Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - économie de l'attention

vendredi 24 juin 2011

Énonciation et pédagogie en ligne

Petit retour sur la cuisine du cours en ligne. Il ne s'agit ici que d'une réflexion subjective personnelle, non d'une étude plus approfondie avec recul et recueil de données. À prendre avec ces limites donc.

Après trois années d'un cours en ligne, le montage et le suivi plus ou moins directs de cours et conférences transatlantiques sous différentes formes entre l'Ebsi, l'Ina et l'Ens-Lyon, la participation à un petit film et l'observation d'autres expériences. Il me semble que l'essentiel de la réussite tient d'abord dans le dispositif d'énonciation. Dans ce domaine, la tendance est parfois à la sur-qualité qui nuit à l'efficacité, celle de la production, comme de la réception.

Image animée, image fixe, son, écrit

L'image animée suppose un gros travail de réalisation pour être efficace. Ce film a été enregistré phrase par phrase. Chaque phrase a fait l'objet de plusieurs prises, avec deux caméras, cela a pris 4 heures, juste pour l'enregistrement non compris l'installation du matériel. Le texte avait été rédigé et discuté avec le réalisateur (Julien Sultan Fournier) à l'avance et celui-ci a ensuite construit ses animations pendant plusieurs jours dans un studio spécialisé. Le tout pour un film de 9 minutes. Cela est hors de portée à grande échelle pour de l'enseignement en ligne.

Sauf exception souvent très préparée en amont (ex TED), une conférence enregistrée est peu efficace et délicate à suivre en ligne car monotone et difficile à «feuilleter». La conférence est un dispositif interactionnel avec un auditoire, l'orateur peut hésiter, revenir en arrière, éventuellement se déplacer, réagir, interpeller le public etc. Ce qui compte c'est l'ici et le maintenant. Les cours enregistrés en direct sont souvent irregardables. Cette technique doit être privilégiée pour le synchrone.

Réservons donc l'image animée enregistrée à la promotion qui a une tout autre économie.

L'écrit est apparemment moins couteux et plus efficace, mais il s'agit d'une illusion. Rédiger entièrement un cours, non pour soi-même mais pour les étudiants, est un énorme travail. Tous les professeurs le savent bien et les manuels sont souvent la résultante de plusieurs années de cours qui ont permis d'affiner et de roder un discours dont l'écriture se modèle petit à petit.

D'autre part un cours écrit est soit un scénario déclinable sur différent support, soit un livre. Dans le premier cas, on se retrouve mutatis mutandis dans la même situation que le film avec ses lourdeurs. Dans le second, on peut se demander quelle est la valeur ajoutée par rapport à un livre. L'édition sait très bien faire cela, et la gestion du temps est très différente de celle d'un cours.

La solution retenue pour le cours Économie de l'information, même si elle a aussi ses limites me parait plus efficace et raisonnable. Elle marie plusieurs techniques, mais le corps du cours est constitué de diapositives sonorisées.

Je n'ai pas grand chose à ajouter sur les diapositives, sinon qu'elles doivent répondre aux mêmes critères que celles qui illustrent un cours traditionnel avec un accent plus fort mis sur la coïncidence entre le son et le pointage sur l'image par des animations sobres et simples (par ex Module 4 Diapo 3 et 36).

L'enregistrement du son est moins familier aux professeurs et trois années successives m'ont donné une petite expérience dont voici quelques leçons.

J'enregistre et mixe le son, diapositive par diapositive, tout seul au calme devant mon ordinateur. Pour cela j'utilise Audacity. Un enregistrement de son est représenté ainsi :

Son-cours-SCI6355.jpg

Cette représentation visuelle autorise très facilement le montage, c'est à dire le copier-coller à l'instar d'un traitement de texte dans l'écrit. Aussi je n'écris rien de mon commentaire. J'enregistre directement, je bafouille, je répète jusqu'à trouver la bonne énonciation et je coupe et monte au fur et à mesure. Le montage peut être très fin grâce au zoom sur la représentation du signal. D'une année sur l'autre, je peaufine, changeant tout une diapositive ou simplement un bout de phrase ou même un mot, c'est selon.

