Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 12 janvier 2007

Convergence et.. couteau suisse

Steve Jobs, impressionnant bateleur, a réussi la présentation de son iPhone (si toutefois il garde ce nom). Alors même que très peu de personnes ont pu le tenir en main, qu'il n'est pas opérationnel et ne sera sur le marché américain qu'en juin prochain, H. Guillaud a compté hier plus de 70.000 billets qui en parlent et souvent en vantent les mérites.. belle illustration de la résonance !

La bourse n'est pas en reste :

Le titre Apple grimpe vers les 100 dollars, un niveau record, après un premier bond de 8,3% dès mardi, après l’annonce de Steve Jobs. Le titre a grimpé de 14% en deux séances et a même atteint en crête le niveau de 97,13$, un niveau quasi historique ! Certains, comme le crédit suisse ou Deutsche Bank, indique Boursier.com, tablent sur un cours de 120 ou 125$. Source : PC Impact

Mais au-delà de l'écume, le produit de Apple, comme ses homologues des autres marques, pose, pour nous, une question de fond que rappelle, par exemple, un éditorial du principal journal financier français. Extraits :

Converger ou disparaître : la leçon d'Apple, Patrick Lamm Les Échos 11/01/07

(..) la politique d'innovation d'Apple s'inscrit dans le mouvement de convergence qui tend à s'accélérer dans la filière électronique mondiale. On ne parle plus ici de la convergence chère à Jean-Marie Messier - celle du contenant et des contenus -, mais de celle qui rend compatibles aujourd'hui le téléphone, l'ordinateur et la télévision. Cette tendance inquiète certains spécialistes, qui estiment qu'elle est source de complexité, avec notamment l'explosion des fameuses « box » et la multiplication des standards, et qu'elle finira donc par déboussoler les consommateurs. Telle n'est pas l'analyse des industriels, qui se fondent sur les aspirations des jeunes, lesquels demandent de plus en plus un produit unique susceptible de leur apporter plusieurs services, privilégiant la mobilité et facile d'usage. Ce que Steve Jobs sait si bien leur apporter.

(..) Tous savent qu'en restant ancrés dans un seul « monde », ils disparaîtraient à terme du paysage. Entre eux, tout se jouera sur la vitesse à laquelle ils sauront migrer vers un concept de terminal intégré offrant de multiples fonctions et à des prix abordables.

La convergence n'est pas une idée nouvelle, elle a tellement été annoncée dans le passé que c'est devenu l'Arlésienne de l'infocom. Depuis le plan-câble en France et ses équivalents ailleurs des années 80, en passant par les autoroutes de l'information de la décennie suivante jusqu'au Média-center de Microsoft, il ne manque pas de discours sur ses bienfaits supposés et de projets.. qui ont laissé sur la route nombre d'acteurs et parfois de très gros. Les difficultés souvent sous estimées résident dans les logiques et cultures différentes d'entreprises issues de filières aux traditions peu compatibles, aux coopérations difficiles et aussi dans les pratiques séparées de consommation de chacun des médias.

Néanmoins, il est indéniable que les internautes, et tout particulièrement les jeunes, ont tout récemment développé des comportements dans les échanges qui mélangent images, sons et textes, souvent d'ailleurs en contradiction avec les entreprises traditionnelles de ces secteurs. Par ailleurs, plus personne ne peut passer à côté de l'explosion mondiale du téléphone mobile.

Et, si l'on en croit le bureau japonais Nomura Resarch Institute cité dans un précédent billet, le phénomène, croisant le développement du Web 2.0 et des mobiles va encore aller en s'accroissant. Il serait piloté par les consommateurs. Je cite :

NRI calls the phenomenon in which the utilization of information and communications infrastructure by consumers surpasses that by companies the “industry/consumer reversal phenomenon.” In the past, this phenomenon occurred in the fields of networks and terminals such as in the use of broadband networks and mobile phones. Recently, this phenomenon could be seen in the use of information. Consumers enjoy a variety of advantages by making the best use of acquired information. In the future, companies should aim to improve productivity by actively employing Web 2.0 technology, the use of which is currently led by consumers.

