Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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jeudi 23 novembre 2006

Stratégie canadienne sur l'information numérique

Entre octobre 2005 et mai 2006, Bibliothèque et Archives du Canada a lancé une vaste consultation dans l'ensemble du pays intitulée Vers une stratégie canadienne sur l'information numérique. Celle-ci doit se conclure par un sommet réunissant une centaine de personnes les 5 et 6 décembre 2006 à Ottawa.

Pour préparer ce sommet, un riche document de synthèse est accessible en ligne, intitulé Progrès et Perspectives. Comme j'y serai, si l'un des lecteurs de ce blog à des suggestions, elles alimenteront ma réflexion et mes éventuelles interventions.

Redocumentarisation et révisions historiques

Voici une anecdote révélatrice de quelques effets de la redocumentarisation sur l'histoire de la littérature.

Chacun sait combien il est facile de retrouver des plagiats dans des livres récents, au point que c'est devenu un petit jeu à la mode aux US, soulevant l'ire des auteurs pris la main sur la souris. Mais un ingénieur de Google, recherchant le livre d'un auteur du XIXè (Howlett, 1899) à partir d'une phrase dont il se souvenait, a eu la surprise de la retrouver chez une auteure plus ancienne (Baring-Gould, 1892). Et poursuivant ses recherches, il s'est rendu compte que cette dernière avait aussi puisé largement chez un de ses prédécesseurs (Thorpe, 1851)..

L'ensemble de l'histoire est ici. Dead Plagiarists SocietyWill Google Book Search uncover long-buried literary crimes?, Paul Collins, Slate Nov. 21, 2006

Les outils de traitement numérique en redocumentarisant les oeuvres nous conduiront petit à petit à une révision de l'histoire de la littérature et sans doute à une révision de la littérature elle-même. Déjà B. Mélançon avait montré que nous étions les premiers à pouvoir lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, telle que l'avait imaginée les concepteurs. Les lecteurs contemporains des auteurs, du fait des délais d'impression entre les différents tomes et des mauvaises correspondances, volontaires ou non, ne pouvaient utiliser sa forme "naturelle", tandis que les outils numériques d'aujourd'hui facilitent la navigation fluide d'une rubrique ou d'une référence à l'autre.

Sommes-nous les premiers lecteurs de l'Encyclopédie ?, 2002.

mercredi 22 novembre 2006

Le document comme prothèse de la mémoire et les services associés

Un document est une prothèse de notre mémoire, comme une main articulée est une prothèse de la préhension pour un manchot. Nous n'avons pas assez approfondi cette affirmation. Et cette paresse nous conduit souvent à simplifier l'analyse, nous interdisant de bien comprendre les mouvements en cours.

Pour utiliser sa prothèse, une main articulée, un manchot doit d'abord trouver celle qui s'adapte correctement à son bras, puis apprivoiser la machine par un apprentissage, enfin il pourra s'en servir dans la vie courante.

Pour le document, nous avons aussi un processus en trois temps : repérer le document qui pourrait nous être utile, le lire (ou en prendre connaissance) et enfin en intégrer les éléments de connaissance dans notre vie courante. Il s'agit, dites autrement, des trois dimensions proposées par Roger.

Chacun de ces temps forme une étape dans le service de mémoire, et pour chacun, il est possible de construire une activité en tenant compte des particularités économiques du document.

Les bibliothèques ou aujourd'hui les moteurs s'en tiennent à la première étape. L'astuce des moteurs est de valoriser la captation de l'attention associée.

Les médias classiques ont construit leur économie sur la seconde étape : la valorisation du contenu pour lui-même. Aujourd'hui, ils sont fragilisés d'une part par la concurrence sur le marché des annonceurs apparue dans l'étape précédente et par la constitution de contenu par les internautes eux-même dans le Web 2.0. Le manchot bricole un peu sa main tout seul.

La troisième étape n'a pas jusqu'ici eu de valorisation économique autonome, mais certains documents y participent directement (ceux que M. Zacklad appelle les "documents pour l'action" ou ceux que manipulent des record-managers). Le projet de Web sémantique, rebaptisé récemment Web 3.0, est une tentative, discutable si elle n'inclut pas les particularités documentaires et sans projet économique clair, d'aller dans cette direction.

mardi 21 novembre 2006

La vie à l'ère numérique : bavardage, cumul et dépenses

Statistique Canada vient de publier une éclairante étude sur La vie à l'ère numérique visant à repérer les changements de notre vie quotidienne et professionnelle, selon ce qui était prévu ou non.

