Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche - écosystème

lundi 03 juin 2013

Architecture de l'information omniprésente et Théorie du document

Métro - Master in Architettura dell’informazione (Perugia) Andrea Resmini et Luca Rosati ont publié en 2011 un livre sur l'architecture de l'information omniprésente (''Pervasive Information Architecture''). J'ai reproduit ci-dessous, avec leur accord, la traduction du Manifeste qui accompagne le livre. Le Manifeste ne résume pas le propos du livre qui présente une méthode pour développer cette architecture, mais il le positionne dans l'évolution du numérique ubiquitaire. L'image ci-contre est le logo du master en architecture de l'information que Luca Rosati vient d'ouvrir à Pérouse (Italie). Il s'agit d'une représentation en architecture de l'information de la navigation informationnelle : celle du métro (à ne pas confondre avec l'interface de Windows 8) où les stations représentent les unités documentaires et les lignes les parcours possibles ou encore la construction du sens.

J'ai repris ces éléments pour souligner la forte parenté entre les propositions des deux auteurs et les réflexions menées dans le groupe Pédauque sur l'évolution du document (voir ici ou ). Il suffit de remplacer "architecture de l'information" par "document" ou mieux par "néodocument" dans le manifeste pour retrouver des formulations quasi-identiques. Dès lors, on peut pousser le parallèle et montrer que les notions "d'expérience-utilisateur" et de "contrat de lecture/écriture" sont interchangeables ou encore que la carte du métro est une visualisation de ce contrat, tout comme le sont le codex et les règles typographiques pour le livre. Ainsi, Il y a de fortes fertilisations croisées à attendre entre les deux mouvements.

Pour une architecture de l'information omniprésente - Manifeste

concevoir une expérience utilisateur transcanal - Andrea Resmini et Luca Rosatti Version originale

"Le cyberespace n'est pas un lieu où l'on va, mais plutôt une surface étroitement intégrée au monde qui nous entoure" Institute For The Future

1. Les architectures d'information deviennent des écosystèmes

Lorsque différents médias et différents contextes sont étroitement liés, aucun artéfact ne peut plus se présenter comme une entité isolée. Chaque artefact devient l'élément d'un système plus large. Tous ces artéfacts ont des liens et des relations multiples entre eux et doivent être conçus dans le cadre d'un unique et homogène processus d'expérience-utilisateur.

2. Les utilisateurs deviennent des intermédiaires

Les utilisateurs contribuent maintenant en participant à ces écosystèmes et produisent du contenu ou re-médiatisent du contenu par des mash-ups, des commentaires ou des critiques. La distinction traditionnelle entre auteurs et lecteurs, ou producteurs et consommateurs, se réduit au point d'être inutile et vide de sens. Tout cela construit de nouvelles relations et de nouvelles significations au travers des mash-ups, des agrégateurs et des réseaux sociaux, et tous les agents contribuent au contenu par le crowdsourcing sur le web, via les wikis, les blogs et les autres outils participatifs et sur les terminaux mobiles.

3. Le statique devient dynamique

D'un coté, ces architectures agrègent et mélangent du contenu qui peut physiquement être hébergé ailleurs et avoir été réalisé pour des motifs complètement différents. D'un autre coté, le rôle actif des intermédiaires les rend perpétuellement inachevé, en changement continu, toujours ouvert à de futurs ajustements et manipulations.

4. Le dynamique devient hybride

Ces nouvelles architectures comprennent différents supports (physique, numérique et hybrides), différentes entités (données, objets et personnes) et différents médias. Tout comme les frontières entre producteurs et consommateurs s'effacent, celles entre les médias et les genres s'amenuisent. Toutes les expériences sont des ponts trans-canaux reliant les différents environnements.

5. L'horizontal l'emporte sur le vertical

Dans ces architectures nouvelles, la corrélation entre les éléments devient la caractéristique principale, au détriment des hiérarchies descendantes traditionnelles. Dans les architectures ouvertes et en constantes évolution, les modèles hiérarchiques sont difficiles à maintenir et à conforter, car les intermédiaires favorisent la spontanéité, les structures de sens éphémères ou temporaire, et le changement constant.