Reste que les problèmes d'hier n'ont pas, pour autant disparu. Pour un produit comme celui présenté par Apple, ils se présentent aux deux extrêmes de la chaîne : la conception et la consommation.

Pour la conception, on pourra lire avec intérêt le billet de Tirstan Nitot, dont j'extrais ce commentaire d'un ancien de Yahoo Mobile :

Comparé au Web, le développement mobile est un enfer et les résultats craignent. L'affichage craint ; la saisie craint. La bande passante craint. La navigation craint. Le développement et les tests prennent plus de temps et coûtent donc plus cher. La convivialité craint. Le marketing des services est quasiment impossible, et on ne peut pas commencer à penser à quoi que ce soit avant d'avoir un partenariat avec un opérateur, ce qui fait qu'on fait un produit piloté par un comité, et dont personne ne veut finalement.

Du côté du consommateur pour avancer dans la réflexion, on peut remarquer que le iPhone n'est pas sans rapport avec.. le couteau suisse.

Taille comparable, design soigné, effet de marque, relation affective individuelle forte (objet transitionnel), prothèse (de la main ou de la mémoire), et surtout multifonctionnalité.. Un couteau suisse est beaucoup plus qu'un simple couteau, comme le IPhone est plus qu'un simple téléphone.

En filant la comparaison, on peut se poser la question du nombre de lames ou du nombre de services utiles. La photo (tirée de Wikipédia) représente le couteau officiel suisse, celui de l'armée suisse qui comprend les outils de base. Mais il existe bien d'autres variantes avec tire-bouchon, scie, pince à épiler, loupe, etc. qui relèvent, sauf peut-être pour McGyver. souvent du gadget ou de l'objet de collection.

Quels sont ou seront demain pour le téléphone mobile les services de base ? La téléphonie traditionnelle surement, sans doute les SMS et la prise de photo et vidéo.. mais au-delà des services strictement individuels ? Bien malin qui pourra répondre dans le très large éventail des possibles, de la géolocalisation à la télévision à la demande en passant par le e-commerce, à quel moment on basculera dans le gadget inutile. À quel moment la surabondance de service deviendra une surcharge cognitive ? Pour une idée de fonctionnalités déjà opérationnelles, voir ce billet de l'Atelier. Il y aura toujours des Geeks pour se servir de multiples fonctionnalités, mais de la pré-adolescence à la retraite quels seront les usages de Monsieur tout-le-monde ?

La comparaison amène une seconde remarque de ma part : nos petits enfants pourront encore se servir de notre couteau suisse. La durée de vie du téléphone portable est très réduite. Il n'est pas sûr qu'une prothèse de la mémoire puisse avoir une telle obsolescence durablement. Autrefois (?), on disait en parlant du papier "les écrits restent".

mercredi 10 janvier 2007

Le passé et l'avenir du Web 2.0 en carte

Pour le passé c'est ici : What put the "2" in Web 2.0 ? par Adaptative Path. Une excellente chronologie présentée sous forme d'un graphique commenté et référencé. (repéré par Serial Mapper, via le BiblioBuzz du BBF)

Pour l'avenir, c'est  : “IT Road Map” of Web 2.0 Technology Up Until 2011 —Consumers Will Take the Lead in the Use of Lifelogs— November 10, 2006, Nomura Research Institute, Ltd., une feuille de route du Web 2.0 jusqu'en 2011 réalisée et analysée par l'Institut de recherche japonais Nomura (NRI), repérée sur InternetActu qui le commente.

L'ensemble mis bout à bout éclaire la logique globale de la dynamique. Dès que j'ai plus de temps j'ajoute mon grain de sel.

mardi 09 janvier 2007

Le second livre de Roger

Le second livre de Roger vient de sortir aux éditions Cépadues : La redocumentarisation du monde.

