Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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dimanche 11 février 2007

Ambiguïtés du droit d'auteur à la française

Voici deux extraits significatifs de l'exposé de Agnès Tricoire, avocat au barreau de Paris, sur l'histoire du droit d'auteur présenté au cours de la table-ronde sur la "Situation des auteurs de l'écrit : état des lieux et perspectives" du 21 décembre 2006, tenue dans le cadre de l'action du CNL Livre 2010.

Cet exposé vient compléter utilement l'article du BBF présenté et critiqué dans un précédent billet.

Concernant la logique du copyright à l'américaine :

"Enfin, pour les économistes Léon Walras, John Stuart Mill ou Jules Dupuit, les DPI ne sont qu’une convention sociale à apprécier au regard de sa capacité à satisfaire l’intérêt général… ; et à garantir les intérêts conjoints des auteurs et de la société.

Cette conception utilitariste du droit d’auteur fonde le système américain du copyright. Cela transparaît déjà dans la constitution américaine de 1787 : « Le Congrès est autorisé à promouvoir le progrès de la science et des arts utiles en garantissant, pour un temps limité, aux auteurs et aux inventeurs un droit exclusif sur leurs oeuvres écrites et inventions respectives »7. Ce qui est mis en avant, ce n’est pas les intérêts de l’auteur mais bien ceux de la société (le progrès de la science). Cette proposition est de nouveau affirmée et précisée à l’occasion du Copyright Act de 1909 : « Le copyright est accordé au premier chef non pas au bénéfice de l'auteur, mais au bénéfice du public (...). En promulguant la loi sur le copyright, le Congrès doit envisager deux questions : premièrement dans quelle mesure la loi stimulera-t-elle le producteur (producer) et quel en sera le bénéfice pour le public ; et, deuxièmement, en quoi le monopole conféré à l'auteur pénalisera-t-il le public? »8.

Le système du copyright protège donc l’oeuvre contre la copie au nom de l’intérêt général. Il ne protège pas l’auteur en tant que tel. Le statut d’auteur n’a donc pas une importance centrale et les droits afférents à ce statut non plus. Il n’est donc pas étonnant que le droit moral ne soit pas présent dans le système américain."

Sur la loi de 1957, qui fonde le droit d'auteur à la française :

"L’auteur est le premier mot du CPI, immédiatement défini par un complément d’objet, l’oeuvre de l’esprit, et par le statut que lui confère ce complément d’objet, le devenir sujet de droit, et quel droit ! Un droit incorporel, exclusif et opposable à tous, dont l’auteur jouit sur l’oeuvre.

L’auteur est donc celui qui jouit du droit « sur » car il est l’auteur « de ». L’auteur est une sorte de père incestueux, de figure juridique incomplète, défini par le produit de lui-même. La définition de ce produit de lui-même que la loi appelle « oeuvre de l’esprit » est renvoyée, dans un double bind conceptuel qui a beaucoup fait grincer des dents les structuralistes, dans le camp de la personne de l’auteur, dont on ne sait toujours rien d’autre sinon qu’il est, par une figure tautologique, celui qui a marqué l’oeuvre, celui dont la personnalité est inscrite dans l’oeuvre. L’originalité comme critère de l’oeuvre renvoie à l’auteur.

Rien ici ne permet de distinguer l’auteur d’une oeuvre de l’auteur d’une idée, de l’auteur d’une théorie, de l’auteur d’un choix, et le miracle juridique de la transsubstantiation a permis la transformation du droit d’auteur en poubelle de l’industrie. Le mot de création ouvre la perspective d’un acte spécifique, autonome, que chacun prend bien soin de ne pas définir.

Dans un temps aussi troublé que le nôtre, où l’auteur risque de disparaître dans la poubelle qu’est devenue son droit, est-ce bien raisonnable de craindre autant de s’expliquer et de s’entendre sur l’objet spécifique de cette protection hors du commun ?"

mercredi 27 septembre 2006

Évolution du droit d'auteur

Le dernier numéro du BBF est consacré à un dossier intitulé Économie et droit de l'information, à vrai dire, il n'est question que de droit. L'économie n'est qu'un élément contextuel, une toile de fond sans que ses logiques soient analysées.

Le premier article du dossier fera date. C'est une remarquable synthèse de l'histoire française du droit d'auteur de ses origines à nos jours. Avec une clarté et une pédagogie exceptionnelles, l'auteur, Laurent Pfister, déroule le balancement entre la "liberté de copier" et la "propriété de l'auteur" ou l'antagonisme de deux modèles (la "propriété privée" et le "contrat social") au cours de l'histoire. Il éclaire ainsi les débats actuels et restera comme référence.

Pourtant, il me semble poser problème. Je ne suis ni historien, ni juriste et j'avance donc avec prudence. Mais l'article m'a néanmoins laissé dubitatif.

Je reproduis ici sa conclusion : Pfister, Laurent, « Mort et transfiguration du droit d’auteur ? : Éclairages historiques sur les mutations du droit d’auteur à l’heure du numérique », BBF, 2006, n° 5, p. 5-13

Droit de protection des investissements… et des investisseurs ou droit à une récompense honorifique et pécuniaire compensant la libre utilisation des œuvres par le public ? Quelle qu’en soit l’issue, l’affrontement exacerbé entre privatisation et socialisation, avatars de modèles historiques concurrents, détourne le droit d’auteur de ce qu’il était. Il incline à ne plus être cette propriété souveraine du créateur, comprise comme une protection de sa personnalité et, partant, comme un pouvoir, attaché à lui seul, d’interdire aux exploitants et au public tel ou tel usage de son œuvre, dans le respect de certaines limites.

