Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

mercredi 22 septembre 2010

Vie privée, bibliothèques et Google-Books

Dans une discussion récente avec Silvère Mercier (ici), je m'étonnais que les bibliothécaires francophones ne prêtent pas plus d'attention à l'anonymat de la lecture dans le monde numérique. Justement un papier vient de paraitre sur le sujet :

Elisabeth A. Jones et Joseph W. Janes, “Anonymity in a World of Digital Books: Google Books, Privacy and the Freedom to Read,” dans (présenté au Internet, Politics, Policy 2010: An Impact Assessment, Oxford Internet Institute, 2010). Pdf

À vrai dire l'article n'amène pas sur le fond d'autres arguments que ceux déjà connus (voir par ex ici). Mais il appuie son raisonnement sur un livre de Helen Bissenbaum paru en 2009 que je ne connaissais pas et qui m'a bien intéressé, du moins par sa présentation dans l'article et les extraits et commentaires que j'ai pu en lire jusqu'ici :

Helen Nissenbaum, Privacy in Context: Technology, Policy, and the Integrity of Social Life (Stanford Law Books, 2009).

Le concept clé de Nissenbaum est «l'intégrité contextuelle» (contextual integrity) qui n'est pas une définition de ce qui serait privé vs ce qui serait public, mais une construction à partir de normes informationnelles d'une situation appropriée, c'est-à-dire moralement acceptable dans un contexte donné. Les normes sont évolutives et leurs paramètres sont précisés (contextes, acteurs, attributs et principes de transmission). Enfin un cheminement par étapes est proposé pour juger de la validité d'une nouvelle intégrité contextuelle qui peut être résumé en deux phases : Les nouvelles pratiques sont-elles conformes aux normes de l'ancien contexte ? La négative ne signifie pas qu'il faille nécessairement les rejeter, tout dépend des risques encourus par rapport aux bénéfices généraux. Cette mesure en termes moraux fait l'objet de la seconde phase.

Il est facile de montrer ainsi que les pratiques de Google violent les principes de l'anonymat de la lecture édictés dans le contexte des bibliothèques publiques des États-Unis (phase 1) et les auteurs suggèrent que le nouveau contexte créé ne répond pas non plus aux considérations morales de liberté, d'autonomie et de justice. Ce deuxième point est discuté dans l'article à mon avis un peu rapidement, même si je suis d'accord avec la conclusion. La difficulté à trancher sur la deuxième phase montre peut-être la limite de la méthode de Nissenbaum. Néanmoins, il paraît difficile d'éviter un débat moral et politique lorsque l'on aborde les notions de sphères privée et publique, toutes deux indispensables à notre humanité.

Voici, pour finir un extrait d'une interview d'H Nissenbaum du 18 janvier 2010 (ici trad JMS) :

Les questions les plus urgentes soulevées par le livre sont à mon avis :

D'abord de démontrer que la distinction entre privé et public, aussi utiles qu'elles soient dans d'autres espaces de la philosophie du droit et de la politique, est une impasse complète pour conceptualiser un droit à la vie privée et pour édicter une politique. De mon point de vue, on a perdu bien trop de temps à décider si telle ou telle information, tel ou tel lieu étaient privés ou publics quand, en réalité, ce qui comptait au final était quelles contraintes devaient être imposées sur la circulation de cette information dans cet espace. Nous pourrions faire des progrès beaucoup plus rapides si nous prenions de front cette dernière question plutôt que de nous enfermer dans la première.

Ensuite de contester la définition de la vie privée comme un contrôle sur les informations qui nous concernent, qui domine le monde politique aujourd'hui, même si elle est moins répandue dans le monde académique. Le problème de cette définition est qu'elle met immédiatement la vie privée en contradiction avec d'autres valeurs, présentées comme plus pro-sociales. Si le droit de la vie privée est le droit de contrôle, alors, il doit être évidemment limité, négocié, modéré par l'intérêt général ! De plus, il n'est même pas évident que le contrôle offrira une meilleure protection au sujet. Imaginez, par exemple, que tout ce qui concerne le dossier santé d'un individu soit soumis à son consentement pour sa divulgation et mettez cet individu dans une situation où on lui offre en échange un emploi, un prêt ou un gain à la loterie.. Heureusement, la loi des États-Unis reconnait le besoin de réelles contraintes pour la circulation de l'information selon les lieux et les contextes de la vie et, bien que des critiques ont été émises sur les faiblesses de certains termes de ces lois, je crois que l'approche globale est bonne.

