Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - loi modèle d'affaires

mercredi 07 avril 2010

Problématiques et stratégies sur le document numérique

À l'occasion de la préparation de la 13ème et dernière séance à venir du cours 2010 sur l'économie du document (ici), j'ai actualisé et ajouté une colonne à un ancien tableau que tous ceux qui ont participé à l'aventure de Roger Pédauque connaissent.

Pour les non initiés à la réflexion pédauquienne, tout est expliqué dans ce livre. On peut en consulter en ligne l'intro et les trois textes collectifs (1, 2, 3). Malheureusement tout le travail du RTP-DOC n'est plus accessible.

Problematique-doc-num.png

Je rappelle que les lignes représentent les trois dimensions constitutives d'un document selon les réflexions pédauquiennes.

  • La colonne Chercheurs liste quelques disciplines, sans souci d'exhaustivité ni d'exclusivité, qui, lorsqu'elles abordent la notion de document, privilégient plutôt l'une de ces trois dimensions.
  • La colonne Objet/résultats indique l'objet particulier sur lequel portent les principaux efforts de recherche
  • La colonne Étape/interrogation souligne l'avancement des travaux, mais aussi en italiques le principal dilemme.
  • Enfin la dernière et nouvelle colonne montre que des stratégies industrielles peuvent aussi se lire à partir de cette grille.

Il est utile de décrypter ainsi à partir des sciences de l'information les stratégies des principales firmes. On se rend clairement compte qu'elles ont choisi des «avantages concurrentiels» différents.

On peut aussi y lire une gradation de haut en bas : Apple et Amazon ont les stratégies les plus traditionnelles, celles qui se rapprochent le plus des industries anciennes où le document n'était pas isolable de son support. Google a utilisé le Web comme un seul texte, sans gros souci de son ordre documentaire, il a ainsi rebrassé les cartes en trouvant avec la vente de mots clés aux annonceurs une source de revenu cohérente et indépendante des supports. Facebook va encore plus loin en inversant la problématique : ce n'est plus l'ordre documentaire ancien, ni même le contenu qui prime, mais bien les lecteurs qui forment l'ordre et sont documentés en conséquence et pour lesquels les documents traditionnels ne sont que des objets de trocs parmi d'autres. Reste que Facebook n'a pas encore trouvé un modèle d'affaires vraiment en phase avec son fonctionnement.

Mais il faut, à mon avis, se garder de conclure à un sens de l'histoire où le dernier arrivé serait le plus à même de l'emporter. La notion de document est trop importante pour une société pour qu'elle ne soit pas réordonnée. Si l'on suit Roger : celui qui devrait l'emporter est celui qui arrivera le mieux à mettre en cohérence les trois dimensions.

dimanche 07 mars 2010

Débourser pour du contenu ou pour un contenant ?

Ce billet a été rédigé par Gabriel Parent dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Comme on l'a déjà vu en 2007 sur le présent blogue (ici), les jeunes générations boudent les quotidiens, une tendance qui ne semble vouloir pas s'effacer de sitôt. Si la position de la presse écrite n'était pas rose il y a trois ans, elle est devenue encore plus inconfortable avec la récente crise financière. On a en effet pu voir des géants comme News Corporation, qui possède, entre autres, le New York Post et le Times de Londres, déclarer des pertes de 220 000 000 US$ l'année dernière (Andrew Clark 6 août 2009, ).

Il y a cependant des exceptions dans ce noir tableau : au premier trimestre 2009, malgré la crise financière mondiale, on a vu Le Devoir faire un bénéfice net de plus de 130 000 CAN$ (Presse canadienne, 1er mai 2009, ). Comment expliquer que ce journal québécois ait mieux fait que ses concurrents ? Loin de moi la prétention d'apporter une réponse parfaite, car je ne suis pas économiste, mais j'avancerais ici un élément qui, je crois, a largement participé au succès du Devoir : la stratégie numérique de ce journal.

