Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - web média

samedi 14 août 2010

Google mise tout sur la pub ciblée

Le Wall Street Journal vient de publier un entretien avec le prolixe directeur financier de Google, E. Schmidt :

Holman W. Jr Jenkins, “Google and the Search for the Future,” The Wall Street Journal, Août 14, 2010, ici.

Les propos s'adressent aux actionnaires s'inquiétant d'une fuite en avant technologique de la firme qui ne distribuerait pas assez de dividendes alors que c'est une machine à cash. Mais pour M. Schmidt l'enjeu est d'abord de préserver la position de Google sur la publicité sur le web au moment où la recherche (search) est de plus en plus dépassée. Extraits (trad JMS) :

« Je pense vraiment que la plupart des gens ne veulent pas que Google réponde à leurs questions, poursuit-il. Ils veulent que Google leur dise ce qu'ils devront faire ensuite. »

« (..) Nous savons grosso modo qui vous êtes, à quoi vous faites attention, qui sont vos amis. » Google sait aussi à moins d'un mètre près où vous êtes.

Aux dires de M. Schmidt, une génération de puissants appareils de poche est sur le point de sortir, capables de nous surprendre avec des informations que nous ne savions pas vouloir connaître. « Ce qui rend les journaux si fondamentalement fascinant - les trouvailles fortuites (serendipity) - peut aujourd'hui être calculé électroniquement. » (..)

« La technologie sera si efficace qu'il sera très difficile pour les gens de regarder ou consommer quelque chose qui n'aura pas été d'une certaine façon taillée sur mesure pour eux. » (..)

M Schmidt pense que la réglementation est inutile car Google est fortement incité à préserver les droits des usagers, sinon ils s'enfuiront en une minute si Google fait quoi que ce soit avec les renseignements personnels qu'ils trouvent trop sensibles. (..)

« Je ne crois pas que la société comprenne ce qui arrive quand tout est accessible, potentiellement connu et enregistré par tout le monde tout le temps ». Il prédit, apparemment sérieusement, qu'un jour chaque jeune arrivé à l'âge adulte aura le droit de changer automatiquement de nom pour désavouer sa jeunesse fêtarde enregistrée sur les sites des médias sociaux de leurs amis.

« Je veux dire que nous devons vraiment penser ces questions à un niveau sociétal, ajoute-t-il. Je ne parle même pas des choses vraiment effrayantes, comme le terrorisme ou la perversité. »

Ainsi E. Schmidt confirme que tous les efforts de Google ne portent que sur un seul mode de revenu : la publicité ciblée. C'est aussi la justification de la gratuité d'Androïd pour les opérateurs de téléphonie mobile, des récentes prises de positions à propos de la neutralité du net avec Verizon ou encore des efforts sur Chrome OS. Bien sûr, cette stratégie est dangereuse pour ses concurrents qui ont d'autres sources de revenus, car elle a tendance à les assécher en proposant grâce à son marché biface gratuitement ce qu'ils vendent à leurs clients. Elle l'a été pour la presse et globalement les industries de contenu, elle l'est aujourd'hui pour Apple et pour Microsoft, c'est à dire la micro-informatique.

Il a raison d'indiquer que des questions d'éthique se posent. Mais il n'est pas sûr que sur ce point le débat soit à la hauteur des enjeux.

Ajoutons que le journaliste du WSJ ne parait pas convaincu par tous les arguments, notamment concernant la facilité à quitter Google en cas de problème ou encore la propension de la firme à investir dans les services non rentables comme YouTube.

Actu du 30 août 2010

A compléter avec cet excellent article que je n'avais pas repéré :

Jessica E. Vascellaro, “Google Agonizes on Privacy as Ad World Vaults Ahead,” wsj.com, Août 10, 2010, rub. What They Know, ici.

Voir en particulier l'animation du graphique.

mardi 08 juin 2010

«Industries du copyright» et fair use

La saison 2010 du cours sur l'économie du document est terminée depuis un moment déjà. L'ensemble est disponible ici, moins la partie d'interaction avec les étudiants, qui reste sur un serveur dédié. Néanmoins les billets rédigés par les étudiants et leur discussion sont accessibles (ici,, et ). L'été est là. Les billets vont donc s'espacer. En voici un, un peu plus long, pour la route.