mardi 31 août 2010

Economie de surveillance

Le Wall Street Journal a publié cet été une série de cinq articles sur la surveillance et le repérage des internautes. Ces articles sont aussi importants par les informations qu’ils apportent, que par le statut du journal qui les publie.

1. Julia Angwin, “The Web's New Gold Mine: Your Secrets,” wsj.com, Juillet 30, 2010, rub. What They Know, ici.

2. Nick Wingfield, “Microsoft Quashed Effort to Boost Online Privacy,” wsj.com, Août 2, 2010, rub. What They Know, ici.

3. Justin Scheck, “Stalkers Exploit Cellphone GPS,” wsj.com, Août 3, 2010, rub. What They Know, ici.

4. Emily Steel et Julia Angwin, “On the Web's Cutting Edge, Anonymity in Name Only,” wsj.com, Août 4, 2010, rub. What They Know, ici.

5. Jessica E. Vascellaro, “Google Agonizes on Privacy as Ad World Vaults Ahead,” wsj.com, Août 10, 2010, rub. What They Know, ici.

Voici quelques notes et commentaires article par article. Attention, il s’agit de ma lecture et de mon interprétation des articles et non d’un compte-rendu fidèle, j’y ai ajouté commentaires, liens et réflexions de mon cru. Le sous-titre représente la principale leçon que j’en ai tirée.

1. L’économie souterraine du ciblage

Le WSJ s’intéresse dans cet article introductif aux logiciels espions.

Du côté technique, les initiés n’apprendront pas grand-chose. J’avais déjà rendu compte d'une enquête sur les 50 sites les plus populaires des US (là où on trouvera aussi le lien vers l'enquête de AT&T sur 1.000 sites populaires citée dans l'article). Le journal a fait une expérience similaire avec un ordinateur test. Il a constaté que les 50 sites les plus fréquentés avaient déposé 3184 éléments de surveillance au total, la plupart du temps sans prévenir, une douzaine de sites en a déposé plus de cent, Wikipédia aucun. Un petit 1/3 sont inoffensifs, par exemple pour se rappeler son mot de passe. Mais les logiciels espions ne s’en tiennent pas à des cookies et sont de plus en plus sophistiqués. Certains, par exemple, suivent ce que font les gens en temps réel, et évaluent instantanément le lieu, les revenus, les comportements d’achat et même les conditions médicales des personnes. Certains se réimplantent automatiquement quand les usagers cherchent à s’en débarrasser, notamment en profitant des fonctionnalités de Flash d’Adobe. La relation entre les profils et les noms des personnes n’est pas faite. Les profils sont, en toute rigueur, ceux des machines des utilisateurs.

Plus inédits sont les éléments, même partiels, donnés sur cette économie. Les profils des individus ainsi recueillis, constamment actualisés, sont achetés et vendus sur une sorte de bourse qui a pris son envol dans les derniers 18 mois. Le journal a ainsi identifié plus de 100 sociétés d’intermédiaires en concurrence sur les données comportementales et d’intérêts des individus. Parmi celles-ci la société BlueKai surveille, par exemple, les visiteurs de eBay.com ou de Expedia.com en temps réel et ces données sont revendues sur son site. Plus de 50 millions d’informations sur les habitudes de navigation des internautes sont vendues chaque jour à 1/10 de centime de $ pièce. On considère que la publicité ciblée a fait un chiffre d’affaires de 23 Milliards de $ l’année dernière.

Ces données peuvent être une rentrée supplémentaire pour des sites qui ne peuvent se financer complètement par la vente d’espace publicitaire. Il semble néanmoins que, naïfs, inconscients ou complices passifs, nombre de sites ne sont pas au courant des logiciels espions qu’ils transmettent et qui sont initiés par des entreprises-tiers d’un nouveau genre où règnent les statisticiens. Par ailleurs, si aux États-Unis l’utilisation des cookies est réglementée, les autres logiciels espions, bien plus intrusifs ne le sont pas, pas encore.

