Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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lundi 14 janvier 2008

Le vent tourne..

.. pensent quelques-uns des meilleurs observateurs du Web.

Il risque même de faire tomber les dominos selon Francis Pisani (ici) ou s'envoler les données personnelles selon Tristan Nitot ().

La fragilité économique du Web tient à son économie indirecte. Il est financé :

  • soit par la spéculation : on investit parce que l'on pense que les parts achetées se vendront plus chères plus tard. Tant que tout le monde y croit, cela rapporte gros. Mais c'est exactement comme pour l'immobilier, si la confiance s'arrête, la spirale devient infernale ;
  • soit par la publicité dont les dépenses sont les premières coupées en cas de crise. Et de plus en plus de personnes pensent qu'elle pointe son nez aux US.

Dans cette fragilité, les analystes du Web, et tout particulièrement les blogueurs, ne sont pas sans responsabilité. En relayant sans recul les annonces, en présentant chaque fois le dernier venu comme révolutionnant le Web et un pas supplémentaire vers la société numérique, ils ont contribué à gonfler la bulle. En réfutant dogmatiquement tout paiement, direct ou indirect (taxe, voir par exemple encore sur TechCrunch ici), ils interdisent tout modèle de revenu permettant de retrouver le lien entre le service proposé et son usager.

Si les seules victimes étaient ceux qui ont spéculé ou les innovateurs, on pourrait le regretter mais penser que c'est la loi du genre. Malheureusement si la tendance se confirme, les médias classiques qui souffrent d'une concurrence artificiellement construite ne retrouveront pas pour autant leur clientèle perdue.

Actu du 23 janvier 2008 Voir le billet de J. Battelle sur la baisse de l'action Google (ici)

samedi 01 décembre 2007

«On ne parviendra pas à vendre l’abondance au prix unitaire de la rareté multiplié par l'infini»

Les débats autour de l'évolution de l'économie de la musique sont souvent passionnels. Un nouvel exemple en a été donné après l'annonce d'un nième rapport déposé sur le sujet auprès du président de la République française qui préconise des sanctions graduelles, à vrai dire peu lourdes mais sans doute peu applicables, contre les téléchargements illicites. Peut-être parce que tout a déjà été dit sur le sujet, les noms d'oiseaux ont immédiatement fusés de toutes parts et même les plus fins analystes de la blogosphère, du moins ceux que je lis, ont perdu quelque peu leur lucidité et le sens de la mesure. J'avais donc décidé de passer mon tour. Mais un billet de Ph. Astor sur Zdnet m'a fait changé d'avis, car il touche juste :

Pourquoi M. Olivennes a tort de considérer que « la gratuité, c'est le vol », 28 novembre 2007 Html

Extraits :

(Les pratiques de dons) qui se sont développées ces dernières années sont à l’origine d’une immense création de valeur collective, dont ont certes bénéficié en priorité les industries des télécoms et du hardware, mais aussi, plus largement, la société toute entière.

Ce qui reste à arbitrer, c’est la redistribution de cette valeur, en direction des industries culturelles, notamment, qui ont à juste titre le sentiment d’être un peu les dindons de la farce, même si cela ne les dédouane pas de toute responsabilité dans la situation de crise qu’elles traversent, ni ne les dispense de faire un minimum d’autocritique. Accuser l’autre (le P2Piste) de tous ses maux est un peu facile. (..)

Force est de constater que les échanges de musique entre particuliers, pour ceux qui les pratiquent, n’ont rien de lucratif, en terme d’espèces sonnantes et trébuchantes, le caractère non rival des fichiers numériques ne permettant pas, de toute manière, d’organiser un business parallèle. (..)

Demain, il ne devrait plus être question d’acheter des iPod avec un disque dur de 10, 20, 40 ou 60 Go, mais avec 50, 100 ou 1000 titres de musique pré-chargés, ou toute la discographie d’un artiste, ou des dizaines de playlists thématiques, ou des collections de classique, de rock et de jazz, ou encore le best of de tel ou tel label, ou bien telle ou telle sélection personnalisée effectuée sur une borne en magasin, sur son mobile ou sur Internet.

C’est tout un nouveau modèle économique qu’il s’agit d’inventer pour la musique, de nouvelles relations contractuelles entre les différents acteurs de ces marchés, de nouveaux partages des revenus, en gardant bien une chose à l’esprit : on ne parviendra pas à vendre l’abondance au prix unitaire de la rareté multiplié par l'infini.

