Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

lundi 03 novembre 2008

Musique : désintermédiation ou médiation alternative

Ce billet a été rédigé par Alban Berson, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

Anarchy in the U.K ! Ces dernières semaines, au Royaume-Uni, une coalition d’artistes s’est élevée contre la toute puissance des majors. Leurs revendications portent sur la renégociation des contrats qui les lient à leurs maisons de disques (voir cet article de Numerama). Selon la Featured Artist Coalition, qui compte dans ses rangs quelques grands noms de la musique britannique tels Radiohead ou The Verve, le modèle économique en vigueur dans lequel les majors sont propriétaire des droits sur les enregistrements au prétexte qu’elles assurent les indispensables phases de promotion et de diffusion de la musique n’a plus sa place dans un contexte numérique. En effet, les changements de format et le Web allègent tant les phases de promotion et de diffusion autrefois si lourdes qu’on peut aujourd’hui se poser ces questions : Les artistes peuvent-ils se passer des maisons de disques pour promouvoir et distribuer leur musique ? Et si la réponse est oui, en partie au moins, pourquoi les maisons de disques devenues moins indispensables devraient-elles conserver des prérogatives qu’elles devaient à la prépondérance de leur rôle dans ce domaine ?

Dans une thèse fort intéressante déjà citée sur ce blogue (ici), Benjamin Labarthe-Piol questionne ce phénomène qu’il appelle désintermédiation. Je me base, dans ce billet, sur les développements du chapitre V de cette thèse consacrés au rôle des artistes dans la réorganisation de la chaîne de valeur musicale (p. 216-230) ainsi que sur les travaux de Halonen-Akatwikuka et Regner (ici) et en lie les conclusions avec l’actualité récente au Royaume-Uni.

Dans la phase de promotion, le Web et les nouveaux formats ont changé la donne en conférant aux œuvres musicales des qualités propres aux documents numériques. La facilité de repérage de l’information permet une plus grande exposition, et la reproductibilité à l’infini et sans coût du document facilite le sampling, c'est-à-dire la mise à disposition gratuite d’échantillons musicaux permettant à l’auditeur d’expérimenter le contenu musical en vue d’un éventuel achat. Ces possibilités inédites rendent les intermédiaires tels que les radios (en grande partie contrôlées par les majors) moins incontournables et conduisent à des exemples d’autopromotion tels que celui du groupe Wilco décrit dans la thèse susmentionnée :

Après avoir enregistré l’album Yankee Hotel Foxtrot pour sa maison de disques, cette dernière estime que son potentiel commercial est faible et refuse de le commercialiser. Le groupe décide alors de racheter les droits sur l’album pour $50 000 puis de le distribuer gratuitement en streaming à partir de son site et sur les réseaux P2P afin de faire connaître les nouveaux titres. Le succès de l’opération est immédiat. Selon un des membres du groupe, le site reçoit 3,5 millions de clics et une audience de 200 000 visiteurs. Cela permet au groupe de signer un nouveau contrat avec une maison de disques. L’album se vend à 440 000 exemplaires, soit le meilleur résultat du groupe.

L’exemple est significatif de la situation de 2002 : On remarquera que l’autopromotion par le Web se présente comme une alternative à un lancement traditionnel compromis et que la promotion sans intermédiaire aura été employée pour provoquer un effet de rebond permettant au groupe de revenir dans le giron d’une maison de disque. Ainsi, selon cet exemple, on assiste moins à un cas de désintermédiation définitive dans la phase de promotion de la musique enregistrée qu’à l’apparition d’une possibilité de repêchage, d’un plan B, pour les artistes exclus du système promotionnel. Autrement dit, au moment du succès de Wilco en 2002, la possibilité d’autopromotion entraîne une diminution non négligeable de la dépendance des artistes à l’égard des maisons de disques sans remettre fondamentalement en question le modèle en vigueur et l’hégémonie des majors. Une porte s’entrouvre, néanmoins.

