Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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jeudi 20 décembre 2012

Big Data, mythes et enjeux (V. Peugeot et Télécom Paris Tech)

2012 a été l'année du Big Data et on peut parier sans risque que 2013 ne verra pas s'éteindre le buzz ou peut-être la bulle. En attendant, j'ai retenu deux références significatives ces derniers jours.

La première est une journée complète sur le big data, organisée par Télécom Paris Tech le 6 décembre dernier qui a mis en ligne à cette occasion une série de courtes vidéos des intervenants pointant des questions vives. On y constate que la grande école se positionne clairement sur le thème avec des formations et des chaires de recherche dédiées. Un débat ressort, qui n'a certainement pas fini de rebondir, celui de la place de l'individu face aux possibilités de traçage et les calculs sur les données personnelles.

La seconde référence est une intervention dans une table ronde récente de Docforum à Lyon de Valérie Peugeot, chercheur chez Orange mais aussi très impliquée depuis longtemps dans le mouvement sur les Communs. Ses diapos sont accessibles ici. J'ai retenu celle-ci :

VPeugeot-Docforum-2012.png

V. Peugeot y montre que la thématique suscite des espoirs et peurs dans des champs très différents. Il faut comprendre ici le terme "mythe" dans son plein sens : un récit qui nous permet de penser l'inexplicable, une possible illusion ou un horizon souhaitable. Les huit mythes cités renvoient à des imaginaires différents. L'image de la Pythie est là pour nous rappeler que l'enjeu derrière les mythes est deviner l'avenir.

Les deux questions, auxquelles elle fait allusion, sont :

  1. Comment protéger les données produites par les utilisateurs ?
  2. Comment valoriser les données ?

21-12-1012

Une bonne illustration de ces mythes vue à partir d'une perspective UX Architecture de l'information :

Connecting (Full Film) from Bassett & Partners on Vimeo.

vendredi 14 décembre 2012

Economie du web (COOPT-Enssib-5)

Les cinquième et sixième séances de mon cours sur l'écosystème du document pour l'Enssib sont consacrées aux rapports de cet écosystème avec l'économie du web. En réalité le sujet dépasse largement ce que je peux présenter en si peu de temps, mon objectif est simplement d'attirer l'attention sur quelques mécanismes essentiels pour la compréhension des mouvements en cours dans la continuité des séances précédentes (1. Les sept piliers, 2. Modèles économiques, 3. Economie de la bibliothèque, 4. Etude de cas).

Pour ces dernières séances de ce cours ouvert, l’interaction en ligne passera par deux mécanismes : les commentaires sous ce billet sur les notions discutables ou à éclairer qui y sont présentées et, par la suite, des billets rédigés collaborativement par les étudiantes inscrites au cours.

Nous avons vu que le modèle du web se glissait entre celui de la bibliothèque et celui du flot. Du premier, il reprend la tradition de coopération et de mutualisation. Plusieurs penseurs ont proposé une interprétation de cette caractéristique du web, la présentant souvent comme inédite. J'en rappellerai brièvement quelques traits importants sous la dénomination économie de la contribution. Mais le web documentaire tire aussi la majorité de ses revenus de l'économie de l'attention en s'appuyant sur sa capacité à capter et fidéliser les internautes par un réseau électronique, tout comme l'ont fait avant lui la radio et la télévision (le flot).

En réalité, économie de la contribution et économie de l'attention s'articulent et conduisent à des stratégies industrielles fortes qui progressivement configurent le modèle du web en tentant d'en accaparer la valeur au profit de quelques firmes, non sans contradictions avec la nécessité d'ouverture du modèle.

Economie de la contribution...

Le terme économie de la contribution est dû à Bernard Stiegler (ici ou ). Il a, pour lui et ses collègues d'Ars industrialis, une acception très politique, marquée par une tradition française de philosophes engagés. Proche de ce courant, on peut aussi citer la notion de multitudes, proposée par Antonio Negri et reprise en France par Yann Moulier-Boutang (wkp) selon laquelle nous serions passés d'une organisation industrielle où les masses et les classes sociales fondaient la structure sociale à une organisation post-industrielle où la multiplication des consciences et actions individuelles serait le moteur du changement.