Deux rapports américains de lobbyistes sont un bon prétexte pour revenir sur certaines notions du cours et faire quelques propositions pour affiner l'analyse. On me pardonnera le caractère abrupt de certaines affirmations. Nous sommes sur le blogue et non sur le cours ou encore moins dans une publication scientifique.

Stephen E. Siwek, Copyright Industries in the U.S. Economy: The 2003-2007 Report, International Intellectual Property Alliance (IIPA), 20 Juillet 2009. Pdf

Thomas Rogers et Andrew Szamosszegi, Fair Use in the US Economy, Economic Contribution of Industries Relying on Fair Use 2010 (Computer & Communications Industry Association, 2010). Pdf

L'un et l'autre rapports visent à démontrer, chiffres à l'appui, l'importance économique aux US des activités qui relèvent de la catégorie indiquée, afin d'influencer les décisions politiques. Le second répond au premier, dans la mesure où une défense trop tenace des industries du copyright peut entraver le développement de celles s'appuyant sur le fair use dont la vocation est justement d'échapper à la rigidité du premier. En réalité la controverse est plus subtile, nous le verrons.

Je ne reprendrai pas les chiffres évidemment favorables aux acteurs qu'ils défendent, mais plutôt le fond du raisonnement et ses conséquences. Les rapports s'appliquent à la situation des États-Unis puisque leur point de départ est la législation de ce pays, néanmoins on pourrait extrapoler le raisonnement général à l'évolution globale du Web, puisque les mêmes questions se posent ailleurs, même si les réponses peuvent différer, et surtout parce que la domination des firmes US sur le Web est massive, au moins pour les pays occidentaux.

Il n'est pas pertinent de parler d'industries du copyrignt et d'industries s'appuyant sur le fair use

Copyright et fair use sont des concepts juridiques. Même si ces notions régulent les activités économiques de notre domaine, il n'est, a priori, pas approprié de s'en servir comme critères pour construire une catégorisation des industries. En général, celle-ci s'appuie sur une production particulière générant une plus-value. Ainsi, on parle d'industries du livre, de la presse, de la télévision, des télécommunications, de l'internet. En effectuant des regroupements plus larges, on pourra parler d'industries culturelles, d'industries des médias ou d'industries du contenu ou du contenant. Mais, nous le savons, dès que l'on élargit les catégorisations deviennent déjà plus hasardeuses.

Parler d'industrie du copyright ou s'appuyant sur le fair use est sémantiquement étrange. On ne fonde pas une industrie sur un droit. Ce serait plutôt l'inverse, le droit vient encadrer l'activité économique et non la définir.

Pourtant pour la première, l'exemple vient de haut puisque c'est l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui a défini les règles pour mesurer l'apport des dites «industries du copyright (guide ici, autres études nationales ici et , ou encore en ligne en français la Belgique ou le Canada). Un des résultats du lobying des industries du copyright est bien évidemment l'extension continue de la durée de protection du droit d'auteur (voir à ce sujet le billet de M. Lebert ici).

De plus en plus on trouve le terme d'«industries créatives» pour signifier la même chose. C'est sans doute plus valorisant : l'innovation plutôt que la rente de la propriété intellectuelle. Mais l'ambiguïté n'est pas levée : on remplace la référence à une règle de droit par un processus. Pour montrer l'absurdité de la formulation, gommons l'aspect glamour : en parlant d'industrie de la copie ou de la reproduction on voit bien qu'on est dans une catégorisation peu efficiente. Malgré cela, les « industries créatives » font l'objet de nombreuses études contemporaines (voir à ce sujet cette note de l'Unesco et la critique argumentée de Gaétan Tremblay ). En particulier, ce dernier s'étonne de voir dans cette catégorie l'industrie des logiciels, il est vrai soumise au copyright mais à la logique bien différente de celle des industries culturelles.

