Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mardi 03 octobre 2006

Documents et gestion des risques

Suite à un séminaire de l'INRIA qui se tient actuellement sur la thématique de la pérennisation du document (occasion de la sortie d'un livre sur le même sujet aux éditions de l'ADBS), voici quelques remarques, issues des discussions entre les participants, sur l'évolution des métiers de la documentation dans un environnement numérique.

Le croisement des savoir-faire entre l'archivistique, le record-management, la bibliothéconomie, la documentation et les développeurs des systèmes informatiques est la situation ordinaire des institutions documentaires, grandes (ex BNF) ou petites du fait de l'omni-présence du document numérique.

Dans le socle commun, on trouve :

  • le travail sur l'information consignée, y compris sur les processus de création, collecte et gestion documentaire ;
  • la préoccupation de structurer et informer le document tout au long de son cycle de vie (depuis sa naissance jusqu'à son archivage) ;
  • le service rendu à une communauté et la relation entre sa structuration et l'organisation documentaire ;
  • la validation, certification des documents (notariat) ;
  • et surtout la fonction documentaire justifiée par sa capacité à gérer les risques informationnels. Les dépenses mises dans l'institution documentaire doivent s'évaluer par rapport aux risques qu'elle permet de prévenir pour la communauté (issus des désordres cognitifs de son organisation interne, des menaces de son environnement ou encore de sa marginalisarion dans l'espace public). Il s'agit d'une économie de l'assurance et donc un choix stratégique ;
  • ainsi c'est en terme de capital immatériel qu'il faut mesurer économiquement l'institution documentaire.

Parmi les éléments qui différenciaient les différentes familles documentaires et qui se croisent de plus en plus :

  • la gestion du couple pérennisation/oubli ;
  • le sens des flux documentaires (interne-interne, interne-externe, externe-interne) ;
  • la différence entre information organique et information publiée;

Bref, il devient de plus en plus clair qu'il faut inventer un vocabulaire pour désigner ces nouveaux métiers en émergence. Alors archithécaire ? En attendant l'ADBS travaille sur la révision de son référentiel des métiers et des compétences.

mercredi 27 septembre 2006

Résonance Disney, plus ça change..

Lu dans l'excellente publication des missions économiques aux États-Unis de l'été 2006, Convergences numériques et audiovisuel aux États-Unis (abt payant) :

Le film Stick It de Walt Disney Co.’s Touchstone Pictures doit son succès à la campagne publicitaire inédite mise en place sur MySpace. Alors que les prévisions estimaient son box-office à 5,7 millions de dollars, celui-ci s’est élevé à 11 millions de dollars dès le premier week-end (Mai 2006). La méthode a consisté à créer une page MySpace extrêmement simple et à recruter un free-lance pour la mettre à jour, envoyer des requêtes pour amener des amis dans le réseau, leur souhaiter leur anniversaire et ainsi créer du trafic (6000 personnes). La campagne publicitaire traditionnelle a été minimale (deux semaines de télévision, pas d’affichage, un peu de radio et une seule page imprimée), mais a contribué à créer des amis supplémentaires, soit au total 10 000 personnes pouvant faire du bouche-à-oreille vers leurs 50 à 3000 amis chacun.

Cela m'a rappelé que quand je travaillais sur l'industrie de l'audiovisuel, j'avais relevé cette citation dans le journal Le film français du 12-12-1975. Il s'agit du film Les Aristochats qui sortait cette année là en France pour les fêtes de fin d'année :

Pour ce film qui devait sortir mi-décembre, un sondage réalisé le 1er octobre, avant toute campagne de publicité, montrait que seulement 1% des Français connaissaient l'existence des célèbres chats. Au 1er novembre, à la suite d'une émission télévisée de P. Tchernia et la parution d'une bande dessinée dans France-soir, ce chiffre passait à 19%. On atteignait 40% le 15 novembre après le salon de l'enfance et la campagne des licenciés (produits dérivés). Enfin 83% des Français connaissaient l'histoire le 1er décembre, alors que le produit n'était pas encore sur le marché !

Ainsi les services de marketing de Walt Disney utilisent toujours magistralement l'effet de résonance de la communication publique (plus un évènement est connu, plus on en parle et plus on en parle, plus il est connu). Ils savent comme personne exploiter les structures de communication existantes, jusqu'à faire faire leur promotion par d'autres, et même dans l'exemple de 1975 se faire payer pour.. de ce point de vue rien de vraiment nouveau.