Le 28 janvier dernier, à l'occasion d'une conférence donnée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le directeur du Devoir, M. Bernard Descôteaux, a donné un portrait assez lucide de la situation actuelle de la presse vis-à-vis de l'univers numérique : « Une partie des revenus publicitaires des journaux se déplaça vers le web, mais pas de la manière espérée, vers les sites des journaux, mais plutôt à travers toute la planète Internet. Ceux qui avaient misé sur la publicité pour assurer le financement de leurs sites ont vite déchanté. Ce modèle d'affaires, sauf pour de rares exceptions, ne tient pas la route. Dans la réalité, la très grande majorité des sites Internet de journaux sont financés à travers les activités traditionnelles de ceux-ci. On pourrait même dire que les lecteurs de journaux subventionnent à travers leurs abonnements à la version papier la gratuité offerte à tous. » (Bernard Descôteaux 28 janvier 2010, ici)

Or, devant la dilution des revenus publicitaires, comment rentabiliser le contenu web ? Si l'on en croit l'expérience du Devoir, c'est en faisant payer son accès en ligne. Je ne parle pas ici de restreindre l'accès aux articles, car plus des ²/₃ des articles sont disponibles tout à fait gratuitement. En effet, la culture de la gratuité est peut-être beaucoup trop bien implantée chez les internautes pour que l'on puisse faire payer pour l'entièreté du contenu. En revanche, ce qu'offre l'abonnement au journal, c'est un accès à des outils purement web : de la veille informationnelle (nommée au Devoir «infolettre personnalisée»), la possibilité de déposer ses commentaires sur les articles parus ainsi que la recherche fine dans les archives du journal grâce à un moteur de recherche Cedrom-SNI. Le lecteur du Devoir ne paie essentiellement pas pour une deuxième édition du même journal, il paie pour un contenant possédant des fonctionnalités nouvelles.

Cela ressemble beaucoup aux éléments proposés en 2009 par l'American Press Institute (API) aux journaux américains pour se sortir de la crise (vu sur le blogue AFP-MediaWatch ici ). Entre autres suggestions, l'API affirmait que la presse devait « donner une valeur au contenu en ligne, ne pas hésiter à lancer différentes expériences ». De plus, les journaux avaient tout avantage à « investir dans la technologie, les plateformes et systèmes pour générer des revenus et livrer des contenus payants ». Concrètement, les propositions de l'API se résument en ceci : le web est un média différent de la presse écrite et il faut le traiter comme tel sur le plan stratégique. En effet, les modèles d'affaires qui fonctionnent bien pour l'objet journalistique ne sont pas les meilleurs dans un environnement virtuel.

C'est ainsi que la New York Times Company a annoncé récemment () la création d'une toute nouvelle infrastructure mi-gratuite, mi-payante pour le site Internet de son journal phare. On sait peu de choses sur ce nouveau modèle, si ce n'est qu'on pourra consulter un certain nombre d'articles gratuitement et qu'on devra débourser un montant forfaitaire si l'on dépasse ce quota. À ce stade, on ne peut savoir si le New York Times proposera, comme le fait Le Devoir, des fonctionnalités uniquement disponibles aux abonnés, mais la stratégie de ces deux journaux présente tout de même d'importantes similitudes. Ainsi, pour assurer la survie d'une présence virtuelle de la presse traditionnelle, il faut peut-être simplement que les journaux développent de nouveaux contenants payant, plutôt que d'abandonner les contenus gratuits (ou du moins à prix modique) auxquels sont habitués les consommateurs d'information numérique.

mercredi 17 février 2010

Enterre-t-on le CD vivant ?

Ce billet a été rédigé par Christian Labbé et Louis-Nicolas Dolbec dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

L'économie de l'industrie musicale a changé radicalement au cours des dernières années. À la fin des années 90, qui disait musique en ligne disait téléchargement illégal, c'est pourquoi l'industrie anticipait une crise majeure. Avec l'arrivée de services d'achat de musique en ligne légaux (dominés par le iTunes Store) l'économie de l'industrie musicale ne s'est pas écroulée, mais elle s'est profondément modifiée. Les ventes de musique en ligne sont en hausse de 12% en 2009 et leur part s'élève maintenant à 27% du chiffre d'affaires mondial et même à 40% aux États-Unis (ici).

