdre 100 Mds de US$ en se trompant de technologies d'information,
  • vers 2008, la moitié des centres serveurs manqueront de capacité pour traiter la demande d'information à haute densité..

Bon, chacun sait que les prévisionnistes sont là pour conjurer le mauvais sort !

En attendant, pour cause de relâche, je ferme les commentaires le 23 déc à 18h (Montréal) jusqu'au 4 janvier. Bonnes fêtes à tous les habitués de ce blog et à l'année prochaine.

mercredi 20 décembre 2006

"Internet ne doit pas être la poubelle des images"

E. Hoog, pdg de l'Institut national de l'audiovisuel français à l'avant-garde de la numérisation et de la diffusion des archives audiovisuelles, donne un entretien au journal Le Monde du 19-12-06, dont j'extrais ce passage :

Internet est surtout un média de texte, pauvre en images et en sons. Ceux-ci sont souvent piratés. De plus, les images y relèvent du divertissement ou du gag - comme sur YouTube ou DailyMotion - ou encore de la violence. Les sites des chaînes sont des sessions de rattrapage, pour revoir par exemple un journal télévisé de la veille, ou payants, via la vidéo à la demande (VOD). Il manque encore des sites d'avant-garde comme celui de l'INA, dont les sources sont référencées, authentifiées et éditorialisées, avec un volume d'heures gratuites important.

Ces sites doivent inventer leur modèle économique, grâce à la publicité ou au téléchargement payant. Internet ne doit pas être la "poubelle des images", surtout s'il constitue le média majeur pour les jeunes générations.

Voici la structure de revenu de l'INA, indiquée en encadré dans l'article : 115,5 millions d'euros. 75,4 millions proviennent de la redevance, 40,1 millions des activités commerciales, principalement liées à la cession de droits (33 %) et de prestation d'archives (36 %).

En réalité, le financement de la diffusion publique des images d'archive de l'INA a été réalisé principalement par la parafiscalité.

lundi 18 décembre 2006

Bibliothèques numériques : perplexité

L'actualité nous amené ces derniers temps nombre de séances et de commentaires sur les différents projets de bibliothèques numériques de livres.. et je dois dire pas mal de perplexité de ma part.

Tout s'est accéléré il y a deux ans, on le sait, avec l'annonce par Google d'un ambitieux projet de numérisation. Pour un exposé des épisodes précédents, je renvoie à mon article de décembre 2005. Mais que s'est-il passé depuis un an ?

Du côté de Google

Une intéressante chronologie a été construite par ResourceShelf pour le second anniversaire de l'initiative de Google. Voici un extrait des remarques préliminaires :

We know many facts about Google Book Search and the Google Library Project but there is still many issues we know little about. Examples: Output (how many books have been digitized) from the various program members so far? How many are being digitized and released on a monthly basis? Yearly? Is subject searching (using a controlled vocabulary) on the way? Collection development goals? Is there an order items are selected for digitization? Are the same titles being digitized at various member libraries? Are non-public domain titles being scanned? Perhaps these and many other facts will be revealed in the future.

Beaucoup de questions sans réponse tout de même pour un projet de deux années.. mais il avance, la numérisation se poursuit à un rythme, semble-t-il, soutenu et tout récemment l'interface de lecture s'est très sensiblement améliorée.

Parmi les faits, les plus marquants sont les procès menés par les éditeurs qui soulignent l'antagonisme entre deux modèles : l'édition et le Web-média. Certains éditeurs qui ont une perception différente de leurs intérêts ont fait affaire avec la firme. Ce type de difficultés est courant à l'arrivée d'un média nouveau. Progressivement, après avoir bousculé les anciens, celui-ci trouve sa place et un nouvel équilibre s'opère. Mais en l'occurrence, Google n'a pas vraiment de business model sur ce service et on ne perçoit pas bien quelle négociation sur le partage des revenus pourrait s'ouvrir.

Un autre dilemme est bien illustré par un débat récent entre P. Suber et D. Salo sur l'offre faite par Google aux revues scientifiques de numériser gratuitement leurs anciens numéros. Le premier considère qu'il y a plus à gagner qu'à perdre pour le libre accès dans cette offre, tandis que la seconde insiste sur la nécessité de toujours pouvoir garder la maîtrise du numérique.