Mais dans les années soixante-dix, ils utilisaient les médias de masse, au troisième millénaire le one-to-one. Voilà encore une illustration spectaculaire du changement d'époque.

Évolution du droit d'auteur

Le dernier numéro du BBF est consacré à un dossier intitulé Économie et droit de l'information, à vrai dire, il n'est question que de droit. L'économie n'est qu'un élément contextuel, une toile de fond sans que ses logiques soient analysées.

Le premier article du dossier fera date. C'est une remarquable synthèse de l'histoire française du droit d'auteur de ses origines à nos jours. Avec une clarté et une pédagogie exceptionnelles, l'auteur, Laurent Pfister, déroule le balancement entre la "liberté de copier" et la "propriété de l'auteur" ou l'antagonisme de deux modèles (la "propriété privée" et le "contrat social") au cours de l'histoire. Il éclaire ainsi les débats actuels et restera comme référence.

Pourtant, il me semble poser problème. Je ne suis ni historien, ni juriste et j'avance donc avec prudence. Mais l'article m'a néanmoins laissé dubitatif.

Je reproduis ici sa conclusion : Pfister, Laurent, « Mort et transfiguration du droit d’auteur ? : Éclairages historiques sur les mutations du droit d’auteur à l’heure du numérique », BBF, 2006, n° 5, p. 5-13

Droit de protection des investissements… et des investisseurs ou droit à une récompense honorifique et pécuniaire compensant la libre utilisation des œuvres par le public ? Quelle qu’en soit l’issue, l’affrontement exacerbé entre privatisation et socialisation, avatars de modèles historiques concurrents, détourne le droit d’auteur de ce qu’il était. Il incline à ne plus être cette propriété souveraine du créateur, comprise comme une protection de sa personnalité et, partant, comme un pouvoir, attaché à lui seul, d’interdire aux exploitants et au public tel ou tel usage de son œuvre, dans le respect de certaines limites.

Qu’il soit tenu pour un « fournisseur de contenus » ou pour un travailleur rémunéré par le public, il est à craindre que l’auteur ne soit la victime du duel que se livrent aujourd’hui entreprises et consommateurs.

Mon problème est le suivant : l'histoire présentée ici est uniquement française, alors que l'histoire du droit d'auteur est internationale, en particulier l'antagonisme noté s'est traduit différemment dans le droit nord-américain qui privilégie la notion de copyright (droit de copie). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'un raisonnement moral, même s'il est récupéré par des stratégies commerciales, comme nous l'avions montré A. Marter et moi dans un article ancien de la même revue. Aussi l'antagonisme ne met pas en confrontation auteurs et consommateurs, mais auteurs et citoyens (concept absent de l'article..).

La nuance est d'importance, car c'est bien ce principe qui en Amérique du nord a justifié, par exemple, l'ouverture de la Bibliothèque du Congrès selon la formule de Jefferson récemment rappelée par Joseph Stiglitz dans une interview à Libération du 13 sept : Pourtant, comme le disait Jefferson, ex-président américain, le savoir est comme une bougie : «Quand elle en allume une autre, sa lumière ne faiblit pas.» «Le libre accès au savoir tient du bien public mondial», Libération 13 septembre 2006.

Sans doute l'auteur mettrait ce mouvement dans ce qu'il appelle le modèle du contrat social, mais ne pas lier ce dernier avec la construction des démocraties modernes ou inversement faire de l'apparition de l'auteur une naissance déconnectée de l'histoire culturelle (l'auteur romantique) risque de fausser le débat actuel.

L'auteur est menacé, mais le citoyen l'est aussi dans le processus de redocumentarisation en cours. Toute la question est de savoir comment reconstruire ou faire évoluer un droit du document qui s'appuie sur une éthique renouvelée.

samedi 23 septembre 2006

Cyberthécaires, cyberarchivistes.. archithécaires

Jean-Daniel Zeller a donc mis en ligne sur le site ArchiveSic son mémoire réalisé en mai 2004 dans le cadre d'un Certificat en archivistique en Suisse, intitulé Faut-il des cyberarchivistes, et quel doit être leur profil professionnel ?, comme il l'annonçait dans son commentaire à mon billet sur les « archithécaires ». C'est un document qui mérite lecture, méditation et discussion.