La popularité de la musique dématérialisée est si grande que Linn Products, une marque importante dans le monde de l'audio haute-fidélité a récemment décidé de cesser de produire des lecteurs CD afin de se concentrer sur la vente de systèmes de lecture en continu (streaming) sans fil (ici). Le fondateur de Linn Products, Ivor Tiefenbrun, soutient que les gens sont maintenant habitués à télécharger et écouter de la musique sur leur iPod et qu'ils n'achètent plus de lecteurs CD.

Il est vrai que les ventes de CD sont en chute libre, mais peut-on affirmer pour autant que ce support est désuet et qu'il se dirige vers une mort certaine ? La réalité, c'est que le marché de la musique est de plus en plus fragmenté. Le CD n'est maintenant qu'une des multiples façons d'écouter de la musique. Oui, l'industrie du disque est en difficulté, mais la musique elle-même et les artistes se portent plutôt bien avec l'arrivée du web. La démocratisation de l'enregistrement et la popularité des home-studios y sont nécessairement pour quelque chose, car il est plus facile que jamais de produire des enregistrements de qualité à moindre coût. De plus en plus de musiciens décident même d'offrir des albums complets gratuitement en ligne. Les coûts de production d'un album en version numérique étant moindres, la musique gratuite devient un outil de promotion. Au Québec, le groupe Numéro# a profité de cette option et tout récemment, l'artiste de musique électronique Akido annonçait sur Twitter et sur son site internet un mini-album gratuit à télécharger contenant des morceaux rares ().

Et la révolution n'est pas terminée ! Comme l'annonce Alain McKenna dans son blogue, les courants technologiques attendus en 2010 pourraient bouleverser encore davantage l'industrie. Il parle bien sûr de la nouvelle tendance de l'heure : le cloud computing. Le géant Apple ayant récemment acheté un plus petit acteur de l'industrie (Lala.com), il est probable que le iTunes Store offre dans un avenir rapproché la possibilité d'écouter des pièces entières en streaming (ici).

Il reste à voir sur quel modèle économique cette nouvelle façon de consommer la musique sera fondée. D'autres sites du genre (comme Musicme.com, Deezer.com et Spotify.com) existent déjà à l’étranger et génèrent des revenus à partir d'abonnements mensuels ou à partir de la publicité. Mais est-ce que le consommateur moyen a vraiment envie d'ajouter une nouvelle facture mensuelle à son budget ?

Nous savons depuis déjà quelques années que la vente de musique en ligne dépassera éventuellement la vente de disques. Selon la firme Forrester Research, cela se produira en 2012 (ici), soit un an plus tôt qu’indiqué par les prévisions de la même firme l’an dernier (). Et ces chiffres ne tiennent pas compte du téléchargement illégal et du streaming, deux autres façons de consommer de la musique en ligne.

Malgré cela, il y a des consommateurs de musique qui préfèrent posséder un objet plutôt que des fichiers numériques et leurs habitudes ne changeront pas du jour au lendemain. Le CD demeure le support physique de prédilection pour la musique. Enfin, l’est-il vraiment ? La Presse révélait récemment des statistiques étonnantes : Les ventes de vinyles ont bondi de 90%, de 2007 à 2008, et de 33%, de 2008 à 2009 (aux États-Unis), tandis que celles des albums ont chuté de 14% et 13% (). Ce sont les meilleures ventes pour les disques vinyles depuis 1991.

Le disque vinyle est considéré comme le support physique préféré des collectionneurs et des mélomanes, mais les propriétaires de tables tournantes sont-ils assez nombreux pour permettre au disque vinyle de redevenir le support physique le plus vendu pour la musique ? Le CD a l’avantage d’être compatible avec les nouvelles technologies. Qui ne possède pas au moins un appareil qui lit les CD, si ce n’est pas plusieurs ? Pour les artistes indépendants ou les artistes en tournée qui vendent eux-mêmes leurs albums, le CD demeure le format le plus pratique puisqu'il peut être écouté par tout le monde.