La seconde a des parrains moins politiquement prestigieux. Le rapport sur les industries s'appuyant sur le fair use a été commandé par la ''Computer & Communications Industry Association'' dont le slogan est : Open Markets, Open Systems, Open Networks; Full, Fair and Open Concurrence (que l'on pourrait traduire par : « Des marchés ouverts, des systèmes ouverts, des réseaux ouverts pour une concurrence parfaite»). Les membres de la CCIA sont les principales entreprises commerciales du Web. Mais la justification du terme vient de décisions de la justice américaine qui s'est appuyée sur la doctrine du fair use pour autoriser une activité qui aurait pu être interprétée comme contraire aux exigences du copyright. Extrait du rapport (trad JMS) :

L'usage équitable (fair use) de matériels sous droit d'auteur et d'autres limitations ou exception sont une base fondamentales de l'économie de l'internet. Par exemple, une des forces qui permet le développement de l'internet comme outil de commerce et d'éducation est la possibilité pour l'usager de repérer l'information utile grâce à des moteurs de recherche largement accessibles. La cour a considéré que les principaux services fournis par les moteurs de recherche relevaient de l'usage équitable. Sans ces exceptions aux droits d'auteur permises par la doctrine de l'usage équitable, les entreprises de moteur de recherche et d'autres seraient dans l'incertitude face aux infractions, un frein significatif pour proposer ce service bien utile. Le résultat serait l'échec des objectifs d'enseignement et de la croissance du commerce facilités par l'internet.

D'autres activités importantes sont rendues possibles par l'usage équitable, parmi lesquelles le développement de logiciel qui, bien souvent demande des copies temporaires de programmes existants pour faciliter la programmation de l'interopérabilité, et l'hébergement de sites, qui pourrait rendre les usagers coupables d'infraction s'il n'y avait des exceptions ou des limitations. La doctrine de l'usage équitable autorise aussi les usagers de matériels sous droits d'auteur à faire des copies numériques de programmes pour leur usage personnel. Donc, grâce à l'usage équitable les usagers peuvent jouir de programmes sous droits d'auteur de façon différée et transférer le matériel d'un terminal à un autre, et faire des copies-cache temporaires de sites web sur la mémoire vive de leur ordinateur.L'utilité découlant de ces activités a donné naissance à des achats de consommation d'une large gamme de produits comme les enregistreurs vidéo numériques et lecteurs MP3, entrainant une activité économique supplémentaire aux États-Unis et dans tous les pays où les machines utilisées pour ces activités sont fabriqués. (p.13-14, les notes de l'original n'ont pas été incluses).

Le rapport indique par ailleurs (trad JMS) :

Exemples d'industries qui dépendent ou au profitent du fair use :

  • Les fabricants d'appareils grand public qui permettent aux personnes de copier des programmes sous droits d'auteur;
  • les établissements d'enseignement;
  • les développeurs de logiciels
  • et l'activité de recherche sur Internet et les hébergeurs de sites Web. (p.7)

Cet ensemble a une certaine cohérence dans la mesure où il regroupe des industriels ou des organismes orientés vers l'accès à l'information. Mais l'échantillon, présenté dans le corps du rapport, est trompeur car les activités considérées comme au cœur de cette catégorie sont listées en annexe. On y découvre que nombre d'entre elles sont clairement des industries de contenu, comme la presse, les industries du cinéma et de l'audiovisuel ou les industries de la musique enregistrée. Et bien évidemment, on trouve aussi l'industrie des logiciels qui, dans cette catégorie comme dans la précédente, gonfle les chiffres. Ainsi le rapport sur les industries s'appuyant sur le fair use inclut de nombreuses industries du copyright et il semble qu'un de ses objectifs soit de reconfigurer les coalitions traditionnelles.

Bref la catégorisation proposée relève surtout de la rhétorique et n'a pas grande valeur économique. Pourtant, elle n'est pas sans signification.

