Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mardi 31 octobre 2006

Pilier 6 : L'attention

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Vous ne pourrez longtemps vous passer de (petit) déjeuner, votre santé en dépend.

La lecture du journal, elle, reste facultative. Elle est sans doute souhaitable, mais pas indispensable. Sauf situation extrême, vous trouverez facilement ailleurs les renseignements minimaux nécessaires à la survie quotidienne. Votre "faim" de journal dépendra de votre position sociale, professionnelle, géographique, politique... et de votre histoire personnelle ou de votre humeur. La lecture du journal accapare un temps que vous préférez peut-être consacrer à autre chose, puisqu’elle n’est pas indispensable.

Contrairement au pain, qui fait partie des consommations primaires, de base, indispensables et limitées, l'information appartient à la catégorie des biens secondaires, dont les limites, tant en réduction qu'en croissance restent floues.

La baguette est destinée à votre estomac, tandis que le journal s’adresse à votre cerveau, deux organes aux fonctions bien différentes : l’un est plutôt passif, il digère, l’autre pilote notre comportement. Lorsque nous consommons un bien informationnel (nous lisons, nous écoutons, nous regardons, etc.), nous focalisons notre attention sur un message qui est lui-même une injonction ou une suggestion à agir. Une lecture modifie notre comportement. Néanmoins, les interprétations varient, chacun reste libre et personne ne peut être assuré que l’injonction sera suivie d’effet, même si le propagandiste l’espère et le tente par un monopole sur l'attention.

Il ne manque pas d'acteurs intéressés à ce que vous lisiez leur message : politiciens, responsables d'organisation, d'association, artistes, commerçants ont tous des idées qu'ils voudraient vous voir partager, des comportements qu'ils voudraient bien vous voir adopter. Mais bien souvent, vous serez moins réceptifs aux messages que l’on veut vous imposer qu’à ceux que vous cherchez.

Pire, cette fois comme pour la baguette de pain, l'excès conduit à l'indigestion qui se manifeste pour l'information par une perte d'attention. Trop d'informations saturent la perception. Vous n'arriverez plus à retenir les messages qui vous sont proposés à faire le tri entre l'accessoire et l'essentiel. La capacité humaine à assimiler et traiter l'information est limitée.

L’attention est un bien rare, fragile, mais de fort potentiel dès lors qu’il atteint les grands nombres. Les incertitudes sur les effets des messages sont alors réduites par la statistique : l'effet sur les lecteurs peut être aléatoire, il devient significatif si le nombre de lecteurs augmente. La possibilité de capter l’attention sur une grande échelle a donc une valeur économique qui peut se valoriser dans un journal par une baisse des coûts de fabrication (en facilitant le travail des journalistes) et par une vente d’espaces publicitaires, tout particulièrement à ceux qui souhaitent vous vendre leurs marchandises. Comme on a l’habitude de le dire, un journal est vendu deux fois : aux lecteurs et aux annonceurs.

Les boulangers ne bénéficient pas de telles facilités. Ils payent leur farine au coût du marché et il ne viendrait à l’idée de personne de les payer pour qu’ils distribuent leur pain à moindre coût.

En fait, exploiter au mieux la valeur et la fragilité de l’attention humaine est un équilibre délicat : il faut trouver le juste prix que le lecteur est prêt à dépenser (en argent et en énergie) pour accéder à l’information et le niveau de message publicitaire qu’il admettra pour que le lectorat soit au rendez-vous et le financement du journal assuré.

Parmi les défis à relever, soulignons en trois :

  • Pour capter et maintenir l’attention toutes une série de stratégies sont mises en place. Du côté de la distribution, il s’agit d’aller au plus près du quotidien des lecteurs en favorisant les routines temporelles (régularité) et spatiales (réseaux de distribution). Pour le contenu, il faut tenir en haleine le lecteur par un traitement de l’actualité qui fidélise le lecteur.
  • Pour ne pas dénaturer le média, il faut différencier clairement les espaces rédactionnels et publicitaires, tout en accordant suffisamment de place à l’un et l’autre..
  • Pour construire le marché amont, il faut se mettre d’accord sur une mesure de l’attention acceptable par les parties en place (supports, annonceurs, agences) qui raisonnent globalement, tous titres et supports confondus. Ces mesures gardent un caractère approximatif et artificiel et sont validées par un tiers.

Marketers et communautés virtuelles

Le marketing s'intéresse de près au Web 2.0 et à la constitution des communautés virtuelles. La société Sopra Group a publié une étude à ce sujet sur son blog Advisium, intitulée «Tirer profit de la dynamique communautaire sur Internet» (il s'agit de l'ensemble des billets du 5-10-2006). En voici quelques extraits :

Le phénomène des communautés est durable car :

  • La convergence des moyens d’accès à Internet rendra la participation à la vie de ces communautés encore plus simple, encore plus permanente ;
  • L’arrivée à l’âge adulte d’une génération de jeunes pour lesquels l’usage d’Internet, du téléphone mobile et de toutes les fonctionnalités d’interactivité qui y sont liées relèvent de comportements totalement banalisés. Ces jeunes seront quasiment tous passés par un rite, celui du blog, qui a posteriori apparaîtra comme une caractéristique remarquable de leur entrée dans le monde adulte. Il est probable que leur participation à la vie de ces communautés sera l’un des constituants de leur personnalité d’adulte.

