Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mardi 14 novembre 2006

Web-média, le dilemme de l'attention

Un commentaire de Michel Roland m'amène à pousser la réflexion démarrée dans le billet de synthèse sur le Web-média. Il s'agit ici d'une spéculation et non d'une analyse fouillée et fondée. Il faut la lire comme une interrogation.

Michel Roland fait allusion à un billet de N. Carr qui conclut à partir des chiffres de Technocrati que les anciens médias ont maintenant retrouvé leur place de premiers influents sur le Web, sauf qu'ils n'y ont pas encore trouvé de rentabilité économique. Michel Roland revient sur son blog sur le sujet dans deux billets successifs. D. Durand le commente aussi.

À dire vrai, le propos général de N. Carr ne me parait pas une révélation. Il est logique que les médias traditionnels qui ont à leur service des équipes de professionnels spécialisés aient, une fois sur le Web, plus d'influence que des blogs individuels ou collectifs réalisés par des bénévoles dispersés. Le contraire serait inquiétant.

Le plus intéressant est la parenthèse : (Whether the MSM’s popular success translates into economic success remains to be seen.).

J'ai indiqué dans ma synthèse que le marché publicitaire faisait le principal du revenu du Web-média, tandis que sa production s'appuyait sur l'utilisation de la co-construction, caractéristique du service. Dès lors, le marché publicitaire est capté par ceux qui facilitent cette co-construction et donc canalisent l'attention qu'elle génère : soit par des moteurs, soit par des plateformes. Les mieux placés proposant les deux. La place prise est d'autant plus solide que, d'une part, les données sur le comportement des internautes sont beaucoup plus fines et que, d'autre part, leur disponibilité est beaucoup plus forte. Participant à la co-construction, ils laissent des traces qui sont autant d'indications utiles sur leurs intentions et leurs cheminements. Ces traces sont des données soumises au calcul statistique, familier des firmes du Web-média. Par ailleurs, étant actifs, les internautes sont plus sensibles aux propositions publicitaires qui pourront être adaptées à leur intention du moment.

Ainsi les médias traditionnels sont court-circuités et pris au dépourvus. Court-circuités, car l'attention des internautes a été captée en amont même de leur consommation, au moment où les lecteurs cherchaient et non au moment où ils lisaient (ou regardaient ou écoutaient). Pris au dépourvu, car ils n'ont pas le savoir leur permettant d'exploiter la richesse de l'interactivité des internautes.

Nous sommes alors devant un dilemme.

Faut-il conclure que les médias traditionnels qui ont le plus d'influence sur le Web doivent trouver leur équilibre économique ailleurs ? Ou encore que les firmes dominantes du Web-média ne fourniront pas directement de contenu ?

Jusqu'ici, et peut-être encore pour quelques temps comme le montre l'explosion des "réseaux sociaux"(affordance), la croissance de l'audience et la dynamique de l'innovation ont permis de s'en passer. On peut gloser, comme T. O'Reilly rapporté par F. Pisani, sur la différence entre le contenu généré par les utilisateurs et l'intelligence collective. Les médias traditionnels peuvent de leur côté investir dans les plateformes ou introduire plus d'interactivité dans leur production. Il y a encore manifestement un maillon manquant dans la construction du nouveau média entre la captation de l'audience et l'alimentation en contenu. Pour avoir un Web-média pérenne, il est indispensable de pouvoir rémunérer cette dernière.

Les débats et stratégies divergentes sur la propriété intellectuelle sont peut-être la manifestation la plus évidente du hiatus. Si je devais émettre un diagnosic, je dirais que la clé se trouve sans doute dans l'approfondissement de la notion de service par rapport au processus d'écriture-lecture sur le Web.

vendredi 10 novembre 2006

La science du Web

Encore une proposition passionnante de Tim Berners Lee, expliquée en français ici, en anglais ici. L’original est .