Toutefois, le CD n’est pas parfait. On lui reproche souvent d’être trop fragile. En ce sens, il n’a pas vraiment évolué depuis son arrivée sur le marché. À titre de comparaison, on fabrique désormais des disques vinyles de 180 grammes qui sont plus résistants que les modèles antérieurs, ce qui allonge leur durée de vie. Sans compter que les nouveaux disques vinyles sont souvent vendus avec des codes de téléchargement. Le meilleur des deux mondes ?

Néanmoins, le CD a dominé le marché pendant au moins deux décennies. Il s’est vendu une quantité énorme de CD depuis son arrivée sur le marché. Il disparaîtra peut-être éventuellement des grandes chaînes de magasins de disques, mais il sera encore longtemps présent dans les magasins de disques usagés.

Va-t-il falloir attendre l’arrivée d’un nouveau support physique pour finalement passer le KO au CD ? En septembre 2008, avec l’appui de Sony BMG, EMI Music, Warner Music Group et Universal Music Group, la compagnie SanDisk annonçait le lancement d’un nouveau support physique pour la musique (ici). Il s’agit essentiellement d’une carte mémoire de format microSD, compatible avec différents appareils mobiles et que l’on peut brancher à l’ordinateur avec un adaptateur USB (). Ce nouveau support réussira-t-il à s’imposer dans un marché déjà très fragmenté ?

Bref, le CD n’est qu’une des nombreuses façons de consommer de la musique aujourd’hui. Reste-t-il une place pour lui dans un marché qui depuis quelques années est en constante évolution, si petite soit cette place ? Le CD peut-il continuer d'exister, mais de façon plus modeste ? A-t-on publié son avis de décès trop tôt ou a-t-il déjà un pied dans la tombe ?

jeudi 04 février 2010

Les surprises des pratiques des 8-18 ans

La Kaiser Family Foundation vient de publier son étude sur les pratiques des médias des 8-18 ans aux États-Unis.

Generation M2: Media in the Lives of 8- to 18-Year-Olds, 20 janvier 2010 ici

L'étude est fort instructive d'abord parce qu'elle est réalisée tous les cinq ans sur les mêmes bases et permet ainsi de mesurer l'évolution des pratiques de cette tranche d'âge entre les micro-générations ces dernières années. Et, on le sait, celles-là sont les plus exposées à l'explosion du numérique. Ensuite parce que, mise en perspective avec d'autres en particulier françaises, elle permet de mieux comprendre les évolutions vers la culture de l'écran déjà repérées, mais mal expliquées ().

Tout est à lire (en particulier pour ceux qui s'intéressent aux pratiques de la musique et des jeux). Je ne signale ici que quelques résultats significatifs sur la pratique télévisuelle et sur la lecture pour la thématique de ce blogue et du cours associé.

Les leçons peuvent être résumées par ces diapositives.

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Ainsi le temps d'exposition aux médias est globalement très important. Il augmente régulièrement, mais cela est tempéré par les consommations simultanées de médias. La télévision reste, de loin, le média dominant dans les pratiques des jeunes américains. Si cette pratique a augmenté depuis dix ans, elle a aussi évolué. Comme le montre la diapo ci-dessous.

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Ainsi, si l'on s'en tenait à la diffusion télévisuelle classique, la pratique télévisuelle des jeunes aurait diminué de 25% entre 2004 et 2009. Mais si on ajoute le visionnage différé et celui sur téléphone, iPod ou Dvd, alors on a une augmentation de 38%. Cette évolution est très importante. Il n'y a en effet aucune raison que la tendance se modifie avec le vieillissement de cette génération. Si cela est une bonne nouvelle pour l'industrie de la TV globalement, cela suppose une transformation radicale des modèles d'affaires.