De même que la promotion, la distribution est le rôle par excellence des maisons de disque depuis leur origine. Mais depuis une dizaine d’années, la majeure partie des musiciens possède un site Web officiel. La tentation est donc grande, pour les artistes, d’offrir sur leur site des services d’achat de musique à leurs fans et de se passer des labels, d’autant plus que ce mode de distribution peu coûteux permet d’atteindre le seuil de rentabilité plus rapidement que dans le cadre d’une distribution assurée par un tiers : Pour un profit supérieur, l’enregistrement peut être vendu moins cher, ce qui, a fortiori, tend à augmenter la masse des ventes. Cependant, le travail et l’expertise des maisons de disques dans le domaine permettent une plus grande visibilité des artistes et de leurs produits. Cela se vérifie particulièrement dans le cas des stars. À titre d’exemple, la tentative de désintermédiation effectuée par Prince s’est soldée par un tel échec qu’un retour au bon vieux système de distribution en magasin s’est avéré indispensable à l’artiste pour franchir la barre des 100.000 ventes pourtant peu élevée pour un musicien de son statut. En revanche, en termes d’effet sur le volume des ventes, la désintermédiation, si elle n’offre pas d’exemple d’un groupe de garage élevé au rang de vedette, ne semble pas non plus nuire aux artistes quasi-anonymes : Peu visibles avant le Web, ils le demeurent en ligne. Pour une vue d’ensemble, je reprends, en l’adaptant, un tableau de Benjamin Labarthe-Piol :

Effets de la désintermédiation sur les ventes de disques

L’expérience montre que la promotion et la diffusion de musique enregistrée sans l’intermédiaire des majors ne sont pas adaptées aux stars qui sont littéralement le produit du système mis en place par les maisons de disques. Cependant, comme le montrent Halonen-Akatwikuka et Regner, les stars peuvent d’une certaine façon participer à la désintermédiation en jouant un rôle d’intermédiaire alternatif dans la phase de promotion d’artistes moins connus : c’est ce que ces auteurs appellent le mentor. En effet nous sommes ici dans une économie de l’attention. Or, les stars jouissent d’un capital de notoriété important dont elles peuvent faire bénéficier d’autres artistes. L’exemple type de cette pratique est la façon dont les grands groupes de rap offrent des premières parties de concert à des jeunes talents, collaborent ponctuellement avec eux pour une chanson ou leur « dédicacent » des morceaux (pratique consistant pour le groupe « mentor » à mentionner le nom d’un groupe méconnu dans le texte d’une chanson). Mais nous ne sommes pas ici dans le mécénat ou l’altruisme : L’activité de promotion du mentor est rémunérée par un intéressement sur les ventes du protégé qui, lui, achète l’attention suscitée par le mentor. (On se souviendra du Pilier 6)

Le mentor, ce nouvel intervenant dans l’industrie musicale, pourrait bien influer sur la fronde qui se déroule actuellement au Royaume-Uni. En effet, la simple apparition d’un intermédiaire alternatif fragilise la position des majors déjà vacillantes. En outre, dans l’hypothèse d’un succès généralisé de la promotion par les mentors, si l’on suit l’axiome de Halonen-Akatwikuka et Regner selon lequel le copyright doit être attribué à l’acteur le plus indispensable de l’industrie, les majors se trouveraient encore moins en situation de revendiquer ce droit de propriété. Ainsi, sans doute les artistes engagés dans la Featured Artist Coalition sont en campagne pour récupérer leur copyright auprès des majors affaiblies par le Web, mais peut-être les plus importants de ces groupes (Iron Maiden, Robbie Williams, et bien d’autres) sentent-ils aussi venir l’opportunité d’endosser un nouveau rôle au sein de l’industrie musicale. Un nouveau rôle potentiellement très lucratif, isn’it ?

mardi 28 octobre 2008

Google it!

Ce billet a été rédigé par Elena-Daniela Mihu, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document. Il vient compléter mon précédent billet.

