Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - redocumentarisation

lundi 27 août 2007

Montréal, 500 ans d'images d'archives

Voici un nouvel exemple de redocumentarisation archivistique réalisé par le Groupe des Archivistes de la Région Montréalaise, spectaculaire par sa qualité et son intérêt public.

Montréal, 500 ans d'histoire en archives

Extraits du communiqué :

Le récit est un condensé de l’excellent ouvrage de l’historien Paul-André Linteau, Brève histoire de Montréal (Éditions du Boréal). Il est accompagné d’un éventail remarquable de photographies, de dessins et de textes, dont plusieurs inédits, qui expliquent et illustrent abondamment les grandes étapes de l’histoire de Montréal de 1500 à 1992. Le tout est complété par un quiz et des ressources pédagogiques pour les élèves du primaire et du secondaire.

C’est la première fois que les archivistes de la métropole réalisent conjointement un tel survol de l’histoire de Montréal avec autant de documents d’archives. Pour les Montréalais, il s’agit d’une occasion unique de commencer à prendre la mesure du riche patrimoine conservé pour eux par les services d’archives sur leur territoire.

Cette exposition virtuelle est le premier élément d'un portail intitulé MontréaListes qui vise à fournir aux habitants de la ville l'accès à l'ensemble des archives montréalaises.

mercredi 22 août 2007

L'oubli de l'oubli est un problème

On pouvait lire dans le journal La Presse du 17 août dernier sous le titre Frank Zampino sali sur Wikipedia :

La Ville de Montréal a déclenché hier une enquête au sujet d'une biographie de Frank Zampino vandalisée sur Wikipedia à partir d'ordinateurs liés au cabinet du maire Gérald Tremblay. Le président du comité exécutif a été qualifié de «membre présumé de la Fédération internationale tuons tous les juifs (International Kill all Jews Federation)», d'«ancien supporter nazi» et de «membre de Weight Watchers», a appris La Presse.

Il s'agit d'un des nombreux résultats du Wikiscanner qui excite beaucoup les commentateurs ces derniers jours. Mais cette histoire particulière a, à mon avis, une morale bien différente que les diverses manipulations qu'a pu révéler l'outil (voir sur le sujet, parmi de très nombreux autres, ce billet pertinent de Christophe Deschamp).

Si l'on poursuit l'article de La Presse en effet, il est indiqué que la « diffamation » en question aurait été rédigée à partir d'un ordinateur de la mairie, serait restée deux minutes dans l'article de Wikipédia en question et qu'elle aurait été corrigée à partir du même ordinateur.. sauf que, selon le principe du Wiki, l'historique est resté.. a été repéré par des petits malins grâce à Wikiscanner.. et cela a suffi à provoquer l'ire de la mairie et une accroche à sensation pour les gazettes.

On peut en rire et penser qu'au Québec le ridicule ne tue plus. La mairie de Montréal a, d'ailleurs, le 21 août diffusé un communiqué qui donne une version différente :

Le texte qui portait atteinte à l'intégrité de Frank Zampino s'est retrouvé sur le site en question vers le 23 juillet 2006. L'enquête interne de la Ville de Montréal a permis de constater qu'une personne rattachée au cabinet du maire et du comité exécutif a tenté, de sa propre initiative et en toute bonne foi, de corriger ce texte, à partir de son poste de travail. En fait, cet employé du cabinet du maire et du comité exécutif s'est efforcé, le 15 août 2006, de retirer tous les propos mensongers, offensants et dégradants qui avaient été ajoutés à la biographie du président du comité exécutif. Ces corrections ont été faites en deux temps, car l'employé en question n'avait pas remarqué toutes les inepties qui entachaient la biographie de M. Zampino sur Wikipedia.

Quel que soit le fin mot de cette histoire, imaginons un instant qu'elle se soit déroulée, non pas au pays de la tolérance et des accommodements raisonnables, mais en Lybie, au Kazakhstan ou même en Russie ou en Chine. Il est à prévoir que les conséquences auraient été bien différentes, sans doute dramatiques, pour l'employé. Peut-être même des histoires comparables ont eu lieu sans que personne n'en sache rien. Hypothèse d'école dira-t-on, les internautes dans ces pays n'ont pas accès à Wikipédia, vrai et faux, cela dépend des pays et cela ne réduit en rien le problème de fond.

Celui-ci vient d'un paradoxe de la redocumentarisation que j'ai appelé dans un billet précédent « le paradoxe de Roger » :

Le Web favorise conjointement deux mouvements opposés : le développement d'échanges spontanés (conversations) et leur fixation sur un support public, pérenne et documenté.

