Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche - web média

mercredi 05 novembre 2008

Le rôle de la presse

Les évènements exceptionnels sont pour les chercheurs sur les médias des occasions fortes de tester leurs analyses. Le livre de Éliseo Véron est, à mon avis, fondateur dans le genre.

Eliseo Véron, Construire l'évènement - Les Médias et L'accident De Three Mile Island (Les Éditions de Minuit, 1997)

On peut être sûr que l'élection de Barack Obama donnera lieu à quelques thèses sur sa couverture par les médias. En attendant Narvic propose une intéressante réflexion (ici), menée à partir de son suivi personnel sur différents médias.

Voici la principale leçon qu'il en tire. Extrait :

Si la télévision a toujours son mot à dire avec la force de frappe qu’elle est capable de mobiliser pour organiser un flux direct d’information très réactif et de qualité, les nouveaux médias d’internet montrent eux-aussi leur intérêt face à un tel événement, avec les nouvelles manières d’aborder et de « vivre » l’actualité qu’ils permettent.

Les capacités de veille collective et d’agrégation sociale d’information sur le net apportent une approche multiple, comparative, très réactive et pertinente de l’événement, impossible autrement. Les capacités sociales du net apportent aussi une expérience de la conversation inédite et une manière de « vivre » en commun l’évènement tout à fait intéressante.

La presse quotidienne papier est clairement dépassée dans un tel contexte, à moins de jouer, comme Le Monde, le recul, l’analyse et la documentation, plutôt que l’actualité, un terrain sur lequel elle ne peut plus lutter...

C'est un constat intéressant du rôle de la télévision par rapport au Web, que je nuancerais néanmoins sur son dernier paragraphe. Vivant en Amérique du nord, pas aux États-Unis mais au Québec, j'ai un petit témoignage complémentaire. Hier, j'ai voulu acheter de New York Time et je n'ai pas réussi. Tous les vendeurs de journaux ont été dévalisés. Il ne restait plus à Montréal un quotidien nord-américain disponible, quel que soit le titre. On peut imaginer ce que cela devait être chez nos voisins du sud, comme on dit ici !

Pourquoi voulais-je donc acheter un journal, dont tous les articles sont disponibles par ailleurs en ligne, alors même que je connaissais déjà tout ce que j'aurais pu y lire ? Mon souhait était de garder un souvenir, une trace, de ce moment historique, pour moi, mais aussi pour mes enfants, voire mes petits enfants.. Et j'imagine que ma motivation rejoignait celle de beaucoup de ceux qui se sont précipités hier sur les marchands de journaux.

Les analystes de la presse, issus souvent du journalisme, oublient cette dimension de mémoire contemporaine du journal. En l'occurrence, elle a ici deux facettes :

  • celle de l'objet matériel, on pourrait dire de l'objet transitionnel (comme le nounours de l'enfant). La matérialité que l'on veut garder d'un souvenir qui construit notre vie. Cela prend une dimension exceptionnelle dans un moment historique, mais cela a aussi une résonance beaucoup plus routinière dans notre vie de tous les jours.
  • celle du témoignage, on pourrait dire de notre mémoire externe, dont on ne souhaite pas s'encombrer, mais que l'on veut pouvoir retrouver. Là le numérique, grâce à ses bases de données organisées, l'emporte sur le papier. Mais c'est bien toujours la forme du journal qui compte, car il est balisé par un agenda (temps) et il assure (ou voudrait assurer) une couverture territoriale régulière (espace). En l'occurrence le NYT a bien compris cet enjeu.

Reste que le modèle d'affaires de la presse est sérieusement mis à mal en ce moment. Mais il faut être précis. Il n'est pas mis à mal par le Web en général, mais par quelques acteurs (principalement Google évidemment) qui récupèrent à leur profit la valeur ajoutée.

Quoi qu'il en soit ces petites expériences nous permettent d'affiner le positionnement des médias dans le pentagone. Pour une présentation succinte du pentagone ici, plus développée .