6. Le design de produit devient le design d'expérience

Quand chaque artefact, qu'il soit du contenu, un produit ou un service, n'est qu'un élément d'un système plus large, on ne se focalise plus sur la conception des produits individuels mais sur celles des expériences couvrant le processus. Les achats quotidiens ne concernent pas que les magasins, mais plutôt une expérience continue qui pourrait commencer sur un média traditionnel comme une télévision commerciale ou une publicité dans un journal, continuer sur le web avec la consultation de commentaires ou le repérage du magasin le plus proche et pratique, se conclure par un achat dans la boutique et finalement revenir au web pour l'assistance, les mises à jour, la personnalisation, l'échange avec d'autres personnes ou terminaux.

7. Les expériences deviennent transmédias

Les expériences relient les multiples médias et les environnements connectés dans des écologies de l'omniprésence. Un processus unique et unifiant où tous les éléments contribuent à une expérience finale et homogène.

jeudi 28 février 2013

L’autoédition ; solution à la censure du marché ?

Billet rédigé par Sarah-Kim Poirier et Catherine Racicot pour le cours Économie du document

L’autoédition est une pratique qui remonte à bien longtemps. Contrairement à l’auto-publication, l’autoédition implique une autonomie complète de l’auteur quant au contenu, à la forme ainsi qu’à la diffusion de son œuvre.

Lire la suite...

lundi 21 janvier 2013

Google confisque-t-il la valeur créée par les journaux ?

Ce billet a été rédigé par FRANC Sarah, MALERBA Lison & NOTTET Aurore dans le cadre du cours Ecosystème du document de l'Enssib.

La valeur créée, ou valeur ajoutée, est l'apport donné à une matière première pour en faciliter l'utilisation, et incidemment en augmenter le prix de vente. Dans le cas de la presse écrite, la valeur créée réside dans le traitement de l'information brute par des journalistes professionnels, afin d'en faciliter la lecture par le public, par le biais d'une contextualisation, d'éclaircissements ou d'interprétation des événements.

Google, grand méchant loup ?

La « taxe Google », que certains éditeurs de presse française veulent imposer au géant de l'internet est symptomatique de l'état de crise dans lequel tente de survivre l'industrie journalistique. En réclamant cette taxe, les éditeurs soutiennent en effet que Google confisque la valeur de leurs journaux, notamment lorsque des articles (titres et chapôs uniquement) sont cités sur Google News. La taxe Google, selon leur point de vue, sauvegarderait la valeur des contenus dont ils sont les propriétaires. Google serait-il devenu responsable de la crise économique que connaît actuellement le secteur de la presse ? Il est d'abord légitime de s'interroger sur cette notion de « valeur » : quelle est-elle ?

Google VS éditeurs : un combat de géants

Ne nous leurrons pas : c'est avant tout une affaire de gros sous. Il est clairement question de valeur économique et commerciale : c'est sur le marché publicitaire que le combat fait rage. Et pourtant, les arguments des éditeurs semblent tomber à l'eau étant donné que Google News ne propose aucune publicité. Le problème se situe plutôt dans la stratégie d'enfermement de Google. On le sait, l'internaute, une fois ferré, a tendance à naviguer exclusivement sur les services Google qui eux, proposent de la publicité. Lorsque l'on sait que cette dernière est devenue l'une des principales sources de revenus – voire de survie – de la presse, il n'est pas étonnant de voir les éditeurs monter au créneau.
Certes, Google pose une série de problèmes éthiques : le fonctionnement de Google News est opaque et la firme n'est ni propriétaire des sources qu'elle cite, ni de celles vers lesquelles elle renvoie. Comme à son habitude, Google se repose sur son hégémonie pour lancer des services sans consulter les autres parties concernées : en 2003, lors du lancement de Google News, les éditeurs de presse n'ont pas eu leur mot à dire.

