Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mercredi 23 mai 2007

CNRS schizophrène

Ceux qui me connaissent un peu retrouveront une thématique habituelle, mais la schizophrénie du CNRS en France pour ce qui concerne les publications scientifiques n'a pas fini de me stupéfier !

Le CNRS a signé très tôt la déclaration de Berlin sur les archives ouvertes et développe un système, intitulé HAL, peut-être le premier au monde.

Le CNRS-éditions, par ailleurs, publie des livres et des revues. Il vient d'annoncer, après bien des tergiversations, qu'il autorisait les auteurs à déposer leurs écrits sur des dépôts ouverts en ligne.. sous certaines conditions. Quelques collègues, que je ne dénoncerai pas ici pour leur éviter des ennuis, se sont renseignés. Voilà les conditions :

  • S'agissant du livre d'un auteur oeuvrant à titre singulier ou collectif et publié sous son égide, CNRS Editions autorise ledit auteur à déposer ledit ouvrage (ou le chapitre dont il est l'auteur) sur l'archive ouverte Hal à la condition que ledit ouvrage NE SOIT PLUS EN VENTE. Il reviendra à l'auteur (ou toute personne autorisée par lui) de déposer, soit un fichier produit par lui-même, soit un scan de l'ouvrage effectué par ses soins.
  • S'agissant d'un article paru dans une revue scientifique liée au CNRS et publiée sous son égide, CNRS éditions autorise l'auteur dudit article à déposer sur l'archive ouverte Hal ledit article au coup par coup, séparément, à la condition que ledit auteur ait respecté le délai de latence affèrent à ladite revue, fixé par CNRS éditions en concertation avec l'éditeur de ladite revue (généralement compris entre un minimum de 6 mois et un maximum de 2 ans), et à la condition que ne soit pas reproduit l'ensemble d'un numéro.
  • Pour les titres de revues CNRS disparues depuis plus de deux ans, CNRS éditions ne pose aucune condition particulière au scan et à la mise en ligne par l'auteur.

Bon courage aux collègues français..

"Je" les intéresse

H. Le Crosnier signale sur la liste RTP-DOC un article du Financial Times éclairant sur la stratégie de Google.

Google’s goal: to organise your daily life, By Caroline Daniel and Maija Palmer, Published: May 22 2007 21:08

Extraits :

“The goal is to enable Google users to be able to ask the question such as ‘What shall I do tomorrow?’ and ‘What job shall I take?’ ”

The race to accumulate the most comprehensive database of individual information has become the new battleground for search engines as it will allow the industry to offer far more personalised advertisements. These are the holy grail for the search industry, as such advertising would command higher rates. (..)

Mr Schmidt told journalists in London: “We cannot even answer the most basic questions because we don’t know enough about you. That is the most important aspect of Google’s expansion.” (..)

Earlier this year, however, Google bowed to concerns from privacy activists in the US and Europe, by agreeing to limit the amount of time it keeps information about the internet searches made by its users to two years.

Voilà sans doute de quoi alimenter les inquiétudes d'Olivier sur le nouveau service de recherche universel de Google. Mais à vrai dire, il ne s'agit simplement que d'une avancée supplémentaire dans la mise en place de l'économie du Web-média dont j'ai montré la logique, pour le moment antagonique à celle des médias de diffusion.

L'oubli et l'anonymat

Plutôt que de dénoncer vainement un mouvement naturel de l'économie (post-)moderne, peut-être pourrait-on relever que la mise en place de plus en plus évidente de ce volet de l'économie de l'attention ouvre des voies nouvelles aux métiers traditionnels de la documentation : ceux d'archiviste et de bibliothécaire par la gestion de l'oubli et la préservation de l'anonymat, à condition bien sûr d'en prendre pleinement la mesure et de savoir imposer leur choix.

Les archivistes sont les maîtres de l'oubli. Ils décident ce qui doit être gardé et pour combien de temps (calendrier de conservation). Un papier récent signalé par InternetActu, montre que certains font déjà de l'archivistique, comme monsieur Jourdain faisait de la prose.. sans le savoir.

Useful Void: The Art of Forgetting in the Age of Ubiquitous Computing, By Viktor Mayer-Schoenberger Working Paper Number:RWP07-022, Submitted: 24/04/2007

Résumé :

As humans we have the capacity to remember – and to forget. For millennia remembering was hard, and forgetting easy. By default, we would forget. Digital technology has inverted this. Today, with affordable storage, effortless retrieval and global access remembering has become the default, for us individually and for society as a whole. We store our digital photos irrespective of whether they are good or not - because even choosing which to throw away is too time-consuming, and keep different versions of the documents we work on, just in case we ever need to go back to an earlier one. Google saves every search query, and millions of video surveillance cameras retain our movements. In this article I analyze this shift and link it to technological innovation and information economics. Then I suggest why we may want to worry about the shift, and call for what I term data ecology. In contrast to others I do not call for comprehensive new laws or constitutional adjudication. Instead I propose a simple rule that reinstates the default of forgetting our societies have experienced for millennia, and I show how a combination of law and technology can achieve this shift.

