Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

samedi 16 décembre 2006

Presse et Internet : France/US

Signalé par E. Parody qui le commente, un intéressant rapport, entre analyse et point de vue éclairé, de A. de Tarlé, directeur général adjoint de Ouest-France (le plus important quotidien français à la fois par le nombre d'exemplaires et par le nombre d'éditions locales) intitulé :

Presse et internet, Une chance, un défi : enjeux économiques, enjeux démocratiques, En Temps réel Cahiers n 26, oct 2006, 22p.

Voici un extrait de la conclusion :

Les journaux ont, en quelque sorte, été pris en tenaille entre les appétits commerciaux d’entreprises géantes on plus modestes qui venaient récolter sur leurs terres les recettes publicitaires et l’élan libertaire d’innombrables sites diffusant textes, images et commentaires sur l’actualité, leur domaine autrefois réservé. Il en est résulté un sentiment de dépossession qui nourrit beaucoup d’inquiétude chez les professionnels. Cette inquiétude a certes des relents corporatistes, mais on ne peut la réduire à un simple réflexe de défense des intérêts d’une catégorie de travailleurs intellectuels.

La presse doit aussi contribuer activement au débat sur l’évolution de nos sociétés démocratiques. Nous vivons dans des pays où l’information est un élément essentiel du débat politique, à la fois contre-pouvoir face aux gouvernants et forum des expressions nécessairement contradictoires. Ce qui change avec Internet, c’est son côté libertaire, la possibilité qu’il ouvre à chacun de critiquer et d’apporter sa contribution sur les sujets les plus divers, avec le risque de devenir inaudible dans le brouhaha généralisé. De ce point de vue, la France étatiste et jacobine est mal adaptée à cette situation qui va à l’encontre de ses modes de fonctionnement habituels, alors que les Etats-Unis y retrouvent certaines de leurs plus anciennes traditions de parole libre et de contestation du pouvoir central héritées de la lutte contre le pouvoir colonial britannique. L’origine américaine d’Internet correspond bien à la logique de l’histoire de ce moyen de communication.

Dans la mesure où Internet est pleinement adopté par les jeunes générations dans notre pays, on est assuré que son impact sera profond sur le fonctionnement même de notre société. Notre héritage étatiste et jacobin, si ancré dans les mentalités, risque d’en être durablement affaibli.

En revanche, il ne faut rien attendre d’une utopique organisation mondiale d’Internet pour introduire un ordre impossible dans ce chaos. Celle-ci ne verra jamais le jour. Toutefois, l’accès universel aux sites du Net appelle des réponses qui doivent elles aussi être universelles. Face aux calomnies ou contrevérités diffusées parfois à l’autre bout du monde ou, d’autres fois, à côté de chez nous, il faut pouvoir réagir de manière rapide et précise. Qui peut le faire mieux que la presse des sociétés libres ? Celle ci a les moyens techniques de s’exprimer, une forte audience sur le Web et une crédibilité acquise à travers de nombreux combats pour la défense de la vérité. Elle bénéficie aussi dans la plupart des sociétés démocratiques d’un dispositif juridique et législatif qui protège le pluralisme et les droits des individus. Ce dispositif doit impérativement être étendu aux services d’information sur Internet.

Encore faut-il, pour qu’elle puisse peser, qu’elle survive : c’est l’enjeu de la transformation de son modèle économique, non pour abandonner purement et simplement le papier ou faire le choix de la seule gratuité, mais pour trouver un nouveau modèle reposant sur l’articulation de plusieurs supports ayant chacun son économie propre, et pouvant, ensemble, financer une rédaction dont la mission restera de collecter, vérifier et mettre en forme l’information.

