Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - loi modèle d'affaires

jeudi 19 avril 2007

Beaumarchais has been ?

Une des difficultés actuelles sur le modèle d'affaires du Web-média est la rémunération des contenus, et, en amont, celle des auteurs et des artistes. La référence à Beaumarchais fait sens si on se rappelle qu'il fut en France à la pointe du combat des auteurs contre les propriétaires de théâtre et qu'il a fondé en 1777 la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD, toujours en place et très active dans les polémiques actuelles), en réaction contre les rémunérations que lui versait la Comédie française pour Le Barbier de Séville.

Ainsi, lors d'un entretien avec l'avocat Maxence Abdelli, l'Atelier pose la question :

Et si Beaumarchais avait connu Internet, comment pensez-vous qu'il aurait réagi?

M.A : Aurait-il été inquiet de la question de la rémunération des auteurs sur Internet? Aurait-il salué l’arrivée en force du « public » des internautes? Difficile à dire...

D'une manière plus générale, toute une partie de la profession prône encore l'application du droit d'auteur de façon assez stricte sur les réseaux de communication électronique. Beaumarchais en aurait peut-être fait partie ! Or, je crois qu'aujourd'hui il est nécessaire de trouver un équilibre. Tout en protégeant les auteurs, c'est une évidence, il faut trouver un nouveau modèle alternatif de développement qui permette aux œuvres de circuler assez librement tout en rémunérant les auteurs.

Ce qui est fondamental dans le débat aujourd'hui, c'est que l'on ne peut pas se contenter de rémunérer les artistes avec de la publicité. Ce modèle porterait en effet trop préjudice aux artistes. En effet, il y a un certain manque de visibilité sur les recettes perçues par la publicité. Si un artiste met son œuvre sur un site qui ne génère pas beaucoup de publicité ou qui est peu fréquenté, il risque de dévaloriser son œuvre et il l'aura communiquée au public sans avoir de rémunération conséquente. La rémunération des artistes doit être proportionnelle aux recettes engendrées. Ces recettes peuvent être générées soit par la vente de supports physiques, soit par celle de titres numériques. Il y a donc une petite marge de manœuvre à exploiter à ce niveau-là. Ce qu'il faut donc retenir du droit applicable aujourd'hui, c'est le principe d'une rémunération, et d'une rémunération équitable. Mais si, sur Internet, ces principes sont pleinement applicables pour les plates-formes de vente en ligne, pour les artistes qui ont déjà intégré un catalogue, on a encore un gros problème de visibilité sur les rémunérations que l'on peut verser aux artistes ne participant à aucun catalogue.

La réponse témoigne de l'attachement des auteurs au modèle éditorial, qui leur fournit une rémunération proportionnelle aux ventes des artefacts sur lesquels est fixé une copie de leur oeuvre. Mais, cette posture n'est pas conforme au combat de Beaumarchais qui visait le théâtre et non l'édition. Les industries culturelles se sont évidemment depuis transformées. En particulier, la radio-télévision, issue du modèle théâtral, a explosé et trouvé les moyens de rémunérer les artistes. Il reste à trouver l'équivalent pour le Web-média. Je ne doute pas qu'on y arrive après sûrement bien des batailles. Si je suis sûr que Beaumarchais y aurait participé, je pense qu'il ne se serait pas trouvé du même côté que bien des auteurs aujourd'hui qui confondent leurs intérêts avec ceux du lobby éditorial, dont il n'est pas évident que l'organisation soit la plus efficace pour défendre la création.

vendredi 22 septembre 2006

Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire

Dans le feuilleton à rebondissements multiples de la mise en place progressive d'un nouveau modèle de média et de son articulation avec les anciens, un épisode particulièrement éclairant vient de se produire en Belgique. Google s'est fait condamner, suite à une plainte des éditeurs de journaux belges, pour avoir intégré les dits journaux dans son service "Google-News" sans leur autorisation.

