Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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jeudi 22 mars 2007

Europeana : ouverture du site et départ des deux présidents

Donc à la veille du Salon du livre de Paris, le prototype de la Bibliothèque numérique Europeana est maintenant officiellement présenté. En attendant des tests plus professionnels, on trouvera ici une première évaluation. Ceux que le feuilleton du projet, plus français que réellement européen, intéresse, trouveront ici tous les épisodes.

La seule vraie nouvelle de ce dernier est la non-reconduction de Jean-Noël Jeanneney à la présidence de la BNF. Atteint par la limite d'âge, il lui aurait fallu un décret du président de la République pour rester en poste, qui lui a été refusé. L'ensemble du projet de bibliothèque numérique avait cette perspective en horizon. Maintenant que les deux présidents qui l'ont porté quittent leur poste en avril, ma perplexité reste entière. Attendons donc de connaître les noms des futurs, mais qui d'autre s'est jusqu'ici avancé dans le monde politique ou culturel français pour défendre une bibliothèque numérique européenne ?

La redocumentarisation ultime

InternetActu présente dans un long et passionnant billet Freebase :

Cette première réalisation de Metaweb, la nouvelle société du spécialiste des “machines intelligentes” Danny Hillis et de Robert Cook, se fixe en effet pour mission, selon ses propres termes, de créer “une base de connaissances communes, une base de données structurée, interrogeable, constituée et modifiée par une communauté de contributeurs“, ou encore “un espace public des données” (data commons).

En quelque sorte la phase ultime de la redocumentarisation.. je ne puis m'empêcher de me rappeler que Roger s'interrogeait (p.34-35):

L’examen des transformations des rapports entre texte et document pointe en effet un certain nombre de questions, trop vives pour nous en soustraire, qui conditionnent des réalités politiques, culturelles, sociales de grande envergure. En voici quelques-unes :

  • Quels liens voulons-nous conserver avec la culture documentaire dont notre société est issue, souhaitons-nous rompre avec elle, la transformer, en inventer une autre ? Quels principes guident aujourd’hui les grands programmes qui se mettent en place par le concours des industriels et des acteurs publics ? Quelle est la valeur des modèles revendiqués par les uns et les autres ?
  • Où mène l’idéal d’une culture structurée par des protocoles de plus en plus uniformisants ?
  • Quels sont les enjeux liés à l’utilisation de tel ou tel modèle, de tel ou tel protocole ? Peut-on analyser les situations et les paradigmes de leur utilisation ?
  • Qui peut et doit décider de ces enjeux ? Peuvent-ils être débattus ou seront-ils tranchés, de fait, par ceux qui ont le pouvoir de configurer les dispositifs ou par un jeu d’acteurs tellement éclaté que personne n’en maîtrise le sens ?

Le risque serait que les questions ici posées disparaissent, non parce qu’on leur aurait apporté une réponse, mais simplement parce que les conditions pour les poser auraient disparu. Ce texte vise donc à sortir quelques-unes de ces questions de l’impensé où elles baignent : c’est une urgence de le faire et c’est la responsabilité politique des scientifiques et des institutions scientifiques d’y contribuer sans tarder.

Diffusion/accès : une économie de l'attention antagonique

Dans la continuité d'un billet récent, qui soulignait théoriquement la différence radicale entre l'économie de l'accès et celle de la diffusion, voici quelques éléments plus concrets sur les stratégies des acteurs, la structuration des marchés et les chiffres.

Le double marché de l'économie de l'attention

On trouvera chez A. Iskold (repéré par InternetActu) une éclairante synthèse de ce que lui, et bien d'autres analystes du Web, entendent par le terme "économie de l'attention", en réalité une appropriation du concept pour l'économie de l'accès, c'est à dire pilotée par le service aux usagers comme le montre clairement le schéma ci-dessous, tiré de son billet :

Bien souvent (comme par exemple dans Wikipédia), il sera fait référence au prix Nobel H. Simon qui déclarait en 1971 :

...in an information-rich world, the wealth of information means a dearth of something else: a scarcity of whatever it is that information consumes. What information consumes is rather obvious: it consumes the attention of its recipients. Hence a wealth of information creates a poverty of attention and a need to allocate that attention efficiently among the overabundance of information sources that might consume it. "Designing Organizations for an Information-Rich World", in Martin Greenberger, Computers, Communication, and the Public Interest, Baltimore, MD: The Johns Hopkins Press

Mais H. Simon s'intéressait surtout à la rationalité limitée dans les organisations. L'analyse d'un marché ouvert opère un décadrage dont je ne suis pas sûr qu'il soit fidèle à la pensée de l'auteur. Pour une première entrée sur la rationalité limitée, on trouvera ici une synthèse par Cl. Partenay des propositions d'H. Simon.

Quoi qu'il en soit un marché de l'attention existait bien avant l'arrivée du Web et même les écrits de Simon. Il s'est construit au moment du développement de la presse populaire et développé avec la radio-télévision comme rappelé dans un billet précédent. Il est donc quelque peu abusif de réserver le terme "économie de l'attention" à une économie du Web. Il existe une économie de l'attention tirée par la logique de la diffusion, tout comme une économie de l'attention tirée par celle de l'accès. L'une et l'autre s'adressent aux mêmes clients (les annonceurs, les agences, les régies), mais s'appliquent sur des activités différentes. Il y a donc concurrence, et même antagonisme.

Acteurs et mesure

Même s'il l'exprime avec d'autres mots, un des acteurs les plus représentatifs de cette concurrence dans la blogosphère française est peut-être E. Parody, chargé du développement numérique du journal Les Échos. Billet après billet, il insiste sur la différence, à ses yeux évidemment en faveur des premiers, entre le marché publicitaire des sites d'information (déclinaison des médias traditionnels) et les sites de portails ou communautaires.