Avant ce plaidoyer pro-domo conclusif, l'auteur fait nombre de propositions intéressantes, plaçant au centre le numérique plutôt que le papier, propositions qui sont à rapprocher des remarques de l'association américaine de presse (NAA).

jeudi 14 décembre 2006

Wikipédia et le modèle éditorial

Laure Endrizzi, dans une synthèse des études récentes sur les contributeurs de Wikipédia, fait la remarque suivante au sujet de l'une d'entre elles (Aaron Swartz - Who writes Wikipedia ?, trad française ) qui souligne l'importance des contributeurs occasionnels :

Le modèle qui se profile derrière cette analyse, comporte effectivement quelques convergences avec celui de l'édition traditionnelle : un « outsider » édite l'article pour ajouter du texte, puis les « insiders » interviennent à plusieurs reprises pour faire des modifications mineures, reformater l'article ou bien l'affecter à une catégorie, une liste, etc. : actions que seules les personnes impliquées dans le projet peuvent accomplir. Alors que les « outsiders » fournissent le contenu, les « insiders » comptabilisent la majorité des révisions.

Si l'on songe au nombre de manuscrits reçus par les éditeurs et au rôle des secrétaires d'édition ou de rédaction, on pourrait, en effet, selon ce raisonnement considérer que Wikipédia est une forme de rationalisation de ce qui relève de la mission impossible pour l'éditeur : la gestion des auteurs potentiels.

D'autres études pourront infirmer ou confirmer cette intuition, mais c'est une piste intéressante pour mieux comprendre le réalité du phénomène Wikipédia en la dégageant des discours envahissants des acteurs, souvent biaisés, dans un sens ou l'autre par leur expérience personnelle ou leur intérêt.

samedi 09 décembre 2006

Dérive des éditeurs scientifiques français

Nicolas Morin, bibliothécaire à l'Université d'Angers, constate l'offre et la stratégie catastrophiques des éditeurs scientifiques français en ligne.

Voici la conclusion de son billet :

Bref, les fournisseurs français de documentation électronique sont globalement les plus timorés dans leur offre (la quantité et la qualité des contenus proposés sont faibles), les moins professionnels dans leur démarche technique (les plateformes sont catastrophiques), les plus déraisonnables dans leur démarche commerciale. Un vrai bonheur, de travailler avec eux.

Comme me l’a dit une fois un éditeur américain qui cherchait des partenaires pour proposer des contenus francophones: “je les déteste” (en français dans le texte).

J'ajouterai ceci : les auteurs scientifiques français ont une lourde part de responsabilité dans cette situation en acceptant sans hésitation de publier dans de telles maisons. La grande majorité des auteurs scientifiques français que je connais ne se préoccupent que des titres qu'ils pourront ajouter dans leur bibliographie personnelle sans se soucier de la diffusion et donc de la lecture de leurs travaux, qui est alors quasi-nulle du fait des carences indiquées des éditeurs. Pire, nombre de seniors acceptent sans vergogne, ni réflexion sur la diffusion, des responsabilités de collection, se faisant les complices objectifs de ces dérives. Plus ils sont hauts dans la hiérarchie éditoriale, plus cette complicité est d'ailleurs rémunérée.

Nous sommes une poignée à dénoncer cette situation depuis longtemps.. en prêchant dans le désert. Les réponses que j'ai pu lire à nos interpellations sont affligeantes et montrent une totale absence de réflexion. L'argument principal est : « puisque les autres, et en particulier les seniors, le font, pourquoi ne le ferais-je pas ? »

C'est la version moderne de l'histoire des moutons de Panurge..

Ne serait-il pas temps de réagir ?

jeudi 02 novembre 2006

L'adaptation de la presse

La bascule de la presse vers le numérique se poursuit à grande allure.

Emmanuel Parody signale le lancement des pages personnalisées du New-York Times, qui, si elle rencontre le succès, pourrait être l'amorce d'une révolution de l'accroche de l'information par les journaux.

Par Christian Jégourel qui veille sur le secteur, on apprend entre autres que Thomson-Media (2,43 Mds $ US de CA, 131 journaux aux États-Unis, plus de 60 en Grande-Bretagne, et 54 journaux quotidiens et hebdomadaires au Canada, y compris The Globe and Mail) se recentre sur le numérique en vendant sa division de produits éducatifs ou encore que les sites de journaux atteignent des records d'audience aux USA.