Par ailleurs, les bibliothécaires américains, dans leur combat contre le Patriot Act, on montré combien la notion d'anonymat dans la lecture était importante. Voir par exemple la présentation de Ph. Cantié dans le BBF. Sans doute, la perspective de Google est plus soft, commerciale, moins brutale et moins directement politique, néanmoins il me parait essentiel que les individus puissent trouver encore des lieux de culture et de connaissance où leurs comportements ne soient pas orientés par une logique marchande.

lundi 21 mai 2007

Internet à l'école : ringard..

À la rubrique de la fracture générationnelle, voici un nouveau rapport sur l'usage de l'Internet par les jeunes québécois, intéressant notamment parce qu'il permet une comparaison dans le temps (une première enquête avait été réalisée en 2000), mais aussi dans l'espace (il fait partie d'une série comparative avec plusieurs pays européens).

LES JEUNES ET INTERNET: 2006 (Appropriation des nouvelles technologies) RAPPORT FINAL DE L’ENQUÊTE MENÉE AU QUÉBEC soumis par Jacques Piette, Ph.D., Christian-Marie Pons, Ph.D. Département des lettres et communications, Université de Sherbrooke Luc Giroux, Ph.D., Département de communication, Université de Montréal au Ministère de la Culture et des Communications Gouvernement du Québec, MARS 2007 Accessible ici

Faits saillants (extraits)

  • Des foyers maintenant hautement branchés. Les jeunes Québécois ont maintenant pratiquement tous accès à Internet à partir de leur foyer! (..)
  • L’Internet des jeunes : avant tout une messagerie instantanée pour communiquer et socialiser. (..) Ainsi le gros de la communication que les jeunes font sur Internet prend la forme d’un véritable Intranet constitué par leur liste personnelle partagée sur MSN Messenger!: 93% des jeunes disent l’utiliser.
  • Information et documentation, une seule formule: Google + Wikipédia. Le Web constitue la source privilégiée d’information et de documentation des adolescents québécois et le moteur de recherche Google est la porte d’accès presque unique à la recherche sur Internet pour les jeunes. De même l’encyclopédie participative Wikipédia devient, de son côté, la toute première référence qu’ils consultent sur le Web.
  • La crédibilité du Web!: un peu plus de prudence. On constate une certaine évolution dans l’attitude des jeunes à l’égard de la fiabilité des informations qu’ils trouvent sur Internet. Ils interrogent davantage la qualité et le sérieux des sites qu’ils consultent quand ils utilisent Internet pour leurs travaux scolaires.
  • La blogosphère des adolescents!: un extension des relations entre pairs. Les blogues constituent pour les jeunes internautes davantage une extension des relations qu’ils entretiennent déjà avec leurs amis qu’un lieu public d’expression personnelle. À l’inverse de la blogosphère ouverte des adultes, celle des adolescents se limite au réseau des intimes.!
  • Le téléchargement!: conscience d’une éthique…mais élastique (..)
  • Le téléphone cellulaire: pas encore si populaire. Le téléphone cellulaire ne connaît pas au Québec le même engouement auprès des jeunes que ce n’est le cas en Europe. La messagerie MSN Messenger pour les adolescents Québécois remplit une fonction analogue à celle du message texte (SMS) pour les jeunes Européens. Le faible coût d’utilisation du téléphone résidentiel, chez nous, rend moins nécessaire le passage au cellulaire; (..)
  • Les jeux vidéos: l'attirance des mondes virtuels. Avec les jeux vidéo de rôle et de simulation de dernière génération, particulièrement ceux qui se jouent sur Internet, on constate que le plaisir de jouer prend une toute nouvelle dimension.(..)
  • La présence parentale: plus vers la confiance que le contrôle. (..)
  • Les jeunes sont favorables à un plus grand contrôle des contenus sur le Web. (..) Mais pour le jeune, les principaux dangers n'est pas tant les contenus que les virus informatiques. (..)
  • Des écoles hors jeux. Sans aller jusqu’à affirmer que l’utilisation d’Internet à l'école a régressé, elle ne semble pas s’être développée comme d’aucuns l’avaient prévu. Les jeunes font état d’une utilisation assez limitée d’Internet à leur école et ils établissent qu’elle se différencie surtout radicalement de la pratique qu’ils en font à la maison. On constate qu’un double mouvement opposé s’est opéré au fil des ans. Au fur et à mesure qu’Internet prenait sa place à la maison, l’école –!qui avait pourtant investi de manière importante tant du point de vue pécuniaire que pédagogique!– s’est progressivement désinvestie de cette mission éducative quant à l’intégration des TIC en classe, du moins au regard des aspirations qu’avaient formulées de nombreux intervenants du milieu scolaire à la fin des années 1990.