Économie du web

La plupart des observateurs qui étudient l'économie du web insistent sur l'«écosystème» de l'information qui s'y construit. Un des plus célèbres analystes est sans doute Yochaï Benckler qui souligne l'importance de la valeur créée par les interactions des internautes (ici). Cette valeur est bien difficile à mesurer économiquement et très dispersée en un très grand nombre de pôles. Les militants de l'open source et de l'open access y voient l'essence fondatrice du web. Mais comme le suggère le slogan du CCIA, la notion d'open est ambigüe. L'écosystème se construit aujourd'hui sur l'infrastructure de quelques firmes principales, celles justement qui sont membres de CCIA. Celles-là fournissent aux usagers un environnement de services informationnels le plus complet possible à l'aide de nombreux acteurs affermés qui constituent une nébuleuse autour de la firme dominante. Google, Apple, Facebook et aussi Microsoft montent ainsi chacun leur propre écosystème afin d'attirer le maximum d'internautes dans leur toile par les effets d'externalités.

Le terme d'écosystème est un peu trompeur car, si les services sont effectivement diversifiés, en interaction et montés par des acteurs variés, les rentrées financières sont concentrées chaque fois sur un seul marché et sur une seule firme alma mater de l'écosystème : la publicité en ligne pour Google et Facebook, la vente de matériel pour Apple, la vente de logiciel pour Microsoft. Les autres micro-acteurs dispersés de l'écosystème, reçoivent quelques compensations, symboliques ou financières, mais ils ne sont là que pour alimenter le marché principal. Pour ceux qui douteraient encore de la réalité de cette logique, il suffit d'observer les pions poussés par les principales firmes sur l'écosystème du cellulaire (mobile) dont on sait qu'il est le plus prometteur à court terme (voir le billet de D. Durand ici). J'ai montré dans un autre billet que la logique des écosystèmes suivait les trois dimensions du document ().

Le fair use prend alors une autre dimension. Il s'agit d'une des conditions du fonctionnement des écosystèmes. Pour que les interactions entre les micro-acteurs puissent avoir lieu, il faut des échanges possibles entre les acteurs. Ainsi les industries du contenu, habituées à dominer leur branche ne sont plus qu'un des éléments de l'écosystème, une branche dominée, alimentant comme les autres la firme principale. Leur insistance sur le respect du copyright doit se lire comme une défense, un peu désespérée, de leurs anciennes positions.

Par contre, la vente de contenant (matériels, abonnements au réseau) a explosé. Rien de nouveau vraiment ici, on connait cela depuis l'avènement de l'audiovisuel qui, le premier, a séparé l'industrie du contenu et du contenant, la seconde dominant la première au moins en début de cycle, voir l'article célèbre d'A. Odlyzko (ici). Les industriels des télécommunications, les fabricants de matériels, Apple et Microsoft sont sur ce créneau et leur intérêt pour le contenu et les services n'a pour objectif que l'alimenter le marché de leur métier de base.

Du point de vue des rentrées financières, la seule réelle nouveauté de l'économie du web est que l'accès aux informations et à la culture a trouvé moyen de se monétiser au travers de la publicité commerciale. C'est du point de vue économique la vraie innovation. Ce modèle d'affaires passe par le traitement des traces laissées par les utilisateurs. On trouve ici des gros joueurs : Google, Yahoo!, Facebook pour s'en tenir au marché nord-américain. En réalité, si une nouvelle industrie est bien née, c'est celle de l'accès qui s'appuie effectivement sur la doctrine du fair use. Même s'il s'agit d'un service, je crois que le terme d'industrie est approprié du fait de sa massification et de son automatisation.

Voilà donc qu'ironiquement le fair use, l'usage équitable destiné à favoriser la dissémination de la culture et de l'information en abaissant les barrières à son utilisation, devient la possibilité d'utiliser les traces des comportements d'usage pour vendre des produits. Il s'agit d'une curieuse dérivation du terme fair. On peut être légitimement inquiet pour l'utilisation des données privées.