Dans ce contexte, tous les efforts de promotion, de marketing et de captation de l’attention des consommateurs de musique se feront - comme c’est déjà le cas depuis longtemps, à la radio ou à la télévision - dans la sphère de la gratuité. Elle constituera plus que jamais une sorte de poumon, de chambre d’amorçage de la nouvelle économie de la musique. Et une voie d’accès plus large au marché pour un grand nombre d’artistes. (..)

Pour autant, rien n’interdit de chercher à monétiser cette gratuité, ce que de nombreux modèles publicitaires essaient déjà de faire. Je persiste à penser qu’il possible, également, de monétiser les échanges de pair à pair.

En matière d'exception pour copie privée, il y a toute une réflexion à mener sur l’extension de la sphère privée que constitue Internet, à travers le peer-to-peer, mais également les réseaux sociaux… D’autant que les échanges entre particuliers ont tendance à devenir de plus en plus privatifs. (..)

Tout est dit sur le passage du modèle éditorial au modèle Web-média, sur l'articulation entre la vente et l'attention, avec en prime la dernière remarque sur les réseaux sociaux. Je rappelle qu'en Corée, par exemple (voir ici), les réseaux sociaux permettent depuis longtemps la monétarisation, mais ils supposent en effet une relation différente au collectif.

jeudi 01 novembre 2007

Web-média : logiques publiques vs intérêts commerciaux

Je n'ai pas beaucoup de temps pour développer, mais plusieurs billets, études et analyses récents méritent d'être cités, car ils montrent que les logiques publiques et commerciales cherchent leurs marques pour structurer le Web-média :

  • du côté des logiques publiques, par exemple :
    • Le rapport de l'OCLC Sharing, Privacy and Trust in Our Networked World, 280p. Pdf, qui exhorte les bibliothèques à prendre toute leur place sur le Web 2.0.
    • Les hésitations des bibliothèques face aux sirènes de Google Books. Voir le billet du BBF.
    • Ou, plus ambitieuse, mais non encore assumée par les autorités gouvernementales, la proposition déjà signalée de stratégie canadienne sur l'information numérique, ici.
  • Du côté des logiques commerciales :
    • La stratégie de Google sur les standards ouverts et leur relation avec la publicité. On lira à ce sujet deux billets très éclairants, l'un de Olivier Ertzscheid, l'autre de Jean-Marie Le Ray. Il ne faut donc pas confondre standard ouvert et recherche ou non du profit. Dans certains cas les problématiques se contredisent, dans d'autres elles marchent ensemble. Tout dépend du contexte et de la stratégie. La volonté de Google en faisant ce choix me parait double : fluidifier le Web pour augmenter le trafic global (et donc valoriser le leader sur le marché publicitaire) et fragiliser son concurrent potentiel Microsoft, le seul à pouvoir le contrer en terme de puissance financière. Actu du 04-10-2007 : à complèter et actualiser avec ce long, très fouillé et nouveau billet d'Olivier.
    • L'évolution explosive du marché publicitaire en ligne. Voir le billet de D. Durand à ce sujet.
    • Ou encore, la difficulté à valoriser des contenus sur Internet. Les remarques d'E. Parody sur les revenus ridicules générés par DailyMotion pour les producteurs de vidéos sont particulièrement éclairantes.

De plus en plus clairement, mais non sans hésitation, le Web-média se construit entre le modèle télévisuel et le modèle bibliothéconomique et il semble bien que son économie sera mixte.

mardi 23 octobre 2007

Le prix du grain

The Register signale (ici, repéré par Ratatium) une étude d'un consultant britannique sur la chute du marché du disque au Royaume-Uni. Extrait (trad JMS) :

Capgemini a calculé que, sur les 480 M de £ perdus par l'industrie depuis 2004, 368 découlaient du changement de format : principalement l'éclatement de l'album CD en une sélection de titres numériques à la carte. Pour le reste, la piraterie concernerait 18% des pertes.

L'étude pointe aussi la responsabilité des supermarchés qui ont cassé les prix. En l'absence de détail sur la méthode de calcul, il faut rester prudent sur ces chiffres et déductions, d'autant que les polémiques, souvent de mauvaise foi, vont bon train on le sait dans ce secteur. On en trouve d'ailleurs un exemple étonnant dans le même billet, qui cite un industriel :

« Ce qui déconnecte le modèle iTunes de la réalité, c'est que, historiquement, ce qui marche pour la propriété intellectuelle ce sont les prix en bloc (bundled price), ce qui ne marche pas c'est la granularité. Croyez-vous que Alan Edgar Poe aurait pu faire de l'argent, s'il avait vendu Le Corbeau séparément de 30 autres poèmes ? »

Le problème dans cette affirmation péremptoire est que Le Corbeau (ici), un des plus célèbres poèmes de la littérature anglophone, a été initialement publié dans un journal, The New York Mirror, où son auteur était critique (wkp). Il est difficile de prétendre qu'il a enrichi son auteur qui est plutôt considéré comme la figure de l'auteur romantique, mort dans la misère..