Il n'est pas simple de trancher entre les deux points de vue : faut-il privilégier le court terme au risque qu'il tourne au cauchemar demain ou renoncer à une offre trop intéressée au risque d'attendre indéfiniment un lendemain qui chante ? On choisira la première partie de l'alternative si l'on considère que l'apport manifeste de Google à notre accès à la culture l'emporte sur ses zones d'ombre, la seconde si on pense que l'urgence est surévaluée et que le verrouillage de nos modes d'accès à cette culture est plus grave que l'accès lui-même. Dans l'un et l'autre cas, c'est un pari sur l'avenir qui engage la forme que prendra le nouveau média et ses équilibres.

Du côté de la Bibliothèque numérique européenne

On trouvera sur le Blog du BBF une synthèse et des liens sur ce sujet (ici et ) et surtout une chronologie sur formats ouverts.

Qu'en retenir depuis une année ? Le moins que l'on puisse dire est que là non plus les choses ne sont pas claires.

Le capitaine de la BNF, soucieux de rester à la tête du navire malgré la limite d'âge, a fait chauffer les machines. Il a été soutenu par le président de la République. Après commission, rapport, départ de responsables, une somme, modeste et éphémère, a été dégagée.. principalement, si l'on met à part l'autre dynamique baptisée Quaero, pour l'amélioration et l'élargissement de Gallica et prise sur les fonds du Centre National du Livre, c'est à dire sur la parafiscalité de la filière livre.

Ainsi l'élan donné par l'alerte de J.-N. Jeanneney a eu plus de résultats médiatiques que concrets. Il n'est pas relayé par une grande volonté politique, ni une grande ouverture. Il semble que, par ailleurs, la recherche de mécènes privés n'ait pas débouché. Tout récemment, une maquette de portail, réalisée par la BNF seule et baptisée Europeana a été présentée.

Les instances européennes, notamment sous l'impulsion de la France, ont bien lancé une consultation dont les conclusions ont été tirées. Des initiatives doivent être prises l'année prochaine du côté de la recherche. Mais là encore, malgré les discours et communiqués, il semble que le soutien des gouvernements européens est sans enthousiasme.

Et, dans le cadre du programme E-Content, la bibliothèque nationale allemande a lancé un programme fédérateur European Digital Library Project.. où l'on ne trouve pas la France, au moins dans les pays cités en page d'accueil.

Pour le moment, donc quelques initiatives, modestes par rapport à l'enjeu, dont l'importance est pourtant clairement établie, et plus de bruit que d'ordre. On peut discuter les initiatives prises, on peut en contester les orientations, mais le problème de fond vient bien plutôt de l'inertie générale des politiques. Il semble qu'en Europe le livre papier domine. Et, consciemment ou non, on ralentit ce qui pourrait à tort ou à raison le mettre en péril.

Ailleurs

Microsoft développe une stratégie concurrente et offensive pour contrer sur ce front, comme sur les autres, celui qui est devenu son principal adversaire commercial Google. Plusieurs bibliothèques importantes ont signé et font ainsi numériser à marche forcée leurs fonds. L'avantage est de fournir une alternative à ce qui pouvait devenir un monopole. Mais évidemment, même si ce géant là se présente tout à coup comme plus ouvert que son challenger, le dilemme reste.

L'Open Content Alliance a défini des grands principes, mais on ne perçoit pas clairement son fonctionnement ni ses initiatives.

Les autres projets, petits ou grands, se poursuivent sans relation avec les précédents. Au Canada, des réflexions sont menées sur une stratégie nationale dont les moyens restent à définir. Nous disposons que de très peu d'informations sur les initiatives, parait-il importantes, d'autres parties du monde (Chine, Inde..).

Ainsi d'un côté, les institutions documentaires traditionnelles cherchent encore leur voie et un soutien de leur tutelle politique. De l'autre, les nouveaux acteurs commerciaux sont lancés dans une course, sans avoir de modèle d'affaire, ni une articulation encore stabilisée avec les acteurs traditionnels. On peut s'attendre encore à quelques surprises dans ce long feuilleton.

samedi 16 décembre 2006

"Le grand défi"

Le grand défi de cette prochaine décennie va donc être de donner un sens social, culturel, cognitif et éthique à cette prodigieuse révolution technologique afin de l’humaniser et de la mettre au service du plus grand nombre. Si nous ne parvenons pas à relever ce défi de civilisation, nous risquons d’avoir à faire face à des fragmentations et des replis communautaires et culturels de plus en plus dangereux et un accroissement des inégalités sociales et cognitives qui ne pourront qu’alimenter la violence et l’instabilité du monde.