« Don't be evil »

Et pourtant, on peut se demander si Google ne devient pas trop vite la cible privilégiée d'éditeurs de presse désemparés. Désemparés, Dassaut, Lagardère... Désemparée, la presse qui peine à s'adapter aux nouvelles stratégies numériques. Google, grand méchant loup ? Facile pour les patrons des grandes multinationales de se poser en victime plutôt que de s'interroger sur leur propre marge de manœuvre...
Il est indéniable que Google News permet aux éditeurs d'acquérir une visibilité plus grande sur le Net. Les chiffres le prouvent : 20 à 30 % des lecteurs du Monde.fr sont passés en amont par Google News. En tant que détenteur de la 7e place de site d'information d'actualité, Google News est un levier puissant de visibilité pour les éditeurs, du moins pour les contenus qu'ils proposent. L'information référencée par Google empêche-t-elle donc vraiment les internautes de se rendre sur les sites des éditeurs, ou développe-t-elle au contraire l'audience de ces sites ? Autrement dit : Google confisque-t-il la valeur créée par les journaux ou la redistribue-t-il ?
Soulignons en outre l'apparente injustice d'un tel projet : si l'on taxe Google parce qu'il renvoie vers du contenu d'éditeurs de presse, pourquoi ne pas taxer alors chaque personne qui serait amenée à faire de même ? Les particuliers, via les blogs, Facebook ou Twitter, devraient-ils payer une taxe lorsqu'ils proposent des liens hypertexte vers du contenu qui ne leur appartient pas ? Quid des questions de droit d'auteur ? En Irlande, ce genre de mesure est déjà une réalité... 
Si la loi est votée en France, Google menace de déréférencer les sites des éditeurs de presse de son moteur de recherche. Les journaux retrouveraient-ils alors leur valeur d’antan ? Les éditeurs de presse oseront-ils réellement tenter l'expérience ? Google, ce maître chanteur, reste un indéniable tremplin, une passerelle entre les lecteurs et les éditeurs de presse.

Je t'aime, moi non plus

Finalement le problème n'est pas tant que Google confisque la valeur des journaux (donc du contenu produit par les éditeurs de presse), qu'il impose un renouvellement complet du travail des éditeurs. Ces derniers sont en effet obligés de s'adapter au fonctionnement de Google, et plus généralement de la nouvelle économie numérique.
Johan Hufnagel, l'un des créateurs du site Slate.fr, fermement opposé à une taxe Google, exhorte ainsi la presse à « utiliser ses talents de lobbying pour réclamer une véritable réforme de la fiscalité sur les multinationales » et à « investir réellement et massivement dans une vraie modernisation et la naissance de nouveaux modèles ». Plutôt que demander une taxe qui ne résoudrait rien, la presse doit miser davantage sur une stratégie d'adaptation grâce à une production d'information plus régulière, la création de comités de rédaction numérique dédiés ou encore des formations spécifiques portant sur l'information en ligne. Mais tout cela a un coût...
Le travail des éditeurs est certainement bouleversé par le numérique en général et la nouvelle économie qui le sous-tend, plutôt que par les services que proposent Google en particulier. Avant de combattre, autant s'assurer que l'on se trouve sur le même terrain : celui du partage de l'information...
Le débat reste ouvert !
NB : en Irlande, cet article nous aurait déjà coûté la modique somme de 500 €...

Peut-on prêter des e-books en bibliothèque…

Billet rédigé par Clémence Crozier, Marine Peotta, Léonore Roskams et Aude Mingat dans le cadre du cours Ecosystème du document de l'Enssib.

Ipad-Enssib.png

En mai 2011, la librairie Amazon annonçait qu’elle vendait plus de livres sous format numérique que sur format papier, et aujourd’hui le livre numérique se vend mieux que le livre de poche aux Etats-Unis. Ces faits démontrent que le livre électronique est un des enjeux majeurs de la profession pour les années à venir. C’est en faisant cette constatation que de nombreux réseaux de bibliothèques se penchent sur les modalités d'acquisition de textes numériques. Mais c’est un parcours semé d’embûches : modèles économique et juridique instables, demande des usagers encore timide en France… Beaucoup de structures hésitent à sauter le pas.