Il s'agit d'une sorte d'écriture de la parole. Elle a l'avantage de sa très grande souplesse. Elle ne ressemble pas vraiment à une parole naturelle. Les silences sont raccourcis, les respirations coupées, le ton moins accentué. Cela peut surprendre au début à l'écoute, mais j'ai le sentiment qu'on s'y habitue très vite car sa supériorité est la densité du propos. Chaque mot est juste et à sa place. On peut, de plus, facilement y revenir par la navigation diapositive par diapositive.

Bien sûr, la première année l'enregistrement de la totalité du son est un lourd travail, moins lourd néanmoins que la rédaction totale du cours. Et le document final est un capital que l'on améliore, actualise, enrichit ensuite d'une année sur l'autre. Dès lors sur trois années, l'investissement primitif devient vraiment intéressant et les étudiants en sont les premiers bénéficiaires car le cours s'améliore.

Ce document visuel et sonore, monté pour ce cours sur Adobe Presenter, à l'avantage de pousser l'attention de l'étudiant par le flot du son tout en gardant la flexibilité du feuilletage et la précision du contenu.

Attention, assiduité et participation

Le second défi du cours à distance est l'attention et l'assiduité de l'étudiant. Dans un cours traditionnel, l'étudiant est tenu d'être dans la salle, d'écouter le professeur. voire de participer aux discussions. Même si cette obligation est relative, la pression est là. Le dispositif est conçu pour cela (horaires réguliers, organisations des salles, face à face..). À distance cette pression saute.

Il serait démagogique et peu efficace de s'en remettre à la simple responsabilité de l'étudiant. Il faut alors construire un autre dispositif pour le mettre en condition d'apprentissage. Pour cela, le réseau est un outil très différent.

Voici comment je m'y suis pris pour «forcer» la participation des étudiants. À la fin de la première semaine, les étudiants avaient un examen sous forme d'un quiz dont les réponses demandaient réflexion. Chaque étudiant avait 5 questions tirées au sort parmi une vingtaine. L'ensemble des questions a été mis en ligne au début du cours et un forum a été ouvert pour qu'ils puissent en discuter. Ils avaient évidemment intérêt à proposer leur réponse à toutes les questions, puisqu'ils ignoraient lesquelles leur seraient posées. Ils n'ont pas manqué d'en débattre et ainsi d'amorcer un dialogue confiant et constructif entre eux autour de la thématique du cours.

La deuxième semaine le débat s'est déplacé sur le blogue, c'est à dire sur un espace public où le statut de la prise de parole est différent, plus risqué. Chaque étudiant avait un billet à rédiger sur une thématique de son dossier et, en même temps, devait commenter 3 billets de ses collègues nommément désignés. Là encore les échanges ont été fournis.

La troisième semaine, ils ont analysé une étude de cas en équipe puis ont donné leur avis sur le diagnostic final, sachant qu'une question de l'examen porterait dessus.

Voici donc quelques éléments mis en place pour remplacer la pression du dispositif présentiel. D'autres pourraient être sûrement imaginés. Ceux-là ont montré une certaine efficacité.

jeudi 16 juin 2011

Contrôler ses données.. pour un ciblage efficace

Ce billet a été rédigé par Marie-Andrée Dubreuil-Moisan et Marie-Eve Lamoureux dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

L’exploitation massive des données personnelles sur le Web sert à financer les réseaux sociaux et moteurs de recherche. Les réseaux se considèrent propriétaires des données techniques, navigationnelles, déclaratives et comportementales vendues pour fin de statistiques aux compagnies publicitaires.

Selon Helen Nissenbaum, nous avons assez perdu de temps à déterminer ce qui est du domaine privé et ce qui est du domaine public, aussi quelles informations dans ces sphères doivent demeurer privées alors qu’en fait la préoccupation serait de trouver des moyens de préserver la confidentialité sur le Web. À cet effet, des options émergentes permettent de naviguer de manière plus invisible pour se protéger du traçage et du profilage, par exemple TrackMeNot. On pourrait même s’inspirer de la manière des hackers, par contre il y a fort à parier que ces options pourraient être piratées par des experts. La protection des données privées sur le Web est un sujet chaud et une préoccupation pressante qui implique la participation de diverses sphères sociales, par exemple pour le ministère de la Culture français ici, enjeux 12. Pour ce billet, nous nous en tiendrons au profilage à des fins publicitaires.

