Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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dimanche 12 août 2007

L'OCDE et le Web

L'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) s'intéresse depuis longtemps à l'internet. Récemment elle a publié plusieurs études ou compte-rendus de conférence qui ont marqué l'entrée officielle des économistes dans l'analyse du Web 2.0 :

  • Working Party on the Information Economy, PARTICIPATIVE WEB: USER-CREATED CONTENT, OCDE 12-04-2007. 74p. Pdf
  • NSF/OECD Workshop “Social and Economic Factors Shaping the Future of the Internet”, 31 January 2007. Pdf
  • Conclusions of the OECD – Italy Conference on The Future Digital Economy: Digital Content Creation, Distribution and Access, January 2006. Pdf

Ces événements préfigurent d'autres plus importants encore à venir :

  • Forum de prévision de l’OCDE en matière de PIIC : Le Web participatif : Stratégies et politiques pour l’avenir, 3 octobre 2007, Centre de conférences du gouvernement, Ottawa, Canada, Organisé conjointement par l’OCDE et par Industrie Canada (Site)..
  • ..dont l'objectif est de préparer : une réunion ministérielle : Le futur de l'économie Internet, Seoul, Corée, 17-18 juin 2008 (Site)..
  • .. au sujet de laquelle, logiquement, le public peut donner son point de vue jusqu'au 14 sept en remplissant un questionnaire.

vendredi 10 août 2007

Les pratiques de publication de l'aristocratie scientifique

J'avais suggéré dans un article du BBF de qualifier d'« aristocratiques » les pratiques de mise en libre accès de leurs articles par les physiciens des hautes énergies. Une étude d'un économiste du MIT (repérée par L. Dempsey) confirme cette disposition des élites scientifiques, en l'élargissant au déclin possible de la révision par les pairs, par un autre exemple dans une autre discipline :

Glenn Ellison, Is Peer Review in Decline?, MIT and NBER, July 2007, 40p. (pdf)

L'auteur rend compte de deux tendances dont il démontre, chiffres à l'appui, la réalité. Extraits de l'intro et de la conclusion (trad JMS) :

  1. Les économistes des départements les plus côtés ne publient plus que très peu d'articles dans les meilleurs revues de leur discipline. Le déclin est net entre le début de la décennie 1990 et celui des années 2000.
  2. En comparant ces deux périodes, on constate un déclin dans les nombres absolus et relatifs d'articles dans les meilleures revues d'intérêt général écrits par les universitaires du département d'économie d'Harvard. (p.1)

Plusieurs éléments de preuve suggèrent qu'un facteur qui contribue à cette tendance est que le rôle des revues pour la diffusion de la recherche a diminué. Un élément est que le bénéfice en citations d'une publication dans une des meilleures revues d'intérêt général apparait plutôt petit aux meilleurs auteurs du département. Un autre est que les auteurs de Harvard semblent bien réussir à faire citer leurs articles qui ne sont pas publiés dans les revues les plus cotées. Le fait que le déclin des publications semble être réservé aux meilleurs du département (opposé au phénomène des auteurs prolifique) suggère qu'une appartenance à un département de haut niveau peut être un déterminant important dans la capacité pour un auteur à court-circuiter le système traditionnel des revues.

Une autre explication parait aussi pertinente. Le ralentissement du processus de publication s'est poursuivi dans les années 90. Il est naturel que cela conduisent les auteurs à réduire le nombre d'articles proposés à la révision par les pairs et que l'on donne une haute priorité aux meilleurs articles. Le fait que les auteurs des meilleurs départements continuent à publier dans les numéros spéciaux des revues du domaine (et que l'on trouve nombre de publications invités dans des revues et ailleurs) suggère que la difficulté du processus de publication joue un rôle pour réduire les soumissions. (p.35)

Il faut rappeler que les économistes disposent, un peu comme les physiciens avec Arxiv, d'un outil de dépot très populaire en leur communauté : RePEc.