La lecture sur papier a diminué légèrement de 5% en temps quotidien entre 2005 et 2009. Mais là encore, cette stabilité relative cache de très importantes différences selon les supports. Clairement les jeunes s'éloignent des journaux et des magazines, qu'ils vont peut-être chercher sur l'internet, mais j'ai quelques doutes, alors que le livre se maintient et même progresse légèrement. Là encore, l'évolution est très brutale et a de quoi faire réfléchir et frémir les propriétaires de journaux.

Kaiser-Family-Foundation-2010-4.jpg

Actu du 14 février 2010

Voir l'étude de Pew Internet :

Social Media and Young Adults, by Amanda Lenhart, Kristen Purcell, Aaron Smith, Kathryn Zickuhr, Feb 3, 2010 ici

Actu du 25 mars 2010

“«Le livre est en train de prendre sa revanche» - Entretien avec Arnaud Nourry,” Les Échos, Mars 22, 2010, ici.

Extrait :

La concurrence des écrans ne détourne-t-elle pas les jeunes du livre ?

Non. On observe même le phénomène inverse. Les enfants de 0 à 10 ans représentent un marché formidable pour les éditeurs. Ce sont les parents qui achètent et pour eux rien ne remplace une belle histoire que l'on lit à son enfant. En revanche, en dehors des livres scolaires et universitaires, l'édition a de tout temps eu du mal à garder les lecteurs entre 12 et 25 ans. C'est l'âge où les enfants s'autonomisent et plébiscitent davantage les loisirs numériques. Mais là encore, les succès d'« Harry Potter » et de la saga « Twilight », de Stephenie Meyer, qui s'est vendue à plus de 80 millions d'exemplaires, apportent un démenti à ceux qui prétendent que les jeunes se détournent de la lecture pour aller sur le Net. L'édition est un marché de l'offre. Il y a quelques années est apparu l'engouement pour les mangas, prolongeant celui de la bande dessinée. Lorsque l'on propose le bon produit, on arrive à toucher cette catégorie d'âge.

Actu du 3 mai 2010

Voir aussi cette importante étude sur le comportement face aux médias des jeunes Français qui montre d'intéressantes différences entre petits, moyens et grands :

Elodie Kredens et Barbara Fontar, Comprendre le comportement des enfants et adolescents sur Internet pour les protéger des dangers, Fréquence-école, 2010. Pdf , synthèse

mardi 08 septembre 2009

Accès libre : la fausse évidence du macro

Concernant l'accès libre à la science, (archives ouvertes, dépôts institutionnels, revues en accès libre) il y a une différence radicale selon que l'on raisonne globalement, à grande échelle, ou plus finement en prenant en compte les intérêts des différentes parties. Et cette différence conduit à des difficultés souvent mal comprises qui suscitent l'impatience des promoteurs de l'accès libre devant la lenteur de sa mise en place concrète de ce qui leur apparait comme une évidence. Deux rapports récents, aux conclusions radicalement différentes sinon opposées, illustrent une nouvelle fois le paradoxe.

Macro

Le premier a été commandé par le JISC. Il s'agit d'une modélisation macro des coûts et bénéfices d'un passage général au libre accès dans trois pays : le Royaume-Uni, le Danemark et les Pays-Bas.

John Houghton, Open Access – What are the economic benefits? A comparison of the United Kingdom, Netherlands and Denmark, 23 juin 2009 (Pdf). Présentation et analyse de JP Devroey sur Blogus operandi ici

Le rapport conclut à un intérêt économique global très important pour le modèle d'accès libre. Extrait des conclusions (trad JMS) :

  • L'accès libre ou le paiement de la publication par les auteurs (i.e. Gold OA) pourrait amener une économie d'environ 70 millions d'euros par an sur une base nationale pour le Danemark, 133 pour les Pays-Bas et 480 pour le Royaume Uni (au niveau des prix et de l'activité de 2007).
  • L'accès libre par auto-archivage sans annulation des abonnements (i.e. Green OA) pourrait économiser environ 30 millions au Danemark, 50 aux Pays-Bas et 125 au Royaume Uni.
  • L'accès libre par auto-archivage avec un service d'accès est plus spéculatif, mais un modèle de dépôts et de services pourrait produire des économies comparables à la publication en accès libre.