Parmi les très nombreux commentaires, j'ai retenu pour leur contraste une analyse très française dans un billet d'E. Parody (du groupe Les Échos), que l'on pourra mettre en résonance avec celle de D. Sullivan, très "états-unienne".

Voici un extrait du jugement, qui concerne l'analyse de l'expert mandaté par le tribunal (le jugement doit être affiché pendant une vingtaine de jours sur le site Google.be, E. Parody a eu la bonne idée d'en faire une copie, a-t-il demandé l'autorisation à Google ? ;-)) :

Le rapport d’expertise (..) conclut que « Google News est à considérer comme un portail d’information et non un moteur de recherche. »; Qu’il relève que le service Google News se qualifie lui-même comme un site d’information en ligne, en ces termes « Cette diversité de perspective et d’approche est unique parmi les sites d’information en ligne et nous considérons comme une tâche essentielle de vous aider à rester informés sur les sujets qui vous importent le plus. »; Attendu qu’il relève que le site est alimenté à l’aide des informations puisées dans la presse, ce qu’il a mis en évidence en procédant à de nombreux tests à partir de sites d’information de différents quotidiens francophones belges ; Attendu que ces recherches l’ont notamment conduit à mettre en évidence que, lorsqu’un article est toujours en ligne sur le site de l’éditeur belge, Google renvoie directement, via le mécanisme d’hyperliens profonds, vers la page ou se trouve l’article mais que, dès que cet article n’est plus présent sur le site de l’éditeur de presse belge, il est possible d’en obtenir le contenu via l’hyperlien « en cache » qui renvoie vers le contenu de l’article que Google a enregistré dans la mémoire « cache » qui se trouve dans la gigantesque base de données que Google maintient dans son énorme parc de serveurs ; Attendu enfin qu’il se déduit du rapport de l’expert que :

  • le mode de fonctionnement actuel de Google News fait perdre aux éditeurs de presse quotidienne le contrôle de leurs sites web et de leur contenu (voir à ce sujet les tests menés par l’expert qui montrent les effets d’un retrait d’article, pages 42 à 67 du rapport) ;
  • l’utilisation de Google News contourne les messages publicitaires des éditeurs lesquels tirent une partie importante de leurs revenus de ces insertions publicitaires (pages 13 à 18, 108 à 119 du rapport) ;
  • l’utilisation de Google News court-circuite de nombreux autres éléments comme les mentions relatives à l’éditeur, les mentions relatives à la protection des droits d’auteur et aux usages autorisés ou non des données, des liens vers d’autres rubriques (par ex. les dossiers thématiques constitués par les éditeurs, pages 108 à 119 du rapport);
  • l’utilisation du « cache » de Google d’une part permet de contourner l’enregistrement demandé par l’éditeur et d’éluder le paiement de l’article de presse (voit le cas du Soir en ligne décrit par l’expert en pages 35 à 38), d’autre part stocke, en vue de sa rediffusion, l’entièreté de l’article (dans l’état où Il se trouvait lors de son édition la plus récente) (pages 68 à 98-99 du rapport)

On peut lire un peu plus loin, ce passage révélateur :

Qu’il ne peut être admis par ailleurs qu’elle persiste à retirer un bénéfice élevé à l’aide, notamment, du travail intellectuel d’autrui, tout en spéculant sur les difficultés qu’éprouvent les auteurs et éditeurs de journaux dans un contexte technologique extrêmement complexe pour mettre fin à cette appropriation illégitime de leur travail ; Que l’attitude de la défenderesse est d’autant plus surprenante que dans d’autres pays, certes plus importants que la Belgique, la défenderesse s’est engagée dans des négociations avec les éditeurs de journaux pour résoudre la question du respect des droits d’auteur; Attendu qu’il résulte de l’expertise que les capacités techniques dont dispose la défenderesse, et qui sont hors de proportion avec les moyens de la presse écrite francophone d’un pays comme la Belgique, lui permettent d’adopter une attitude qui confine à l’indifférence, alors qu’elle retire un bénéfice de la diffusion sur la toile d’un contenu qui a nécessité la mise en commun de moyens rédactionnels et éditoriaux importants de la part de journalistes et d’éditeurs de journaux, dont l’activité est essentielle dans une société démocratique ;