Un courant de pensée original propose aux individus que certaines données soient traquées dans une optique de ciblage marketing optimal. Les utilisateurs choisissent eux-mêmes de laisser des traces spécifiques sans violation de la confidentialité, par exemple Adnostic. Pour la société, la publicité occupe un rôle économique important (p. 85) qu’il ne faut pas négliger et si les individus peuvent y trouver leur compte avec une expérience satisfaisante qui ne soit pas compromettante, le profilage en optique marketing serait alors gagnant.

D’autant plus que les grands joueurs voulant monopoliser le Web comme par exemple Google, tiennent trop à leur clientèle pour utiliser les informations qu’ils colligent sur eux à des fins malicieuses. Pourtant tel que rapporté dans un article du WSJ, en raison de sa dépendance relative est-ce que la clientèle est réellement en position simple de quitter Google? Dans ce même article, Holman et Jenkins relatent les propos de Éric Schmidt selon lesquels la publicité web est la source de pratiquement tous les profits de Google, la publicité ciblée c’est leur spécialité et par l’entremise de la boîte recherche, Google nous connaît presque complètement. Ce dernier vise maintenant un nouveau type de service qui nous devancerait sur l’interprétation de nos propres besoins en matière d’information. On peut s’interroger sur l’éthique d’une telle pratique, mais ne serait-ce pas simplement une publicité supplémentaire s’ajoutant au bain dans lequel chacun nage chaque jour en y appliquant une attention sélective et un esprit critique et analytique développé par l’habitude à l’exposition publicitaire dès un très jeune âge?

Si la plupart des internautes sont insensibles au trafic des données en vue de publicités ciblées; il existe des groupes pour qui cette pratique est inadmissible. Certains enfin cherchent à dépasser cette dichotomie en introduisant une dimension humaniste dans l’équation données, publicité et exploitation. Le projet VRM (pour vendor relationship managment), à Harvard, insiste sur la nécessité de rétablir des relations respectueuses entre les consommateurs et les entreprises. Leurs valeurs se basent sur des écrits parus en 1999 d’abord sur un site et ensuite publiés. Le site original présente 95 déclarations prônant la communication et redéfinissant les règles du marché notamment en faisant l’apologie du marché en réseau et comment l’appui les uns des autres surpasse l’intervention d’un vendeur. Le projet courant de recherche de VRM consiste en la vérification de cette théorie, soit qu’un consommateur libre est plus intéressant pour une entreprise qu’un consommateur captif. Plusieurs questions se posent mais le mot liberté se retrouve en chacune d’elles. Il est dommage qu’aucune conclusion n’ait été publiée à ce jour..

Une startup montréalaise, animée par Tara Hunt, Cassandra Girard et Jérôme Paradis, s’inspirant largement de ces idées propose depuis janvier 2010, un site qui invite le consommateur à reprendre le contrôle sur les données qui composent l’historique de ses intentions d’achats et de ses achats effectifs. Il s’agit de l’un de ces marchés en réseau qui s’organisent plus vite que les entreprises qui les ont traditionnellement ciblés. Grâce au Web, ces marchés deviennent mieux informés, plus intelligents et plus exigeants en qualité. La proposition de Buyosphere.com se résume ainsi : reprendre à son compte son profil d’utilisateur pour optimiser son expérience d’achat. Cela semble plus prometteur que d’ériger des barrières qui seront contournées tôt ou tard. Comprendre ses habitudes de consommation et maintenir son propre historique d’achat permettra aux utilisateurs du site d’entrer en contact avec des vendeurs/des marques qui seront mieux outillés pour répondre à leurs besoins.

Le site fonctionne comme on rafraîchit son profil avec la possibilité d’inclure des produits saisis de partout avec un simple bouton placé sur la barre de commande (aime/achète). Puisqu’il semblerait que l’activité #1 des femmes sur Facebook serait de parler de leurs achats, la pertinence d’un tel site se justifie amplement. La différence principale réside dans le fait que les utilisateurs restent maîtres de leurs données et peuvent, grâce à la plateforme et aux outils fournis, communiquer directement avec les compagnies, échanger leurs données contre des offres personnalisées et consolider ainsi une relation plus satisfaisante pour les deux parties.