Tout d'abord, des éléments connus sont confirmés. Quatre utopies ont fait long feu :

  • Le bureau sans papier. La production de papier pour l'impression et la rédaction a plus que doublé dans le monde en 20 ans (de 1983 à 2003).
  • La fin du courrier. Le courrier postal a continué d'augmenter (de 6,6Mds d'articles en 1983 à 10,7 en 2003 pour Poste Canada).
  • La fin des voyages d'affaires.
  • La fin du commerce de détail.

Mais le plus intéressant est le constat des changements. Je les regrouperais en trois thèmes :

  • Le bavardage. Jamais nous n'avons autant communiqué à distance qu'aujourd'hui. Les consommations téléphoniques explosent et tout particulièrement les communications internationales. Idem pour le courrier électronique.
  • Le cumul. Même si le temps passé sur l'Internet se fait en partie au détriment des autres médias (radio-TV), en réalité il s'agit plutôt d'un cumul de tâches. Substitution ou cumul, nous sommes de plus en plus branchés et cela nous donne le sentiment d'être toujours occupés.
  • Les dépenses. Les dépenses des ménages pour les TIC sont en hausse. Il y a une forte volonté d'équipement, même chez les ménages les plus modestes.

dimanche 19 novembre 2006

Musique : le partage du gâteau et les leçons de l'histoire

La musique est, avec l'information scientifique, un des secteurs-clés où se testent les nouveaux modèles économiques du document numérique.

L'actualité récente nous montre que les batailles commerciales y sont encore vives,

  • entre les industriels du contenant d'un côté avec le lancement par Microsoft de Zune pour contrecarrer la position dominante prise par Apple son IPod et son système de distribution ITunes ;
  • entre les industriels du contenant et du contenu avec les négociations entre les détenteurs de droits et les plateformes d'échanges.

Dans ces batailles et polémiques, le manque de recul nous laisse souvent croire que nous assistons à une aventure inédite. Il faut relativiser. Sans doute la situation est nouvelle, mais les arguments et les stratégies ne se renouvellent guère. Les mêmes logiques perdurent. Ainsi en est-il, par exemple, de la relation industrie du contenant / industrie du contenu.

Dans un article célèbre Andrew Odlyzko a montré, en proposant une rapide histoire économique des médias, qu'en terme de rentabilité financière, le contenu n'était pas le roi. Content is not king, First Monday, volume 6, number 2 (February 2001). Nous le retrouvons aujourd'hui, par exemple avec le partage des revenus de Apple entre les ventes du IPod et ceux de ITunes (un rapport presque de 1 à 10..), comme le rappelle D. Durand.

Mais surtout cette histoire nous renvoie aux tous débuts de la radio, où les fabricants de matériels, comme Westinghouse, payaient leurs ingénieurs pour qu'ils mettent du contenu en onde afin de vendre des récepteurs radio. L'avènement de la radio, dans les années 1920, s'est accompagné d'un effondrement des ventes de disques, d'une restructuration de l'industrie de la musique enregistrée avec le développement du star-system.

Patrice Flichy fut un des premiers à l'analyser en France. Une thèse récente (attention 360 pages en format zippé) poursuit le raisonnement en le prolongeant jusqu'à aujourd'hui. Voici un extrait de la conclusion :

Outre la mise en évidence d’un pouvoir de négociation supérieur pour les artistes, notre principale conclusion réside dans la remise en cause du modèle économique de star-system sur lequel s’appuient les majors. Cette remise en cause s’explique par l’effondrement des fonctions de distribution et de promotion, traditionnelles clés de voûte de l’industrie. Les majors devraient alors passer d’un modèle économique fondé sur les économies d’échelle à un modèle fondé sur les économies d’envergure. A l’inverse, la faculté des nouveaux entrants (issus principalement du secteur informatique et télécoms) à exercer conjointement ces fonctions en aval de la chaîne de valeur les place en position de force dans l’industrie. Alors que l’apparition de la radio dans les années 30 avait permis l’instauration du star-system, Internet est susceptible de renverser ce modèle. Il n’en reste pas moins que les débats sur la mort annoncée de l’industrie phonographique suite à l’arrivée de la radio sont en tout point comparables à la problématique rencontrée par l’industrie du disque à l’heure actuelle. p.307.

LABARTHE-PIOL Benjamin, L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance, Thèse en Sciences économiques, Université Paris Dauphine, 4 juillet 2005.

Autrement dit si l'histoire se répète, les industriels du contenu seraient néanmoins avisés de se positionner sur la longue traîne, car la transformation explosive des modalités de la distribution illustre sans doute un tournant important de la consommation contemporaine de musique. Là nous sommes dans une nouvelle donne.

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