Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 25 janvier 2008

UE/US, concurrence, vie privée et monopole

Les différences de conception du libéralisme entre les US et l'Union Européenne sont intéressantes à suivre au travers des actions anti-trusts menées contre Microsoft ou Google d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. Le site EurActiv donne des précisions (ici) sur l'audition de Peter Fleischer, Global Privacy Counsel chez Google, qui s'est tenue le 21 janv 2008 (et non le 19 comme indiqué semble-t-il par erreur dans le communiqué). En voici de larges extraits, qui reflètent bien entendu le point de vue européen :

En décembre dernier, la FTC (Federal Trade Commission), l’agence fédérale américaine en charge de la protection des consommateurs et de la concurrence, a donné son feu vert à la fusion entre Google et DoubleClick, en basant sa décision uniquement sur les questions liées à la concurrence. (..)

La décision de la FTC a clairement montré son manque d’autorité. L’agence fédérale est en effet incapable d’ajouter des conditions à la fusion qui ne seraient pas liées à la lutte antitrust. Elle a également révélé qu’imposer des limites à une seule entreprise en se basant sur la protection de la vie privée pouvait être considéré comme anticoncurrentiel. (..)

Au cours de l’audience au Parlement européen le 19 janvier, M. Fleischer a souligné que l’intérêt de Google à racheter DoubleClick reflète principalement sa volonté d’entrer sur le marché des outils publicitaires de mesure d’audience (ad-serving).

D’après M. Fleischer, le rachat n’impliquera pas la fusion des bases de données des deux entreprises, principalement parce que DoubleClick ne possède pas les données de ses propres clients.

M. Fleischer a expliqué que l’entreprise de publicité en ligne peut uniquement utiliser les données obtenues en mesurant l’audience publicitaire afin de fournir des informations générales et anonymes. Ce sont les éditeurs ou les entreprises publicitaires, pour qui travaille DoubleClick, qui possèdent les données. Il ajoute que les clients de DoubleClick n’apprécieraient pas du tout qu’une personne tente de rompre leurs engagements contractuels en partageant des informations entre publicitaires. (..)

En dépit de l’issue de la fusion, les activités de Google sont de plus en plus remises en question en Europe. En effet, les craintes sont principalement ciblées sur la collecte des données personnelles sans le consentement explicite du consommateur ou même sans qu’il en ait connaissance.

Plus précisément, la pratique de Google consistant à proposer des campagnes publicitaires ciblées après avoir collecté les données personnelles des utilisateurs (par exemple, via des recherches effectuées sur son moteur de recherche, par la détection d’adresses IP ou en scannant le contenu des emails, comme ceux des utilisateurs de Gmail) est de plus en plus critiquée.

vendredi 02 novembre 2007

Responsabilité et redocumentarisation

Voilà un jugement qui montre très clairement les ambiguïtés de la redocumentatisation. Wikimédia, la fondation propriétaire de Wikipédia, a été attaquée en France pour atteinte à la vie privée et diffamation avoir laissé révéler sur son site l'homosexualité de trois personnes sans leur consentement. Ces dernières ont été déboutées. Je cite l'article du Monde qui m'a fait découvrir cette nouvelle :

Foucard Stéphane, Wikipédia, ni coupable, ni responsable, LE MONDE, 03.11.07, Html

La justice française a ainsi estimé qu'en dépit des apparences Wikipédia ne fait pas œuvre éditoriale. Elle n'assure, selon cette interprétation, qu'un hébergement technique aux contributions des internautes. En accord avec ses principes fondateurs, l'encyclopédie est, en effet, bénévolement construite, rédigée et amendée par les internautes qui le désirent. "Le juge a estimé que, puisque la fondation n'exerce aucun contrôle sur le contenu des articles, elle n'a pas à supporter une responsabilité de type éditorial", explique Lionel Thoumyre, directeur de la revue en ligne spécialisée Juriscom.net.

Wikipédia est un objet documentaire non identifié. Ce ne serait pas un produit éditorial, selon le juge dont le raisonnement a sa cohérence. Même si, en effet, aujourd'hui tous les efforts de ses fondateurs et principaux activistes visent à en contrôler, valider et améliorer le contenu par diverses techniques (ce qui relève manifestement d'une activité éditoriale), fondamentalement l'écriture reste ouverte à tous les internautes sans quoi le cœur même de sa dynamique s'écroulerait.

Mais alors se pose un lourd problème de responsabilité, comme le montre ce procès, puisqu'il est possible impunément de diffamer n'importe qui.

Dans son éditorial Le Monde revient sur la question. Je cite :

Le Net est bien sûr un outil formidable de travail et de communication. Mais, tout comme la "bulle" spéculative Internet avait gonflé jusqu'à la démesure avant d'éclater, l'euphorie suscitée par ce nouvel espace mondial de liberté a suscité un vertige collectif qui a longtemps masqué ses effets pervers. Sans même compter les possibilités accrues de fraude et d'escroquerie et les risques d'addiction, Internet devient en effet une arme de diffusion massive de ragots et de fausses nouvelles. Un instrument pratique et redoutable de vengeances anonymes, parfois de menaces. De tout temps, la rumeur a pu détruire des vies et des réputations. Internet démultiplie cet effet, offrant des possibilités nouvelles aux "corbeaux" de tous ordres.