Complément quelques minutes plus tard

J'ai vraiment raté mon coup en ne trouvant pas de journal :

Newspapers grabbed up after Obama's historic win, 6 novembre 2008, Reuters. repéré par D. Durand ici

lundi 03 novembre 2008

Musique : désintermédiation ou médiation alternative

Ce billet a été rédigé par Alban Berson, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

Anarchy in the U.K ! Ces dernières semaines, au Royaume-Uni, une coalition d’artistes s’est élevée contre la toute puissance des majors. Leurs revendications portent sur la renégociation des contrats qui les lient à leurs maisons de disques (voir cet article de Numerama). Selon la Featured Artist Coalition, qui compte dans ses rangs quelques grands noms de la musique britannique tels Radiohead ou The Verve, le modèle économique en vigueur dans lequel les majors sont propriétaire des droits sur les enregistrements au prétexte qu’elles assurent les indispensables phases de promotion et de diffusion de la musique n’a plus sa place dans un contexte numérique. En effet, les changements de format et le Web allègent tant les phases de promotion et de diffusion autrefois si lourdes qu’on peut aujourd’hui se poser ces questions : Les artistes peuvent-ils se passer des maisons de disques pour promouvoir et distribuer leur musique ? Et si la réponse est oui, en partie au moins, pourquoi les maisons de disques devenues moins indispensables devraient-elles conserver des prérogatives qu’elles devaient à la prépondérance de leur rôle dans ce domaine ?

Dans une thèse fort intéressante déjà citée sur ce blogue (ici), Benjamin Labarthe-Piol questionne ce phénomène qu’il appelle désintermédiation. Je me base, dans ce billet, sur les développements du chapitre V de cette thèse consacrés au rôle des artistes dans la réorganisation de la chaîne de valeur musicale (p. 216-230) ainsi que sur les travaux de Halonen-Akatwikuka et Regner (ici) et en lie les conclusions avec l’actualité récente au Royaume-Uni.

Dans la phase de promotion, le Web et les nouveaux formats ont changé la donne en conférant aux œuvres musicales des qualités propres aux documents numériques. La facilité de repérage de l’information permet une plus grande exposition, et la reproductibilité à l’infini et sans coût du document facilite le sampling, c'est-à-dire la mise à disposition gratuite d’échantillons musicaux permettant à l’auditeur d’expérimenter le contenu musical en vue d’un éventuel achat. Ces possibilités inédites rendent les intermédiaires tels que les radios (en grande partie contrôlées par les majors) moins incontournables et conduisent à des exemples d’autopromotion tels que celui du groupe Wilco décrit dans la thèse susmentionnée :

Après avoir enregistré l’album Yankee Hotel Foxtrot pour sa maison de disques, cette dernière estime que son potentiel commercial est faible et refuse de le commercialiser. Le groupe décide alors de racheter les droits sur l’album pour $50 000 puis de le distribuer gratuitement en streaming à partir de son site et sur les réseaux P2P afin de faire connaître les nouveaux titres. Le succès de l’opération est immédiat. Selon un des membres du groupe, le site reçoit 3,5 millions de clics et une audience de 200 000 visiteurs. Cela permet au groupe de signer un nouveau contrat avec une maison de disques. L’album se vend à 440 000 exemplaires, soit le meilleur résultat du groupe.

L’exemple est significatif de la situation de 2002 : On remarquera que l’autopromotion par le Web se présente comme une alternative à un lancement traditionnel compromis et que la promotion sans intermédiaire aura été employée pour provoquer un effet de rebond permettant au groupe de revenir dans le giron d’une maison de disque. Ainsi, selon cet exemple, on assiste moins à un cas de désintermédiation définitive dans la phase de promotion de la musique enregistrée qu’à l’apparition d’une possibilité de repêchage, d’un plan B, pour les artistes exclus du système promotionnel. Autrement dit, au moment du succès de Wilco en 2002, la possibilité d’autopromotion entraîne une diminution non négligeable de la dépendance des artistes à l’égard des maisons de disques sans remettre fondamentalement en question le modèle en vigueur et l’hégémonie des majors. Une porte s’entrouvre, néanmoins.