… dans l’état du marché actuel ?

Aujourd’hui encore, certains éditeurs refusent de rendre possible l'emprunt de leurs livres numériques en bibliothèques : ainsi, en France il n’existe encore qu’une faible offre de livres numériques. Selon Silvère Mercier, le marché existant est totalement dominé par quelques gros éditeurs (comme Amazon), ce qui pose un problème au niveau de la diversité de l’offre.

Cette dernière est encore plus restreinte pour les bibliothèques, car ces éditeurs proposent souvent des abonnements trop onéreux (surtout au regard de l’offre), alors que beaucoup d’établissements ont vu leurs budgets baisser ces dernières années. Les textes numériques sont également souvent conditionnés en bouquets, ce qui est problématique, puisque les professionnels n’ont aucune maîtrise précise des acquisitions, et donc pas une réelle politique d’acquisition numérique.

A ces problèmes d’offre s’ajoutent des problématiques techniques, exposées par beaucoup de professionnels sur le web (comme sur le blog Bouquineo), ou dénoncées (voir le collectif Librarians against DRM). Soucis d’interopérabilité entre les différents formats, de protections renforcées avec les DRM, de licences, de chronodégradabilité… Que de problèmes techniques difficiles à régler pour les professionnels, et à appréhender pour les usagers ! Les DRM sont toutefois défendus par beaucoup d’éditeurs, qui y voient une défense des droits d’auteur dans le monde numérique.



Malgré toutes ces problématiques, des pays comme les Etats-Unis proposent dans leurs bibliothèques un service très développé de prêt de textes numériques. Mais beaucoup ont fait le choix de s’associer avec des éditeurs, et redirigent via leurs catalogues sur des sites marchands, ce qui suppose l’évolution du service public dans une logique commerciale. Ainsi, le modèle américain est évoqué comme un « modèle repoussoir » en France, où le service public se veut encore indépendant de toute stratégie commerciale, et où les professionnels veulent pouvoir ajuster leur offre numérique aux usagers.

… face à une demande encore timide ?

Certes, les pratiques de lecture évoluent (voir notamment les analyses de Roger Chartier et Alain Giffard), mais la demande de prêt de livres numériques venant des usagers ne semble pas vraiment exploser en bibliothèques françaises. Dans une logique de service public, il ne serait légitime de proposer un service de prêt de livres numériques que si la demande de ceux-ci existe. Or, nous pensons qu’il est indispensable de prendre en compte la loi des débouchés de J-B Say, à savoir que l’offre crée la demande : aujourd’hui, la découverte des outils numériques ne repose-t-elle pas en grande partie sur la curiosité ? Le Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique dit bien que la bibliothèque est le lieu de l’accès à l’information et à la formation pour tous : ainsi, les publics ne pouvant pas se permettre de découvrir les textes numériques pourront le faire au sein de ces établissements. Cela permet de réduire la « fracture numérique », et d’offrir un accès démocratique aux informations. Il est donc nécessaire de familiariser tous les publics aux outils et supports numériques et de rendre ces derniers accessibles à tous.

Pour que cette offre se mette en place correctement, il est primordial que les professionnels soient inclus en amont dans la mise en place du projet de prêt et puissent définir leurs attentes par rapport à ce service (ce qui n’est pas toujours le cas, comme le constate cet article). Ils doivent ensuite être formés pour pouvoir répondre aux demandes des usagers et aussi mettre en place une médiation poussée (modes d’emplois, ateliers, tutoriels…). Sans médiation, une offre numérique ne peut pas bien fonctionner, surtout quand la demande reste timide.