Qu’il soit tenu pour un « fournisseur de contenus » ou pour un travailleur rémunéré par le public, il est à craindre que l’auteur ne soit la victime du duel que se livrent aujourd’hui entreprises et consommateurs.

Mon problème est le suivant : l'histoire présentée ici est uniquement française, alors que l'histoire du droit d'auteur est internationale, en particulier l'antagonisme noté s'est traduit différemment dans le droit nord-américain qui privilégie la notion de copyright (droit de copie). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'un raisonnement moral, même s'il est récupéré par des stratégies commerciales, comme nous l'avions montré A. Marter et moi dans un article ancien de la même revue. Aussi l'antagonisme ne met pas en confrontation auteurs et consommateurs, mais auteurs et citoyens (concept absent de l'article..).

La nuance est d'importance, car c'est bien ce principe qui en Amérique du nord a justifié, par exemple, l'ouverture de la Bibliothèque du Congrès selon la formule de Jefferson récemment rappelée par Joseph Stiglitz dans une interview à Libération du 13 sept : Pourtant, comme le disait Jefferson, ex-président américain, le savoir est comme une bougie : «Quand elle en allume une autre, sa lumière ne faiblit pas.» «Le libre accès au savoir tient du bien public mondial», Libération 13 septembre 2006.

Sans doute l'auteur mettrait ce mouvement dans ce qu'il appelle le modèle du contrat social, mais ne pas lier ce dernier avec la construction des démocraties modernes ou inversement faire de l'apparition de l'auteur une naissance déconnectée de l'histoire culturelle (l'auteur romantique) risque de fausser le débat actuel.

L'auteur est menacé, mais le citoyen l'est aussi dans le processus de redocumentarisation en cours. Toute la question est de savoir comment reconstruire ou faire évoluer un droit du document qui s'appuie sur une éthique renouvelée.

mardi 08 août 2006

La loi DAVSI promulguée et commentée

Maître Eolas commente avec sa clarté et sa rigueur habituelles la loi DAVSI qui vient d'être promulguée au Journal Officiel français après bien des péripéties juridiques. Son commentaire porte essentiellement sur les mesures techniques de protection (MTP, traduction de l'anglais Digital Right Management, DRM).

Résumé, par l'auteur, de son très long billet :

''Télécharger des MP3 illicites est une contrefaçon (La jurisprudence se fixe en ce sens depuis la cassation de l'arrêt de Montpellier) : 3 ans, 300.000 euros d'amende (art. L.335-4 du CPI, non modifié par la loi DADVSI).

Diffuser un logiciel manifestement conçu pour du téléchargement illicite est passible des mêmes peines (art. L.335-2-1 du CPI, nouveauté DADVSI). Faire la promotion d'un tel logiciel est puni des mêmes peines.Tripatouiller ses fichiers pour virer les Mesures techniques de protection = 3.750 euros d'amende.

Diffuser un logiciel le faisant automatiquement : 6 mois et 30.000 euros d'amende. Utiliser ce logiciel = Rien, sauf à ce qu'une jurisprudence facétieuse caractérise le recel. Lire des DVD sous Linux = rien.''

Actu du même le 08-08, qui nuance le dernier point, ce qui n'est pas sanctionné par la loi risque de l'être par contravention.

mardi 09 mai 2006

DAVSI : copyright et droit d'auteur

Un intéressant article dans Libération d’aujourd’hui sur la comparaison entre les logiques du copyright (US) et du droit d’auteur (FR) et leur conséquence sur la DAVSI :

Outre son absurdité, l'interdiction du téléchargement va à l'encontre de l'intérêt général.

Intérêts de l'investisseur contre droit d'auteur

par Philippe GAUDRAT jeudi 04 mai 2006

Mais, même si je ne suis pas juriste contrairement à l’auteur, je crois qu’il se trompe en interprétant le droit américain comme le droit de l’investisseur. Il s’agit du droit du diffuseur ce qui est bien différent. Les deux logiques, française et américaine, ont leur justification, il s’agit d’un côté du droit de la création, de l’autre celui de la publicisation. L’un et l’autre défendent l’intérêt général, mais parfois de façon antagonique. Par contre, l’un et l’autre droits font aussi l’objet d’une confiscation par des acteurs économiques puissants et intéressés.

J’avais présenté ce point de vue avec A. Marter, avocat, il y a quelques années déjà, dans un article du BBF :

BBF 1998 - Paris, t. 43, n° 3

Alain Marter Jean-Michel Salaün

Propriété intellectuelle et bibliothèques françaises

Leçons américaines et opportunités européennes

lundi 08 mai 2006

Absolument tout sur le Fair use

Grâce à Andrew Raff qui a pris des notes au colloque de l'Université de New York, intitulé ''Comedies of Fair Use '', nous savons tout sur cette doctrine, particulière au droit anglo-saxon mais décisive pour les évolutions à venir sur l'équilibre entre propriété intellectuelle et domaine public : le programme du colloque, l'intervention de L. Lessig, celles des autres orateurs, table ronde, etc (2, 3, 4, ce qui doit être fait )et les réflexions d'A. Raff

En prime, le cours complet de Stanford sur le sujet.

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