Google est devenu le moteur de recherche par excellence qui offre ses services gratuitement à tous ses utilisateurs. C’est au moins ce que la plupart des internautes pensent. Les frais versés au fournisseur afin d’avoir l’accès à Internet ainsi que les frais d’électricité sont connus par tout le monde et il n’y a pas de doute sur cette question. Qu’est-ce qui se passe une fois que l’internaute est rendu sur la toile? L’accès devient-il illimité et gratuit ? Oui, l’utilisateur peut accéder à toutes les pages livrées par sa recherche sans rien payer, enfin pas immédiatement…

Google est une compagnie qui s’est spécialisée dans la recherche, celle-ci représentant actuellement la fonction la plus utile sur Internet. Dès son début les dirigeants ont su que « plus c’est utilisé, plus c’est utile » et plus ça rapporte. Olivier Bomsel (Itw) précise, dans son livre intitulé Gratuit! Du déploiement de l’économie numérique (2007, France : Éditions Gallimard Collection Folio Actuel), que Google, en adoptant une utilité principale comme la recherche, ne fait que maîtriser les effets de réseau en s’assurant une position de leader sur les marchés. Il est très évident que leur recette est gagnante, fait qui est aussi soutenu à chaque année par le rapport annuel de l’entreprise, reproduit et interprété sur le site de Znet.

Le succès de Google repose sur deux éléments : un algorithme de recherche extrêmement efficace et une exploitation intelligente du fonctionnement des effets de réseau.

En quoi Google innove-t-il par rapport aux concurrents ? Google fait partie de la catégorie des marchés à deux versants ou à double face. On comprend par cela que la compagnie finance par la publicité les résultats de la recherche effectuée par l’utilisateur. Rien de nouveau jusqu’ici car le même modèle a été déjà utilisé par les journaux, les compagnies de cartes de crédit, etc. L’attention de ce type de marché est concentrée sur les deux acteurs : le lecteur et l’annonceur, autrement dit l’utilisateur et le commerçant.

Ce que Google apporte de nouveau, et qui explique son succès financier aussi, c’est l’implantation d’un marché publicitaire accessible à tous les annonceurs. Yahoo! propose également des services très variés et gratuits à ses utilisateurs mais c’est une plateforme dont les espaces publicitaires coûtent très cher aux annonceurs. Ce sont des espaces publicitaires réservés aux marques qui ont un certain pouvoir financier. Google exploite ce qu’on appelle CPC (coût par clic), une méthode dont la rémunération dépend du résultat de la recherche. Avec cette innovation Google gagne de son côté les petits annonceurs. Le plus important dans cette méthode n’est pas le pouvoir financier mais la qualité de l’annonce. Ceux qui réussissent à gagner l’attention du consommateur seront les plus avantagés. Ce système financier n’encourage pas les annonceurs payant le plus cher pour une annonce mais ceux qui arrivent à capter l’attention des utilisateurs. Google a gagné sa notoriété non seulement auprès de petits annonceurs mais aussi auprès des utilisateurs qui peuvent profiter d’un outil de qualité sans se faire envahir par les annonces publicitaires.

Je me demande si dans un avenir proche toute cette gratuité offerte avec autant de générosité pourrait nuire à l’utilisateur en suivant cette remarque d’Olivier Bomsel qui nous invite à réfléchir : Il n’y a pas de miracle. Rien n’est jamais gratuit. Soit d’autres paient pour vous, soit on paie pour autre chose, soit on paiera après. Mieux vaut explorer le mécanisme du gratuit avant de l’accepter. (ici)

Voir aussi :

Girard, Bernard. 2006. Une révolution du management : le modèle Google. France : Éditions M2.

Google, triple bande

L'évolution du chiffre d'affaires de Google est pleine de leçons au-delà du sens de la pente globale toujours aussi fascinante.