Je ne reviens pas sur l'épisode lui-même, largement décrit dans les billets signalés. N'étant pas juriste, je ne saurais commenter le jugement sur le fond. Mais une lecture plus économique est possible de l'épisode qui révèle des malentendus instructifs. De façon très schématique, je pointerai ici quatre leçons :

1) Documentation vs publication

J'avais, il y a quelques années, montré que les sciences de l'information et celles de la communication se distinguaient par l'orientation de leur point de vue (à partir du lecteur pour les premières, de l'auteur pour les secondes). Ainsi les pratiques professionnelles observées par les premières détricotaient les montages temporels et spatiaux construits par les acteurs que privilégaient les seconds. Les panoramas de presse, qui redécoupent la structure physique, temporelle et de distribution, des journaux, en sont un bon exemple. Aujourd'hui les deux points de vues se croisent avec la montée du nouveau média issue du succès des moteurs. Et Google-news en est une superbe manifestation. Tant que les activités se déroulaient dans des espaces séparés, elles pouvaient s'articuler (même s'il a fallu pour cela de longues négociations). Maintenant qu'elles se retrouvent sur le même espace, elles sont en concurrence.

2) Code vs law.. and money

Pour paraphraser L. Lessig, nous sommes dans une superbe illustration de l'alternative entre une régulation par la loi, ou par la technique. Il aurait suffi aux éditeurs belges de signifier à Google leur refus d'apparaître, ou de mettre eux-mêmes les codes adéquats pour que la question, du moins en apparence, soit résolue. Mais, cette attitude était contraire à l'esprit de la loi sur le droit d'auteur qui stipule que c'est au diffuseur à faire la démarche auprès du détenteur de droits et non l'inverse. Les journaux ont voulu s'en tenir à ce principe.

Une des raisons est le rapport de force : Google a pour lui la force du code, qu'il maîtrise et domine ; les journaux ont la force du contenu et de leur tradition démocratique de publication. Deux modernités ici s'affrontent.

Mais le fond de l'affaire est financier. Citons le président de Google, interviewé par D. Sullivan : À cause de notre taille et de la masse d'argent dont nous disposons, Google se doit d'être plus attentif quand il lance des produits qui peuvent violer la notion que d'autres personnes ont de leurs droits. Mais aussi, franchement, nous nous trouvons attaqués en justice, et cela est couteux, cela écarte les dirigants, etc., de notre mission. Dans les cas que vous indiquez, la plupart des plaintes, de mon point de vue, relevaient d'une négociation d'affaires réalisée dans une court de justice. Et je déteste le dire, mais c'est mon opinion personnelle. Et dans la plupart des cas, un changement de notre politique ou une modification financière aurait en fait résolu nombre de questions. (trad JMS)

Google-news fonctionne d'abord parce qu'il est peut couteux une fois mis en place, la multiplication des procès pourrait sérieusement l'handicaper simplement à cause des dépenses qu'ils occasionnent.

3) Payer pour voir ou être vu

Nouvelle illustration d'une très vieille question des médias. Que rémunère-t-on : le contenu ou l'audience ? Les deux sont créateurs de valeur et dépendant comme la poule et l'oeuf. Les discussions sur ce sujet ont toujours été multiples et, en l'occurrence, il n'est pas sûr que les éditeurs belges ne se soient pas tirés une balle dans le pied en se privant d'un puissant aspirateur de trafic pour leurs sites.

C'est l'argument de Google, cité par Le Monde du 19 sept 2006 :

"Le jugement précise que nous spolions une part des ressources publicitaires de ces journaux, mais cela est inexact puisqu'il n'y a pas de publicité sur Google News, dit Mme Whetstone. La seule chose que nous faisons, c'est organiser l'information et susciter énormément de trafic vers les sites ; or la publicité qui est diffusée par ces sites est fonction de leur audience !"