Le mémoire a le grand mérite de présenter un état général de la question annoncée dans le titre, ainsi qu'une brève revue des formations en Afrique, Amérique du nord, Europe, une réflexion sur le profil de métier souhaitable et la formation nécessaire, il est accompagnée d'une abondante bibliographie commentée et d'annexes instructives.

Voici un extrait de la partie traitant de la convergence entre cyberthécaires et cyberarchivistes :

..la différenciation entre les différents métiers de la gestion de l’information se déplace du support documentaire vers les fonctions documentaires. Ainsi la différence ne se fera plus par rapport aux supports (livres, articles de presse, documents d’archives, etc.) mais par rapport à leurs statuts (diffusion large ou restreinte, document à valeur officielle ou non, document de durée courte ou longue) et par rapport à leurs fonctions (contrôles divers, (..).

Une ébauche de typologie qui pourrait clarifier cette différenciation a été proposée dans des travaux initiés par le Conseil du trésor canadien sur les composantes du document électronique qui, dans le but de mieux systématiser les métadonnées utiles et comparables, distingue :

a) les documents de référence, incluant :

-	les documents acquis (déposés en bibliothèque), 
-	les documents publiés (édités publiquement y compris sur Internet), 
-	les documents diffusés (destinés à un public restreint et sélectionné), 
b)	les documents de transaction, 
c)	les messages.

Ce tableau montre bien où pourrait se situer la frontière entre le cyberthécaire et le cyberarchiviste, le premier s’occupant des documents acquis et publiés, le deuxième s’occupant des documents diffusés, des documents de transaction et des messages.

Puis l'auteur présente sur un graphique une répartition de ces fonctions dans l'espace (en fonction de la taille du territoire/communauté visé) et dans la temporalité.

Mais si ces fonctions sont bien présentes et différentes, on peut s'interroger sur la réalité de leur partition dans un environnement numérique. Bien des archives numériques sont maintenant publiées, bien des documents acquis ne sont que diffusés de façon restreinte. Et les interrogations sur les droits d'auteur, comme sur la protection des informations confidentielles ou encore sur la temporalité de conservation touchent ou vont toucher des documents qui seront souvent réunis dans un même lieu ou plutôt sur un même serveur du fait de l'effacement au moins partiel des frontières entre l'espace privé (le bureau), l'espace collectif (l'intranet) et l'espace public (l'internet).

Dès lors, il y aura sans doute des cyberthécaires et des cyberarchivistes, mais je crois qu'il faut se préparer aussi à la nécessité d'archithécaires qui devront acquérir des compétences puisées dans les deux traditions.

vendredi 22 septembre 2006

Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire

Dans le feuilleton à rebondissements multiples de la mise en place progressive d'un nouveau modèle de média et de son articulation avec les anciens, un épisode particulièrement éclairant vient de se produire en Belgique. Google s'est fait condamner, suite à une plainte des éditeurs de journaux belges, pour avoir intégré les dits journaux dans son service "Google-News" sans leur autorisation.

Parmi les très nombreux commentaires, j'ai retenu pour leur contraste une analyse très française dans un billet d'E. Parody (du groupe Les Échos), que l'on pourra mettre en résonance avec celle de D. Sullivan, très "états-unienne".

Voici un extrait du jugement, qui concerne l'analyse de l'expert mandaté par le tribunal (le jugement doit être affiché pendant une vingtaine de jours sur le site Google.be, E. Parody a eu la bonne idée d'en faire une copie, a-t-il demandé l'autorisation à Google ? ;-)) :

Le rapport d’expertise (..) conclut que « Google News est à considérer comme un portail d’information et non un moteur de recherche. »; Qu’il relève que le service Google News se qualifie lui-même comme un site d’information en ligne, en ces termes « Cette diversité de perspective et d’approche est unique parmi les sites d’information en ligne et nous considérons comme une tâche essentielle de vous aider à rester informés sur les sujets qui vous importent le plus. »; Attendu qu’il relève que le site est alimenté à l’aide des informations puisées dans la presse, ce qu’il a mis en évidence en procédant à de nombreux tests à partir de sites d’information de différents quotidiens francophones belges ; Attendu que ces recherches l’ont notamment conduit à mettre en évidence que, lorsqu’un article est toujours en ligne sur le site de l’éditeur belge, Google renvoie directement, via le mécanisme d’hyperliens profonds, vers la page ou se trouve l’article mais que, dès que cet article n’est plus présent sur le site de l’éditeur de presse belge, il est possible d’en obtenir le contenu via l’hyperlien « en cache » qui renvoie vers le contenu de l’article que Google a enregistré dans la mémoire « cache » qui se trouve dans la gigantesque base de données que Google maintient dans son énorme parc de serveurs ; Attendu enfin qu’il se déduit du rapport de l’expert que :