Google_Q3__08.jpg

(Diaporama du 3ème trimestre 2008 ici)

Tout d'abord, on constate que la timide avancée des ressources hors-publicité (rouge) du trimestre précédent ne s'est pas vraiment confirmée au troisième trimestre de 2008, à surveiller. Ensuite, une tendance lourde se poursuit : la proportion du chiffre d'affaires réalisée par les sites propres de Google gagne régulièrement du terrain, si l'on s'en tient aux troisièmes trimestres de chaque année, cela donne :

  • 2005 : 56%
  • 2006 : 60%
  • 2007 : 65%
  • 2008 : 66%

Croisons cela avec la remarque faite tout récemment chez Bloomberg (informations financières, 20 oct 2008) par E. Schmidt, directeur financier de Google, à propos de la crise financière :

Nous sommes tous vulnérables. C'est une course entre la réduction de la publicité, qui nous affectera tous, et la bascule très positive vers l'internet.

Donc le gâteau publicitaire global se réduit, mais la part de l'internet dans ce gâteau grossit. À l'intérieur de cette part, la place de Google continue à croitre et dans la part de Google la place de la régie (celle qui redistribue une part aux autres joueurs) diminue. Il s'effectue donc non pas un transfert de valeur publicitaire en faveur de Google (de l'extérieur vers l'internet), mais deux (le premier + la place dominante prise par la firme sur l'internet), et même trois (le premier + le deuxième + la proportion des Google.com dans le CA de la firme).

Sur ce troisième transfert, il faut aussi constater que le déplacement se fait vers de nouveaux types de captation d'attention : sur les requêtes des internautes, sur le courrier, sur la géolocalisation et demain sur la bureautique, la lecture de livres, etc. Cette captation de la valeur publicitaire est donc totalement perdue pour les médias traditionnels, y compris dans leur passage sur le Web, qui en bénéficiaient autrefois. On ne saurait mieux montrer, une nouvelle fois, que nous assistons bien à la naissance d'un média d'un nouveau type.

Nous sommes tous vulnérables, mais certains sont plus vulnérables que d'autres, pour paraphraser G. Orwell (Wkp)

Complément 15 mn plus tard

Une autre façon de prendre la même question :

Guillaud Hubert, Le web centripète, InternetActu, 28 oct 2008.

Et quelques heures après

Accord de Google avec les éditeurs US sur les livres épuisés qui accroit encore la capacité de captation de l'attention de la firme. Voir, par exemple, le billet d'Olivier.

mercredi 22 octobre 2008

Quel est l’enjeu économique des encyclopédies en ligne ?

Ce billet a été rédigé par Sandrine Vachon, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

La popularité des encyclopédies numériques ne se dément pas : alors que Wikipédia se range toujours parmi les 10 sites les plus consultés du Web, faisant fureur auprès des étudiants et de tous les curieux de la planète, une dépêche du Calgary Herald (ici) nous annonçait, à la fin août, que même le Sénateur John McCain utilisait un peu trop l’encyclopédie collaborative dans ses discours électoraux. Cet exemple nous éclaire sur la portée de Wikipédia et sur le changement radical qui s’est opéré dans les habitudes de recherche de tout un chacun ; désormais, il n’est plus question de perdre son temps à fouiller dans de gros bouquins, alors que toute l’information désirée est à un simple clic de souris…

L’arrivée de Wikipédia dans le monde des encyclopédies a créé des remous à plusieurs niveaux. De nombreux détracteurs ont critiqué l’aspect collaboratif de l’encyclopédie, effrayés à l’idée que n’importe quel individu, sans être expert, puisse écrire des articles encyclopédiques, ou en corriger d’autres. Pierre Gourdain et alii ont d’ailleurs consacré la presque totalité d’un livre (La révolution Wikipédia : les encyclopédies vont-elles mourir? BBF ) à essayer de convaincre le public de la non-validité des articles de cette encyclopédie. Et ce n’est qu’une récrimination parmi tant d’autres! Je me pencherai plutôt sur les enjeux économiques reliés aux encyclopédies numériques, dont on parle un peu moins dans les médias.