L'argument doit être nuancé, comme le souligne dans Libération du lendemain, le président du Groupement des éditeurs de services en ligne : «Le problème, note Philippe Jannet, est avant tout que Google, en proposant des alertes gratuites aux internautes, est en train de se constituer, sur notre dos, une énorme base de données de marketing direct.»

En réalité, la question est sans doute plus globale encore. Google-news n'a pas de modèle d'affaires à proprement parler. Il s'insère dans une stratégie beaucoup plus large de captage d'audience d'un côté et de position centrale d'accès de l'autre dont la clé est la capacité de calcul sur les contenus et les traces. Ainsi l'alternative traditionnelle des médias rappelée plus haut, est largement subvertie. Il se crée sous nos yeux une nouvelle valeur qui découle d'un traitement des contenus et des comportements dont on ne cerne pas encore clairement les contours. C'est cette valeur qui constitue la raison d'être économique du nouveau média. Personne, peut-être même pas Google lui-même, ne peut prédire son avenir.

4) Territoires

Le dernier point sur lequel je voudrais insister est celui du territoire. Ici le procès est clairement territorialisé et le jugement, fait référence à cette géographie. Mais Google, lui-même, s'organise de plus en plus clairement par rapport aux territoires par les Url. Cette caractéristique est particulièrement sensible sur un service comme Google-news, où l'actualité récoltée est sensiblement différente suivant les pays, même de même tradition linguistique. Les journaux français dans cette affaire ont une position ambigüe. E. Parody signale une augmentation du trafic des Échos de 5% en provenance de Google.be depuis la fermeture des sites belges..

Il faudrait mieux réfléchir à cette question géopolitique que j'ai déjà plusieurs fois pointée. L'économie des médias traditionnels est inscrite dans le territoire. Les moteurs et les services qu'ils s'adjoignent ont paru s'en affranchir. L'avenir dira si c'est une de leurs caractéristiques où s'il s'agit juste d'une modalité temporaire.

Mais le plus étonnant dans cette affaire, c'est que personne ne paraît dénoncer la menace la plus forte, même si sans doute tout le monde y pense : la position écrasante de Google.

dimanche 10 septembre 2006

Longue traîne et bibliothèques

D. Durand vient de publier une excellente synthèse critique du livre de Chris Anderson The Long Tail. L'auteur, lui-même, dans son blog signale plusieurs études universitaires qui reprennent, discutent et développent sa proposition, confirmant la remarque de D. Durand :

.. il va à mon avis rester comme l'un des livres "business" forts de ces prochaines années ! Il décrit en effet un phénomène appelé à se généraliser (industries et géographie) et à fortement modifier l'économie des sociétés ainsi que la vie des citoyens si son ampleur se confirme.

L'article initial publié dans Wired, qui a été développé en livre après discussions sur le blog de l'auteur, a été traduit en français par InternetActu. J'imagine que la traduction du livre lui-même ne saurait tarder.

Citons le résumé de la thèse fondamentale, tel que le propose D. Durand. Tout est dans la courbe :

''En mathématique, la longue traîne est une loi de puissance: la demande pour un produit est une fonction exponentielle décroissante du rang de classement de ce produit dans la demande globale. Sous forme graphique, cela donne:

Cette courbe descend donc de manière asymptotique vers le zéro sans jamais le toucher. L'objectif des sociétés basées sur cette Longue Traîne comme Amazon est de monétiser (avec des profits…) la zone de demande où celle-ci est tellement faible qu'aucune rentabilité ne pouvait être envisagée avant l'Internet (i.e le côté droit de la courbe ci-dessus).''