(..)

Pour faciliter l’analyse, on distinguera différents cas, identifiés selon deux dimensions majeures :

  • L’une examine ce qui incite les individus à participer à ces communautés : des motivations liées à des problématiques que l’on répartira entre « survie » et « reconnaissance », ces termes méritant d’être spécifiés ultérieurement ;
  • L’autre passe en revue la nature du lien qui sous-tend la mise en relation et l’interaction des individus entre eux : liens économiques ou sociaux.

(..)

Il y a en effet une différence fondamentale entre une action de marketing relationnel et l’animation d’une communauté en ligne : la première utilise la relation comme un moyen de toucher sa cible en collectant au passage toute l’information possible ; la seconde fait de la relation son objectif et de l’authenticité du lien son moyen, pour générer indirectement une meilleure connaissance des individus. Dans cette nouvelle donne, l’entreprise doit savoir perdre une partie du contrôle unilatéral de la relation qui l’unissait jusqu’à présent à son client, et doit au contraire s’attacher à respecter ses valeurs et les rites de la communautaires auxquels il adhère.

Toute action marketing qui voudrait faire de la relation un moyen – et non pas un objectif – entrainerait un rejet immédiat de la part des membres de la communauté.

Comme toujours dans le marketing, l'important est moins la justesse et la précision de l'analyse que la force de la prescription.

Repéré par : Les communautés virtuelles, nouvelles prescriptrices d'achats LEMONDE.FR | 30.10.06 Éric Nunès

samedi 28 octobre 2006

Évolution du marché publicitaire

Le BIPE, OMD, Interdeco suivent de près l'évolution du marchépublicitaire grâce à un outil baptisé : Ad Barometer. Ils ont publié en mars 2006 une étude sur « Le marché publicitaire mondial » (dossier de presse). En réalité, il s'agit d'une analyse de l'évolution de neuf pays, dont j'ai extrait le tableau ci-dessous sur la répartition des budgets par média dans les pays concernés.

Source BIPE

De plus, il est possible de consulter la base de données, déclinant les informations, par pays, par année et même par trimestre.

Un article du journal Le Monde indique que les prévisions pour 2007 viennent d'être présentées. Elles ne sont pas encore accessibles en ligne. Voici donc quelques extraits de l'article.

"La dichotomie s'accentue entre, d'une part les pays occidentaux et les médias traditionnels, aux taux de croissance faibles voire parfois négatifs, et d'autre part les pays émergents et Internet, aux taux de croissance à deux chiffres", affirme l'étude.

L'irrésistible ascension du média Internet se poursuit. Estimée à 24,5 % en 2007, sa progression contribue à 44 % de la croissance du marché publicitaire mondial. En 2006, Internet a dépassé la barre symbolique des 10 % des investissements publicitaires nets aux Etats-Unis. Un seuil qui sera franchi l'an prochain au Japon et en Grande-Bretagne. Sur les marchés où le décollage a été un peu plus tardif, France, Allemagne, Italie ou Espagne, 2006 et 2007 affichent des taux de croissance supérieurs à 40 %.(..)

Le marché publicitaire chinois a déjà dépassé celui de l'Espagne et de l'Italie. En 2007, il devrait coiffer la France et se classer au 5e rang mondial.

Internet et les pays émergents, moteurs de la croissance du marché publicitaire LE MONDE Laurence Girard 27-10-2006

L'ensemble me parait suffisamment éloquent et peut donc se passer de commentaire.

vendredi 27 octobre 2006

Pilier 5 : L'expérience

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Lorsque vous avez acheté la baguette chez votre boulanger, vous n’aviez pas vraiment de doute sur l’objet. C’est un achat sans surprise, chaque matin toutes les baguettes se ressemblent, produisent le même effet et une sensation similaire : combler votre estomac.

Inversement, le principe du journal est qu'il contient des "nouvelles". Quand vous l'achetez, vous n’avez une idée vague de son contenu et si vous l’achetez, c’est bien, sinon pour être surpris, au moins pour découvrir l’actualité du jour. Son achat est donc "aveugle". Et le résultat est aléatoire. Certains matins vous trouverez l’actualité fade, d’autres au contraire les nouvelles seront pimentées.

L'information est un bien dit « d'expérience ». On ne connaît une information qu'une fois consommée, puisque connaissance et consommation sont ici synonymes. Inversement, on ne connaîtra jamais une information que l'on n'aura pas consommée.

De plus, si vous désirez être parfaitement au courant de toute l'actualité du jour et des commentaires qui l'accompagnent. Il vous faudra alors lire, ou au moins feuilleter, l'ensemble des rubriques très diverses du journal, acheter plusieurs titres différents, écouter les radios, allumer la télévision, etc. Puisque vous ne pouvez connaître a priori leur contenu, vous risquez sinon de passer à côté d’une nouvelle non rapportée ailleurs.