Il importe que les gens sachent que leurs données sont amassées et utilisées afin qu’ils puissent être plus sélectifs à certains égards dans la diffusion de leurs propres données. Il faut aussi que les gens aient la possibilité d’apprendre comment devenir le point d’intégration de leurs propres données et l’origine de ce qu’il en advient. Pour ainsi profiter des bon côtés du profilage et en éviter au maximum les désavantages potentiels.

Le Cloud computing, un défi pour l'archivistique

Ce billet a été rédigé par Sylvie Sperano dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Le marché du Cloud computing est en pleine expansion : Gartner, prévoit que ce marché récoltera 149 milliards de US dollars en 2014 (alors qu’il en a récolté 68,3 milliards en 2010 et 51,7 milliards en 2009) (ici et ). Ayant mis de l’avant et/ou consolidé différents modèles (nuages corporatifs ou privés, nuages commerciaux et nuages publics) et plusieurs offres de services (Saas, IaaS, Paas, Daas, Bpaas, etc.), ce nouveau micro-média a su capter l’attention des organismes et, ainsi, augmenter sa clientèle. En effet, « Il ne s’agit plus de savoir si les entreprises adopteront ce concept, mais de quelle façon elles peuvent le mettre à profit » (ici). La réussite économique du Cloud computing est incontestable et semble donc mettre fin à la polémique qui avait cours sur sa rentabilité (là).

Quelques années après sa mise en marché, le recours au Cloud computing revêt plusieurs avantages qui sont maintenant bien connus et reconnus à savoir, la multiplicité des services, l’accès rapide et au besoin, le paiement à l’usage et la réduction des coûts d’opération. À l’opposé, les inconvénients ou les risques engendrés par l’utilisation de l’informatique en nuage, principalement liés à la sécurité et à la protection des renseignements, sont tout aussi connus (ici, , et ). Il semble que l’« on voit le nuage comme un projet technologique, alors que les enjeux principaux sont de l’ordre des affaires : gestion contractuelle, conformité, sécurité, continuité des opérations… » (ici) et j’ajouterai à cette énumération, archivistique ou gestion documentaire.

En effet, diverses problématiques, ou questions, se posent pour l’archiviste qui œuvre au sein d’un organisme ayant opté pour le Cloud computing, et ce, particulièrement lorsque le nuage est public. Dans son billet, Archivistique et Cloud Computing, Jean-Michel Salaün invitait les professionnels de l’information à mener une réflexion urgente sur le sujet (). À ce titre, j’amorce donc celle-ci par une série de questions… Comment assurer une saine gestion des documents corporatifs, de leur création (ou réception) à leur disposition finale lorsque ceux-ci sont, en tout ou en partie, conservés chez des tiers, généralement inconnus de l'organisme? L’archiviste doit-il modifier ses pratiques et revoir les principes qui sous-tendent sa profession?

Évidemment, depuis de nombreuses années, l’archiviste est confronté à une nouvelle réalité, celle des documents numériques. Les caractéristiques propres à ce support (dématérialisation, volatilité, fragilité, opacité, etc.) ont certes amené l’archiviste à modifier certains outils et certaines pratiques de gestion documentaire traditionnels ou à en adopter de nouveaux : convention de nommage, élaboration de profils de métadonnées, gestion des accès, transfert ou migration de support, etc.. Ces outils et ces pratiques de gestion documentaire, revues et corrigées, sont-elles suffisantes pour répondre aux enjeux que pose l’informatique dans les nuages ?

Comment garantir l’intégrité des documents conservés dans les nuages ? Comment contrôler l'accès à ces documents ? Comment assurer la protection des documents essentiels et celle des documents contenant des renseignements personnels ? Comment s’assurer de leur accessibilité et leur conservation à long terme ? À l’inverse, comment s’assurer de leur destruction définitive et confidentielle, lorsque ceux-ci n’ont plus de valeur ? Le principe de respect des fonds ou de provenance est-il en péril ? Comment préserver la mémoire institutionnelle de l’organisme ?

Et vous, qu’en pensez-vous ?

mercredi 11 mai 2011

Le web est un média documentaire

AOL en partenariat avec Nielsen a réalisé une intéressante étude sur les échanges de contenu sur le web. L'étude porte sur un échantillon conséquent, amène des résultats sinon inattendus, du moins moins convenus que la vulgate habituelle et enfin elle affiche clairement son objectif (comment construire un dispositif publicitaire, et donc en retour une économie du web ?). Mais elle n'est évidemment pas désintéressée. AOL y souligne l'importance de ses services, notamment le courriel.