Cette pratique est bien une pratique aristocratique, à ne pas confondre avec celle inversée des soutiers de la science dont la tendance est, au contraire, de multiplier les publications sans grand souci pour leur diffusion, comme je l'ai expliqué dans un autre billet.

mercredi 08 août 2007

Économie des réseaux sociaux : perplexité

Donc, tout le monde s'extasie sur l'explosion des réseaux sociaux, et certains prétendent même qu'ils sont à l'aube d'une nouvelle étape, plus explosive encore en Asie. On trouvera une bonne synthèse des différentes analyses chez Olivier. F. Pisani a aussi présenté une série de billets intéressants sur Facebook. En anglais, parmi une multitude d'autres, on trouve bien des réflexions stimulantes sur le blog ''Many2Many''.

Le succès mesuré en terme de fréquentation est en effet impressionnant en chiffres absolus et en rapidité d'évolution. Néanmoins, ce succès public a-t-il son pendant économique ? Il est trop tôt, sans doute, pour répondre et les chiffres ici sont encore hasardeux. Beaucoup néanmoins y croient. Je suis plus circonspect, le modèle d'affaires ne me paraît pas très clair.

Grâce à Jean-Daniel Zeller (merci à lui !), j'ai pu parcourir le premier document d'une série à venir sur les réseaux sociaux par Forrester Research : Charlene Li, How Consumers Use Social Networks, Interactive Marketing Professionals, June 21, 2007.

Voici sa conclusion, qui n'est pas sans rappeler une autre étude du même genre déjà citée sur ce blogue (trad JMS) :

Le marketing sur les réseaux sociaux doit se réorienter

Avant de plonger la tête la première dans les réseaux sociaux, les professionnels du marketing doivent se demander comment approcher la communauté, tout particulièrement ses usagers réguliers et importants qui sont les plus susceptibles de répandre viralement leur enthousiasme pour un nouveau produit ou service. Comme étude de cas, il faut observer Victoria’s Secret dans la campagne de PINK®, qui a réussi avec son approche fine des réseaux sociaux. Les professionnels du marketing doivent :

  • Rompre avec les tactiques traditionnelles du marketing. Pour être présents sur les réseaux sociaux, ils importent souvent ce qu'ils considèrent comme les éléments les plus novateurs de leur Site Web - vidéos, jeux en ligne et concours interactifs. Mais sur un réseau social, ces éléments peuvent tomber à plat ; comme cela a été dit, l'usager d'un réseau social veut participer à une conversation ou bâtir une relation, et ne pas rester spectateur sur le bas-côté. Le Victoria’s Secret a utilisé sa présence sur Facebook et MySpace pour encourager les usagers à discuter de leurs dernières offres en lingerie, mettre en ligne des photos, télécharger des environnements et des logos sur leurs propres pages pour favoriser la diffusion virale de la campagne.
  • Favoriser les relations amicales. À première vue, il peut paraître ridicule de devenir un « ami » d'une marque - après tout l'amitié concerne les relations entre les personnes, pas vraiment entre une personne et une société commerciale. Mais les pages de marketing sur les réseaux sociaux peuvent être un endroit où des amis construisent une forte relation avec la marque. Par exemple, le profil du Victoria’s Secret de PINK avait 203.000 amis sur MySpace et 314.000 membres sur Facebook fin mars 2007. Cela signifie que le logo de PINK apparait sur plus de 500.000 profils, qui suggèrent à leurs amis de cliquer dessus et de visiter la page du profil du Victoria’s Secret.
  • Renouveler régulièrement le contenu. Comme dans toutes relations, les même sujets de conversations à table sont vite éventés. Les professionnels du marketing doivent avoir une stratégie pour motiver leurs plus fervents fans - quelles interactions, contenus et dispositifs feront que les usager reviendront encore et encore. Dans le cas du Victoria’s Secret, le dispositif actualise le profil, avec les produits, les promotions, aussi bien que les photos de célébrités prises dans les dernières réceptions de PINK.