In fine, l’objectif est, bien sûr, de cibler au plus près le consommateur. Voici trois citations illustratives de l’objectif des responsables de ces sociétés : « Les annonceurs veulent accéder aux personnes, pas aux pages web » ; « Quand une publicité est correctement ciblée, elle cesse d’être une publicité pour devenir une importante information » ; « Nous dirigeons les gens vers différentes files de l’autoroute ». Mais, cette détermination a des limites. Il n’est pas sûr que nous voulions rester toujours dans les mêmes rails et nous sommes, comme tous les humains, heureusement versatiles.

2. L’importance du navigateur et des choix techniques

Un important débat a eu lieu à Microsoft au moment de la mise au point de Internet Explorer 8 entre les ingénieurs et les responsables de la stratégie. Les premiers avaient imaginé un navigateur qui protégeait par défaut la vie privée des internautes en les prévenant des logiciels intrusifs et leur donnant la possibilité de les bloquer. Mais suite à des pressions internes de nouveaux recrutés issus de la publicité sur le web et de la consultation des représentants de cette branche. La tendance a été renversée, rendant quasi-impossible cette protection, qui n’existe plus par défaut et qu’il faut réenclencher à chaque ouverture du navigateur.

L’épisode est intéressant à double titre. D’une part, il illustre combien la logique économique du web est radicalement différente de celle de l’économie classique des logiciels, culture initial de MSN, et repose exclusivement sur la publicité ciblée. D’autre part, il montre le rôle essentiel dans cette économie du navigateur dont les choix techniques ne sont pas gravés dans le marbre.

MSN, malgré tout, cherche encore à se démarquer de ses concurrents sur le web en appliquant une politique plus rigoureuse sur les données qu’il collecte, comme le montre cet article du journal de la firme : Lee Pender, “Privacy: What Does Microsoft Know About You?”, Redmondmag.com, Janvier 7, 2010, ici.

L’épisode peut aussi faire réfléchir à la stratégie de Mozilla avec Firefox, drapé dans la vertu du logiciel libre, mais ne défendant pas mieux les données privées..

3. Cellulaire ou mobile

En Amérique du nord, on dit « téléphone cellulaire », en Europe « téléphone mobile », ou plus rapidement cellulaire et mobile. La différence sémantique est ironique, l’un insiste sur le repérage, le quadrillage voire l’enfermement, tandis que l’autre pointe la liberté, le déplacement. Sans doute, il s’agit de l’envers et du revers d’une même médaille, mais le pile et le face sont pour le moins contrastés. Une même technologie, un même service est désigné selon les continents par des qualificatifs opposés. Ici, je garderai « cellulaire », plus représentatif des propos du WSJ. Les compagnies de téléphone savent, en effet, où se trouvent leurs abonnés à trente mètres près.

L’article met en balance deux conséquences de ce repérage : d’un côté il indique la possibilité de repérer des victimes d’accidents ou de délits ou encore de sécuriser les enfants, qui justifie officiellement la réglementation US d’installation d’une puce GPS dans tous les téléphones cellulaires ; mais il insiste surtout sur les dangers du harcèlement et de la surveillance domestique, multipliant les exemples de femmes battues, retrouvées par leur mari grâce au traçage familial de leur téléphone portable proposé aux abonnés d’un cellulaire. En réalité, les enjeux me paraissent ailleurs : sur la surveillance policière ou le contrôle social d’un côté, la publicité contextualisée, de l’autre

Un chercheur d’une société de sécurité informatique, Don Bailey d’ISec Partners, a montré qu’il suffisait du numéro de cellulaire de la personne, d’un ordinateur, de quelques connaissances sur la technologie des cellulaires pour surveiller n’importe qui. Pour les paranos ou les incrédules, toutes les explications du chercheur sont ici . Il y explique comment il est possible de savoir, pour quelques cents et, tout de même, avec quelques compétences informatiques : qui vous êtes, quels sont les membres de votre famille, vos amis, vos collègues, où vous êtes, où ils sont, ce que vous êtes probablement en train de faire, pourquoi.. et ce que vous allez probablement faire ensuite.