Reste que nous ne sommes qu'au début de la structuration de l'industrie de l'accès et Il y a encore une bonne dose de burlesque dans cette construction cahotique (ici ou ). Des petits garçons, la bouche encore toute barbouillée de confiture, qui jurent que c'est une erreur qu'ils n'y sont pour rien, après avoir effrontément affirmé le contraire (ici et ). Ils ne sont pas méchants (don't be evil) ! Ils aiment leurs amis !

Le droit est là en général, et tout particulièrement le copyright et la doctrine du fair use, est là pour réguler les sociétés éviter les injustices au nom de l'intérêt général. Il est peut-être temps de réviser cette copie là.

Actu du 10 juin 2010

Pour l'écosystème d'Apple, voir l'intéressant calcul de D. Durand ici

Actu du 24 août 2010

Pour compléter ou même corriger mes propos un peu rapide sur les industries créatives et industries du copyright, lire l'intéressante synthèse des débats dans cette étude pour la commission européenne :

KEA European Affairs, The economy of culture in Europe (DGEC - Commission des Communautés européennes, Octobre 2006), ici

jeudi 29 avril 2010

Économie de la conservation numérique

Le Blue Ribbon Task Force on Sustainable Digital Preservation and Access (que l'on peut traduire par le groupe de travail sur les politiques publiques de conservation et d'accès numérique), lancé il y a deux et demi par la NSF et la fondation Mellon (en collaboration avec la Bibliothèque du Congrès, JISC, le CLIR et les Archives nationales US) vient de publier son rapport final :

Blue Ribbon Task Force Final Report, Sustainable Economics for a Digital Planet: Ensuring Long-Term Access to Digital Information, February 2010. ici Le site propose aussi une bibliographie sur le sujet.

Le rapport n'aborde pas la technologie, mais les politiques et surtout pour le thème de ce blogue l'économie du processus. Il s'agit plus d'une étude théorique, un cadre de réflexion, que d'une analyse de terrain et on peut regretter l'absence de données empiriques qui auraient donné du corps et du poids aux arguments. Néanmoins les réflexions de cette nature sont rares et donc précieuses.

Pour ce billet, j'ai retenu les quatre caractéristiques économiques de la conservation numérique (en italique, ce sont des citations du rapport, Ch2 p.24-30 trad JMS) :

1. La demande pour une conservation numérique est une demande dérivée

Autrement dit, la demande n'est pas directe, on ne conserve pas pour conserver, mais pour donner accès à l'avenir à des informations numériques. Cette caractéristique n'est pas très originale, ni propre au numérique. C'est le cas de nombreux biens et services en économie, en réalité toutes les matières premières ou encore les biens intermédiaires. Mais elle a des conséquences, notamment que le marché n'est pas toujours capable de réguler cette activité :

Parce que la conservation est une demande dérivée, la décision de conserver viendra en définitive de la valeur perçue associée au matériel numérique dans le temps.

2. Les matériaux numériques sont des biens durables dépréciables

Un bien durable dépréciable est quelque chose qui dure longtemps en produisant de la valeur continuellement, mais la qualité et la quantité de cette production peut décliner si des actions ne sont pas engagées pour maintenir la viabilité ou la productivité du bien. (..)

Parce que le matériel numérique est un bien durable dépréciable, on doit faire continuellement des investissements pour leur maintenance si l'on peut soutenir leur possibilité de créer de la valeur dans le temps.

3. Les biens numériques sont des biens non-rivaux et autorisent les passagers clandestins

Cette caractéristique est bien connue des économistes de l'information.

Les biens numériques sont des biens non-rivaux, car il suffit qu'un acteur conserve un bien, il l'est pour toute intention ou objectifs conserver pour tous. Dans ces circonstances, l'incitation pour un seul acteur à assumer les coûts de la conservation est affaiblie, puisque les autres pourront profiter gratuitement des bénéfices.

4. La conservation numérique est un processus dynamique qui dépend du chemin suivi

Cette caractéristique est la plus originale et la plus spécifique au numérique et donc la plus intéressante. Dans l'analogique, le processus de conservation venait en fin du cycle de vie du bien, c'est à dire à la dernière étape du circuit classique de création-production-diffusion. Dans le numérique, chaque étape peut influer sur le processus de conservation et celui-ci implique des décisions à chaque stade.