De même que la promotion, la distribution est le rôle par excellence des maisons de disque depuis leur origine. Mais depuis une dizaine d’années, la majeure partie des musiciens possède un site Web officiel. La tentation est donc grande, pour les artistes, d’offrir sur leur site des services d’achat de musique à leurs fans et de se passer des labels, d’autant plus que ce mode de distribution peu coûteux permet d’atteindre le seuil de rentabilité plus rapidement que dans le cadre d’une distribution assurée par un tiers : Pour un profit supérieur, l’enregistrement peut être vendu moins cher, ce qui, a fortiori, tend à augmenter la masse des ventes. Cependant, le travail et l’expertise des maisons de disques dans le domaine permettent une plus grande visibilité des artistes et de leurs produits. Cela se vérifie particulièrement dans le cas des stars. À titre d’exemple, la tentative de désintermédiation effectuée par Prince s’est soldée par un tel échec qu’un retour au bon vieux système de distribution en magasin s’est avéré indispensable à l’artiste pour franchir la barre des 100.000 ventes pourtant peu élevée pour un musicien de son statut. En revanche, en termes d’effet sur le volume des ventes, la désintermédiation, si elle n’offre pas d’exemple d’un groupe de garage élevé au rang de vedette, ne semble pas non plus nuire aux artistes quasi-anonymes : Peu visibles avant le Web, ils le demeurent en ligne. Pour une vue d’ensemble, je reprends, en l’adaptant, un tableau de Benjamin Labarthe-Piol :

Effets de la désintermédiation sur les ventes de disques

L’expérience montre que la promotion et la diffusion de musique enregistrée sans l’intermédiaire des majors ne sont pas adaptées aux stars qui sont littéralement le produit du système mis en place par les maisons de disques. Cependant, comme le montrent Halonen-Akatwikuka et Regner, les stars peuvent d’une certaine façon participer à la désintermédiation en jouant un rôle d’intermédiaire alternatif dans la phase de promotion d’artistes moins connus : c’est ce que ces auteurs appellent le mentor. En effet nous sommes ici dans une économie de l’attention. Or, les stars jouissent d’un capital de notoriété important dont elles peuvent faire bénéficier d’autres artistes. L’exemple type de cette pratique est la façon dont les grands groupes de rap offrent des premières parties de concert à des jeunes talents, collaborent ponctuellement avec eux pour une chanson ou leur « dédicacent » des morceaux (pratique consistant pour le groupe « mentor » à mentionner le nom d’un groupe méconnu dans le texte d’une chanson). Mais nous ne sommes pas ici dans le mécénat ou l’altruisme : L’activité de promotion du mentor est rémunérée par un intéressement sur les ventes du protégé qui, lui, achète l’attention suscitée par le mentor. (On se souviendra du Pilier 6)

Le mentor, ce nouvel intervenant dans l’industrie musicale, pourrait bien influer sur la fronde qui se déroule actuellement au Royaume-Uni. En effet, la simple apparition d’un intermédiaire alternatif fragilise la position des majors déjà vacillantes. En outre, dans l’hypothèse d’un succès généralisé de la promotion par les mentors, si l’on suit l’axiome de Halonen-Akatwikuka et Regner selon lequel le copyright doit être attribué à l’acteur le plus indispensable de l’industrie, les majors se trouveraient encore moins en situation de revendiquer ce droit de propriété. Ainsi, sans doute les artistes engagés dans la Featured Artist Coalition sont en campagne pour récupérer leur copyright auprès des majors affaiblies par le Web, mais peut-être les plus importants de ces groupes (Iron Maiden, Robbie Williams, et bien d’autres) sentent-ils aussi venir l’opportunité d’endosser un nouveau rôle au sein de l’industrie musicale. Un nouveau rôle potentiellement très lucratif, isn’it ?

vendredi 31 octobre 2008

Un marché florissant pour les photographes amateurs en ligne

Ce billet a été rédigé par Marie-Christine Lavallée, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

Si l’avènement du numérique était déjà bouleversant en matière de photographie professionnelle, il semble que la partie ne soit pas terminée. À la lueur du nouveau marché conclu au cours de la période estivale 2008 entre Getty Images et Flickr, la lutte entre les diverses agences photographiques pour s’approprier le marché des photos d’amateurs s’annonce plutôt coriace.