Je reprends ici le terme "économie de la contribution" d'une façon plus générique pour caractériser la pensée d'un mouvement plus large et ancien autour de l'économie des réseaux et de l'open source dont Yochaï Benkler est le représentant le plus célèbre suite à la publication de son livre :

Benkler, Yochai. La Richesse des réseaux. Marchés et libertés à l’heure du partage social. Presses Universitaires de Lyon, 2009 (première édition américaine 2006). (Introduction sur InternetActu)

Y. Benkler a résumé son analyse dans une intervention à TED en 2005 qu'il est indispensable de visionner (le texte de l'intervention est accessible en français sur le site).

Le tableau ci-dessous présente la clé de sa thèse :

Yochai-Benkler-TED.jpg

La colonne de gauche renvoie au raisonnement classique en économie depuis Ronald Coase (wkp) sur la nature de la firme. C'est lorsque les coûts de transaction augmentent qu'il devient avantageux de s'organiser pour produire en interne plutôt que d'acheter sur un marché les produits ou services, et donc le marché et la firme (ou l'entreprise) ne sont que deux manières complémentaires d'organiser les échanges économiques. L'originalité de Benkler (très largement en décalage par rapport à la pensée de Coase) est de tenter un raisonnement parallèle sur des transactions non-marchandes et l'économie sociale en montrant qu'avec le web il serait possible de coordonner des micro-actions non-marchandes à grande échelle.

ou économie de l'attention

Néanmoins cette vision généreuse de l'économie s'accompagne aussi dans notre domaine d'un déplacement des marchés, selon le principe vu dans les premières séances : plus l'offre documentaire s’agrandit, plus l'attention est sollicitée et devient un bien rare que l'on pourra revendre. Autrement dit, elle sous-estime l'importance du caractère multidimensionnel du document (vu, lu, su).

Un diaporama récent du cabinet de consultant Business Insider témoigne de l'importance du déplacement des marchés.

Future-of-Digital-Business-Insider-dec-2012.png

Pour vous faire mesurer ce phénomène à la fois sur le fond et par la pratique, voici un petit exercice.

Trouvez les diapositives qui vous permettront de répondre aux questions ci-dessous :

  1. Quelle proportion de la population de la planète est-elle connectée ? En quoi est-ce plus important qu'il n'y paraît ?
  2. Depuis quand les ventes de smartphones ont-elles dépassé celles des ordinateurs ?
  3. Quelle est la différence entre le marché américain et le marché chinois des smartphones ?
  4. Quels sont les principaux marchés médias pour la publicité ?
  5. Quelle a été l'évolution du marché publicitaire des journaux américains depuis les années 50 ?
  6. Pourquoi Facebook n'arrivera probablement pas à concurrencer Google sur la publicité en ligne ?
  7. Pourquoi le marché publicitaire sur le téléphone mobile est-il incertain ?
  8. Les usagers d'Androïd utilisent-ils les applications ?

Ces analyses sur les développements des marchés ne sont pas vraiment contradictoires avec l'économie de la contribution présentée plus haut, même si souvent ceux qui les portent paraissent s'opposer. En étant cynique on pourrait même dire que l'économie de la contribution joue le rôle que jouait l'économie de l'information auparavant : alimenter l'économie de l'attention, capter l'attention pour la vendre à des annonceurs intéressés. Mais à la différence de l'économie de l'attention précédente, dans l'économie de la contribution le lecteur est plus actif, tout comme le lecteur dans une bibliothèque est plus actif que le téléspectateur devant son poste de télévision. Ainsi, la captation de l'attention est plus efficace lorsque l'internaute est en train de chercher quelque chose puisque l'on pourra faire coïncider les annonces avec sa recherche (mots-clés de Google) que lorsqu'il échange avec ses amis, car les annonces viendront perturber la relation (difficultés de Facebook).

Stratégies industrielles

J'ai eu très souvent l'occasion de montrer que les principales firmes du web documentaire construisaient leur stratégie en privilégiant chaque fois une facette du document : la forme pour Apple, le texte pour Google et la relation pour Facebook.

On en trouvera un résumé sur cette vidéo, un développement dans la deuxième partie du chapitre 5 du livre Vu, lu, su. et une actualisation sur les billets de ce blog : Apple, Google, Facebook (lire au moins les deux derniers billets concernant chaque firme).

Questions d'actualité

Les prochains et derniers billets de ce cours seront rédigés par les étudiantes de l'Enssib autour de trois thèmes chauds de l'actualité de l'écosystème du document numériques :

  • La ville de Lyon a-t-elle eu raison de contractualiser avec Google ?
  • Google confisque-t-il la valeur créée par les journaux ?
  • Peut-on prêter des ebooks en bibliothèque ?