Pour nous, il faut souligner deux points essentiels pour éclairer les bouleversements actuels de l'économie du document :

- La courbe n'est pas une nouveauté pour les bibliothécaires (loi de Bradford), ni pour les sciences de l'information (lois de Lotka et de Zipf). Ce qui est nouveau, c'est qu'elle est maintenant reconnue comme une loi de distribution fondamentale sur le Web, et, pour la partie développée par C. Anderson, qu'elle trouve un débouché économique du fait de la chute dans certains domaines des coûts de transaction. Les conséquences sont très nombreuses dans l'économie du document. C'est une des clés de lecture des conséquences du numérique sur toutes les branches de l'industrie de la culture et de l'information.

- Les bibliothèques se justifiaient d'un point de vue économique parce qu'il était nécessaire de mutualiser les coûts de transaction pour ne pas perdre l'apport des documents peu demandés et pourtant peut-être fondamentaux pour l'avenir. La possibilité de faire des affaires avec la longue traîne bouscule le monopole du modèle de la bibliothèque sur ce terrain. Roger, dans ses discussions, a développé cette question. C'est aussi donc une clé de la fragilisation du modèle bibliothéconomique et de la nécessité à réfléchir à une alternative.

Mais, il ne faut pour autant oublier la partie gauche de la courbe (c'est-à-dire la concentration de l'attention et donc des ventes sur un nombre réduit d'items) qui, évidemment, reste un des piliers fondamentaux de l'organisation économique du document.

samedi 26 août 2006

Modèles de média, Web et publicité

Une étude de D. Targy intitulée Les médias face à l'Internet, Stratégies de développement et business models performants pour la presse, la radio et la télévision, vient de paraître. Elle est trop chère pour un universitaire (présentation) , mais l'auteur est interviewé par Libération' du 25-08-2006, entretien commenté par ailleurs par E Parody.

Extraits de l'entretien : «Yahoo ou MSN ont pris la place des groupes de presse» Libération, Christophe ALIX, 25 août 2006

''Pourquoi ces grands médias ne trouvent-ils pas un modèle économique efficace en ligne ? La grande faiblesse, c'est l'étroitesse du marché publicitaire en ligne. Les recettes générées par l'e-pub restent très peu élevées en raison du coût très modique des campagnes en ligne, bien moins chères qu'à l'époque de la bulle Internet. Si cette publicité très bon marché fait l'affaire des annonceurs, c'est en revanche la disette pour les médias ! En France, les sites de médias toutes catégories confondues, plus les nouveaux venus comme Aufeminin.com, ont généré un chiffre d'affaires en ligne d'à peine 150 millions d'euros en 2005. C'est moins de 1 % du total des 16,5 milliards d'euros de recettes dégagées en 2005 par les médias français et nos projections à l'horizon 2010 montrent que cette contribution de l'Internet restera très limitée : 375 millions d'euros, 3 % du total ! D'où la difficulté à faire de l'Internet une véritable source de revenus... On dit qu'à l'échelle européenne, 70 à 80 % des investissements publicitaires en ligne sont captés par un tout petit nombre d'acteurs. (..)

L'autre caractéristique du marché, c'est que ce gâteau publicitaire est largement concentré autour d'une poignée d'acteurs, ceux que j'appelle les sites «routeurs», les grands portails qui captent la plus grosse part de l'audience. Ces Google, Yahoo ou MSN sont les nouveaux géants des médias à l'ère numérique, les «hubs», ou carrefours de la distribution de l'information en ligne. Ils ont pris la place qu'auraient peut-être pu occuper les grands médias s'ils avaient réagi plus tôt et ce sont les seuls, grâce à leur audience massive, capables de générer de forts revenus publicitaires.''