Tout cela mérite d’être lu avec attention.

jeudi 09 novembre 2006

Web-média, synthèse

La publication de deux études et les nombreuses autres signalées et commentées dans divers billets sur ce blog me donnent l'occasion de faire une première synthèse sur ce qui apparait de plus en plus clairement comme la naissance d'un nouveau média supporté par le Web.

Les deux études confirment en les précisant de nombreux points déjà repérés et commentés ici (mais quelques autres n'y apparaissent pas) :

  • Le diaporama de l'intervention de Mary Meeker de Morgan Stanley au colloque sur le Web2.0 (San Francisco, 7-9 nov 2006), citée et commentée par D. Durand et intitulée : The World's Information is Getting Organized + Monetized.
  • De la même, accompagnée de David A. Joseph, toujours chez Morgan Stanley, Emmanuel Parody signale et commente l'étude sur le marché publicitaire US, intitulée Internet and Consumer Sofware, US Internet Avertising Outlook 2006-2010E (13 octobre 2006, 49p.).

Ma synthèse s'articulera autour des 5 points suivant : (1) Le marché du Web-média s'est maintenant installé ; (2) il s'organise localement, c'est à dire par bassin linguistique et pays ; (3) il s'appuie sur une déclinaison du service au sens premier, c'est à dire de l'interaction avec le consommateur ; (4) le potentiel de croissance réside maintenant dans l'audiovisuel ; (5) les institutions documentaires, bibliothèques et archives sont directement concernées et doivent organiser leur évolution.

1. Le marché du Web-média s'est maintenant installé

Si l'on en croit les études citées, le Web a deux sources de revenus : la vente en ligne où eBay est, de loin, le principal joueur pour les US (voir par ex le billet de D. Durand à ce sujet) ; la publicité où, toujours pour les US, Google et Yahoo! sont les leaders.

Nous savons aujourd'hui que la publicité fera l'essentiel des revenus du Web-média. Tous les indicateurs vont dans ce sens et le potentiel est encore conséquent : 8% du marché US de la publicité passe aujourd'hui sur Internet, l'étude citée considère que la part passera à 15% d'ici cinq ans.

Néanmoins, le succès de ITunes laisse penser que l'on aura aussi une valorisation directe de biens, au moins pour les produits audiovisuels. Des marchés de niche, comme celui des publications sont des laboratoires pour tester l'alternative entre des modes de financement par l'amont ou par l'aval. Enfin, il existe une troisième source de revenus, oubliée dans les études, qui sans doute est de moindre ampleur, mais se situe en des points stratégiques de l'innovation du Web-média : les fondations.

Le Web-média va continuer à s'installer dans les pratiques des utilisateurs. Il trouvera sa place, obligera les uns et les autres à se repositionner mais, il est peu probable qu'il cannibalise complètement ses concurrents de l'édition, la presse écrite ou de l'audiovisuel. Chacun a ses spécificités fortes et, pourvu que les bons choix soient faits en relation avec les mises en ligne, les marchés sont solides.

Sur cette question voir les billets : Évolution du marché publicitaire (2). Évolution du marché publicitaire, L'adaptation de la presse Google confirme sa santé insolente Jeune média / ancien média Résonance Disney, plus ça change.. Modèles de média, Web et publicité Édition scientifique en Europe (suite) Structure du budget de PLoS (Le prix de la publication 2) Le prix de la publication scientifique Polémique sur la visibilité de l'OA La redocumentarisation des éditeurs scientifiques Économie des moteurs/Économie de la TV Creuser les fondations Vente de livres en ligne Economie de l'Internet : la réussite de E-Bay

2. Le marché s'organise par bassin linguistique et pays

Même si le Web est planétaire et les échanges sur l'Internet très largement internationaux, la structure du Web-média est linguistique et géographique. Il y a pour cela de bonnes raisons : d'abord le fait que les outils de calculs linguistiques se basent nécessairement sur des aires géographiques, ensuite que la publicité fait référence à un marché inscrit dans le local pour des questions de logistique de distribution enfin parce que les règles juridiques, en particulier concernant les droits de propriété intellectuelle, la protection de la vie privée ou encore la censure sont émises et gérées par les États nationaux.