La démocratisation de la qualité en terme d’image a fait vivre les premières secousses au marché. Du point de vue des agences de photos, la fin du règne du 35 mm dans les foyers a sonné le glas de la quasi-exclusivité des photos d’élite réservées aux professionnels. Puis, il y a la diversification des contenants, souvent hybrides, et toujours de plus en plus accessibles (caméras de petits formats, téléphones cellulaires, et même depuis peu un croisement avec le GPS) qui rendent à leur tour la tâche plus complexe au photographe médiatique professionnel : en raison de l’accessibilité à la technologie numérique, ses chances de se faire devancer pour le « bon endroit, au bon moment » s’accroissent toujours dangereusement.

Les plateformes de photos non professionnelles s’ajoutent aujourd’hui à la liste des innovations qui viennent changer la donne vis-à-vis le marché photographique professionnel. Si certaines ne présentent que des visées de divertissement (très amusant Deleted images, un site consacré au photos ratées), plusieurs d’entres elles donnent cependant dans la vente en ligne de photos à prix modique (souvent au coût de 1$) libres de droits. Parmi celles-ci, se trouvent Fotolia, Shutterstock – où l’on retrouve les œuvres de 124.084 apprentis photographes à travers le monde - et Istockphoto. Nommées « microstocks », ces banques d’images offrent à quiconque y fait admettre ses œuvres, la possibilité d’en retirer une rémunération, celle-ci pouvant parfois être substantielle. Sutterstock, par exemple, offre 25 sous (centimes) de droits d’auteur pour chaque photo vendue et hausse le tarif à 30 sous lorsque le cap des 2.000 images vendues a été franchi. Un article de Benjamin Favier, publié sur Le monde de la Photo, dresse un portrait intéressant de ces populaires sites de vente de photos d’amateurs à coût modique.

Les agences photographiques allaient-elles regarder ainsi une part de leur marché s’effriter sans broncher ? Pas du tout. Une nouvelle lutte s’est engagée depuis quelques années, et s’est intensifiée au cours des mois de juin 2007 et de juillet dernier. Ainsi, les gros joueurs des agences photographiques professionnelles sont désormais dotés d’une filiale de photos d’amateurs vendues à prix modiques.

Les banques d’images puisant leurs ressources à même les agences professionnelles avaient déjà emboîté le pas (voir ici Épictura) en offrant désormais deux gammes de produits : le bon marché (semi-professionnel) – dite banque Stocklib - et le haut de gamme (professionnel). Mais c’est Getty Images, une importante agence de photo professionnelle, qui a donné le ton en 2006 en mettant la main sur iStockPhoto – un microstock de photos à prix modique – au coût de 50 millions de dollars et en l’intégrant à ses offres. Le géant Corbis, fondé et possédé par Bill Gates, a répliqué en juin 2007 par le lancement d’une nouvelle branche de services : SnapVillage. À cet effet, tel que le mentionne l’article It’ll Be Photographer’s Choice on a Web Site From Corbis de Katie Hafner, paru dans le New York Times, le président de Corbis, Gary Shens, affirme : Cannibalization is going to happen in our industry, (…) We can either let it consume us or be part of it. Notons que Corbis retire pour l’instant 85% de ses revenus de la vente de photos, au coût moyen de 250$ chacune.

Bien que le marché des photos non-professionnelles représente encore un faible pourcentage du marché des photos vendues en ligne, il semble qu’il soit préférable de prévenir les coups. Ainsi, Getty Images a conclu en juillet dernier une entente avec le célèbre Flickr de Yahoo! afin de recruter certains de ses photographes. L’agence juge qu’elle pourrait vendre à un tarif plus élevé certaines œuvres d’amateurs présentées sur Flickr. Getty Images vend ses photos entre 500$ et 600$ et remet entre 30 et 40% de ce montant à ses photographes. Pour plus de détails, voir l’article du NYT sur le sujet.

Si l’on considère l’engouement soulevé par certains photographes célèbres pour leurs œuvres présentées sur Flickr (NYT), reste à savoir jusqu’où se rendra l’incursion des amateurs dans le monde de la photographie numérique professionnelle.

mardi 28 octobre 2008

Google, triple bande

L'évolution du chiffre d'affaires de Google est pleine de leçons au-delà du sens de la pente globale toujours aussi fascinante.