Ainsi nous ne savons plus oublier. La « manipulation » de deux minutes de l'employé de Montréal, respectueuse ou facétieuse, n'avait aucune signification particulière, mais les traces en ont été conservées, ont été retrouvées et sont devenues matières à gesticulations.

Le problème est sérieux, les exemples de difficultés, beaucoup plus graves que mon anecdote, abondent. On pense, bien sûr, à Borgès et sa nouvelle Funes el memorio,

Funes est mort écrasé par sa mémoire. Cette nouvelle est une métaphore de l’insomnie. (Entretien avec L. Borgès, Le Monde Diplomatique, Août 2001, Html)

..sauf qu'ici il ne s'agit pas d'un individu sombrant dans la folie, mais d'une société entière.

Des réflexions commencent à apparaître. J'ai glané celles-là :

  • Viktor Mayer-Schönberger, Useful Void: The Art of Forgetting in the Age of Ubiquitous Computing, avril 2007. Pdf
  • Jean-François Blanchette & Deborah G. Johnson, Data retention and the panoptic society: The social benefits of forgetfulness, Pdf. J.-F. Blanchette pilote un groupe de travail sur la question
  • Denis Ettighoffer, Les droits de "l'Homme Numérique" : le droit à l'oubli. Html

En réalité, il s'agit d'une question classique d'archivistique : que peut-on jeter ? À partir de quel moment ? Sauf que la valeur économique de l'archivistique repose sur les limites physiques de la mémoire institutionnelle et, justement, ce sont elles qui ont disparu. Il faut donc trouver un nouveau fondement pour la valeur de l'oubli.

mercredi 13 juin 2007

Réflexions sur la bibliothèque numérique

JD Zeller propose une lecture critique et augmentée du travail de Carl Lagoze sur la bibliothèque numérique. Je n'ai pas vraiment la disponibilité dans l'immédiat pour approfondir. Mais je suis persuadé que ces pistes sont très importantes pour l'avenir des institutions et des professions documentaires alors que le débat se poursuive !

Du Content management system au Concept management system Une lecture critique de l'article de C. Lagoze et al. « Qu'est-ce qu'une bibliothèque numérique au juste ? », Jean-Daniel Zeller.

Actu du soir pour compléter cette réflexion : à lire l'entretien très éclairant de Yann Nicolas de l'ABES (repéré grâce à Manue): Métadonnées : faut-il parier sur RDF (Resource Description Framework) ?

Il n'emploie pas le terme de redocumentarisation, mais nous y sommes plongés. L'ensemble peut-être mis en regard avec les interrogations posées dans le second texte de Roger, dont il fournit peut-être quelques réponses.

mardi 15 mai 2007

Cyberinfrastructures et redocumentarisation

La conférence d'ouverture du congrès de l'Association Canadiennne pour les Sciences de l'Information (ACSI-CAIS) a été prononcée par John Leslie King. Son titre, Epistemic Infrastructure and the Rise of the Knowledge Economy résume son propos. Par "infrastructure épistémique", le conférencier comprend les bibliothèques, les centres d'archives, les musées, toute institution qui collecte et organise des éléments signifiants. Je dirais des documents, mais il préfère le mot "information", à tort à mon avis. L'argument vise à montrer que ces institutions ne sont pas la conséquence de la montée des échanges d'informations dans les sociétés, mais bien la cause, et donc qu'elles participent directement au développement des civilisations et des économies. La démonstration brasse très large en balayant l'histoire sur des millénaires avec des illustrations comme la bibliothèque de Tolède et la Renaissance ou les cabinets de curiosités et la Révolution scientifique. On retrouvera la thèse, moins les magnifiques illustrations visuelles de la conférence, développée dans un article de 2005 : Hedstrom Margaret, King John Leslie, Epistemic Infrastructure in the Rise of the Knowledge Economy

Je ne discuterai pas la démonstration. Ce qui m'a surtout intéressé, c'est la posture et la proposition. L'objectif du conférencier est de défendre les professions documentaires, et accessoirement sa propre institution, l'École en sciences de l'information de l'Université du Michigan. Il s'inscrit dans un mouvement plus vaste auquel il participe activement : celui des cyberinfrastructures (et ), qui sont dans ce raisonnement les Epistemic Infrastructures d'aujourd'hui ou encore, celui des iSchools (et ) qui forment les professionnels de l'information, fondant bibliothéconomie, archivistique et muséologie dans une profession unifiée par le numérique qui se trouverait au centre de la Knowledge Economy.