René Trégouët, Éditorial @RT Flash Lettre 410 du 15 au 21-12-2006

Repéré par Adscriptor

Téléphone, bande passante et modèle de média

Les nouvelles concernant le téléphone mobile (cellulaire au Québec) donnent le vertige et pourraient avoir des conséquences sur l'organisation des médias. L'évolution en cours est une fascinante illustration des relations entre l'économie du contenant et celle du contenu.

Premier constat, on apprend dans un récent et passionnant rapport de l'UIT (repéré par Adscriptor qui le commente) que le marché des téléphones mobiles explose, et, pour ce qui nous intéresse, l'accès à large bande par le mobile aussi. Le tout est résumé en deux graphiques.

digital.life, ITU Internet Report 2006, décembre 2006, 194 p. (résumé d'où sont tirées mes informations, commande du rapport). Actu : Nicolas signale en commentaire la disponibilité en ligne du rapport complet.

Deuxième constat, tiré d'un article du MIT :

"2006 will be remembered as the year of Internet video. Consumers have shown that they basically want unlimited access to the content owners' video. But what if the entire Internet gets swamped in video traffic?"

P2P: From Internet Scourge to Savior Wade Roush, Technology Review MIT, 15 déc 2006, (repéré par Homo Numericus qui le commente)

Ainsi, le risque d'engorgement de la bande passante est sévère. Le même article préconise comme solution le Peer-to-Peer qui répartit l'utilisation de la bande passante au lieu de la concentrer sur un point comme YouTube ou ITunes. Mais en réalité, sauf erreur de ma part, cette solution ne marchera pas avec les téléphones mobiles. En effet, dans ce cas, une reconcentration s'opère dans les relais hertziens, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les opérateurs se sont tournés vers le broadcasting, c'est-à-dire la télévision, plutôt que la vidéo à la demande après quelques tentatives (voir le billet et ses commentaires).

Enfin une autre utilisation inattendue du téléphone mobile se développe à grande vitesse au Japon : la lecture de livres, plus précisément de Mangas, les bandes dessinées japonaises, qui représentent plus de la moitié de ce marché.

Selon l'institut de recherches en marketing Impress R&D, le marché des livres en version électronique pour téléphones portables, inexistant avant 2002, a atteint 4,6 milliards de yens (31 millions d'euros) au Japon entre avril 2005 et mars 2006, soit près de quatre fois plus que l'année précédente. (..)

Leur lecture est d'autant plus facile que les vignettes défilent automatiquement, donnant l'impression de regarder un dessin animé.

Parmi les autres genres d'ouvrages, les romans à l'eau de rose pour adolescentes, les livres de culture d'entreprise et de "bonnes manières" pour salariés figurent aussi en bonne place.

Pour les lire, il est nécessaire de s'abonner aux librairies en ligne (de 0 à 315 yens par mois), et de télécharger un logiciel de lecture gratuit.

AFP, 28 nov 2008 citée par C. Krebs sur la liste Litor.

Pour bien comprendre le développement de ce marché japonais, on peut se référer à ce dernier graphique tiré du rapport de l'UIT, les téléphones mobiles à large bande sont largement plus développés au Japon qu'ailleurs, raison de plus pour en observer les usages :

À la vue de ce graphique, si j'étais éditeur italien je prendrais quelques initiatives..

En résumé, l'adoption massive d'une nouvelle "machine à communiquer" par le public, le téléphone mobile ou cellulaire, croisée avec les limites techniques de cette dernière, débouche sur le renouvellenent de deux médias anciens (la TV et l'édition de livres) plutôt que sur la naissance d'un nouveau média. Les innovations se repèrent principalement sur le système de tarification et sur les formats (émissions courtes, mise en page) et encore dans l'un et l'autre cas la rupture ne me parait pas flagrante. L'avenir nous dira si cette première tendance se confirme.

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