Certaines bibliothèques ayant mis en place un prêt de livres numériques ont beaucoup travaillé autour de ces problématiques de formation et de médiation : ces exemples peuvent faire l’objet d’une étude de l’existant pour toute bibliothèque souhaitant se lancer dans l’aventure du prêt de livres numériques.

Oui, c’est possible : exemples de mise en place de prêt

Les bibliothèques francophones, souhaitant s’opposer au modèle américain, tentent de trouver des solutions innovantes. Quelques expériences déjà mises en place semblent prometteuses.

Ainsi, au Québec, le système pretnumerique.ca (décrit dans ce billet par Clément Laberge) apparaît comme un modèle exemplaire de coopération entre tous les acteurs de la chaîne du livre. Plutôt qu’une concurrence, un lien est créé entre les entrepôts numériques des éditeurs et le catalogue des bibliothèques proposant des ebooks.

Une autre solution, adoptée par plusieurs bibliothèques, comme celles de Montréal, la BnF ou la BPI à Paris consiste en un abonnement au site publie.net qui contient une offre de littérature francophone contemporaine. La consultation du catalogue est libre, gratuite et illimitée pour les usagers, qu’ils soient sur place ou à distance. Les œuvres numériques sont sans DRM et peuvent être lues en streaming ou téléchargées.

Certaines bibliothèques en France (Grenoble entre autres) ont opté, quant à elles, pour un prêt de livres numériques avec Numilog. Cette bibliothèque numérique propose un emprunt ou une consultation sur place ou à distance ainsi qu’un accès en ligne ou hors ligne. Une certaine liberté est laissée aux bibliothèques, comme le choix des livres, la durée de prêt, le nombre d’ebooks empruntés à la fois.

Enfin, les projets qui ont retenu notre attention sont ceux de prêt de support contenant une offre, comme celui d’Issy-les-Moulineaux qui date déjà de 2010, ou comme Tab en Bib en Midi-Pyrénées actif depuis juin 2012. Certes, le lecteur manque encore d’autonomie, puisque les tablettes de lecture sont pré-chargées : l’usager ne peut pas lire des fichiers téléchargés par ses soins. Mais c’est pour nous un exemple important, puisqu’il permet l’accès aux nouvelles technologies de la lecture dans leur ensemble : le contenu et le support.

Faut-il attendre que le marché idéal soit fixé pour prêter des ebooks ? Pour nous, la réponse est non. Nous pensons qu’il est important pour les bibliothèques de prêter des livres numériques aujourd’hui, et les divers exemples cités plus haut démontrent qu’il est tout à fait possible de mettre en place un tel service. Si l’on attendait que le marché soit fixé (et il y en a peut-être encore pour longtemps !), la France serait beaucoup en retard sur ce point. Il nous faut donc essayer, prêter, pour améliorer le service public et faire évoluer notre offre selon les évolutions du marché.

dimanche 20 janvier 2013

Exploitation des données et travail gratuit (Collin & Colin)

En attendant le rapport de la mission Lescure sur les contenus numériques et la politique culturelle à l'heure du numérique, on pourra lire le rapport français des experts Collin & Colin sur la fiscalité du numérique qui était très attendu, lui aussi, normal en ces temps de crise des finances publiques et de polémiques autour des paradis fiscaux dont profiteraient abusivement les plus grosses firmes du net. Même si le rapport est imposant, il ne décevra pas le lecteur. A l'évidence, il cherche à faire date. Il s'agit en effet d'un de ses rares rapports officiels à proposer une vraie thèse nouvelle pour éclairer et suggérer un changement de politique.

De ce point de vue, on peut le rapprocher d'un autre rapport qui marqua un tournant à la fin des années 70 et lança la télématique en France : le rapport Nora-Minc sur L'informatisation de la société (pour une histoire de ce rapport, voir A. Walliser). Il en a les qualités pédagogiques, la finesse d'analyse... et aussi l'ambition très française de vouloir montrer la voie à partir d'une thèse englobante, amenant quelques raccourcis et peut-être quelques aveuglements. nous verrons bien si celui-ci aura l'impact qu'a eu celui-là :

  • Collin, Pierre, et Nicolas Colin. Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique. Paris, France: Ministère de l’économie et des finances ; Ministère du redressement productif, janvier 2013. Pdf
  • Nora, Simon, Alain Minc, et France. Présidence de la République. L’informatisation de la société : rapport à M. le Président de la République. 1 vol. Paris, France: La Documentation française, 1978.