Content is the fuel of the social web Pdf. (il faudrait que les designers de AOL apprennent l'usage des couleurs, c'est pourquoi je n'ai reproduit ici qu'une diapo..)

L'étude s'appuie sur les outils et panels de Nielsen. 10,000 messages envoyés sur les médias sociaux ont été analysés, 1000 personnes ont été suivies pendant 10 jours consécutifs entre le 13 et le 23 décembre dernier. La marge d'erreur serait de moins de +/-10%.

Quelques leçons pour la thématique de ce blogue :

AOL-Nielsen-2011-Temps-Web.jpg

Ainsi la navigation sur le web, mesurée par le temps, est (reste) majoritairement documentaire.

Mais le plus intéressant est l'analyse des 30% consacrés à la communication interpersonnelle ou de groupe (médias sociaux et courriels). 23% des messages sur les médias sociaux incluent un lien vers du contenu (par contenu l'étude comprend des articles publiés, des vidéos et des photos, mais ni des vidéos familiales, ni les photos de fêtes) et si on ajoute les conversations sur ce contenu le pourcentage est certainement beaucoup plus élevé.

Lorsque l'on demande aux personnes quel est l'outil privilégié pour partager de l'information la réponse est à 66% le courriel. Les autres canaux sont loin derrière : 28% pour les réseaux sociaux, le reste est en dessous de la marge d'erreur.

Lorsque l'on demande les canaux privilégiés pour partager l'information selon l'audience. Tous les canaux sont utilisés vers les amis, un peu moins les sites de partage. Le courriel puis les réseaux sociaux sont privilégiés pour la famille, comme pour le partage entre collègues. Enfin ce sont les sites de partage qui sont privilégiés pour diffuser plus largement l'information.

Même s'il faut tenir compte du commanditaire, cette étude relativise quelques idées reçues :

  • la navigation sur le web reste très majoritairement documentaire,
  • le courriel n'est pas sur le déclin pour partager l'information,
  • le multicanal est la règle pour partager.

Cette structure ne facilite pas la construction d'une économie publicitaire. Même si, à l'évidence, l'information se diffuse et se partage, l'attention est éclatée.

Actu du 14 juin 2012

Voir le CR d'INA-Global qui élargi la perspective et donne d'autres références ici

lundi 18 avril 2011

La bibliothèque, média du temps long

Robert Darnton vient de publier un nouvel article dans lequel il dénonce cinq mythes au sujet de l'âge de l'information. Voici la traduction du quatrième :

«Les bibliothèques sont périmées». Partout dans le pays (USA) les bibliothécaires signalent qu'ils n'ont jamais eu autant de public. À Harvard, notre salle de lecture est pleine. Les gens s'entassent dans les 85 antennes du réseau public de bibliothèques de New-York. Les bibliothèques fournissent comme toujours des livres, des vidéos et d'autres documents mais elles remplissent aussi d'autres fonctions : l'accès à l'information pour les petites entreprises, l'aide aux devoirs et autres activités après l'école pour les enfants, les informations pour les offres d'emploi pour les chômeurs (la disparition des petites annonces d'emploi dans les journaux imprimés ont rendu l'accès en ligne par la bibliothèque crucial pour les chômeurs). Les bibliothécaires répondent aux besoins de leurs usagers de nombreuses façons inédites jusqu'ici, par exemple en les guidant dans la jungle du cyberespace jusqu'aux matériaux numériques pertinents et fiables. Les bibliothèques n'ont jamais été des entrepôts de livres. Tout en continuant à fournir des livres, elles seront à l'avenir des centres nerveux pour la communication de l'information numérique aussi bien à l'échelle du quartier que sur les campus universitaires.