Pour ceux qui ne connaissent pas Victoria’s Secret, voici une vidéo : du vrai glamour Yankee, très marqué par une esthétique américaine James Bond Girl, pas vraiment ma tasse de thé, mais cela marche au moins de ce côté de l'Atlantique ! Le sujet explique sans doute une partie du succès, on n'imagine pas le même buzz avec une marque de boites de cassoulet..

Mais ma question est celle-ci : même si on peut imaginer toute sorte de bricolages pour rémunérer une communication virale, fondamentalement, celle-ci doit rester gratuite. Dès lors, comment peut-on construire un modèle d'affaires solide sur ces pratiques qui contredisent l'organisation économique classique de la publicité, où le principe est de payer pour un espace publicitaire ? Il me semble plutôt que ces plate-formes ont vocation à être rachetées par des firmes qui, elles, maîtrisent la régie publicitaire des sites profitant de l'augmentation générée du trafic.

Ce questionnement n'est néanmoins valable que dans le cas où les identités des participants restent virtuelles. La Corée nous offre un contre-exemple de réseau social, très rentable lui, où les participants sont clairement identifiés et donc les transactions peuvent être payantes.. et les usagers plus âgés. Si on fait un petit retour en arrière, le minitel en France présentait les mêmes qualités économiques.

lundi 06 août 2007

Âge et génération

De nombreux indicateurs, de nombreuses études laissent penser qu’il existerait une rupture générationnelle dans les pratiques d’information entre ceux qui sont nés avant ou après la popularisation du numérique (v. par ex sur ce blogue : ici, , , même en Chine). L’article fondateur sur ce thème est sans doute celui de Marc Prensky (2001) au titre clair : Digital Natives Digital Immigrants (Pdf : P1, P2). L'auteur y tire des conclusions radicales en prétendant que la nouvelle génération pense différemment que les précédentes. Même si je le suivrais assez dans son raisonnement, qui fait écho à une modernité nouvelle, il faut reconnaitre qu'il s'agit à ce stade de spéculations. Si on peut constater des pratiques culturelles et informationnelles différentes pour les jeunes nés avec le numérique, rien n'indique qu'elles perdureront avec l'âge.


Actu du 11-08-2007 : Voir sur ce même thème le spectaculaire diaporama de René Barsolo de la Société des Arts Technologiques de Montréal (repéré grâce à Martin Lessard) :

Barsalo René, L'influence des nouvelles générations sur les communicateurs, Forum des communicateurs, Québec, 7 novembre 2006. Pdf, 3,2 Mo)

et la traduction en français de l'article de M. Prensky repérée par JD Zeller dans les commentaires.


Nous avons, en effet, tendance trop souvent à confondre deux notions : l’âge et la génération et cette confusion peut être source d’erreurs d’interprétation. Une bonne illustration de cette difficulté est ce tableau d’une étude de Forrester Research, reproduit malheureusement sans autre précision de réalisation par Business Week (11-06-2007, repéré par InternetActu).

À supposer que les chiffres soient justes, sur quoi nous renseignent-ils ? Ils nous disent à coup sûr que les utilisateurs américains du Web 2.0 sont d’abord les moins de trente ans. Mais ils ne nous informent aucunement sur l’évolution des pratiques des individus avec l’âge. Il est impossible d’en conclure, sauf à spéculer, que les moins de trente ans d’aujourd’hui poursuivront leurs habitudes demain, ni même d'ailleurs que les jeunes de demain auront les mêmes pratiques. Après tout, le Web 2.0 sera peut-être, comme la sortie-cinéma, une pratique sociale simplement juvénile, ou, pire, un simple feu de paille oublié demain. Pourtant vivant dans le présent, nous avons naturellement tendance à considérer que la continuité des pratiques selon l'âge ou selon les générations va de soi.