Extraits de la présentation :

''Dans la configuration concurrentielle du Web, les médias qui se positionnent comme des éditeurs de portails de contenus, ne sont pas en position favorable pour capturer la valeur. Les portails routeurs (Google, Yahoo ainsi que les portails de fournisseurs d’accès à Internet), que l’étude PRECEPTA assimile à des « hubs de news et d’audience » (HNA), sont les véritables maîtres du jeu sur Internet. Non seulement, leur rôle de distributeur d’audience leur permet de prélever une part substantielle de la valeur créée au sein de la filière, mais leur stratégie de développement constitue une véritable menace pour les portails de contenus. En produisant leurs propres flux d’information, et en jouant la carte de l’exclusivité, les HNA se présentent de plus en plus comme de redoutables concurrents des médias en ligne. (..)

les travaux menés (..) à partir de cas réels ont permis de dégager sept modèles types de développement, en fonction des modèles éditoriaux et économiques choisis, de la distanciation de l’offre par rapport aux supports traditionnels et des objectifs poursuivis :

  1. L’abstention
  2. Le site alibi
  3. Le site compagnon recruteur
  4. Le site compagnon relais
  5. Le modèle de l’extension
  6. La redéfinition globale de l’offre ou la stratégie bi-médias
  7. La diversification de proximité.''

Extrait du commentaire d'E. Parody :

Contrairement à ce que laisse entendre le titre de l’article de Liberation, je doute de la capacité à long terme des portails à s’approprier durablement le marché des médias d’information. MSN en France tient son succés essentiellement à son populaire Messenger, Yahoo a entrepris une stratégie orientée vers le grand public façon TF1 qui le conduit à investir sur le sport, les loisirs et les services pratiques tandis que les contenus d’information et d’actualité n’ont pratiquement pas évolués depuis plusieurs années. Difficile dans ce cas de servir les besoins d’un lectorat exigeant en matière de contenus ciblés.

Mon commentaire : Ces informations et analyses intéressantes me paraissent confirmer une évolution différente des conclusions tirées par les experts qui, sous réserve d'une lecture de l'étude complète, sous-estiment la réalité du média Web. Celui-ci est construit sur une montée de la servicialisation, il s'agit d'un modèle différent et non une déclinaison du modèle antérieur des médias. Pour celui-ci l'avantage concurrentiel est la capacité de calcul, qui se manifeste aussi dans l'organisation du marché publicitaire (Adwords, Adsense). Rappelons-nous que, déjà aux temps héroïques du Minitel, celui-ci n'avait décollé que lorsque le journal Les dernières nouvelles d'Alsace avait ouvert un service de messagerie. Et la suite du développement du minitel préfigurait déjà les tendances explosives d'aujourd'hui. Voir, par exemple l'article de P. Pajon dans le numéro la revue Réseaux sur Dix ans de videotex.Cette analyse montre clairement que la question n'est pas la gratuité, mais la forme du média.

vendredi 04 août 2006

Google et Baidu, monopole, concurrence et modèle

Inutile d'en rajouter sur le cercle économique vertueux dans lequel s'est installé Google. Il ne manque pas de Blogs pour en repérer les moindres symptômes. Pour s'en tenir aux français, je dois rendre hommage à Affordance, Adscriptor, media & tech, ou encore Abondance, qui nourrissent abondamment mes réflexions.

Juste deux demarques du dernier pour amorcer le questionnement de ce billet. Olivier Andrieu a fait une projection, artificielle mais impressionnante, à partir des données fournies régulièrement par le baromètre du Xiti

Il s'agit du trafic généré par les outils de recherche sur le Web francophone. Ainsi, selon O. Andrieu, si Google poursuivait la croissance amorcée l'année dernière, il atteindrait le monopole de la recherche sur l'Internet en francophonie en octobre de l'année prochaine.. soit demain. Conséquence inéluctable, l'auteur dans son dernier billet cite déjà sept grands noms oubliés de l'histoire pourtant récente du domaine. L'actualité peut nous rendre pessimiste sur quelques autres..

Mais ce qui est valable dans le monde francophone, l'est moins dans le monde anglophone où Google domine, mais n'écrase pas encore, et surtout ne l'est pas du tout en Chine.

Rappelons pour commencer que la croissance de l'Internet en Chine est à l'image de celle du pays, explosive. Selon le China Internet Network Information Center (CNNIC), au 30 juin 2006 les internautes chinois ayant navigué au moins une heure par semaine étaient 123 millions (contre 2,25 en décembre 2000, date des premières statistiques).