Vous pouvez les aider en suggérant références et réflexions en commentaire de ce billet.

lundi 10 décembre 2012

Economie de la bibliothèque (COOPT-Enssib-3)

Après avoir repéré et assimilé les particularités économiques du document et avoir compris la logique de la mise en place de modèles économiques pérennes pour le document publié, la troisième séance du cours sur l'écologie du document sera consacrée à l'économie de la bibliothèque, logique puisque je m'adresse prioritairement à des étudiantes de l'Enssib. Elle s'articulera en deux moments : une présentation générale et une étude de cas.

Ci-dessous, on trouvera les éléments de la présentation générale qui propose deux points de vue opposés. Le premier prétend qu'il est quasi-impossible de mesurer la valeur économique d'une bibliothèque, tandis que le second présente, au contraire, quelques études qui cherchent à calculer leur "retour sur investissement".

L'étude de cas sera pour un autre billet.

L'incommensurable économie des bibliothèques

L'économie de la bibliothèque a été pendant longtemps la grande oubliée des économistes de la culture. J'ai essayé de faire le point dans le texte ci-dessous (certaines parties de ce texte ont été reprises dans le premier chapitre du livre Vu, lu, su). Comme pour les sept piliers de l'économie du document de la première séance, je vous suggère de l'annoter afin que nous avancions collectivement sur cette question.

La mesure du retour sur investissement

Récemment des études, issues du monde anglophone, ont cherché à calculer le retour sur investissement des bibliothèques. Ces études, souvent méconnues dans la francophonie, posent de bonnes questions, même si les réponses proposées ont des limites. Elles méritent d'être prises en compte et aussi d'être discutées. Là encore, les commentaires sont donc ouverts.

Pour aller plus loin, on peut suivre les références proposées en bibliographie dans les deux articles. Pour une relation avec des exemples pris dans l'actualité, cliquer sur les mots clés en haut de ce billet.

Etude de cas (COOPT-Enssib-4)

Après avoir compris la logique de l'économie de la bibliothèque, il reste à pouvoir s'en servir pour positionner un service documentaire dans les changements en cours induits par le numérique. Pour cela, je propose d'utiliser l'analyse stratégique. La méthode présentée ici a un peu vieillie, elle mériterait une actualisation, notamment en utilisant les avancées des mesures de retour sur investissement vues dans la séance précédente. Néanmoins, elle permet d'éclairer les situations.

On trouvera ci-dessous la présentation de la méthode sous forme d'un diaporama sonorisé, suivie de son application à un cas accompagné des outils pour une analyse collaborative.

Méthode

La version sonorisée du diaporama est accessible ici

Analyse du cas

On trouvera ci-dessous la présentation du cas à analyser suivi de trois pads permettant de réaliser collaborativement et respectivement des analyses interne, externe et celle du public. Le plus simple est de noter sur les pads les éléments au fur et à mesure de la lecture du cas dans les rubriques des analyses concernées.

Les analyses seront finalisées sous forme de TD le 19 décembre à l'Enssib en présentiel. Mais il est possible, et conseillé, de devancer l'appel en s'entraînant dès à présent à remplir les documents. Cette possibilité n'est pas réservée aux étudiantes de l'Enssib, elle est ouverte à tous. C'est le meilleur moyen de vérifier que l'on a compris les étapes de l'analyse stratégique.

Vous pouvez aussi ouvrir directement les pads dans votre navigateur : analyse interne, analyse externe, analyse du public.

La correction du cas sera mise en ligne le 19 décembre sur ce billet.

vendredi 07 décembre 2012

Métadonnées et raison numérique

Les métadonnées sont attachées à un document pour le représenter dans un langage calculable. Juste une petite réflexion pour ne pas l'oublier, suite à une discussion avec Benoit Habert et les étudiants du master Archinfo sur la notion de métadonnées. Benoit attire mon attention sur cette citation :

Calculer suppose … essentiellement les trois conditions suivantes : 1) Opérer sur des objets symboliques, en conformité à des règles préétablies. 2) Diriger une procédure vers un résultat, prédéterminé dans sa forme mais non dans son contenu. 3) Posséder des critères de succès ou d'échec de la procédure. Gilles Gaston Granger Sciences et réalités Odile Jacob 2001 Paris, p.75

Voilà qui nous renvoie aussi bien à T Berners-Lee et P. Otlet (ici) qu'à la "raison computationnelle" de B. Bachimont, que je préfère appeler raison numérique pour effacer un anglicisme superflu. ()

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