Le fait que les décisions de conservation dépendent du chemin suivi signifie que les décisions peuvent influer à chaque moment les conditions futures et déterminer l'éventail des choix futurs.

Malgré l'intérêt de cette réflexion, il me semble qu'il lui manque le plus important, c'est à dire une interrogation sur la nature économique de la valeur de la conservation. Les propos sur cette question (p.20) auraient pu être plus approfondis, notamment en faisant référence par exemple à l'économie de l'assurance.

Le chapitre suivant présente la répartition des responsabilités et des rôles en soulevant les enjeux qui se posent à chaque étape.

L'ensemble est illustré sur quatre domaines d'application (ch4) : le discours scientifique, les données de la recherche, le contenu culturel commercial et le contenu produit collectivement sur le Web. L'intérêt du rapport est de fournir un cadre d'analyse et de réflexion.

mardi 06 avril 2010

eCommerce et Webmédia

La Commission des finances du Sénat de la République française a commandé à un cabinet de consultant un rapport : Greenwich Consulting, Evaluer l’impact du développement d’Internet sur les finances de l’Etat, octobre 2009, Rapport, synthèse

C'est une mine pour tout ce qui concerne le ecommerce, un des documents les plus complets que j'ai pu consulter, même si, comme dans toute étude de ce genre, on pourrait contester certains chiffres. Son objectif premier était de réfléchir sur le jeu des entreprises de l'internet avec les différences de fiscalité entre les États membres de l'Union européenne. Sur ce point le constat est édifiant, mais la richesse du rapport est d'abord dans la complétude du panorama.

Pour ce billet, je m'en tiens à trois tableaux :

Le premier présente l'ensemble des activités du ebusiness :

ebusiness-Greenwich-consulting.jpg

Le tableau nous appelle à la modestie. Le domaine qui nous intéresse sur ce blogue, celui des médias et des industries de contenu, ne représente qu'une petite part de cette activité. On la trouvera en totalité ou en partie :

  • pour BtoC dans la case Produits culturel, un peu dans Hi-tech, un tout petit peu dans Équipement de la maison
  • pour Intermédiation dans Petites annonces
  • pour BtoB dans Communication Web

Cette modestie est encore renforcée par la traduction de l'activité BtoC dans un panier de dépenses :

Panier-moyen-Grennwich-consulting.jpg

Les biens culturels se trouvent à la toute dernière place avec 28 Euros. Rappelons qu'en 2006, selon l'INSEE le budget d'une famille française consacré à la culture représentait environ 12% de ses dépenses totales (ici). Je crois que l'on a là une des meilleures illustrations de la difficulté à construire une économie viable du contenu sur le Web, alors même que celui-ci en est un des principaux matériaux.

Ces chiffres évidemment ne tiennent pas compte des rentrées publicitaires, mais nous savons que celles-là, puisqu'elles s'appuient sur une logique d'accès et non de diffusion (), échappent maintenant pour une grande part aux industries de contenu, pour se rattacher à toutes les autres activités listées ci-dessus.

Enfin pour revenir à l'objet principal du rapport, j'ai retenu parmi bien d'autres ce tableau :

Fiscalite-Amazon-Greenwich-consulting.jpg

Il souligne spectaculairement la faiblesse de la structure de l'Union européenne face à des firmes transnationales.

dimanche 07 mars 2010

Débourser pour du contenu ou pour un contenant ?

Ce billet a été rédigé par Gabriel Parent dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Comme on l'a déjà vu en 2007 sur le présent blogue (ici), les jeunes générations boudent les quotidiens, une tendance qui ne semble vouloir pas s'effacer de sitôt. Si la position de la presse écrite n'était pas rose il y a trois ans, elle est devenue encore plus inconfortable avec la récente crise financière. On a en effet pu voir des géants comme News Corporation, qui possède, entre autres, le New York Post et le Times de Londres, déclarer des pertes de 220 000 000 US$ l'année dernière (Andrew Clark 6 août 2009, ).