  • le mode de fonctionnement actuel de Google News fait perdre aux éditeurs de presse quotidienne le contrôle de leurs sites web et de leur contenu (voir à ce sujet les tests menés par l’expert qui montrent les effets d’un retrait d’article, pages 42 à 67 du rapport) ;
  • l’utilisation de Google News contourne les messages publicitaires des éditeurs lesquels tirent une partie importante de leurs revenus de ces insertions publicitaires (pages 13 à 18, 108 à 119 du rapport) ;
  • l’utilisation de Google News court-circuite de nombreux autres éléments comme les mentions relatives à l’éditeur, les mentions relatives à la protection des droits d’auteur et aux usages autorisés ou non des données, des liens vers d’autres rubriques (par ex. les dossiers thématiques constitués par les éditeurs, pages 108 à 119 du rapport);
  • l’utilisation du « cache » de Google d’une part permet de contourner l’enregistrement demandé par l’éditeur et d’éluder le paiement de l’article de presse (voit le cas du Soir en ligne décrit par l’expert en pages 35 à 38), d’autre part stocke, en vue de sa rediffusion, l’entièreté de l’article (dans l’état où Il se trouvait lors de son édition la plus récente) (pages 68 à 98-99 du rapport)

On peut lire un peu plus loin, ce passage révélateur :

Qu’il ne peut être admis par ailleurs qu’elle persiste à retirer un bénéfice élevé à l’aide, notamment, du travail intellectuel d’autrui, tout en spéculant sur les difficultés qu’éprouvent les auteurs et éditeurs de journaux dans un contexte technologique extrêmement complexe pour mettre fin à cette appropriation illégitime de leur travail ; Que l’attitude de la défenderesse est d’autant plus surprenante que dans d’autres pays, certes plus importants que la Belgique, la défenderesse s’est engagée dans des négociations avec les éditeurs de journaux pour résoudre la question du respect des droits d’auteur; Attendu qu’il résulte de l’expertise que les capacités techniques dont dispose la défenderesse, et qui sont hors de proportion avec les moyens de la presse écrite francophone d’un pays comme la Belgique, lui permettent d’adopter une attitude qui confine à l’indifférence, alors qu’elle retire un bénéfice de la diffusion sur la toile d’un contenu qui a nécessité la mise en commun de moyens rédactionnels et éditoriaux importants de la part de journalistes et d’éditeurs de journaux, dont l’activité est essentielle dans une société démocratique ;

Je ne reviens pas sur l'épisode lui-même, largement décrit dans les billets signalés. N'étant pas juriste, je ne saurais commenter le jugement sur le fond. Mais une lecture plus économique est possible de l'épisode qui révèle des malentendus instructifs. De façon très schématique, je pointerai ici quatre leçons :

1) Documentation vs publication

J'avais, il y a quelques années, montré que les sciences de l'information et celles de la communication se distinguaient par l'orientation de leur point de vue (à partir du lecteur pour les premières, de l'auteur pour les secondes). Ainsi les pratiques professionnelles observées par les premières détricotaient les montages temporels et spatiaux construits par les acteurs que privilégaient les seconds. Les panoramas de presse, qui redécoupent la structure physique, temporelle et de distribution, des journaux, en sont un bon exemple. Aujourd'hui les deux points de vues se croisent avec la montée du nouveau média issue du succès des moteurs. Et Google-news en est une superbe manifestation. Tant que les activités se déroulaient dans des espaces séparés, elles pouvaient s'articuler (même s'il a fallu pour cela de longues négociations). Maintenant qu'elles se retrouvent sur le même espace, elles sont en concurrence.

2) Code vs law.. and money

Pour paraphraser L. Lessig, nous sommes dans une superbe illustration de l'alternative entre une régulation par la loi, ou par la technique. Il aurait suffi aux éditeurs belges de signifier à Google leur refus d'apparaître, ou de mettre eux-mêmes les codes adéquats pour que la question, du moins en apparence, soit résolue. Mais, cette attitude était contraire à l'esprit de la loi sur le droit d'auteur qui stipule que c'est au diffuseur à faire la démarche auprès du détenteur de droits et non l'inverse. Les journaux ont voulu s'en tenir à ce principe.

