Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mercredi 22 octobre 2008

Quand la presse se regarde..

Je le signale juste pour mes lecteurs québécois. Cela n'a pu échapper aux Français tant l'effet de mise en abîme est ici saisissant. La presse de l'Hexagone est entrée, non sans quelques complaisances, dans une vaste réflexion sur elle-même grâce aux États-Généraux de la presse, lancés de façon quelque peu paradoxale par le plus monarchique des présidents français.

C'est une occasion unique pour obtenir des informations sur ce secteur en crise. Un site Web est entièrement dédié au processus, une mine pour les observateurs, étudiants, professeurs, chercheurs.. Tous les blogues de journalistes bruissent du sujet et les journaux eux-mêmes ne sont pas en reste.

Un regret pourtant : le site est un site de journalistes, construit pour rendre compte de l'information au jour le jour. Sans doute Il aurait été plus efficace ici de faire appel aux compétences en sciences de l'information. Car il faut ici accumuler, classer pour retrouver et analyser, et non entasser les postures convenues ou rendre compte de la dernière audition. Mais il paraît que l'on découvre l'existence de Journadocumentalistes là-bas, il y a de l'espoir ;-).

Complément du 24 octobre 2008

Et pour la presse US, l'équivalent au même moment :

New Business Models for News Summit, 23 octobre 2008, New York. Repéré par Jean-Marie Le Ray qui le commente.

mercredi 27 août 2008

Les manuels numériques plus chers que le papier..

La problématique des manuels numériques dans les premiers cycles universitaires est une question chaude. Après les revues scientifiques et parallèlement aux cours en ligne, en effet, la seconde publication académique à être touchée par la numérisation est le manuel de premier cycle qui se trouve pris entre deux logiques, parfois complices, parfois opposées : celle de l'éditeur et celle du professeur. Et les stratégies observées dans le premier domaine sont aussi à l'œuvre dans le second, tant du côté d'éditeurs commerciaux soucieux d'en retirer un profit maximum que d'universitaires militants pour l'accès libre.

Ces derniers ont aux États-Unis leur site Web (Make Textbooks affordable ici), avec vidéo sur YouTube etc. Ils viennent de publier une étude sur les coûts payés par les étudiants pour les manuels numériques :

Nicole Allen, Course Correction. How Digital Textbooks Are Off Track, And How to Set Them Straight (The Student PIRGs, Août 2008), rapport ici, présentation . Repéré grâce à H. Guillaud dans un commentaire ()

L'étude est sans doute de parti pris, puisque commanditée par un groupe de pression. Il n'empêche, ses résultats et son argumentaire sont bien intéressants. Extrait de la synthèse (trad JMS) :

Les manuels numériques doivent répondre à trois critères - abordables, accessibles et imprimable

Tout d'abord, les manuels numériques doivent être meilleur marché que les livres traditionnels. Pour être une solution aux coûts élevés, des manuels numériques doivent coûter moins chers que les livres traditionnels. Cela signifie que les manuels numériques doivent avoir un prix inférieur au coût net de l'achat d'un manuel - le prix d'achat moins le montant que les étudiants peuvent s'attendre à recevoir pour les vendre à la librairie.

Deuxièmement, les manuels numériques doivent être faciles et peu coûteux à imprimer. L'impression rend les manuels numériques pratiques pour les étudiants dont les styles de lecture et d'apprentissage sont différents. Bien qu'il n'existe pas un format valable pour tous, les étudiants semblent avoir une préférence générale pour les livres imprimés depuis les écrans d'ordinateur.

  • Le confort de lecture des étudiants sur un écran varie considérablement chez les étudiants interrogés. 33% se disaient confortables, 22% non et 45% entre les deux.
  • 75% des étudiants enquêtés ont dit préférer un livre imprimé et 60% qu'ils achèteraient une copie imprimée bon marché, même si le livre électronique était gratuit.

Troisièmement, les manuels numériques doivent être accessibles. Les étudiants doivent pouvoir y accéder en ligne, les stocker pour une utilisation hors ligne, et en garder une copie pour un usage futur. D'abord c'est justice. Une fois un manuel acheté, il doit être à eux, ils doivent pouvoir le garder et y avoir accès où ils veulent et quand ils veulent. Ensuite, toute restriction d'accès rend impraticable les livres numériques pour un grand nombre d'étudiants qui ont déjà un accès limité aux ordinateurs et/ou à l'internet.

  • 45% des étudiants enquêtés ont dit avoir un accès limité à l'ordinateur qui devrait leur causer quelque difficulté pour utiliser un livre numérique.
  • 71% ont dit avoir gardé au moins un manuel de référence pour l'avenir.