Google_Q3__08.jpg

(Diaporama du 3ème trimestre 2008 ici)

Tout d'abord, on constate que la timide avancée des ressources hors-publicité (rouge) du trimestre précédent ne s'est pas vraiment confirmée au troisième trimestre de 2008, à surveiller. Ensuite, une tendance lourde se poursuit : la proportion du chiffre d'affaires réalisée par les sites propres de Google gagne régulièrement du terrain, si l'on s'en tient aux troisièmes trimestres de chaque année, cela donne :

  • 2005 : 56%
  • 2006 : 60%
  • 2007 : 65%
  • 2008 : 66%

Croisons cela avec la remarque faite tout récemment chez Bloomberg (informations financières, 20 oct 2008) par E. Schmidt, directeur financier de Google, à propos de la crise financière :

Nous sommes tous vulnérables. C'est une course entre la réduction de la publicité, qui nous affectera tous, et la bascule très positive vers l'internet.

Donc le gâteau publicitaire global se réduit, mais la part de l'internet dans ce gâteau grossit. À l'intérieur de cette part, la place de Google continue à croitre et dans la part de Google la place de la régie (celle qui redistribue une part aux autres joueurs) diminue. Il s'effectue donc non pas un transfert de valeur publicitaire en faveur de Google (de l'extérieur vers l'internet), mais deux (le premier + la place dominante prise par la firme sur l'internet), et même trois (le premier + le deuxième + la proportion des Google.com dans le CA de la firme).

Sur ce troisième transfert, il faut aussi constater que le déplacement se fait vers de nouveaux types de captation d'attention : sur les requêtes des internautes, sur le courrier, sur la géolocalisation et demain sur la bureautique, la lecture de livres, etc. Cette captation de la valeur publicitaire est donc totalement perdue pour les médias traditionnels, y compris dans leur passage sur le Web, qui en bénéficiaient autrefois. On ne saurait mieux montrer, une nouvelle fois, que nous assistons bien à la naissance d'un média d'un nouveau type.

Nous sommes tous vulnérables, mais certains sont plus vulnérables que d'autres, pour paraphraser G. Orwell (Wkp)

Complément 15 mn plus tard

Une autre façon de prendre la même question :

Guillaud Hubert, Le web centripète, InternetActu, 28 oct 2008.

Et quelques heures après

Accord de Google avec les éditeurs US sur les livres épuisés qui accroit encore la capacité de captation de l'attention de la firme. Voir, par exemple, le billet d'Olivier.

mercredi 22 octobre 2008

Quel est l’enjeu économique des encyclopédies en ligne ?

Ce billet a été rédigé par Sandrine Vachon, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

La popularité des encyclopédies numériques ne se dément pas : alors que Wikipédia se range toujours parmi les 10 sites les plus consultés du Web, faisant fureur auprès des étudiants et de tous les curieux de la planète, une dépêche du Calgary Herald (ici) nous annonçait, à la fin août, que même le Sénateur John McCain utilisait un peu trop l’encyclopédie collaborative dans ses discours électoraux. Cet exemple nous éclaire sur la portée de Wikipédia et sur le changement radical qui s’est opéré dans les habitudes de recherche de tout un chacun ; désormais, il n’est plus question de perdre son temps à fouiller dans de gros bouquins, alors que toute l’information désirée est à un simple clic de souris…

L’arrivée de Wikipédia dans le monde des encyclopédies a créé des remous à plusieurs niveaux. De nombreux détracteurs ont critiqué l’aspect collaboratif de l’encyclopédie, effrayés à l’idée que n’importe quel individu, sans être expert, puisse écrire des articles encyclopédiques, ou en corriger d’autres. Pierre Gourdain et alii ont d’ailleurs consacré la presque totalité d’un livre (La révolution Wikipédia : les encyclopédies vont-elles mourir? BBF ) à essayer de convaincre le public de la non-validité des articles de cette encyclopédie. Et ce n’est qu’une récrimination parmi tant d’autres! Je me pencherai plutôt sur les enjeux économiques reliés aux encyclopédies numériques, dont on parle un peu moins dans les médias.

