Introduction aux sciences de l'information

Les professeurs de l'EBSI ont donc rédigé un livre intitulé « Introduction aux sciences de l'information » qui sortira au Québec fin août 2009 et en France aux éditions La Découverte en janvier 2010. J'aurai l'occasion dans un futur billet de présenter son contenu. Mais je voudrais d'abord répondre à une question : Pourquoi un livre ? On lit souvent que le livre perdurera peut-être pour les romans ou la fiction, mais que, à l'évidence, sa condamnation est déjà effective pour les documentaires et encore plus pour les manuels. Voilà pourtant qu'une école en sciences de l'information, pas vraiment réputée pour être traditionaliste, publie un livre en papier, et cela à l'occasion de la révision de son programme de maîtrise qui insiste sur l'importance des technologies numériques ! Est-ce un accident ? Un dernier sursaut du vieux monde, éphémère et bientôt oublié ?

Les lecteurs fidèles de ce blogue savent déjà que je ne suis pas très convaincu par les discours sur la disparition prochaine du livre (voir p ex ici ou entre autres). Même à l'université, les arguments en faveur du livre ne manquent pas, sans réduire les avantages indéniables du numérique. Si ceci est utile et séduisant, il serait bien stupide pour autant de se priver des atouts déjà avérés de cela.

J'ai résumé ma réponse à la question en quatre arguments.

Un objet transitionnel

Pour des étudiants qui entrent dans un nouveau programme d'une discipline encore peu connue, disposer d'un objet de reconnaissance n'est pas anodin. Certes on peut penser à un tee-shirt, un sac ou un calendrier, mais avec un livre la symbolique est autrement plus forte et surtout plus immédiatement opérationnelle. Il s'agit des bases du savoir commun, inscrites sur un même objet que tous peuvent s'approprier. C'est au sens propre un objet transitionnel qui permet à l'étudiant de découvrir une culture professionnelle sans s'effrayer grâce à un objet qu'il peut s'approprier dans tous les sens du terme.

Sans doute un micro-ordinateur, un iPhone, une tablette, un ebook est un objet et en même temps une porte ouverte sur le monde. Mais la porte est trop largement ouverte pour être efficace et rassurante. Ce type d'objets, sauf à le brider mais alors lui faire violence, est autant un instrument de découverte que d'évasion. Le livre force l'attention sur son sujet, sans pour autant l'enfermer définitivement puisqu'il contient nombre de références.

Un savoir stable

Le savoir contenu dans le livre ne disparait pas, au sens premier, physique du terme : les mots restent imprimés sur la page. Ce point est crucial pour le domaine concerné. L'introduction du livre s'intitule « Permanence et changements ». Pour comprendre les changements d'aujourd'hui et la place que doivent y prendre les professionnels de l'information, il est indispensable de connaitre les fondements de leurs savoirs. Ceux-ci ne datent pas d'hier. Ils se sont forgés progressivement et ne s'effacent pas en un clic. Sans doute aujourd'hui bien de leurs facettes sont ébranlées, mais pour comprendre il est indispensable d'avoir assimilé les bases.

Les dispositifs numériques ont ici pourtant un avantage considérable sur le papier puisqu'ils permettent les ajustements, la richesse d'une intelligence collective en mouvement, les ramifications, les catalyses de la diversité des savoirs. Je ne nie pas cet avantage, bien au contraire je suis persuadé que la pédagogie doit l'utiliser à plein. Mais disposer d'un livre n'implique pas de tourner le dos au réseau, et avoir assimilé un livre de base dans son domaine est un sérieux atout pour une navigation assurée et enrichissante.

L'esprit critique n'est pas une génération spontanée. D'une part, il demande un raisonnement fondé sur des racines solides et stables, et le livre parait l'outil le plus approprié pour les maintenir. D'autre part, il est plus tentant d'éviter l'analyse critique et passant d'une page Web à l'autre, mais plus formateur de devoir comprendre un texte rétif qui ne disparaît pas d'une page imprimée.

Un projet circonscrit

Passons maintenant des lecteurs aux auteurs. Le livre a un gros avantage pour les auteurs, plus encore pour un collectif. L'objet est fini. Le projet, l'écriture a une fin aux deux sens du terme : un objectif précis et un terme.

La vertu du numérique est de relever du flux. Le flux permet beaucoup de choses, par exemple écrire un blogue ;-). Mais le terme du projet n'est pas donné d'avance. Il faut que ceux qui le mènent aient la discipline de se le donner et de s'y tenir. Et même quand ils ont cette discipline et cette organisation, les lecteurs de leur côté seront légitimement frustrés et en demanderont plus, car ils savent qu'il est possible et facile de modifier et d'ajouter des éléments.

Le contrat de lecture du livre a plusieurs millénaires. Auteurs, comme lecteurs savent à quoi s'attendre. Sans doute les auteurs n'échappent pas aux affres de la création et les délais sont rarement tenus. Néanmoins, l'aboutissement est un objet que l'auteur aura quelque émotion à tenir pour la première fois. Il sait, il voit que son travail est fini et qu'il lui échappera désormais.

Une tradition solide

Le livre dispose d'une tradition longue et solide pour sa réalisation. Editeur, correcteur, promotion etc. garantissent une qualité des contenus et de leur présentation.

Sans doute, dira-t-on ce n'est qu'une question de temps. Dans le numérique les savoirs vont s'affirmer et la qualité devenir la norme. On pourrait aussi nommer des éditeurs, et j'en connais beaucoup, qui n'ont pas le même souci de qualité des textes et des présentations.

Néanmoins la preuve n'est pas faite qu'il soit possible d'arriver dans le numérique à la qualité que l'on retrouve généralement chez les éditeurs papiers. La raison est économique. Pour le moment, ceux qui y font de l'argent ne se préoccupent que très peu de contenu. Dès lors, les efforts sont mis sur les développements des logiciels de traitement, la rapidité des flux, le design des objets et la création est issue du crowd-sourcing et du patrimoine accumulé. Il y a aussi beaucoup de richesses créées de cette façon, y compris intellectuelles. Wikipédia est une illustration spectaculaire, mais unique. Elle le restera sans doute et son modèle interdit la valorisation des auteurs.

À l'échelle d'une équipe d'auteurs comme celle des professeurs de l'EBSI, la tradition éditoriale est autrement plus efficace et permet une reconnaissance académique.

Reste que ce livre sera périmé en peu d'années. Souhaitons que d'ici là il soit épuisé. Il faudra alors prévoir une réédition revue et augmentée. Je prends le pari qu'elle sera toujours sur papier.

Actu du 18 aout 2009

Voir aussi cet intéressant plaidoyer :

Antonio Cangiano, Do programmers still buy printed books?, Zen and the Art of Programming, 15 août 2009, ici

Repéré par H. Guillaud qui en a traduit un passage

Présentation et extrait du livre ici