Cela m'a rappelé un chapitre sur l'économie des bibliothèques que j'ai écris pour un manuel à paraître cet automne sur l'économie du patrimoine. Voici un cours extrait du début :

«Si l’histoire des bibliothèques ne se confond pas avec celle de l’humanité, elle est néanmoins très longue, bien plus longue que celle des médias classiques, parallèle à celle de l’accumulation et de la transmission des connaissances depuis qu’elles sont consignées sur un support grâce à l’écriture. On trouve les premières traces de bibliothèques dans l’Antiquité dès le début de la construction des civilisations et parallèle à celle des empires en Assyrie, en Égypte, en Grèce, en Chine. Chaque fois, elles furent un lieu de conservation des documents tout autant qu’un lieu de leur production, par la copie des exemplaires, nécessitée par la fragilité des supports qu’il fallait renouveler, et par la volonté de diffuser les documents.

Beaucoup plus tard vers les 12e et 13e siècles pour la Corée et la Chine et le milieu du 15e siècle pour l’Europe, l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles a entraîné l’externalisation de la reproduction matérielle des documents qui a quitté alors le giron des bibliothèques pour devenir une des premières industries des temps modernes. Une activité économiquement autonome de production et diffusion des livres s’est organisée progressivement à partir tout d’abord des imprimeurs-libraires. Puis vers la fin du 18e siècle, l’économie commerciale du livre s’est construite autour de la figure de l’éditeur telle que nous la connaissons aujourd’hui (Mollier, 2003).

L’éditeur a pris progressivement une place dominante dans le processus de production-diffusion de l’objet livre, et les bibliothèques ont alors perdu leur monopole sur l’ensemble de la filière. La production intellectuelle du livre et des connaissances en général n’a pas pour autant échappé complètement aux bibliothèques qui sont restées un lieu familier pour les lettrés. Écrivains, professeurs, chercheurs, étudiants les fréquentent pour préparer leurs travaux et construire leurs œuvres.

Par la suite, l’émergence de nouveaux médias et de nouvelles indus-tries culturelles, la presse populaire au 19e siècle, les disques et la radio au début du 20e, la télévision et la vidéo venant après le cinéma ont élargi l’éventail de l’information et de la distraction pour le public. La place du livre s’est relativisée, mais chaque fois que cela était possible les bibliothèques ont intégré les nouveaux supports dans leurs collections sans modifier leur modèle, ni réduire leur rôle. Parallèlement au développement explosif d’autres médias, l’édition de livres imprimés d’abord, puis la presse, et ensuite la radio ou la télévision, la bibliothèque a bien maintenu son organisation, l’a développée par touches successives, a continué de la perfectionner, a accompagné et parfois devancé la gestion et la diffusion des connaissances dans les sociétés. Il faut ici faire une distinction entre les médias d’information enregistrées comme l’édition en général qui manipule des supports (livre, presse, disques) et les médias de communication qui distribuent du signal (radio, télévision). La production des premiers est intégrée directement dans les bibliothèques, celle des seconds ne peut l’être que dans la mesure où un enregistrement est effectué. Aujourd’hui le web qui mélange les deux modalités pose des questions inédites au modèle de la bibliothèque. L’évolution des bibliothèques, comme celle des centres d’archives et les musées, est en réalité parallèle à celle des sociétés et de leur rapport aux connaissances enregistrées, participant à la croissance économique. Certains (Hedstrom & King, 2006) parlent à leurs sujets d’ « infrastructures épistémiques » (Epistemics Infrastuctures), c’est-à-dire d’institutions facilitant l’organisation des connaissances.

Dans une société où les connaissances circulent de plus en plus vite, cette force tranquille a un avantage. Média le plus ancien, c’est aussi celui où l’on peut s’abstraire du cycle trop rapide des médias modernes qui tend à écraser les informations par leur renouvellement et à perdre l’attention du lecteur dans une surabondance. Le flot des médias contemporains est trop puissant, trop abondant pour autoriser un filtrage efficace. On va aussi à la bibliothèque pour y retrouver dans le calme des documents que les autres médias détruisent ou noient dans le renouvellement insatiable de leur production ou on utilise les services d’un bibliothécaire ou d’un documentaliste pour retrouver les informations utiles perdues dans le chaos général. Ainsi la bibliothèque est-elle le média du temps long s’adaptant à l’évolution des sociétés et tempérant la précipitation des médias plus jeunes, plus tempétueux et plus éphémères. Cette qualité, loin de rendre son économie obsolète est au contraire aujourd’hui un levier sur lequel la bibliothèque peut s’appuyer pour s’adapter aux défis nouveaux du numérique. »

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