Repéré par Bibliothécaire

Droits numériques : les bons plans de la BAnQ

Voilà un mémoire exemplaire d'un jeune diplômé de l'Enssib qui devrait intéresser beaucoup de monde des deux côtés de l'Atlantique :

Une collection numérique face au défi des droits d'auteur : l'exemple de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Lionel Maurel. Diplôme de conservateur des bibliothèques, Montréal, Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, 09 mai 2007. Accessible ici

Commentaire de l'auteur sur l'opportunité d'une étude comparative.

Résumé

Les technologies numériques offrent aux bibliothèques de nouvelles opportunités en matière de conservation et de diffusion de documents. Mais les règles du droit d'auteur peuvent constituer une entrave importante à de telles initiatives, dès lors qu'il s'agit de numériser des documents protégés Ce mémoire propose une étude comparée de la situation en France et au Canada, à partir de l'exemple particulier de la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). La question est abordée à la fois sous l'angle du droit comparé et de la bibliothéconomie. Cette étude de cas prouve qu'il existe une marge de manoeuvre importante pour les bibliothèques en matière de numérisation de documents protégés et propose plusieurs pistes de réflexion aux établissements français pour le développement des collections numériques.

Sommaire

Introduction..

Partie 1 BAnQ et la définition des droits d’auteur : L’environnement juridique de la collection numérique..

1. La politique documentaire audacieuse de BAnQ en matière de droits d’auteur

2. L’intérêt d’une comparaison entre le droit français et le droit canadien de la propriété intellectuelle.

3. Bibliothèques numériques et droits d’auteur..

Partie 2 La libération des droits d’auteur : une politique volontariste pour développer la collection..

1. Une véritable « diplomatie » des droits d’auteur : l’obtention des licences à BAnQ..

2. La libération des droits en action : étude de quelques cas remarquables

3. La procédure particulière des demandes de licence pour titulaire de droits introuvable.

4. Les moyens de faciliter la libération des droits.

Partie 3 Les droits d’auteur en question : quelles pistes de réflexion pour l’avenir des bibliothèques numériques ?.

1. Les paradoxes de la piste contractuelle.

2. Les perspectives étroites de la piste législative.

3. Pour une exploration des pistes alternatives balisées par la Culture Libre

Conclusion..

Bibliographie sélective..

mardi 15 mai 2007

Cyberinfrastructures et redocumentarisation

La conférence d'ouverture du congrès de l'Association Canadiennne pour les Sciences de l'Information (ACSI-CAIS) a été prononcée par John Leslie King. Son titre, Epistemic Infrastructure and the Rise of the Knowledge Economy résume son propos. Par "infrastructure épistémique", le conférencier comprend les bibliothèques, les centres d'archives, les musées, toute institution qui collecte et organise des éléments signifiants. Je dirais des documents, mais il préfère le mot "information", à tort à mon avis. L'argument vise à montrer que ces institutions ne sont pas la conséquence de la montée des échanges d'informations dans les sociétés, mais bien la cause, et donc qu'elles participent directement au développement des civilisations et des économies. La démonstration brasse très large en balayant l'histoire sur des millénaires avec des illustrations comme la bibliothèque de Tolède et la Renaissance ou les cabinets de curiosités et la Révolution scientifique. On retrouvera la thèse, moins les magnifiques illustrations visuelles de la conférence, développée dans un article de 2005 : Hedstrom Margaret, King John Leslie, Epistemic Infrastructure in the Rise of the Knowledge Economy

Je ne discuterai pas la démonstration. Ce qui m'a surtout intéressé, c'est la posture et la proposition. L'objectif du conférencier est de défendre les professions documentaires, et accessoirement sa propre institution, l'École en sciences de l'information de l'Université du Michigan. Il s'inscrit dans un mouvement plus vaste auquel il participe activement : celui des cyberinfrastructures (et ), qui sont dans ce raisonnement les Epistemic Infrastructures d'aujourd'hui ou encore, celui des iSchools (et ) qui forment les professionnels de l'information, fondant bibliothéconomie, archivistique et muséologie dans une profession unifiée par le numérique qui se trouverait au centre de la Knowledge Economy.

Les exemples pris dans l'histoire sont souvent européens et la réflexion initiale fait suite à une commande de l'OCDE dans le cadre d'une série de rapports sur l'innovation, avec donc un volet international marqué. Ainsi un nouveau vocable se fait jour qui montre un déplacement des enjeux. Le dictionnaire du Web de Dalloz nous rappelle opportunément que les "autoroutes de l'information", privilégiant les télécommunications, font désormais partie de l'histoire. La réflexion sur le Web ou même le Web 2.0 est souvent laissée à des journalistes ou experts proches des acteurs industriels. Les cyberinfrastructures retrouvent le monde académique et ont déjà leur entrée dans Wikipedia. L'intérêt est de se rapprocher de la gestion du contenu informationnel, même si on s'en tient encore au terme bien trop vague d'information.

Il y aurait peut-être de fructueux croisement à faire entre ce mouvement et la réflexion menée sur la redocumentarisation. Cela atténuerait peut-être ses tentations lobbyistes qui nuisent, à mon avis, à sa crédibilité scientifique.

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