Le partage du marché ressemble alors à celui de la télévision avec des oligopoles et des partenaires en réseau.

Voir : Évolution du marché publicitaire (2). Évolution du marché publicitaire, Perspectives internationales et répartition linguistique Baidu confirmation du modèle de média Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire US/UE, interrogation sur les revenus de l'édition en ligne Google et Baidu, monopole, concurrence et modèle

3. L'originalité du média réside dans l'approfondissement du service (co-construction)

Le média-Web repose d'une part sur les outils linguistiques de recherche d'information, et d'autre part sur la participation active de nombre d'internautes pour l'alimenter en contenu. L'un et l'autre processus relèvent du service, c'est à dire d'une production où la co-construction de l'usager est sollicitée pour arriver à un produit final. Cette caractéristique fait l'originalité du média, les précédents se contentant d'un échange de bien (édition) ou de l'assistance passive à un spectacle (radio-TV).

Le service se construit au travers du calcul des machines (moteurs) et de la relation entre les personnes (social network). Il entraîne d'importants changements dans les notions d'identité, de communauté, de contrôle, de frontière privé/public, de relation entre marchand et non-marchand, etc. dont les effets ne sont pas stabilisés et les conséquences sont encore loin d'être élucidées.

Economie du don, Web 2.0 et marketers, Marketers et communautés virtuelles Identité, trace, génération et post-modernité Bulle ou média Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire Algorithmes et réseaux sociaux, STIC et SHS Exploitation des données d'utilisateurs Économie du don Audience des sites de réseaux sociaux en forte croissance Le côté obscur du Web2.0 et les lumières d'une bibliothèque numérique L'illusion de l'immatériel Les limites économiques du Web 2.0 Neutralité des transporteurs

4. le potentiel de croissance réside maintenant dans l'audiovisuel

Avec le développement du haut débit, celui des terminaux mobiles (y compris téléphone), le succès avant-coureur des échanges de musique, l'arrivée à l'âge adulte d'une génération branchée, il semble bien que les principaux développement à venir seront du côté de l'audiovisuel.

Mais il reste à trouver la façon de marier les intérêts des détenteurs de droits et les échanges de vidéo entre personnes privées.

Les quatre âges de l'audiovisuel Vidéo en ligne, ni moteur, ni TV Web : flot ou édition ? La redocumentarisation de la vieille télé

5. Les institutions documentaires doivent se positionner

Plus encore que les médias traditionnels, les institutions documentaires sont concernées. Le Web-média reprend, en effet, nombre de leurs caractéristiques depuis la constitution de collections ou d'archives jusqu'à la recherche documentaire en passant par le partage ou la mutualisation.

Ainsi ces dernières doivent tenir compte de cette nouvelle donne de l'information et de la culture et redéfinir leurs services et éventuellement recadrer leurs missions. Il y a au moins deux orientations possibles, non exclusive l'une de l'autre : L'une consiste à utiliser les opportunités offertes pour améliorer les services existants, par exemple en développant une bibliothèque 2.0 ; l'autre vise à s'inspirer du Web-média pour redéfinir les services, par exemple en croisant les savoir-faire archivistiques et bibliothéconomiques dans une « architèque ».

Impact économique des bibliothèques ? Documents et gestion des risques Cyberthécaires, cyberarchivistes.. archithécaires Rêves d'archithèque Longue traîne et bibliothèques Vers des archithécaires Les moteurs réduisent-ils le Web ? Études sur l'environnement des bibliothèques

mercredi 08 novembre 2006

Bibliographie

Twopointouch a eu la très bonne idée de faire une liste de 10 (en fait 13 à l'heure où j'écris ce billet grâce aux commentateurs) incontournables livres (en fait pas tous des livres, aussi des articles, synthèses ou cartes conceptuelles) sur le Web 2.0 disponibles en ligne. Il s'agit d'un condensé de la pensée "californienne" (même si les auteurs viennent souvent d'ailleurs) sur le sujet.