Il ne manquera pas, j'en suis sûr, de synthèses critiques. L'ampleur de l'ouvrage se mesure à la densité de son propos, aux nombres d'experts entendus et visiblement écoutés et à l'importante bibliographie. Je me contenterai, comme souvent ici, d'un bref résumé de la thèse et de quelques remarques.

La thèse principale du rapport peut être rapportée en deux citations chocs : les données, notamment les données personnelles, sont les ressources essentielles de l'économie numérique et la collecte des données révèle le phénomène du "travail gratuit". Bien entendu, le rapport ne se résume pas à ces deux phrases. Il comprend une analyse détaillée de la situation fiscale des entreprises, de leurs caractéristiques particulières et décline des propositions. Mais c'est bien sur l'articulation entre la collecte et l'exploitation des données personnelles, d'une part et leur relation avec l'exploitation du travail gratuit, de l'autre, que se cristallise l'ensemble du raisonnement dont découlent les propositions, tout particulièrement les deux principales : inclure le travail gratuit des utilisateurs dans la définition des "entreprises stables" au sein de l'OCDE afin de pouvoir relocaliser en quelque sorte la création de valeur et donc sa fiscalité et, en attendant cette mise en place qui suppose une concertation internationale, taxer la collecte de données un peu à la manière de la taxe carbone, selon une formule de prédateur-payeur.

Cette thèse a le grand mérite de dépasser les analyses habituelles sur les transferts de valeur au détriment des ayant-droits ou encore sur le grand partage, en montrant la nature nouvelle des firmes issues de l'économie numérique. Et les propositions sont imaginatives, innovantes, nous sortant des ornières des polémiques actuelles. D'une façon générale, elles s'inscrivent dans le sillon qu'a commencé à creuser Doc Searles avec son Economie de l'intention. Il n'est pas sûr qu'elles ne rencontrent pas de nombreux obstacles, mais elles ont l'avantage de décaler les propos en cherchant à les replacer au centre des leviers de l'économie numérique.

Elle croise bien des constatations déjà faites sur ce blogue ou ailleurs (sur le poids du capital-risque, sur le pouvoir des managers, sur les marchés plurifaces, sur les écosystèmes en concurrence, etc.), mais elle va plus loin en proposant une nouvelle mesure de la valeur. Quelques critiques rapides néanmoins :

  • l'exploitation du travail de l'usager n'a pas commencé avec le numérique. C'est une caractéristique de l'économie des services. Certains, dans le marketing des services, ont même baptisé ce phénomène la "servuction".
  • Il reste un flou sur la notion de marché, même pluriface, qui conduit à surestimer les réussites économiques. Le client principal est l'annonceur, qui n'est qu'à peine évoqué dans le rapport et non l'internaute qui est au moins autant le produit que l'exploité. Il n'est pas sûr, par exemple que Facebook ne soit pas aujourd'hui dans une impasse.
  • de même à part peut-être pour Google qui reste un cas à part, il n'est pas sûr que l'exploitation des données personnelles soit si rentable qu'il est souvent prétendu.
  • Enfin, il serait utile d'intégrer l'Etat dans l'analyse. Les Etats modernes, pour la sécurité, pour la régulation des organisations publiques comme pour le développement de l'Etat-Providence sont les premiers collecteurs des données personnelles. Et l'économie numérique peut être aussi analysée comme la montée d'une concurrence sur ce terrain.

Autres réactions

Voici qques liens d'analyses sur le rapport. Je complèterai au fur et à mesure :

- page 1 de 6