On a l'habitude de dire que "l'appétit vient en mangeant", cette maxime s'applique certainement bien mieux au journal qu'à la baguette de pain. Vous serez rapidement rassasié(e) avec quelques tartines, tandis que la lecture d’un article vous suggérera souvent celle d’un autre sans que votre curiosité ne soit épuisée. La culture et l'information sont des consommations cumulatives : ceux qui en possèdent le plus en demandent le plus, situation peu courante en économie.

Mais si vous êtes un(e) affamé(e), vous serez souvent déçu(e)s. Les journaux reproduisent les mêmes nouvelles, s'alimentent aux mêmes sources et s'inspirent même très largement les uns des autres. Sauf évènement exceptionnel, la couverture de l’actualité par les journaux trouve rapidement ses limites. Et alors, l’indigestion de pain et celle de nouvelles même si elles n’ont pas les mêmes symptômes ont les mêmes causes.

Ces caractéristiques sont, à nouveau, une difficulté pour les industriels de l’information, qui doivent convaincre les lecteurs d’acheter, sans pouvoir exposer ce qu’ils vendent. Pour relever ce défi, les entrepreneurs de journaux ont développé principalement trois stratégies :

  • La fidélisation. Vous achetez ou lisez toujours le même journal, parfois chaque jour, vous êtes même peut-être abonné(e)s. L’effet de marque (ici le titre du journal) joue comme un élément vous sécurisant sur son contenu. Cet outil classique du marketing prend une dimension vitale. Si vous lisez ce journal, c’est que votre expérience vous laisse penser que c’est celui qui correspond à vos attentes, ou, plus précisément, celui qui optimise le rapport entre votre soif d’information et l’énergie (ou l’argent) que vous êtes prêt(e)s à dépenser pour la combler ;
  • La différenciation. Les rédacteurs en chef sont à l'affût des exclusivités et des "scoops". En effet, puisqu’une information n’est en théorie pas connue avant d’être publiée. Le premier à la publier dispose d’un avantage concurrentiel important sur les autres. Sans prétendre à l’exclusivité, un traitement original d’une information connue par ailleurs est déjà utile ;
  • La méta-information. L’information sur l’information joue un rôle stratégique. Celle-ci peut être indirecte, comme la réputation des journalistes, les citations, les critiques, les rumeurs ou très directe comme l’exposition des titres ou des couvertures dans les kiosques et sur les étalages. Là encore on dépasse la classique campagne de publicité ou de communication des produits ordinaires. Il s’agit d'une caractéristique indispensable de l’activité qui peut même exploser dans des effets de résonance.

jeudi 26 octobre 2006

15 millions de pages numérisées par an en Chine

Entendu lors un séminaire récent réunissant les archivistes des villes de Montréal et de Shanghaï qu'un plan quinquénal démarré en Chine en 2006 a pour objectif la numérisation de 15 millions de pages par année, ce qui ferait au total.. 75 millions de pages numérisées en 2011. Cette numérisation se ferait maintenant principalement en mode caractère (formule appropriée pour l'écriture chinoise). La plupart de cette numérisation est sous-traitée à des entreprises spécialisées. C'est une priorité du gouvernement et il n'y aurait pas de soucis budgétaires à ce sujet. Les difficultés se trouveraient plutôt dans la sélection des documents à numériser.

Je n'ai pas plus de précision. Mais un tel programme, s'il est confirmé, ne sera pas sans conséquences, par exemple sur la place du chinois sur le Web et donc dans le monde, sur les capacités industrielles chinoises dans le secteur et sur les savoir-faire documentaires numériques chinois.

De plus, l'écriture chinoise est commune à l'ensemble des dialectes parlés en Chine et agit comme une sorte d'esperanto. Le Chinois qui tape à l'ordinateur, le fait en phonétique à l'aide du pinyin sur un clavier alphabétique, il choisit ensuite le sinogramme approprié au sens qu'il souhaite donner parmi ceux qui lui sont proposés, un peu comme l'écriture intuitive en vogue pour les SMS sur les téléphones portables. Ainsi un blog rédigé par un Cantonnais est, en simplifiant un peu, lisible par un Pékinois, alors même qu'ils ne pourraient se comprendre oralement dans leur langue d'origine. On voit combien ce type d'écriture est adaptée aux échanges sur le Web, basés sur le partage. Imaginons un instant que tous les Européens aient la même langue écrite..

Déjà le marché de l'Internet est gigantesque en Chine comme l'a constaté l'Atelier dans un dossier récent. J'ai déjà noté que la Chine était un des rares marché où Google ne dominait pas. Et on apprend aujourd'hui que le concurrent heureux de Google, Baïdu, vient de signer un important accord pour la diffusion de clips vidéos.

Mais, additionnons les deux constats précédents, en nous rappelant que la Chine compte 1,3 Mds d'habitants, que son taux de croissance se rapproche des deux chiffres et que la diaspora chinoise est dispersée tout autour de la planète, et projetons-nous en 2011.

Il est peut-être temps de songer sérieusement à apprendre à déchiffrer les sinogrammes.

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