4. Anonymat et personnalisation

Cet article donne une illustration concrète de ce qu’il est possible aujourd’hui de faire avec les données collectées. Il prend l’exemple de la société (x+1) qui a trouvé son modèle d’affaires en 2008 après de nombreux déboires et changements auparavant.

En utilisant les bases de données construites comme indiqué dans le premier article, la société est capable instantanément de donner le profil de consommation de n’importe quel internaute. Ils n’ont pas a priori son nom, mais croisent les références des données, avec la propriété des maisons, le revenu familial, le statut familial, les restaurants habituels, entre autres. Et en utilisant les probabilités, ils font des hypothèses sur les penchants de l’internaute. Le directeur de la société indique : « Jamais, nous ne savons rien sur une personne ».

Sans doute, il leur arrive de se tromper, mais leurs propositions sont suffisamment fiables pour qu’ils aient trouvé un marché auprès des vendeurs de cartes de crédit qui évaluent ainsi en temps réel la fiabilité de leurs nouveaux clients. Comme le dit le journaliste : « en résumé, les sites web ont gagné la possibilité de décider si vous serez un bon consommateur ou non, avant même que vous ne leur disiez quoi que ce soit sur vous-même ». Les conseils d’Amazon à partir de leur base de données maison sont largement dépassés. Ces techniques ouvrent la possibilité de construire un commerce personnalisé où produits, services ou même prix sont proposés selon le profil de chacun.

Mais la préservation de l’anonymat est toute relative et, par ailleurs même si ces sociétés disent ne pas faire de discrimination selon les genres, les profils ethniques, les handicaps qui tombent sous le coup de la loi, de tels profilages peuvent conduire facilement à des dérives éthiques. Ainsi, comme le titre de l’article l’indique, cette économie du web est limite.

5. Contextuel ou comportemental

Le dernier article est celui qui m'a le plus intéressé. Il s'appuie sur un document interne de la société, remue-méninges qui montre les hésitations de Google pour l'exploitation des données qu'il récolte sur les internautes face à la montée de la concurrence. De part sa domination du marché de la publicité en ligne, la position de Google est déterminante à la fois vis-à-vis de ses concurrents et aussi vis-à-vis de l'évolution de la réglementation que chacun sent proche.

La firme détient par son moteur la plus grosse base de données sur les intentions des internautes, mais a résisté jusqu'à présent à surveiller ces derniers sans leur consentement pour préserver son image. Le savoir faire de Google est d'abord contextuel, une expertise de traitement des textes, aussi bien les requêtes des internautes que les documents publiés sur le web et non comportemental, une connaissance des réactions des personnes. Cette dernière expertise est celle de FaceBook ou des jeunes firmes présentés dans les autres articles de la série. D'un côté une expertise linguistique, de l'autre une expertise sociologique. C'est aussi dans ce contexte que l'on peut relire le slogan « don't be evil », on peut chez Google manipuler les mots, pas les personnes. Les débats internes à Google sur l'utilisation des cookies par exemple sont très vifs et ne sont pas sans rappeler les débats de MSN présentés dans un autre article de la série. Dans les deux cas le dilemme est le même : comment préserver la culture de l'entreprise tout en faisant face à la concurrence ?

Une animation très claire, qui accompagne l'article, montre combien aujourd'hui les données engrangées sont nombreuses, recueillies par diverses services de Google et sont encore cloisonnées pour leur exploitation publicitaire. Reste que l'article ne dit pas à quoi servent l'important stock de données collectées en dehors d'une utilisation pour la publicité, par exemple par la barre d'outil de Google.

Suite notamment à l'achat de Double-Click en 2007, à la montée de la concurrence dont Facebook, il semble que la position de la firme a évolué sur le cookies. D'ailleurs, l'enquête déjà citée () montrait que Google est très présent dans la surveillance. Une stratégie pour sortir du dilemme par le haut serait de devenir une bourse d'échanges de données ou une régie de publicité comportementale ciblée.