Parmi ceux qui nous intéressent tout particulièrement :

mardi 07 novembre 2006

Pilier 7 : La résonance

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

(Photo à venir)

Le pain s’achète chez le boulanger et se partage chez soi. Il existe bien un circuit qui part de la matière première, le blé, et, de transformation en transformation, finit par du pain sur votre table. C’est un circuit linéaire à sens unique.

Le journal apparemment suit le même cheminement, pourtant son contenu est le résultat de nombreux échanges préliminaires, beaucoup plus nombreux que ceux qu'entretient le boulanger, et il alimentera bien d’autres échanges ultérieurs : les articles des journalistes font référence à d’autres articles ; les journalistes ont leur réseau d’informateurs ; les lecteurs discutent du contenu de leurs lectures.

Les documents sont liés les uns aux autres par des citations, des références ou de simples allusions, chacun est une sorte de tête de réseau. Les individus, auteurs et lecteurs, ont leurs réseaux sociaux, leurs amis, leurs connaissances, leurs partenaires avec qui ils échangent. Certains écrivent dans les journaux, d’autres ou les mêmes lisent les journaux. Les journaux parlent des individus et les individus utilisent leur lecture pour faire des choix.

La plasticité de l’information aidant, le journal est à la fois le produit de cette agora et un de ses éléments constitutifs. Tout cela forme une sorte d’alchimie ce qu’on appelle parfois « l’espace public ». Cet espace est parcouru de courants qui ne sont pas toujours maitrisables, mais dont certaines régularités ont pu être mises à jour. En particulier, la loi classique, dite des « avantages cumulés » y prend dans l'information un relief très accusé non sans d'importantes conséquences économiques.

Votre boulanger a sans doute bonne réputation et, ainsi, une clientèle nombreuse et fidèle, qui lui permet de développer une production importante et donc de négocier des prix chez ses fournisseurs, d’élargir son offre, d’envisager des emprunts s’il souhaite s’agrandir, etc.. La richesse appelle la richesse.

Dans le monde de l'information, les jeux croisés entre les documents et les personnes portent ce même phénomène à son paroxysme : plus un document est connu, plus il est lu et vice-versa. Un effet de résonance s'enclenche alors. L'effet a été étudié`de façon statistique dans le monde scientifique avec la distribution des articles dans les revues (loi de Bradford) ou encore celle des citations dans les articles (loi de Lotka). Mais c’est aussi cette même résonance qui équilibre le catalogue de l'éditeur où un best-seller supporte l’ensemble, qui explique le vedettariat dans l'audio-visuel, les « blockbusters » au cinéma ou encore la déclinaison sur différents supports d’histoires ou simplement de concepts ou de personnages, etc.. La notoriété ou le succès se concentre par résonance sur un très petit nombre d’items. Ainsi, la structure des rémunérations dans l’industrie de l’information et de la culture est très inégalitaire, beaucoup plus sans doute que dans d'autres secteurs.

Cet effet de résonance a son envers : inversement la demande se disperse sur un très grand nombre d'items. Pour satisfaire un groupe d’individus donné, il faut disposer d’une large collection de documents dont seuls quelques-uns seront très lus, mais la plupart néanmoins demandés de temps en temps. Cet éclatement a justifié le financement de bibliothèques. Il n'était pas possible de construire une économie marchande pour une demande éclatée, la solution était donc de mutualiser les coûts.

Aujourd'hui le numérique et le Web on changé cette donne en transformant la structure des coûts de distribution. Chris Anderson a montré qu'il était alors possible de rentabiliser des items peu demandés. Il a appelé cette donne nouvelle l'effet de longue traîne.

La structure de la demande documentaire, partagée en deux part radicalement opposées : concentration et éclatement, est moins étonnante qu'il n'y parait si on la rapporte à notre comportement cognitif : d'un côté nous sommes conformistes, de l'autre curieux. Ces deux facettes sont aussi indispensables à notre humanité : la première marque l'appartenance à une communauté, la seconde l'enrichissement que l'on peut lui assurer.

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