Le CNNIC a réalisé une intéressante enquète sur la répartition de la recherche en ligne (diapos) à Pékin, Shanghai et Guangzhou. Voici les résultats pour Pékin :

Baidu, moteur chinois monté sur le modèle de Google par de jeunes entrepreneurs ayant étudié aux USA, arrive largement en tête. L'ordre se confirme, de façon légèrement moins affirmée, pour les deux autres villes.

Les résultats financiers de Baidu (communiqué, rapports complets), même s'ils sont (encore) beaucoup plus modestes, n'ont rien à envier en terme de croissance à ceux de Google. Pour le deuxième trimestre de 2006, le chiffre d'affaires a augmenté de 174,9% par rapport à la même époque l'année dernière (24 millions de $), et le bénéfice de 385,2% (7,3 millions) !

L'enquête du CNNIC a affiné l'analyse. Les principaux résultats montrent que le téléchargement de MP3 est le principal facteur du succès de Baidu. Les principaux utilisateurs de Baidu sont étudiants, tout spécialement de premier cycle comme le montre cette autre diapo :

L'échec relatif de Google en Chine peut être attribué, selon des analystes, à la popularité de Baidu dans la « génération du cool » (generation of cool), un positionnement que ne renierait pas une firme californienne !

Tirons déjà deux leçons de ces informations :

1) Google et Baidu, au delà de leur concurrence, sont organisés selon la même structure, le même type d'offres, le même modèle d'affaires. On s'en convaincra facilement en consultant sa page Produits de Baidu. Ainsi, il semble que se confirmer que ce qui se déroule sous nos yeux est bien la naissance d'un nouveau modèle de média et non simplement l'histoire particulière d'une firme, si extraordinaire soit-elle. Nous trouvons en Chine un duopole, en francophonie un monopole et en anglophonie une firme dominante et quelques challengers, structure mutatis mutandis pas si éloignée de la relation de télévision et territoire. Ainsi, parmi d'autres dimensions qu'il faudrait mieux étudier, les tentatives de contrôle de l'État chinois ou celles de l'État américain, parfois aussi assez hypocrites, ou encore la réaction plus épidermique de J.-N. Jeanneney, tout comme les réactions qu'elles ont suscitées, doivent être analysées à cette aune. Aucun État ne peut se désintéresser du développement des médias sur son territoire.

2) Pour les moteurs, la structure de la langue, et surtout celle de l'écriture sont déterminantes. La vraie muraille de Chine c'est son écriture, qui unifie le pays et le protège des influences étrangères. Citons la page de présentation de Baidu :

Baidu chose a poetic Chinese name because it wants the world to remember its heritage. As a native speaker of the Chinese language and a talented engineer, Baidu focuses on what it knows best - Chinese language search. Applying avant-garde technology to the world's most ancient and complex language is as challenging as it is exciting. At least people here at Baidu think so. As having diligently disclosed in the Prospectus of our recent Initial Public Offering, we believe there are at least 38 ways of saying "I" in Chinese. It is important that we master all the ways of addressing oneself in Chinese because our users depend on us to address every one of their daily queries. And trust us, pin pointing queries in the Chinese language is an art rather than a science.

Les moteurs étant construits sur le calcul appliqué à la langue, il est naturel que cette dimension soit première. Mais la remarque a d'importantes conséquences économiques. Les performances de son algorithme et surtout sa puissance de calcul ont donné à Google un avantage concurrentiel dans tous les territoires où l'alphabet romain et la syntaxe langagière ne sont pas trop différents de l'anglais. Mieux, la taille des marchés non anglophones, si elle est trop petite, rend difficile le développement d'une concurrence. C'est sans doute la raison principale de son monopole sur la francophonie. On peut en déduire aussi, compte tenu de l'ampleur des populations concernées, qu'il serait envisageable de voir se développer quelques challengers sur le bassin hispanique ou lusophone (comme il en persiste en anglophonie) et, plus vraisemblablement, un concurrent dans le monde arabe ou du côté de l'Inde.

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