On peut discuter ces calculs, car ils supposent des approximations parfois larges. Néanmoins, il est vraisemblable que si d'un coup de baguette magique on pouvait changer l'ensemble du système, les économies globales pour la société seraient substantielles. Et ce genre d'études est toujours intéressant pour motiver des décideurs, au moins ceux qui ont le pouvoir de modifier les politiques, les bailleurs de fonds de la recherche qui souhaitent évidemment rentabiliser leurs investissements de façon optimale.

Mais son défaut est de faire fi de l'analyse des acteurs. Or, à moins de vouloir une science entièrement administrée, ce sont les chercheurs et leurs structures, complexes, entrelacées, souvent autogérées ou féodales qui auront le dernier mot. Et là, cela se complique..

Micro

Le second rapport est une étude plus modeste qui tente de repérer les coûts et bénéfices de huit revues américaines de sociétés savantes en SHS sur une période de trois ans (2005-07) :

Mary Wattman, The Future of Scholarly Journals Publishing Among Social Science and Humanities Associations, février 2009 Pdf

Sans doute l'étude ne prétend pas à une représentativité sur un si petit échantillon. Néanmoins, elle fournit d'intéressantes indications. Extraits du résumé (trad JMS) :

Le coût par page va de 184$ à 825$ (moy 526$). Lorsque les coûts variables d'impression sont retirés, ces coûts tombent entre 90 et 652$ (moy 350$).

Les coûts totaux ont augmenté d'environ 6% (370.000$) sur les 3 années de l'enquête. Les coûts de fabrication et de production des revues papier ont baissé légèrement malgré une petite augmentation du nombre de pages (+5,4%) et un accroissement de 1% de la distribution papier.

Les revenus ont augmenté de 800.000$. L'essentiel de cette augmentation provient des institutions.

Les revenus des abonnements institutionnels, incluant les licences de sites et de consortiums, procurent 58% des revenus totaux et 72% des revenus d'abonnements en 2007.

Les revenus provenant des abonnés institutionnels ont augmenté d'environ 12% pendant la période étudiée, la majorité de l'augmentation provenant des abonnements couplés, papier et numérique. La chute des abonnements papier uniquement est notable.

Globalement, (..) le solde positif a augmenté constamment durant la période étudiée, car les coûts étaient constamment tenus tandis que les revenus augmentaient.

Toute tentative de modèle alternatif d'affaires pour les revues en SHS, qui autoriserait un plus large accès au contenu scientifique, doit être, ou devenir, financièrement solide pour soutenir le développement de l'association et de la revue.

Le passage à un modèle de financement radicalement nouveau sous la forme d'un accès libre (auteur/producteur payant) dans lequel les coûts de publication des recherches seraient payés par les auteurs ou les agences de financement, et où les lecteurs auraient un accès en ligne gratuit, n'est aujourd'hui une solution raisonnable pour aucune des revues de ce groupe, compte tenu des coûts prévus. La provenance des ressources externes nécessaires pour un tel modèle n'est pas non plus claire et celles-ci pourraient bien être beaucoup moins accessibles que dans les disciplines STM.

Ces conclusions recoupent des remarques de couloir de collègues responsables de revues, étonnés et heureux des revenus inespérés provenant des portails de revues SHS en Amérique du nord. L'économie des revues SHS se modifie rapidement. Il n'est pas sûr que, contrairement à leurs espoirs, celle-ci aille dans le sens des promoteurs de l'open access.

La situation des revues en STM et la concentration des éditeurs dans ces disciplines sont très différentes, induisant des profits qu'il est juste de dénoncer avec force. Mais je suis persuadé que si l'on entrait plus finement dans l'analyse du jeu des pouvoirs internes à ces disciplines, on comprendrait mieux les résistances et les complicités entre éditeurs commerciaux et éditeurs scientifiques.

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