Sur ce blogue, Jean-Michel Salaün a analysé trois facettes économiques utilisées ou affectées par Wikipédia (ici). Il s’agit des économies de la cognition, de l’attention et du don. Il est possible de dire que Wikipédia participe à l’économie de la cognition puisque l’encyclopédie a un impact sur le monde de l’éducation. Toutefois, cet impact n’est pas économique dans un sens traditionnel, puisqu’aucun étudiant ou professeur ne doit payer pour la consulter. De la même façon, Wikipédia participe à l’économie de l’attention (publicité) en créant une plus grande affluence sur les moteurs de recherche, permettant ainsi aux publicitaires de rejoindre un plus grand marché. Là encore, ce n’est pas Wikimedia, la fondation derrière Wikipédia, qui en profite, mais bien d’autres acteurs du web, comme Google. Enfin, Wikipédia fonctionne grâce à l’économie du don, puisque tous ses revenus proviennent de dons de particuliers ou d’entreprises prélevés lors de levées de fonds. Sur le site wikipédien de la fondation, on explique que “96% du budget de la Fondation Wikimedia provient des dons individuels, et que ce sont généralement de petits montants.(sic) .» Afin de convaincre les gens de donner, la Fondation insiste sur les projets qu’elle désire développer à l’extérieur des Etats-Unis, comme en Afrique, afin d’augmenter le nombre d’articles écrits en différentes langues. Mais il ne faut pas se leurrer : ce qui attire les dons, bien plus que les projets, est l’image de marque de l’encyclopédie. Car Wikipédia a un pouvoir d’attention qui dépasse celui de bien des ONG, et qui se rapproche davantage de celui des grandes compagnies de ce monde, telles que Nike ou Gap! La preuve en est que la Fondation Wikimedia, lors de sa dernière levée de fonds, a amassé 2.162 millions de dollars de 45.000 donneurs à travers le monde (Rapport de la fondation). Avec un tel montant, nul besoin de diffuser de la publicité !

Les encyclopédies plus traditionnelles essaient bien sûr de rester dans le coup, sans grand succès. Par exemple, l’Encyclopedia Britannica permet depuis peu de temps de collaborer à l’encyclopédie en écrivant des articles parallèles reprenant des informations présentes dans les « vrais » articles de l’encyclopédie (Toronto Star, 6 juin 2008). Toutes les créations d’internautes sont vérifiées par les collaborateurs de l’Encyclopédie. Britannica tente d’intéresser les gens en tirant parti de son prestige, en participant à la vague collaborative et en faisant miroiter la possibilité de conserver les bons articles dans la vraie encyclopédie. Mais une entreprise comme celle-ci, malgré sa longévité, peut-elle réellement faire face à l’effet de masse créé par Wikipédia ? Et surtout, combien de gens s’abonneront réellement à sa version numérique pour 69,95$ par année, alors que les encyclopédies gratuites sont satisfaisantes ? En passant de 1395$ pour les 32 volumes de l’encyclopédie à 69,95$ pour la version numérique, on peut dire que les éditeurs traditionnels ont tout un défi économique à relever ! Malgré cette baisse de prix impressionnante, ils n’arrivent même pas à concurrencer les encyclopédies qui n’existent qu’en version numérique, comme Encarta, qui se vend 30$ par année.

Une solution semble « parfaite » pour l’entreprise: c’est celle que préconise l’encyclopédie Knol de Google. Ses articles sont signés par des experts dont l’identité est vérifiée. Le terme « expert » est ici un peu élastique puisqu’un diplôme ne garantit pas nécessairement qu’aucune erreur ne sera faite. Google réussit à attirer ces experts grâce à sa notoriété (nous savons que l’image de marque de Google occupe une très grande place dans l’économie de l’attention sur le Web). Elle leur promet aussi une partie des revenus assurés par les publicités présentes dans leurs articles, en fonction du nombre de personnes qui les lisent. Google a le prestige nécessaire pour que Knol devienne le prochain Wikipédia, mais les utilisateurs se lasseront-ils de la publicité, alors qu’ils sont habitués à ne pas en avoir sur les pages wikipédiennes ? Il n’y a pas que la gratuité qui soit attirante pour les internautes, et une solution intéressante sur le plan économique pourrait en rebuter plus d’un sur le plan éthique : information pertinente, produits de beauté et publicités de voitures de luxe peuvent-elles réellement faire bon ménage ?

jeudi 16 octobre 2008

Paul Krugman a-t-il toujours raison ?

