Par Jean-Michel Salaun le lundi 18 décembre 2006, 08:46 - Bibliothèques
L'actualité nous amené ces derniers temps nombre de séances et de commentaires sur les différents projets de bibliothèques numériques de livres.. et je dois dire pas mal de perplexité de ma part.
Tout s'est accéléré il y a deux ans, on le sait, avec l'annonce par Google d'un ambitieux projet de numérisation. Pour un exposé des épisodes précédents, je renvoie à mon article de décembre 2005. Mais que s'est-il passé depuis un an ?
Du côté de Google
Une intéressante chronologie a été construite par ResourceShelf pour le second anniversaire de l'initiative de Google. Voici un extrait des remarques préliminaires :
We know many facts about Google Book Search and the Google Library Project but there is still many issues we know little about. Examples: Output (how many books have been digitized) from the various program members so far? How many are being digitized and released on a monthly basis? Yearly? Is subject searching (using a controlled vocabulary) on the way? Collection development goals? Is there an order items are selected for digitization? Are the same titles being digitized at various member libraries? Are non-public domain titles being scanned? Perhaps these and many other facts will be revealed in the future.
Beaucoup de questions sans réponse tout de même pour un projet de deux années.. mais il avance, la numérisation se poursuit à un rythme, semble-t-il, soutenu et tout récemment l'interface de lecture s'est très sensiblement améliorée.
Parmi les faits, les plus marquants sont les procès menés par les éditeurs qui soulignent l'antagonisme entre deux modèles : l'édition et le Web-média. Certains éditeurs qui ont une perception différente de leurs intérêts ont fait affaire avec la firme. Ce type de difficultés est courant à l'arrivée d'un média nouveau. Progressivement, après avoir bousculé les anciens, celui-ci trouve sa place et un nouvel équilibre s'opère. Mais en l'occurrence, Google n'a pas vraiment de business model sur ce service et on ne perçoit pas bien quelle négociation sur le partage des revenus pourrait s'ouvrir.
Un autre dilemme est bien illustré par un débat récent entre P. Suber et D. Salo sur l'offre faite par Google aux revues scientifiques de numériser gratuitement leurs anciens numéros. Le premier considère qu'il y a plus à gagner qu'à perdre pour le libre accès dans cette offre, tandis que la seconde insiste sur la nécessité de toujours pouvoir garder la maîtrise du numérique.
Il n'est pas simple de trancher entre les deux points de vue : faut-il privilégier le court terme au risque qu'il tourne au cauchemar demain ou renoncer à une offre trop intéressée au risque d'attendre indéfiniment un lendemain qui chante ? On choisira la première partie de l'alternative si l'on considère que l'apport manifeste de Google à notre accès à la culture l'emporte sur ses zones d'ombre, la seconde si on pense que l'urgence est surévaluée et que le verrouillage de nos modes d'accès à cette culture est plus grave que l'accès lui-même. Dans l'un et l'autre cas, c'est un pari sur l'avenir qui engage la forme que prendra le nouveau média et ses équilibres.
Du côté de la Bibliothèque numérique européenne
On trouvera sur le Blog du BBF une synthèse et des liens sur ce sujet (ici et là) et surtout une chronologie sur formats ouverts.
Qu'en retenir depuis une année ? Le moins que l'on puisse dire est que là non plus les choses ne sont pas claires.
Le capitaine de la BNF, soucieux de rester à la tête du navire malgré la limite d'âge, a fait chauffer les machines. Il a été soutenu par le président de la République. Après commission, rapport, départ de responsables, une somme, modeste et éphémère, a été dégagée.. principalement, si l'on met à part l'autre dynamique baptisée Quaero, pour l'amélioration et l'élargissement de Gallica et prise sur les fonds du Centre National du Livre, c'est à dire sur la parafiscalité de la filière livre.
Ainsi l'élan donné par l'alerte de J.-N. Jeanneney a eu plus de résultats médiatiques que concrets. Il n'est pas relayé par une grande volonté politique, ni une grande ouverture. Il semble que, par ailleurs, la recherche de mécènes privés n'ait pas débouché. Tout récemment, une maquette de portail, réalisée par la BNF seule et baptisée Europeana a été présentée.
Les instances européennes, notamment sous l'impulsion de la France, ont bien lancé une consultation dont les conclusions ont été tirées. Des initiatives doivent être prises l'année prochaine du côté de la recherche. Mais là encore, malgré les discours et communiqués, il semble que le soutien des gouvernements européens est sans enthousiasme.
Et, dans le cadre du programme E-Content, la bibliothèque nationale allemande a lancé un programme fédérateur European Digital Library Project.. où l'on ne trouve pas la France, au moins dans les pays cités en page d'accueil.
Pour le moment, donc quelques initiatives, modestes par rapport à l'enjeu, dont l'importance est pourtant clairement établie, et plus de bruit que d'ordre. On peut discuter les initiatives prises, on peut en contester les orientations, mais le problème de fond vient bien plutôt de l'inertie générale des politiques. Il semble qu'en Europe le livre papier domine. Et, consciemment ou non, on ralentit ce qui pourrait à tort ou à raison le mettre en péril.
Ailleurs
Microsoft développe une stratégie concurrente et offensive pour contrer sur ce front, comme sur les autres, celui qui est devenu son principal adversaire commercial Google. Plusieurs bibliothèques importantes ont signé et font ainsi numériser à marche forcée leurs fonds. L'avantage est de fournir une alternative à ce qui pouvait devenir un monopole. Mais évidemment, même si ce géant là se présente tout à coup comme plus ouvert que son challenger, le dilemme reste.
L'Open Content Alliance a défini des grands principes, mais on ne perçoit pas clairement son fonctionnement ni ses initiatives.
Les autres projets, petits ou grands, se poursuivent sans relation avec les précédents. Au Canada, des réflexions sont menées sur une stratégie nationale dont les moyens restent à définir. Nous disposons que de très peu d'informations sur les initiatives, parait-il importantes, d'autres parties du monde (Chine, Inde..).
Ainsi d'un côté, les institutions documentaires traditionnelles cherchent encore leur voie et un soutien de leur tutelle politique. De l'autre, les nouveaux acteurs commerciaux sont lancés dans une course, sans avoir de modèle d'affaire, ni une articulation encore stabilisée avec les acteurs traditionnels. On peut s'attendre encore à quelques surprises dans ce long feuilleton.