Actu 24 septembre 2010

Voir aussi :

The convergence of Google, government and privacy - O'Reilly Radar, ici.

Actu du 7 octobre 2010

Comme prévu, la régulation va très très vite dans ce domaine :

“Publicité ciblée : les Américains aussi se mettent à l'abri - Etreintes digitales,” ici.

Actu du 13 octobre 2010

Conformément à l'esprit français dans la continuité de la CNIL, l'argumentaire est plutôt mis ici sur l'éthique et non sur le commerce. Deux références :

Le livre de D. Kaplan, présentation ici

La signature de chartes sur le droit à l'oubli : pour la publicité ciblée (ici) et dans les sites collaboratifs (). Signatures refusées par Facebook et Google.. entre autres.

Dans ce domaine, l'autodiscipline est peu efficiente, seule compte la norme comme le propose Helen Bissenbaum ().

Actu du 18 oct 2010

Le WSJ continue à creuser le même sillon en en faisant une rubrique régulière What they know ici et notamment cet article :

Julia Angwin et Steve Stecklow, “'Scrapers\' Dig Deep for Data on Web,” wsj.com, Octobre 12, 2010, ici .

Actu du 26 octobre 2010

Voir ce nouvel article sur une levée de fonds de la société Cloudera.

Actu du 27 octobre 2010

A suivre :

“Confidentialité : Google poursuivi en justice aux Etats-Unis,” Le Monde, Octobre 27, 2010, ici.

samedi 14 août 2010

Google mise tout sur la pub ciblée

Le Wall Street Journal vient de publier un entretien avec le prolixe directeur financier de Google, E. Schmidt :

Holman W. Jr Jenkins, “Google and the Search for the Future,” The Wall Street Journal, Août 14, 2010, ici.

Les propos s'adressent aux actionnaires s'inquiétant d'une fuite en avant technologique de la firme qui ne distribuerait pas assez de dividendes alors que c'est une machine à cash. Mais pour M. Schmidt l'enjeu est d'abord de préserver la position de Google sur la publicité sur le web au moment où la recherche (search) est de plus en plus dépassée. Extraits (trad JMS) :

« Je pense vraiment que la plupart des gens ne veulent pas que Google réponde à leurs questions, poursuit-il. Ils veulent que Google leur dise ce qu'ils devront faire ensuite. »

« (..) Nous savons grosso modo qui vous êtes, à quoi vous faites attention, qui sont vos amis. » Google sait aussi à moins d'un mètre près où vous êtes.

Aux dires de M. Schmidt, une génération de puissants appareils de poche est sur le point de sortir, capables de nous surprendre avec des informations que nous ne savions pas vouloir connaître. « Ce qui rend les journaux si fondamentalement fascinant - les trouvailles fortuites (serendipity) - peut aujourd'hui être calculé électroniquement. » (..)

« La technologie sera si efficace qu'il sera très difficile pour les gens de regarder ou consommer quelque chose qui n'aura pas été d'une certaine façon taillée sur mesure pour eux. » (..)

M Schmidt pense que la réglementation est inutile car Google est fortement incité à préserver les droits des usagers, sinon ils s'enfuiront en une minute si Google fait quoi que ce soit avec les renseignements personnels qu'ils trouvent trop sensibles. (..)

« Je ne crois pas que la société comprenne ce qui arrive quand tout est accessible, potentiellement connu et enregistré par tout le monde tout le temps ». Il prédit, apparemment sérieusement, qu'un jour chaque jeune arrivé à l'âge adulte aura le droit de changer automatiquement de nom pour désavouer sa jeunesse fêtarde enregistrée sur les sites des médias sociaux de leurs amis.