(Repéré sur Numérama grâce à la veille de Silvère Mercier que je ne remercierai jamais assez pour son travail qui me sert tous les jours !)

Avant d'être récipiendaire du prix Nobel d'économie, Paul Krugman avait publié à la fin du printemps un éditorial dans le New-York Times, reprenant l'argument classique selon lequel les documents étant devenus des biens publics grâce au Web, un prix de marché n'était plus possible, par contre, il était possible d'utiliser la puissance de résonance pour valoriser des services associés. Il est présomptueux et imprudent de contredire un prix Nobel, mais après tout un blogue est là pour lancer des idées, même à contre-courant de la plupart des confrères. Et, quitte à prendre une volée de bois verts, j'affirme qu'en l'occurrence il se trompe. L'erreur est d'autant plus gênante que, son auteur ayant acquis l'autorité que lui confère le plus prestigieux des prix scientifiques, elle risque de passer pour une vérité incontestable.

Paul Krugman, “Bits, Bands and Books,” The New York Times, Juin 6, 2008.

Extraits (trad. JMS) :

En 1994, une de ces gourous, Esther Dyson, a fait une prédiction saisissante : la facilité avec laquelle le contenu numérique pouvait être copié et diffusé pourrait finir par obliger les entreprises qui vendent les produits de l’activité des créateurs à un prix très bas, ou même de les donner. Quel que soit le produit, logiciel, livre, musique, film, le coût de création devrait être récupérer indirectement. Les entreprises devraient «distribuer gratuitement la propriété intellectuelle pour vendre les services et des contacts». (..)

Évidemment, si les e-books deviennent la norme, l’industrie de l’édition telle que nous la connaissons pourrait dépérir complètement, Les livres pourraient servir principalement de matériel promotionnel pour d’autres activités des auteurs, comme des séances payantes de lecture. Bon, si cela a suffi à Charles Dickens, je suppose que cela me suffira.

Car la stratégie consistant à brader la propriété intellectuelle pour que les gens achètent tout ce qu’il y a autour ne marchera pas de façon équivalente pour tout. Pour s’en tenir à un exemple évident et douloureux : l’organisation de la presse, y compris ce journal, a passé des années à essayer de faire passer ses nombreux lecteurs en ligne par un paiement adéquat, avec un succès limité.

Mais, ils devront trouver la solution. Progressivement, tout ce qui peut être numérisé le sera, rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier et toujours plus difficile à vendre pour plus qu’un prix symbolique. Et nous devons trouver des modèles d’affaires et une économie qui tiennent compte de cette réalité.

La première erreur est de considérer que l'articulation entre le contenant et le contenu telle qu'elle est réalisée sur le Web et donc le partage de la valeur qui l'accompagne, est une donnée hors du champ de l'analyse et non un construit social significatif pour celle-ci. En réalité, l'abondance de biens informationnels gratuits valorise ceux qui vendent de l'accès, soit par des abonnements au réseau, soit par des machines. C'est une erreur de penser que les internautes ne dépensent rien pour ces produits, ils dépensent, et parfois beaucoup, en machines et abonnements, c'est à dire pour les contenants.