Les exemples pris dans l'histoire sont souvent européens et la réflexion initiale fait suite à une commande de l'OCDE dans le cadre d'une série de rapports sur l'innovation, avec donc un volet international marqué. Ainsi un nouveau vocable se fait jour qui montre un déplacement des enjeux. Le dictionnaire du Web de Dalloz nous rappelle opportunément que les "autoroutes de l'information", privilégiant les télécommunications, font désormais partie de l'histoire. La réflexion sur le Web ou même le Web 2.0 est souvent laissée à des journalistes ou experts proches des acteurs industriels. Les cyberinfrastructures retrouvent le monde académique et ont déjà leur entrée dans Wikipedia. L'intérêt est de se rapprocher de la gestion du contenu informationnel, même si on s'en tient encore au terme bien trop vague d'information.

Il y aurait peut-être de fructueux croisement à faire entre ce mouvement et la réflexion menée sur la redocumentarisation. Cela atténuerait peut-être ses tentations lobbyistes qui nuisent, à mon avis, à sa crédibilité scientifique.

samedi 05 mai 2007

Éclairages sur la redocumentarisation

Je voulais faire un billet sur la rocambolesque et édifiante histoire de l'article de Wikipédia sur l'EPR, mais Olivier m'a devancé et son analyse, en raisonnant sur la redocumentarisation, me paraît très pertinente. Du coup, je me suis dit qu'il serait peut être temps de faire ce billet, toujours remis, pour expliquer la notion.

Pour définir la re-documentatisation, il faut commencer par s'entendre sur le terme "documentarisation". Documentariser, c'est ni plus ni moins "traiter un document" comme le font, ou le faisaient, traditionnellement les professionnels de la documentation (bibliothécaires, archivistes, documentalistes) : le cataloguer, l'indexer, le résumer, le découper, éventuellement le renforcer, etc. On préfère "documentariser" à "documenter", qui renvoie plutôt à la création d'un ou de plusieurs documents pour expliquer un objet ou une action, mais dans nombre de cas les deux activités se recoupent. L'objectif de la documentarisation est d'optimiser l'usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte.

En citant Manuel Zacklad, on peut dire que redocumentariser, c’est documentariser à nouveau un document ou une collection en permettant à un bénéficiaire de réarticuler les contenus sémiotiques selon son interprétation et ses usages à la fois selon la dimension interne (extraction de morceaux musicaux pour les ré-agencer avec d’autres, ou annotations en marge d’un livre suggérant des parcours de lecture différents…) ou externe (organisation d’une collection, d’une archive, d’un catalogue privé croisant les ressources de différents éditeurs selon une nouvelle logique d’association). in Eléments théoriques pour l’étude des pratiques grand public de la documentarisation : réseaux et communautés d’imaginaire, à paraitre.

Le numérique est une opportunité formidable de redocumentarisation. J'en ai donné dans ce blogue de multiples illustrations. Par exemple ici, , , , etc. Dans un premier temps, il s'agit de traiter à nouveau des documents traditionnels qui ont été transposés sur un support numérique en utilisant les fonctionnalités de ce dernier.

Mais le processus ne se réduit pas à cette simple transposition. En effet, bien des unités documentaires du Web ne ressemblent plus que de très loin aux documents traditionnels. Dans le Web 2.0, ou tout simplement sur les sites dynamiques, la stabilité du document classique s'estompe et la redocumentarisation prend une tout autre dimension. Il s'agit alors d'apporter toutes les métadonnées indispensables à la reconstruction à la volée de documents et toute la tracabilité de son cycle. Les documents traditionnels eux-mêmes, dans leur transposition numérique, acquièrent la plasticité des documents nativement numérique et peuvent profiter des possibilités de cette nouvelle dimension.

Si nous écoutons Roger, la redocumentarisation prend un sens beaucoup plus large. Cette nouvelle forme de documentarisation reflète ou tente de refléter une organisation post-moderne de notre rapport au monde, repérable aussi bien dans les sphères privée, collective et publique. Comme dans la précédente modernisation, le document participe au processus et y joue même un rôle clé, mais il s’est transformé au point que l’on peut se demander s’il s’agit encore de la même entité.

Pourquoi alors reprendre le même terme, en ajoutant juste le préfixe re-, s'il s'agit d'un changement de paradigme ? En réalité, s'il y a bien une rupture, celle-ci est dans une continuité historique qu'il est d'autant plus important de souligner que les professions de la documentation y ont leur place, ou devraient y prendre une place plus grande qu'elle n'est aujourd'hui car leurs compétences y sont essentielles.

La première documentarisation ne s'est pas développée par hasard. Elle s'inscrit clairement dans les quatre âges de l'imprimé entre le deuxième (la presse) et le troisième (la paperasse). La redocumentarisation, marque le passage du troisième au quatrième (fichiers). Ces âges accompagnent des organisations sociales et idéologiques différentes. Le tout peut se résumer sur le tableau ci-dessous :

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