La suite, un peu convenue, montre que les éditeurs aujourd'hui ne répondent pas à ces exigences, en particulier que les manuels numériques reviennent in fine plus cher à l'étudiant que les manuels papiers, compte tenu des éléments ci-dessus, et qu'ils sont difficiles d'accès. Les auteurs plaident alors pour un accès ouvert et un partage de ressources.

jeudi 21 août 2008

Livres téléchargeables au bout de 10 ans.. logique

Lu dans le dernier rapport du Conseil d'Analyse Économique français qui réunit les meilleurs économistes de l'Hexagone :

Proposition 1. On pourrait considérer qu’après dix ans, un livre puisse être numérisé et téléchargeable (sous réserve des accords des ayants droit). Le manque à gagner, a priori faible, serait reversé par le ministère de la Culture aux éditeurs et aux auteurs au prorata des téléchargements ou des ventes effectives des dix premières années.

Daniel Cohen et Thierry Verdier, La mondialisation immatérielle (Paris: Conseil d'Analyse Économique, Août 2008), ici.

Pour comprendre la proposition, il faut lire l'intéressante contribution de Françoise Benhamou sur l'économie du livre, en particulier les pages 92-96. Extraits :

Le tableau 8 fait état des ventes des livres (tous circuits de distribution confondus) parus lors de la rentrée littéraire d’automne 2005. Les livres ont été classés dans trois groupes distincts en fonction du nombre total des ventes sur le dernier trimestre 2005 :

  • groupe 1 : faibles ventes : de 1 à 799 exemplaires vendus ;
  • groupe 2 : ventes moyennes : de 800 à 4 999 exemplaires vendus ;
  • groupe 3 : fortes ventes : plus de 5 000 exemplaires vendus.

On voit que 16 % des titres (les titres du groupe 3) représentent 83 % des ventes. Pour 43 % des titres, les ventes moyennes s’établissent à 293 exemplaires, tandis qu’elles se montent en moyenne pour l’ensemble des titres à 5 903 exemplaires, avec un maximum de 253 068 ventes et un minimum d’une seule vente… (..)

La fonction du droit d’auteur est d’empêcher ces comportements de « passagers clandestins » par la création d’un monopole de l’auteur (ou des ayants-droit) sur sa création. Telle est la fonction d’incitation à la création, à l’innovation, à la prise de risque du droit d’auteur. Mais ce monopole a un revers : il implique une moindre diffusion, puisqu’il établit un prix – éventuellement élevé – là où pouvait régner la gratuité ou la quasi-gratuité. Le mode de résolution de cette tension entre incitation et diffusion réside dans le caractère temporaire du droit conféré. Or l’histoire du droit d’auteur montre que l’on assiste à un allongement progressif de sa durée (tableau 9) ; on peut en déduire que, dans le conflit entre efficacité statique (rémunération de la création) et efficacité dynamique (diffusion), c’est la première qui s’est montrée gagnante tout au long de l’histoire. (..)

Dans leur note sur le passage de cinquante à soixante-dix années pour le droit d’auteur aux États-Unis, les 17 économistes cités plus haut mentionnaient la perte de bien-être social qui pourrait en résulter. Les coûts additionnels n’étaient pas en mesure de compenser les avantages, très peu importants, en termes d’incitation à l’innovation : les auteurs montraient que, compte tenu de la faiblesse des retombées économiques des oeuvres de l’esprit après cinquante années, tabler sur un effet incitatif du passage de cinquante à soixante-dix ans n’était pas fondé. En revanche, les coûts de transaction générés pouvaient être élevés (recherche des ayants droit, négociation des autorisations et des paiements), et la perte pour le consommateur pouvait être grande. On ajoutera que la disponibilité des oeuvres sur Internet, alors qu’elles ne sont plus disponibles dans le monde physique, peut constituer une chance, certes minime, de « résurrection » des oeuvres.

Salutaire en ces périodes de crispations. Néanmoins, il reste une question importante : si on autorise la mise en ligne des livres au bout de dix ans, qui les mettra en ligne à partir de quel fichier ?

Le rapport analyse aussi la mondialisation (vue de France) de la musique, du cinéma et de la TV, pour ce qui nous intéresse plus directement ici.

Actu du lendemain

Voir aussi nuance et complément au billet suivant .

mercredi 11 juin 2008

Persistance du livre

J'ai déjà eu l'occasion de le répéter maintes fois. Le plus remarquable pour le livre n'est pas son passage au numérique, mais sa résistance sur papier. Une récente enquête réalisée pour la maison Random House fournit des confirmations et précisions intéressantes :

The Reading and Book Buying Habits of Americans, Zogby International, mai 2008. Pdf. repéré grâce à Pinitiblog ici.