C’est pourquoi il faut marquer d’une pierre blanche la sortie de la lettre culture et prospective du ministère de la Culture français intitulée « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques » (N3, juin 2007, Pdf). L’intérêt de la publication des chercheurs du Deps est double : d’une part, elle expose et illustre clairement la différence entre l’effet de l’âge et celui de la génération, sachant qu’au fil du temps une même génération, réunie par son histoire commune, passera par tous les âges. D’autre part, à partir des statistiques des pratiques culturelles régulièrement collectées par le ministère (cinq enquêtes de 1973 à 2003), elle compare six générations et en tire quelques leçons importantes pour l’évolution des pratiques. Le tout est synthétisé dans la matrice ci-dessous qui représente schématiquement les tendances des indicateurs de forte consommation culturelle par famille en croisant les effets de l’âge et celui des générations.

Chaque trait de couleur représente une génération. Le sens de la pente du trait indique si la pratique croît ou décroît avec l'âge dans la génération considérée. La hauteur relative du trait par rapport à un autre indique une pratique plus ou moins forte d'une génération sur l'autre.

On y constate que la lecture assidue de livres baisse à la fois avec l’âge et les générations, tandis que celle de la presse écrite ne se modifie pas avec l’âge qui passe, mais se raréfie à chaque génération nouvelle. À l’inverse, la pratique de la musique enregistrée s’accroit avec les générations montantes alors que les habitudes varient peu avec le vieillissement de chaque génération. La télévision, quant à elle, bénéficie d’un double effet positif, d’âge et de génération. On y lit clairement le passage d’une culture imprimée à une culture audiovisuelle. Les statistiques du Ministère ne permettent pas encore de rendre compte de l’effet du numérique, et encore moins de la génération des Digital natives, même si les auteurs proposent une réflexion prospective jusqu’en 2020, qui m’a moins convaincu que le reste de leur propos. La question ouverte à la suite du premier tableau de ce billet reste donc pour le moment sans réponse.

J’ajoute deux remarques, importantes pour la thématique de ce blogue, mais qui ne figurent pas dans la publication du ministère :

  1. Il n’y a pas de relation mécanique entre la tendance positive ou négative des pratiques et la santé économique de la filière. Même si l’on peut interpréter ces tendances en termes de cycle de vie d'un produit, tout dépend de la capacité de valorisation mise en place par le jeu des acteurs. Le contraste entre la situation du livre et celle de la musique, dans le rapport valorisation/pratiques, est flagrant. Les acteurs de la première filière ne s’en sortent pas trop mal, malgré des indicateurs de pratiques calamiteux, tandis que les seconds plongent alors même que la pratique de la musique enregistrée ne cesse de croître. Ainsi, la stratégie est un élément fondamental, d’autant plus délicat à manier que le numérique change, de façon inédite à la fois les modes de valorisation et les pratiques.
  2. L’histoire d’une génération est située. Même si la mondialisation, là comme ailleurs, tend à lisser les cultures, l’étude rend compte clairement de générations de Français. Il serait intéressant de pouvoir aussi comparer géographiquement les générations. Au Québec, par exemple, la génération qui a eu 20 ans pendant la Révolution tranquille est contemporaine de celle que les auteurs appellent « Algérie » faisant allusion à la guerre coloniale du même nom. Ces évènements ont, à coup sûr, marqué différemment chacune des générations d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Autre exemple, la question de l’immigration est peu comparable dans l’un ou l’autre pays. Ces histoires différentes ont-elles des conséquences sur les pratiques ? sans doute. mais jusqu'à quel point et quels facteurs agissent plus ou moins sur celles-ci ?

Quelques lectures

La saison 2007-08 démarre. Les commentaires sont ouverts.

En attendant un billet plus fourni, je relaie l'info de J. Charlet sur la liste RTP-DOC. Quelques numéros de la revue Document numérique sont accessibles en ligne gratuitement sur le portail Cairn. Il s'agit des numéros antérieurs à 2003 (Lavoisier ayant défini un mur flottant de cinq années, pour les plus récents il faut être abonné à Cairn) mais dont les contributions sont souvent encore utiles :

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