C'est l'occasion de visiter le site de la Newspaper Association of America (NAA), une mine d'informations et d'analyse sur la presse. Parmi bien d'autres, voir la rubrique intitulée Horizon Watching d'où je tire ces priorités stratégiques pour une bascule du marché des médias (Strategic Imperatives for a Shifting Media Market, je traduis et résume) :

  • Appréhender le « local » comme notre valorisation exclusive. Le local est souligné comme valeur identitaire des journaux, à la fois pour accroitre le lectorat, mais aussi pour développer un marché publicitaire adapté face aux joueurs nationaux que sont devenues les plateformes numériques (Yahoo!, Google, eBay) :
  • Faire de la connaissance du consommateur un avantage concurrentiel. Il s’agit de développer les bases de données sur les comportements des lecteurs.
  • Prouver et améliorer le retour sur investissement des annonceurs. Il faut actualiser les systèmes de mesures de l’efficacité des annonces.
  • Renverser le modèle des petites annonces. Passer du papier au Web transforme radicalement le modèle d’affaires des petites annonces, essentiel à l’équilibre des journaux.
  • Reconsidérer l’échelle des prix et diversifier les sources de revenus. Des petites annonces aux journaux gratuits en passant par les commissions sur les transactions jusqu’au « pay-per-click », l’ensemble des circuits de revenus se transforme.
  • Fournir de l’efficacité aux lecteurs et aux annonceurs. Il s’agit de viser le « temps réel » pour les transactions.
  • Investir dans les « bonnes » personnes et dans la qualité de l’organisation. Les qualifications actuelles des employés ne sont plus adaptées.

lundi 09 octobre 2006

Édition scientifique en Europe (suite)

Repéré par le blog de l'Inist.

La Commission européenne vient de mettre en ligne la synthèse de la consultation sur l'édition scientifique lancée après la publication d'un rapport, réalisé par une équipe mixte de bibliothécaires et d'économistes franco-belges sur le même sujet. Le rapport lui-même est une excellente synthèse de la situation de l'édition scientifique et des problèmes liés. Il propose une série de recommandations, qui ont donc été soumises à consultation.

Je traduis ici les principales conclusions de la consultation :

  • De nombreuses réponses ont insisté sur l'importance d'un avenir favorable pour la diffusion scientifique ;
  • La plupart des répondants ont apprécié l'étude, ses conclusions et ses recommandations, bien que les éditeurs ont été généralement critiques ;
  • Il y a un appui significatif à la recommendation qui suggère que l'accès aux résultats de la recherche financée sur fond public doit être libre. Cependant plusieurs éditeurs ont émis des réserves ;
  • L'importance de la conservation à long terme a été fortement soulignée et reliée au problème de l'accès au contenu ;
  • Plusieurs réponses insistent sur la relation forte entre les questions de la publication scientifique et l'initiative européenne sur la bibliothèque numérique ;
  • Les questions relatives à la qualité ont souvent été notées, y compris la qualité des critères de l'évaluation scientifique et de la révision par les pairs ;
  • Certains ont émis des préoccupations concernant la visibilité de la recherche européenne, tout particulièrement celle en d'autres langues que l'anglais ;
  • La nécessité de mener d'autres recherches, en particulier sur l'interopérabilité a été aussi soulignée.

On doit se rappeler que les principaux éditeurs scientifiques, dont les comportements oligopolistiques sont pointés par le rapport, sont européens et pèsent fortement sur la balance des échanges internationaux dans le monde de l'édition. Il y a donc là pour la Commission une discussion intéressante entre une économie éditoriale et une économie de la science dont les intérêts paraissent antagoniques, comme semblent le montrer les résultats de la consultation.

Une conférence devrait se tenir à Bruxelles les 15-16 fév prochain.

- page 13 de 15 -