L'enquête a été passée en ligne auprès d'un échantillon de 8.218 adultes américains. A priori, faute d'éléments supplémentaires sur la méthodologie, on peut lui faire une relative confiance, d'autant que les résultats ne sont pas favorables au numérique, du moins pour la lecture, pour l'achat c'est autre chose.

En voici un échantillon suggestif (dans l'ordre des numéros de question, trad JMS) :

Où achetez-vous le plus souvent des livres ?

  • En ligne = 43%
  • dans une chaîne de librairie = 32%
  • chez un libraire indépendant = 9%

Quel format de livre achetez-vous le plus souvent ?

  • Relié = 43%
  • e-book = 0%

Quel vendeur en ligne fréquentez-vous ?

  • Amazon = 66%
  • Barnes & Noble = 10%

Prévoyez-vous d'acheter une tablette de lecture (liseuse, e-book reader) ?

  • Oui je le prévois = 4%
  • Oui, j'en ai une = 3%
  • Non je ne prévois pas d'en acheter = 80%
  • Pas sûr = 13%

Avez-vous déjà acheté un livre numérique (e-book) ?

  • Oui = 15%
  • Non = 85%

La réponse est encore plus radicale pour un clavardage avec un auteur ou la participation à un groupe de lecture en ligne : 95% de non.

Naviguez vous sur le Web pour des livres sans savoir exactement ce que vous cherchez ?

  • Oui = 62%
  • Non = 37%

Éloquent, non ?

Actu du 16 juin 2008

On peut aussi prendre le raisonnement à l'inverse et s'interroger sur le modèle économique du livre électronique. On trouvera plein de comptes-rendus d'expérience et d'interrogation après la tenue du premier Bookcamp à Paris :

Guillaud Hubert, BookCamp : Atelier Economie de l’édition numérique, La Feuille, 16 juin 2008. ici

Sans minimiser l'intérêt de toutes ces expériences et analyses, il est frappant qu'après tant d'années on n'ait que si peu avancé. En 2000, la vedette du Salon du livre de Paris était le « village du e-book » (). Voir par exemple à la même époque la déclaration de Jean-Pierre Arbon, pdg de 00h00h et principal artisan de ce village :

L'heure de l'édition en ligne, février 2000.

En 2006, on annonçait son retour, après avoir tiré le bilan de ses échecs :

Livre numérique 1996-2006, E-book, le retour, Fluctuat.net, dossier,

Cruel. Pour une chronologie complète, voir l'excellent dossier d'Educnet

jeudi 24 avril 2008

Les paradoxes du Wikipapier

Tout le monde a annoncé la prochaine édition sur papier en Allemagne par Bertelsmann d'une version de Wikipédia et nombreux sont les commentateurs à faire la comparaison avec Quid qui, inversement, vient d'abandonner son tirage papier (p ex ici parmi bien d'autres).

En réalité cette décision est instructive pour les thématiques développées sur ce blogue, mais pas forcément en suivant les propos des commentaires lus ici et là. Voici rapidement trois réflexions en forme de paradoxe :

  • Crédibilité.La reprise par un grand éditeur du travail de l'encyclopédie en ligne, du moins dans sa version allemande, est une victoire des Wikipédiens qui montrent ainsi leur crédibilité reconnue par les vestales de la distribution du savoir traditionnel. Mais inversement, c'est aussi une victoire pour le codex qui montre ainsi qu'il reste le meilleur garant de la stabilité des savoirs.
  • Rémunération du contenu. La comparaison avec le Quid montre sans doute l'efficacité sans pareil du modèle Wikipédien pour construire une encyclopédie. Inversement, elle peut inquiéter sérieusement sur les modalités d'une économie du contenu, puisque contrairement à la première qui rémunère ses auteurs, le principe même de la seconde est le partage bénévole.
  • Coûts de structure. L'annonce de la grande «générosité» de Bertelsmann qui rétrocédera 1% à la fondation Wikimédia des 19,95 Euros du prix de vente peut être interprétée comme un différentiel de capacité de négociation des deux contractants. Elle montre surtout à la fois la très faible importance des coûts de structure de l'encyclopédie en ligne qui n'a besoin que de très peu de moyens pour tourner dans sa forme actuelle (qui de plus ne dispose d'aucune équipe, ni tradition pour négocier) et inversement l'importance de ceux de l'éditeur, qui devra sans doute effectuer un lourd travail éditorial (et dont par ailleurs la négociation est le quotidien).

Actu du même jour

Quelques précisions dans le NYT :

A Slice of German Wikipedia to Be Captured on Paper, NOAM COHEN, New-York Times, April 23, 2008. ici

Complément du 5 septembre 2008

Voir aussi :

Hervé Le Crosnier, “Abondance d'auteurs et concentration des vecteurs ,” davduf|net, juillet 23, 2008, ici.

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