C'est aussi une erreur découlant de la précédente de penser que c'est la seule voie possible. Deux exemples démontreront le contraire :

  • Lorsque France-Télécom (à l'époque DGT) lança le Minitel et la télématique (Wkp), elle distribua gratuitement les terminaux en instaurant un système de micropaiement sur les services. Ce modèle d'affaires fut très rentable pour les producteurs de contenu (et, parait-il, il reste encore rentable dans quelques micro-créneaux). Cette stratégie est le parfait inverse de celle de Apple sur la musique avec le iPod.
  • La Corée du Sud avec le réseau Naver (ici) a mis en place un réseau payant, véritable place de marché où les transactions sur le contenu se font quotidiennement dans le respect de la propriété intellectuelle.

La stratégie de Kindle de Amazon va dans le même sens. Je suis moins sûr que P. Krugman qu'elle soit vouée à l'échec et, si elle l'était, cela viendrait moins d'une loi économique générale sur l'échange de contenus que d'une stratégie qui favorise, avec la complicité intéressée mais inconsciente des «gourous du Web», les industries du contenant.

La seconde erreur importante est de croire que le Web produit une rupture radicale par rapport à la situation antérieure. Il existait déjà des industries de contenu accessibles gratuitement aux documents facilement copiables, et pas des moindres : la radio et la télévision. Il existait aussi des institutions où les documents étaient partagés : les bibliothèques. Pour les unes et les autres, des modalités ont été trouvées, parfois après de laborieuses négociations, pour préserver la propriété intellectuelle et garantir un financement du contenu. On pourrait discuter de ce partage, mais c'est un autre débat.

Sans doute, le Web est un formidable outil de résonance, tout comme d'ailleurs la radio-télévision, mais rien n'interdit de trouver des modalités de rétribution des ayant-droits, sinon le dialogue de sourds qui s'est installé entre des détenteurs de droits, trop gourmands et incapables de comprendre l'organisation du Web-média, et les internautes militants incapables quant à eux d'imaginer que celui-ci puisse dépasser son adolescence rebelle. Refuser cette possibilité, c'est alors refuser la capacité au Web de devenir un média à part entière, tout en faisant le lit de quelques acteurs dominant qui accaparent à leur seul profit ou presque la vente d'attention créée par les contenus, au premier chef, bien sûr, Google.

Là encore, c'est donc une erreur que de croire que le Web tuera nécessairement les médias plus anciens, même si, clairement, le Web-média en prenant brutalement place parmi ceux-là réduit leur place et donc globalement leurs revenus, sans doute de façon inégale suivant les médias. Prenons là aussi deux exemples rapidement :

  • Dans la vidéo, malgré les téléchargements sauvages, la propriété intellectuelle continue de régler les positions sur le Web, comme le montrent les négociations engagées par YouTube avec les réseaux de télévision, les producteurs de séries ou encore les détenteurs de droits sportifs, ou comme le montrent les difficultés de la station Web Joost.
  • Dans la musique, l'annonce récente des résultats de l'expérience du groupe RadioHead où le paiement du téléchargement était laissé à la discrétion des internautes sont impressionnants. Au total, Radiohead a écoulé à ce jour 3 millions d'exemplaires de In Rainbows, sous forme de CD (1,75 million), de boîtiers de luxe vendus par correspondance (100 000) ou en téléchargement. Il faut y ajouter les droits sur les passages en radio et 1,2 millions de personnes à leurs spectacles. La résonance a été très forte, mais elle a aussi favorisé les formes les plus classiques de la vente de contenus.

Les étudiants du cours auront retrouvé le long de ce billet des éléments de la séquence 1 (l'argument de P. Krugman), de la séquence 2 (ma première réfutation) et de la séquence 3 (ma seconde réfutation).

Complément du 18 octobre 2008

Repéré grâce au commentaire de A. Pierrot, merci à lui :

PREMIERS RESULTATS : OBSERVATOIRE DES DEPENSES MEDIAS ET MULTIMEDIAS, Communiqué (Médiamétrie, Octobre 15, 2008).

Voici la répartition du budget d'un ménage français pour les médias et le multimédia sur une année en 2007-08. La dépense totale est de 2270 Euros et pour les familles ayant des enfants (11-24 ans) : 2920 Euros.

Édifiant..

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