« Je veux dire que nous devons vraiment penser ces questions à un niveau sociétal, ajoute-t-il. Je ne parle même pas des choses vraiment effrayantes, comme le terrorisme ou la perversité. »

Ainsi E. Schmidt confirme que tous les efforts de Google ne portent que sur un seul mode de revenu : la publicité ciblée. C'est aussi la justification de la gratuité d'Androïd pour les opérateurs de téléphonie mobile, des récentes prises de positions à propos de la neutralité du net avec Verizon ou encore des efforts sur Chrome OS. Bien sûr, cette stratégie est dangereuse pour ses concurrents qui ont d'autres sources de revenus, car elle a tendance à les assécher en proposant grâce à son marché biface gratuitement ce qu'ils vendent à leurs clients. Elle l'a été pour la presse et globalement les industries de contenu, elle l'est aujourd'hui pour Apple et pour Microsoft, c'est à dire la micro-informatique.

Il a raison d'indiquer que des questions d'éthique se posent. Mais il n'est pas sûr que sur ce point le débat soit à la hauteur des enjeux.

Ajoutons que le journaliste du WSJ ne parait pas convaincu par tous les arguments, notamment concernant la facilité à quitter Google en cas de problème ou encore la propension de la firme à investir dans les services non rentables comme YouTube.

Actu du 30 août 2010

A compléter avec cet excellent article que je n'avais pas repéré :

Jessica E. Vascellaro, “Google Agonizes on Privacy as Ad World Vaults Ahead,” wsj.com, Août 10, 2010, rub. What They Know, ici.

Voir en particulier l'animation du graphique.

jeudi 13 mai 2010

(Dés)ordre documentaire et (dés)ordre social

Francis Epelboin relate comment en Tunisie certains groupes islamistes arrivent à faire fermer des comptes Facebook à leurs yeux impies, simplement en utilisant les fonctionnalités automatiques du réseau (ici). L'histoire est édifiante et mérite d'être lue et méditée. Il est probable que la Tunisie ne soit ici que la partie émergée d'un iceberg de manipulations variées. Sans revenir sur les aspects éthiques, politiques et sociaux évidemment fondamentaux de cette histoire, je voudrais réfléchir tout haut et sans prétention ici à sa dimension documentaire.

Reprenant une métaphore habituelle sur le net l'auteur démarre ainsi son billet : Si Facebook était un pays, il serait l’un des plus peu­plés de la pla­nète, mais il serait égale­ment aux prises avec une guerre civile qui prend des pro­por­tions inquié­tantes. Cette métaphore est séduisante mais trompeuse. Elle fait comme si nous existions sur le web comme dans la vie ordinaire. Il y a pourtant une différence de taille : certes nous existons bien sur le web, mais notre existence y est documentaire (ici).

C'est une évidence que l'on a tendance à oublier ces derniers temps. L'ordre documentaire et l'ordre social sont sans doute le reflet l'un de l'autre, mais il s'agit d'un reflet sérieusement déformé : le monde du document est soumis à des contraintes sensiblement différentes de celles du monde matériel, notamment celles de ses trois dimensions (par ex ici).

En schématisant de façon outrancière, l'ordre ancien, celui de la documentarisation que nous quittons progressivement, s'appuyait d'abord sur la forme du document qui était un objet que l'on pouvait repérer et que l'on s'échangeait. Aujourd'hui la bataille qui se mène sous nos yeux est celle de la reconstitution d'un ordre documentaire, par une redocumentarisation, sans nul doute radicalement différent du précédent, mais qu'il ne faudra pas confondre non plus avec l'ordre social dont il n'est qu'une des composantes, on pourrait dire sa mémoire externe. ()

Google, en se positionnant sur la dimension texte pour capter l'attention par la recherche, a déjà fait basculer cet ordre par son activité de «lecture industrielle» pour reprendre l'expression d'A. Giffard (). Mais si la capacité de chercher transversalement dans l'ensemble des textes réduit leur hiérarchisation et peut remettre en cause une «doxa», voir par exemple la polémique entre l'État chinois et Google ou plus prosaïquement son interprétation à géométrie variable du copyright, l'ordre social n'est touché qu'indirectement.