4ème de couverture :

"Roger T. Pédauque est le pseudonyme d’un réseau de scientifiques francophones issus des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences et techniques de l’information et de la communication : le Réseau thématique pluridisciplinaire « Documents et contenu : création, indexation, navigation » (RTP-DOC) du Centre national de la recherche scientifique (France).

Dans cet ouvrage, ont été réunies les synthèses des travaux des groupes de travail du réseau. Les douze chapitres proposent les principaux résultats des échanges sur les thématiques suivantes :

  • recherches sur le document numérique,
  • numérisation,
  • lecture sur supports numériques,
  • temps et document numérique,
  • Web sémantique,
  • rapport des experts aux corpus scientifiques,
  • corpus textuels et terminologies,
  • annotations autour de documents collaboratifs,
  • document et organisation,
  • rapport des auteurs aux documents numériques,
  • publication sur le Web,
  • bibliothèques numériques."

"Mon espace" les intéresse

Le Monde vient de publier un article : MySpace, un puissant outil de marketing sur Internet, Odile de Plas LE MONDE | 08.01.07 dont j'extrais ces éléments :

Car là est le coeur de l'activité de MySpace, et son modèle économique. MySpace est une formidable banque de données, un fichier marketing géant créé par les internautes eux-mêmes, et tenu à jour de façon spontanée. Chaque profil contient des informations précieuses sur son auteur, son identité, ses préférences sexuelles et culturelles, son influence sur la communauté, au regard du nombre et de la "qualité" de ses amis.

Le site, déjà plébiscité par l'industrie musicale, intéresse aussi d'autres domaines, la mode, le sport ou le cinéma. La campagne de promotion du film X-Men 3 s'est bâtie sur MySpace : chaque héros possédait son "profil", un courriel proposait aux membres amateurs de BD de devenir un "ami" des héros. En échange, il recevait, en avant-première, des bandes-annonces et des informations exclusives... à diffuser. Motorola a créé un profil pour son label musical MMM sur MySpace : on y découvre le dernier téléphone mobile de la marque, via une sélection musicale des artistes appréciés par la communauté, "64 mo" (le volume de fichiers mp3 téléchargeable sur ce téléphone), et un agenda des soirées MMM à venir.

Voici donc une illustration spectaculaire de bien des éléments développés ici billet après billet dont l'intérêt du marketing pour les réseaux sociaux, la résonance (et aussi ici), l'importance du téléphone mobile, l'effet générationnel (voir à ce sujet le billet d'Affordance et surtout le best of de Danah Boyd).

Ajoutons que Google a payé (cher : 300 millions par an sur trois ans à partir de 2007, mais pour tous les sites de la Fox) l'exclusivité de la régie publicitaire et sa place dans la barre de navigation sans doute pour conforter son territoire par rapport à ses concurrents.

jeudi 04 janvier 2007

La bulle et ses reflets

Fin 2006, beaucoup d'observateurs se sont interrogés sur l'existence d'une nouvelle bulle financière qui gonflerait autour du Web, et tout particulièrement du Web 2.0. TechCrunch a, par exemple, publié l'avis de nombreux acteurs. Les avis, même si certains dissonaient, étaient globalement optimistes.

Quelques illustrations récentes me donnent l'occasion d'avancer sur ce terrain. Mais il m'intéresse moins de savoir si une nouvelle bulle éclatera en 2007 (je ne sais prévoir les comportements capricieux des boursiers) que de mieux comprendre le rôle des jeux financiers dans ce secteur.

Tout d'abord, le plus simple est de reprendre quelques éléments de l'analyse du rapport digital.life, déjà cité, de l'UIT, et tout particulièrement les pages 74 et 75. Le tout est résumé par ces trois schémas de la capitalisation boursière des cinq premières firmes des contenus numériques, des télécoms et des équipements informatiques :

Qu'en conclure ? D'abord que les capitalisations boursières en chiffres absolus sont comparables pour les trois secteurs (autour de 500 Mds de US$). Ensuite qu'elles sont très différentes en structure, puisque celle-ci correspond à 21 et 27 mois de revenu annuel pour les équipements et pour les services de télécoms, tandis que nous passons à 7 années pour le contenu numérique ! Les experts de l'UIT ajoutent que le capital fixe est bien moins important chez ces dernières (même si nous savons qu'il faut nuancer cette affirmation).