Voici, par exemple un argumentaire qu'il reprend d'un bloggueur américain. La démonstration vise la difficulté à rentabiliser un site Web par la publicité. Je cite (CPM = coût par mille, voir plus bas) :

  1. - D’un côté la vaste plateforme communautaire draine des milliards de pages vues mais avec un CPM de 1$ grand maximum. Il lui faudrait des dizaines de milliards de pages vues. Est-ce bien raisonnable de devoir cibler 50% d’une population pour espérer des marges de profits?
  2. - Au centre le portail communautaire, avec une diversité de contenus et services, qui supporte des centaines de millions de pages de pages vues et pousse dans le meilleur des cas son CPM à 5$. Difficile même pour un Microsoft, il faudrait 10 milliards de pages vues.
  3. - Enfin le site thématique (bagnoles, voyages, films) qui en ciblant des niches publicitaires peut prétendre à quelques dizaines de millions de pages mais un CPM de 20$. Là l’objectif serait des centaines de millions de pages vues. Pas facile.

Autre symptôme de cette différence : la non-maturité de l'étalon de mesure du marché du côté du Web-média. On trouvera une intéressante discussion à ce sujet chez F. Cavazza. Faut-il reprendre celui des médias classiques, le "coût par mille" contacts qui ne s'est pas construit en un jour, dont la représentativité sociologique ou communicationnelle est sujète à caution mais qui fait consensus du côté de la diffusion et donc permet les négociations de marché ? Le cout par mille est encore plus discutable sur le Web, comment savoir vraiment si le nombre d'affichages correspond bien aux pages vues par des lecteurs différents ? Faut-il alors se tourner vers le "cout par clic" ou encore le "cout par action" qui sont plus cohérents avec la logique de l'accès puisqu'ils manifestent un lecteur actif. Mais ces mesures alternatives sont en contradiction avec la logique de la diffusion pour laquelle le marché se traite par l'amont et ne peuvent rendre compte de l'importance des médias traditionnels pour la construction des réputations qui ne supposent pas une action de la part du lecteur.

Structure du marché

En réalité, ces discussions sur les mesures, pour importantes qu'elles puissent paraître, sont relativisées par la structure même du marché de la publicité sur le Web, dominé par un nombre très réduit de joueurs tous positionnés du côté de l'accès. Dans ces conditions, ces derniers imposent leur loi.

Les données à ce sujet sont impressionnantes . Voici un billet de Dave Morgan qui rend compte du Forum for the Future, tenu à Londres début mars. Je cite :

The big are getting bigger. At this event last year, there was a lot of talk and attention on research from Marketscape that determined that 88% of the gross online ad spend in the US in 2005 went to only four companies, Google, Yahoo, MSN and AOL. While some of this money ultimately was paid to independent sites through ad networks, it was a very sobering number. Well, Marketscape’s founder addressed the Forum today and told us that last year the “Big Four” received 92% of the gross online ad spend in the U.S. While this is great news for those aggregators, it’s certainly a very scary development for those thousands and thousands of ad-supported Web media companies. The landscape isn’t leveling, it’s tilting even more.

Jeremy Liew (l'auteur de l'analyse initiale résumée par E. Parody) en tire les conclusions suivantes :

Now According to the IAB and PwC, internet advertising revenues for 2006 were estimated to be $16.8 billion, a 34 percent increase over $12.5 billion in 2005. So doing the math, that suggests that the online advertising that didn’t go to the big four actually DECREASED from $1.5bn in 2005 to $1.34bn in 2006.

Et s'il reste des sceptiques, j'ai compilé ce petit tableau des résultats de Google :

Dans ces conditions, il est peu probable que les médias qui se déclinent sur le Web à partir d'une logique de diffusion aient beaucoup à attendre du marché publicitaire. Ceci éclaire mieux, je crois, la nervosité actuelle.

mercredi 21 mars 2007

Stratégie canadienne et recherche

Dans la suite du Sommet organisé par Bibliothèque et Archives Canada sur une Stratégie canadienne sur l'information numérique une journée d'études se tiendra le 9 mai à Montréal pour discuter des questions de recherche et des besoins en formation qui en découlent. Cette journée est ouverte à un public d'universitaires (professeurs, chercheurs, doctorants). Un blog bilingue français-anglais est ouvert pour amorcer la discussion et recueillir les premières réactions.

Présentation en français, English here

N'hésitez pas à faire suivre l'information aux éventuels intéressés.

La diversité culturelle oubliée

Je n'ai retrouvé dans mes fils RSS, sauf chez Olivier Charbonneau honneur à lui, aucune allusion à l'entrée en vigueur le 18 mars 2007 de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle. Pourtant, il s'agit d'un acte juridique international très fort, même s'il est sans doute encore trop tôt pour en mesurer la portée réelle.

Citons la tribune du Vice-président exécutif de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle dans le Devoir du 17-18 mars :

L'originalité de la Convention de l'UNESCO, c'est qu'on y affirme formellement, pour la première fois dans l'histoire du droit international, le «droit souverain des États de conserver, d'adopter et de mettre en oeuvre les politiques et mesures qu'ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire».

C'est aussi la reconnaissance de «la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d'identité, de valeurs et de sens», qui de ce fait «ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale».

Faut-il croire que le Web n'est pas un support d'expression culturelle ? J'ai surtout le sentiment que les ego-observateurs du Web-média ne voient dans celui-ci que le marché ou encore "l'intelligence des foules", deux versants d'une même médaille d'une pensée ultra-libérale très hostile au rôle des États. Est-ce bien raisonnable ?

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