Néanmoins l'étude pointe une question de structure importante que l'on retrouve dans d'autres domaines, la Presse ou les revues scientifiques et le découpage en articles par exemple, et qui pourrait aussi être une explication de la relative résistance au numérique de l'édition de livres, rétifs à l'éclatement : quelle relation peut-on faire entre constitution des prix et granularité ?

En réalité, il n'y a pas une seule alternative pour la constitution des prix, mais trois options, et toute une gamme de possibilités intermédiaires. Il ne s'agit pas de choisir entre la vente d'albums ou de morceaux pour la musique, de journaux ou d'articles pour la presse ou encore d'abonnements de revues ou d'achats à l'article pour la science, mais entre ces options et une troisième : la rentabilisation de la collection par un ticket d'entrée payé a priori.

Et, pour compliquer encore le tableau, je rappelle que nous sommes dans un secteur de double marché : biens (en direction du lecteur, auditeur) et attention (en direction de l'annonceur).

Le grand changement du numérique est d'avoir transformé radicalement la structure des coûts, dans la distribution, bien sûr, mais aussi, et c'est souvent oublié, dans le traitement du document, et donc la possibilité de le repérer. La baisse des coûts de distribution ouvre la porte à la vente par morceaux, mais celle des coûts de traitement et de repérage ouvre la voie à la rentabilisation des collections. Si on ajoute maintenant la question des coûts de transaction : négociation avec les clients, gestion et sécurisation des flux monétaires, repérages des identités, etc. On se rend compte de l'intérêt de la valorisation de la collection, plutôt que de la multiplicité de micropaiements dans nombre de cas. C'est aussi une des explications de la préférence pour le marché des annonceurs : il y a moins d'acheteurs, donc moins de coûts de transaction.

Ces éléments expliquent, à mon avis, les évolutions récentes de la Presse sur le Net avec l'accès gratuit aux archives du NYT, ou encore les multiples tentatives d'accès direct à des catalogues musicaux. Voilà ce qui fait aussi la fortune de Elsevier dans le secteur de l'édition scientifique. J'ai emprunté le schéma ci-dessous à une intéressante brochure distribuée par Livre-Hebdo à la dernière foire du livre de Francfort (repéré par Bibliofrance).

Le classement 2007 de l’édition mondiale produit par Livres Hebdo (France) et publié en partenariat avec Buchreport (Allemagne), Publishers Weekly (Etats-Unis), Publishing Today (Chine) et Svensk Bokhandel (Suède), Pdf.

On voit donc dans ce schéma, et dans l'ensemble de la brochure, à la fois la réussite des éditeurs scientifiques qui ont investi dans le numérique et la vente de licence pour l'accès direct à d'énormes collections et la résistance des éditeurs de livres traditionnels, pour lesquels le Web n'est sans doute qu'une occasion de développer leur marketing. Pour ces derniers, comme je l'indiquais plus haut, découper un livre traditionnel n'a pas grand sens, dès lors le marché à l'unité est protégé car les prix restent élevés.

samedi 25 août 2007

Bien public : les requêtes des internautes

Bill Tancer de Hitwise présente dans son dernier billet une mesure qui pourrait être moins anodine qu'il n'y paraît. Il a recherché les termes qui étaient associés à discount (rabais), cheap (bon marché) et free (gratuit) dans les requêtes sur internet. La mesure a été effectuée pour la semaine du 18 août 2007 sur les données US, dont il précise que chaque agglomérat est constitué de dizaines de milliers d'items, donc statistiquement significatif.

Le résultat des dix premiers termes associés à chaque qualificatif est suffisamment tranché pour faire réfléchir :

  • Le rabais est exclusivement associé à des biens (objets matériels) et quelques services. Dans le domaine qui nous intéresse ici, il y a les CD.
  • Le bon marché est associé aux services exclusivement
  • Le gratuit est exclusivement, ou presque, associé aux documents (musique, fiction, échanges) et aux jeux.

Rappel du rapport Muet-Curien :

Alors que les technologies de l’information et de la communication devaient en principe favoriser un fonctionnement plus efficace de l’économie de marché, en rendant les transactions plus fluides et en éliminant les frottements informationnels, elles distillent en fait les ingrédients d’une économie publique. p.37.

En réalité pour les internautes au moins, cette économie publique concerne les documents. Pour le reste, il paraît bien y avoir simplement un fonctionnement plus efficace du marché.

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