Comment alors expliquer l'engouement des boursiers et une telle capitalisation ? Si l'on s'en tient au rationnel, deux facteurs me semblent déterminants : d'une part l'extrême profitabilité de ces firmes, qui, une fois l'investissement initial réalisé, battent pratiquement monnaie, pour peu qu'elles aient construit un business model fiable ; de l'autre, l'ultra-rapidité de leur croissance (à part Microsoft, celles citées ont toutes une dizaine d'années). Le second élément rappelle les moments qui ont précédé l'éclatement de la bulle financière au tournant des années 90. On en trouvera un bref résumé à la page 86 du rapport de l'UIT d'où je tire le schéma ci-dessous :

Le schéma montre très clairement l'aspect financier de la crise. En effet, si la croissance du secteur des technologies numériques s'est envolée artificiellement, la chute s'est stabilisée à un taux deux fois supérieur à la décennie précédente sur une base d'activité beaucoup plus large.. et le nombre d'internautes a continué de croître de façon exponentielle.

La question, ou le problème, se situe donc bien dans la relation entre le marché financier et l'activité. Et, on le voit par exemple, sur l'évolution du Nasdaq dans l'année 2006, les investisseurs sont hésitants. Le schéma ci-dessous est tiré du site des Échos (les traits verticaux correspondent aux bimestres, 1er fév 2005 à gauche, 1er déc 2005 à droite. Cours le plus haut 46,7 US$ le 30 janv, le plus bas 24,28 le 13 juin) :

Les relations entre le financement et l'activité sont particulièrement ambigües dans le numérique. Les illustrations sont innombrables. Prenons-en quelques unes dans l'actualité récente :

  • Le rachat réussi de YouTube par Google a été financé par des actions. C'est une opération financière indépendante d'une valorisation économique stricte puisque la firme rachetée est toujours largement déficitaire et pourtant hautement rentable à court terme par le jeu du marché boursier, comme l'a montré par exemple JM Le Ray.
  • Le non rachat de Facebook par Yahoo! a sans doute les mêmes raisons mais inversées (les risques de chute de l'action de Yahoo!) et a conduit à des calculs pour la valeur de la société convoitée dont l'absurdité témoigne d'un raisonnement purement spéculatif, ainsi que l'a révélé E. Parodi.
  • N. Carr a dans un récent billet qualifié de "métayage" l'utilisation du travail gratuit des internautes pour construire de l'audience vendable à des annonceurs par les sociétés telles que MySpace ou FaceBook (article de N. Carr, traduction en français d'Archiloque).
  • L'organisation en fanfare d'un colloque international à Paris sur le "Web 3" où l'on constate que l'ambition de la majorité de ses participants est.. de se faire racheter (voir le billet d'E. Parody)
  • L'annonce embarrassée des bénéfices réalisés par la fondation sans but lucratif Mozilla (réalisatrice du navigateur Firefox), montre l'ambiguïté du soutien indirect de Google qui paie sans doute cher sa place par défaut dans la barre de navigation, mais est content d'aider un concurrent de son rival Microsoft.

Ainsi, il faut bien constater que la relation entre le marché financier et l'activité numérique n'est pas saine, sans pour autant nier la valeur économique de cette dernière. Il n'y pas à l'évidence, ou pas encore, une mesure financière raisonnable de la valeur créée.

Il y a deux façons de l'analyser. Soit on considère simplement que l'activité n'est pas encore mature et qu'elle trouvera à terme un équilibre avec ses investisseurs. Ou alors, on pense qu'il s'agit de la manifestation extrême d'une évolution beaucoup plus fondamentale de l'économie capitaliste depuis les années 80. Sur cette deuxième partie de l'alternative, on pourra lire avec intérêt le compte rendu, fait par C. Fauré, d'une conférence récente de JL Gréau, ancien économiste du Médef.

La vérité est sans doute entre les deux.

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