Facebook, en voulant utiliser sa maîtrise du graphe social comme un avantage concurrentiel décisif pour valoriser la vente d'attention, polarise l'ordre documentaire sur sa troisième dimension, le medium. Il radicalise alors l'homologie individu-document, autrement dit l'ordre documentaire est soumis à celui des individus. Il importe la versatilité et la réactivité des clivages sociaux dans les arcanes des logiques documentaires, qui avaient auparavant recul et inertie. Alors l'ordre documentaire devient celui de la mémoire vive.

mercredi 24 février 2010

Hyperconcurrence des médias : Les stations de télévision en péril ?

Ce billet a été rédigé par Anne-Marie Roy dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

L’ère numérique est également devenue l’ère de l’hyperconcurrence. En effet, la multitude de services, de technologies et de supports offerts afin de se procurer de l’information a grandement bouleversé le marché des télécommunications. C’est pourquoi l’on parle aujourd’hui de la notion d’hyperconcurrence. D’ailleurs, le Groupe de recherche sur les mutations du journalisme (GRMJ) est en train de développer un projet de recherche sur cette notion afin de mesurer l’impact de ce changement de paradigme sur le journalisme télévisé. Le groupe de recherche note que :

« La croissance de l'offre médiatique et l'intensification de la concurrence paraissent évidentes si l'on considère qu'en deux décennies l'offre de télévision dans un marché comme celui de la région de Montréal est passé de trois à plus de cinquante canaux. L'accès à l'information que permettent maintenant des technologies comme Internet, le satellite et, bientôt la « Web-TV », achèvent de projeter le citoyen-consommateur dans un nouvel univers médiatique. »

Vous pouvez lire l’énoncé complet du projet de recherche ici.

Dans ce contexte, comment les stations de télévision peuvent-elles répondre aux demandes des consommateurs qui recherchent plus de liberté dans la gestion de leur temps et de choix ?

La clé réside probablement dans l’adaptation. Les stations de télévision doivent s’adapter au numérique. C’est d’ailleurs pourquoi, plusieurs stations offrent de nombreux compléments et services en ligne par le biais des forums de discussion et de blogues complétant l’information télédiffusée. Plusieurs sites offrent même des rediffusions en ligne. Le site TOU.TV, qui met ligne plusieurs émissions francophones, semble être une bonne illustration de ce phénomène grandissant. L’intérêt de ce site est qu’il offre à la fois des séries d’archives et des séries actuellement en ondes.

Les auteurs du site entrent alors eux-mêmes en concurrence avec leurs propres diffusions télévisuelles. Cette concurrence affectera certainement les artistes qui, n’étant pas les maîtres du jeu, risquent de voir une baisse de leurs revenus. La crainte se fait déjà sentir comme en témoigne cet article de Cyberpresse : Avec Tou.tv, les artistes craignent une perte de revenus. De plus en plus, ces jeux de concurrence semblent se complexifier et soulever plusieurs problèmes.

Ainsi, je me demande si une simple adaptation sera suffisante pour assurer la pérennité des stations de télévision ? Devant l’essor d’un tel phénomène, devrait-on alors réglementer la web-télé ? Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) se penche présentement sur la question. Le rapport De la télévision ou non? Trois types d’écran, une seule réglementation présente des conclusions où la réglementation propre à la télévision en terme de contenu serait amenée tranquillement à disparaître afin de permettre une ouverture plus grande à tous les diffuseurs et consommateurs dans un contexte numérique et d’assurer le dynamisme d’Internet. Ainsi, on favoriserait une déréglementation de la télévision au profit d’Internet. Cela risquerait d’amener plusieurs problèmes, notamment pour les artistes qui devraient alors seuls défendre leurs intérêts. À ce sujet, je vous suggère ce billet de Martin Lessard : Télévision sur Internet : "Peut-elle être assujettie aux mêmes règles que la télévision traditionnelle. J’en conclus donc que le marché tend plutôt vers une déréglementation qui ne se fera pas au profit des artisans de la télévision traditionnelle.

Finalement, la génération C, qui a grandi avec les technologies numériques et le web verra-t-elle encore des avantages au petit écran ? Comment les professionnels de la télédiffusion pourront-ils retenir l’attention de ces nouveaux consommateurs habitués à tout obtenir d’un seul clic ? Cette génération verra-t-elle la disparition de la diffusion traditionnelle ?

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