Sur ce blogue, Jean-Michel Salaün a analysé trois facettes économiques utilisées ou affectées par Wikipédia (ici). Il s’agit des économies de la cognition, de l’attention et du don. Il est possible de dire que Wikipédia participe à l’économie de la cognition puisque l’encyclopédie a un impact sur le monde de l’éducation. Toutefois, cet impact n’est pas économique dans un sens traditionnel, puisqu’aucun étudiant ou professeur ne doit payer pour la consulter. De la même façon, Wikipédia participe à l’économie de l’attention (publicité) en créant une plus grande affluence sur les moteurs de recherche, permettant ainsi aux publicitaires de rejoindre un plus grand marché. Là encore, ce n’est pas Wikimedia, la fondation derrière Wikipédia, qui en profite, mais bien d’autres acteurs du web, comme Google. Enfin, Wikipédia fonctionne grâce à l’économie du don, puisque tous ses revenus proviennent de dons de particuliers ou d’entreprises prélevés lors de levées de fonds. Sur le site wikipédien de la fondation, on explique que “96% du budget de la Fondation Wikimedia provient des dons individuels, et que ce sont généralement de petits montants.(sic) .» Afin de convaincre les gens de donner, la Fondation insiste sur les projets qu’elle désire développer à l’extérieur des Etats-Unis, comme en Afrique, afin d’augmenter le nombre d’articles écrits en différentes langues. Mais il ne faut pas se leurrer : ce qui attire les dons, bien plus que les projets, est l’image de marque de l’encyclopédie. Car Wikipédia a un pouvoir d’attention qui dépasse celui de bien des ONG, et qui se rapproche davantage de celui des grandes compagnies de ce monde, telles que Nike ou Gap! La preuve en est que la Fondation Wikimedia, lors de sa dernière levée de fonds, a amassé 2.162 millions de dollars de 45.000 donneurs à travers le monde (Rapport de la fondation). Avec un tel montant, nul besoin de diffuser de la publicité !

Les encyclopédies plus traditionnelles essaient bien sûr de rester dans le coup, sans grand succès. Par exemple, l’Encyclopedia Britannica permet depuis peu de temps de collaborer à l’encyclopédie en écrivant des articles parallèles reprenant des informations présentes dans les « vrais » articles de l’encyclopédie (Toronto Star, 6 juin 2008). Toutes les créations d’internautes sont vérifiées par les collaborateurs de l’Encyclopédie. Britannica tente d’intéresser les gens en tirant parti de son prestige, en participant à la vague collaborative et en faisant miroiter la possibilité de conserver les bons articles dans la vraie encyclopédie. Mais une entreprise comme celle-ci, malgré sa longévité, peut-elle réellement faire face à l’effet de masse créé par Wikipédia ? Et surtout, combien de gens s’abonneront réellement à sa version numérique pour 69,95$ par année, alors que les encyclopédies gratuites sont satisfaisantes ? En passant de 1395$ pour les 32 volumes de l’encyclopédie à 69,95$ pour la version numérique, on peut dire que les éditeurs traditionnels ont tout un défi économique à relever ! Malgré cette baisse de prix impressionnante, ils n’arrivent même pas à concurrencer les encyclopédies qui n’existent qu’en version numérique, comme Encarta, qui se vend 30$ par année.

Une solution semble « parfaite » pour l’entreprise: c’est celle que préconise l’encyclopédie Knol de Google. Ses articles sont signés par des experts dont l’identité est vérifiée. Le terme « expert » est ici un peu élastique puisqu’un diplôme ne garantit pas nécessairement qu’aucune erreur ne sera faite. Google réussit à attirer ces experts grâce à sa notoriété (nous savons que l’image de marque de Google occupe une très grande place dans l’économie de l’attention sur le Web). Elle leur promet aussi une partie des revenus assurés par les publicités présentes dans leurs articles, en fonction du nombre de personnes qui les lisent. Google a le prestige nécessaire pour que Knol devienne le prochain Wikipédia, mais les utilisateurs se lasseront-ils de la publicité, alors qu’ils sont habitués à ne pas en avoir sur les pages wikipédiennes ? Il n’y a pas que la gratuité qui soit attirante pour les internautes, et une solution intéressante sur le plan économique pourrait en rebuter plus d’un sur le plan éthique : information pertinente, produits de beauté et publicités de voitures de luxe peuvent-elles réellement faire bon ménage ?

- page 17 de 38 -