Une des raisons est le rapport de force : Google a pour lui la force du code, qu'il maîtrise et domine ; les journaux ont la force du contenu et de leur tradition démocratique de publication. Deux modernités ici s'affrontent.

Mais le fond de l'affaire est financier. Citons le président de Google, interviewé par D. Sullivan : À cause de notre taille et de la masse d'argent dont nous disposons, Google se doit d'être plus attentif quand il lance des produits qui peuvent violer la notion que d'autres personnes ont de leurs droits. Mais aussi, franchement, nous nous trouvons attaqués en justice, et cela est couteux, cela écarte les dirigants, etc., de notre mission. Dans les cas que vous indiquez, la plupart des plaintes, de mon point de vue, relevaient d'une négociation d'affaires réalisée dans une court de justice. Et je déteste le dire, mais c'est mon opinion personnelle. Et dans la plupart des cas, un changement de notre politique ou une modification financière aurait en fait résolu nombre de questions. (trad JMS)

Google-news fonctionne d'abord parce qu'il est peut couteux une fois mis en place, la multiplication des procès pourrait sérieusement l'handicaper simplement à cause des dépenses qu'ils occasionnent.

3) Payer pour voir ou être vu

Nouvelle illustration d'une très vieille question des médias. Que rémunère-t-on : le contenu ou l'audience ? Les deux sont créateurs de valeur et dépendant comme la poule et l'oeuf. Les discussions sur ce sujet ont toujours été multiples et, en l'occurrence, il n'est pas sûr que les éditeurs belges ne se soient pas tirés une balle dans le pied en se privant d'un puissant aspirateur de trafic pour leurs sites.

C'est l'argument de Google, cité par Le Monde du 19 sept 2006 :

"Le jugement précise que nous spolions une part des ressources publicitaires de ces journaux, mais cela est inexact puisqu'il n'y a pas de publicité sur Google News, dit Mme Whetstone. La seule chose que nous faisons, c'est organiser l'information et susciter énormément de trafic vers les sites ; or la publicité qui est diffusée par ces sites est fonction de leur audience !"

L'argument doit être nuancé, comme le souligne dans Libération du lendemain, le président du Groupement des éditeurs de services en ligne : «Le problème, note Philippe Jannet, est avant tout que Google, en proposant des alertes gratuites aux internautes, est en train de se constituer, sur notre dos, une énorme base de données de marketing direct.»

En réalité, la question est sans doute plus globale encore. Google-news n'a pas de modèle d'affaires à proprement parler. Il s'insère dans une stratégie beaucoup plus large de captage d'audience d'un côté et de position centrale d'accès de l'autre dont la clé est la capacité de calcul sur les contenus et les traces. Ainsi l'alternative traditionnelle des médias rappelée plus haut, est largement subvertie. Il se crée sous nos yeux une nouvelle valeur qui découle d'un traitement des contenus et des comportements dont on ne cerne pas encore clairement les contours. C'est cette valeur qui constitue la raison d'être économique du nouveau média. Personne, peut-être même pas Google lui-même, ne peut prédire son avenir.

4) Territoires

Le dernier point sur lequel je voudrais insister est celui du territoire. Ici le procès est clairement territorialisé et le jugement, fait référence à cette géographie. Mais Google, lui-même, s'organise de plus en plus clairement par rapport aux territoires par les Url. Cette caractéristique est particulièrement sensible sur un service comme Google-news, où l'actualité récoltée est sensiblement différente suivant les pays, même de même tradition linguistique. Les journaux français dans cette affaire ont une position ambigüe. E. Parody signale une augmentation du trafic des Échos de 5% en provenance de Google.be depuis la fermeture des sites belges..

Il faudrait mieux réfléchir à cette question géopolitique que j'ai déjà plusieurs fois pointée. L'économie des médias traditionnels est inscrite dans le territoire. Les moteurs et les services qu'ils s'adjoignent ont paru s'en affranchir. L'avenir dira si c'est une de leurs caractéristiques où s'il s'agit juste d'une modalité temporaire.

Mais le plus étonnant dans cette affaire, c'est que personne ne paraît dénoncer la menace la plus forte, même si sans doute tout le monde y pense : la position écrasante de Google.

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