Il y a cependant des exceptions dans ce noir tableau : au premier trimestre 2009, malgré la crise financière mondiale, on a vu Le Devoir faire un bénéfice net de plus de 130 000 CAN$ (Presse canadienne, 1er mai 2009, ). Comment expliquer que ce journal québécois ait mieux fait que ses concurrents ? Loin de moi la prétention d'apporter une réponse parfaite, car je ne suis pas économiste, mais j'avancerais ici un élément qui, je crois, a largement participé au succès du Devoir : la stratégie numérique de ce journal.

Le 28 janvier dernier, à l'occasion d'une conférence donnée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le directeur du Devoir, M. Bernard Descôteaux, a donné un portrait assez lucide de la situation actuelle de la presse vis-à-vis de l'univers numérique : « Une partie des revenus publicitaires des journaux se déplaça vers le web, mais pas de la manière espérée, vers les sites des journaux, mais plutôt à travers toute la planète Internet. Ceux qui avaient misé sur la publicité pour assurer le financement de leurs sites ont vite déchanté. Ce modèle d'affaires, sauf pour de rares exceptions, ne tient pas la route. Dans la réalité, la très grande majorité des sites Internet de journaux sont financés à travers les activités traditionnelles de ceux-ci. On pourrait même dire que les lecteurs de journaux subventionnent à travers leurs abonnements à la version papier la gratuité offerte à tous. » (Bernard Descôteaux 28 janvier 2010, ici)

Or, devant la dilution des revenus publicitaires, comment rentabiliser le contenu web ? Si l'on en croit l'expérience du Devoir, c'est en faisant payer son accès en ligne. Je ne parle pas ici de restreindre l'accès aux articles, car plus des ²/₃ des articles sont disponibles tout à fait gratuitement. En effet, la culture de la gratuité est peut-être beaucoup trop bien implantée chez les internautes pour que l'on puisse faire payer pour l'entièreté du contenu. En revanche, ce qu'offre l'abonnement au journal, c'est un accès à des outils purement web : de la veille informationnelle (nommée au Devoir «infolettre personnalisée»), la possibilité de déposer ses commentaires sur les articles parus ainsi que la recherche fine dans les archives du journal grâce à un moteur de recherche Cedrom-SNI. Le lecteur du Devoir ne paie essentiellement pas pour une deuxième édition du même journal, il paie pour un contenant possédant des fonctionnalités nouvelles.

Cela ressemble beaucoup aux éléments proposés en 2009 par l'American Press Institute (API) aux journaux américains pour se sortir de la crise (vu sur le blogue AFP-MediaWatch ici ). Entre autres suggestions, l'API affirmait que la presse devait « donner une valeur au contenu en ligne, ne pas hésiter à lancer différentes expériences ». De plus, les journaux avaient tout avantage à « investir dans la technologie, les plateformes et systèmes pour générer des revenus et livrer des contenus payants ». Concrètement, les propositions de l'API se résument en ceci : le web est un média différent de la presse écrite et il faut le traiter comme tel sur le plan stratégique. En effet, les modèles d'affaires qui fonctionnent bien pour l'objet journalistique ne sont pas les meilleurs dans un environnement virtuel.

C'est ainsi que la New York Times Company a annoncé récemment () la création d'une toute nouvelle infrastructure mi-gratuite, mi-payante pour le site Internet de son journal phare. On sait peu de choses sur ce nouveau modèle, si ce n'est qu'on pourra consulter un certain nombre d'articles gratuitement et qu'on devra débourser un montant forfaitaire si l'on dépasse ce quota. À ce stade, on ne peut savoir si le New York Times proposera, comme le fait Le Devoir, des fonctionnalités uniquement disponibles aux abonnés, mais la stratégie de ces deux journaux présente tout de même d'importantes similitudes. Ainsi, pour assurer la survie d'une présence virtuelle de la presse traditionnelle, il faut peut-être simplement que les journaux développent de nouveaux contenants payant, plutôt que d'abandonner les contenus gratuits (ou du moins à prix modique) auxquels sont habitués les consommateurs d'information numérique.

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