Deux arguments peuvent être avancés pour réduire le problème au moins sur la question particulière de Wikipédia :

  • celui du temps, le filtrage se faisant a posteriori, la correction sera faite tôt ou tard. Mais même s'il faut espérer qu'elle soit faite le plus tôt possible, il n'y a pas de garantie, celle-ci n'est pas sanctionnée et il restera toujours dans l'historique la trace de la diffamation initiale.
  • celui de la traçabilité. Le seul responsable est donc dans le raisonnement du juge l'auteur de la diffamation. Il faut donc pouvoir remonter à la source, et on sait que des outils ont été développés à cette fin. Mais alors, c'est la fin de l'anonymat.

Mais en réalité la traçabilité attire surtout les appétits des marketers, et avec les dits «réseaux sociaux» les problèmes de responsabilité risquent de se poser de façon de plus en plus graves. On le sait en s'inscrivant à FaceBook, l'internaute perd toute propriété sur ses données personnelles (voir la traduction du contrat réalisée par J.-M. Le Ray). On apprend aujourd'hui par TechCrunch (ici) que le service publicitaire de FaceBook irait beaucoup plus loin en centralisant toutes les traces de navigation de l'internaute inscrit sans que ce dernier ne puisse aucunement réagir..

C'est ainsi qu'aux US les associations de consommateurs s'organisent pour s'opposer à cette traçabilité débridée et dangereuse en demandant de préserver un internet sans traçabilité, une Do not track list Html. (repéré par J. Batelle)

Mais alors comment retrouver un responsable de diffamation, si on ne peut le tracer ? Pas simple. Il faudra sans doute quelques affaires ou quelques scandales pour que l'on commence à penser qu'il serait peut-être temps de réfléchir à un nouvel ordre documentaire..

mardi 18 septembre 2007

L'industrie du «fair use» = 1/6 du PIB US

Voici un rapport qui va faire quelques bruits. Il s'agit de la première étude détaillée et chiffrée sur les bénéfices procurés par les exceptions à la propriété intellectuelle. Sans doute les chiffres seront discutés et peut-être contestés. Ils sont néanmoins spectaculaires et méritent d'être pris très au sérieux.

Thomas Rogers and Andrew Szamosszegi, Fair Use in the US Economy: Economic Contribution of Industries Relying on Fair Use, Washington DC: Computer & Communications Industry Association, 2007, 84p., Pdf, résumé Pdf, présentation PPT

Extraits du résumé (trad JMS) :

Tandis que les politiques concentrent leurs efforts sur la propriété intellectuelle, les exceptions à cette propriété contribuent aussi à l'innovation et sont un des principaux leviers de la croissance américaine. Les exceptions à la propriété intellectuelle dans les lois américaines et internationales, généralement notées sous le vaste chapeau de «fair use», sont vitales pour de nombreuses industries et favorisent la croissance de l'économie. Les sociétés qui bénéficient des exceptions génèrent un chiffre d'affaires important, emploient des millions de travailleurs et, en 2006, représentent le 1/6 du PIB des États-Unis. (..)

Les industries qui dépendent ou bénéficient des exceptions comprennent :

  • Les fabricants de matériels grand public qui permettent les copies individuelles de programmes sous droits ;
  • Les institutions de formation ;
  • Les développeurs de logiciels ;
  • La recherche sur internet et les fournisseurs de serveurs Web. (..)

L'économie américaine est de plus en plus basée sur les connaissances qui viennent de la diversité dynamique des industries qui dépendent des exceptions à la propriété intellectuelle. Grâce à la croissance de l'internet et de la révolution des technologies de l'information qui lui sont associées, l'économie des États-Unis a bénéficié de la création et de l'explosion d'industries nouvelles et d'une relance de la productivité qui a favorisé de meilleurs niveaux de vie. (..)

L'économie du fair use en 2006 a engrangé 4,5 trillions de USD de C.A. (note JMS : sauf erreur de ma part, il s'agit ici de trillions US, c'est à dire 1000 milliards) et 2,2 milliards de valeur ajoutée, environ 1/6 du total du PIB des États-Unis. Elle a employé plus de 17 millions de personnes et distribué 1,2 trillions en salaires. Elle a généré 194 milliards à l'exportation et de rapides gains de productivité. (..)


Actu du 19-09-2007

Olivier Charbonneau indique dans un billet :

Cette étude provient du Computer and Communications Industry Association (CCIA), qui regroupe les gors de l’industrie informatique, dont Google et Microsoft. Par ailleurs, il s’agit du groupe qui mène la campagne médiatique en faveur du « fair use » : «Defend Fair Use ».

Cela n'enlève rien à son intérêt, mais la recadre. Le plus fascinant pour moi est de voir combien les principes moraux qui sont souvent évoqués pour attaquer ou défendre la propriété intellectuelle pèsent bien peu en regard des intérêts économiques. On peut mettre en relation ces constatations avec celles sur les rôles inversés de l'UE et des US sur internet entre les contenus et l'accès. Voir ce billet.

jeudi 16 août 2007

Les droits.. et devoirs des auteurs scientifiques canadiens

L'Association des Bibliothèques de Recherche du Canada (CARL-ARBC) vient de publier en association avec SPARC un addendum aux contrats de droits d'auteur pour les scientifiques canadiens qui désireraient mettre librement à disposition en ligne leurs articles, alors que ceux-ci pourraient être protégés par des droits exclusifs de l'éditeur. Voici un extrait de la fiche d'explication :

  • L’auteur est le titulaire des droits d’auteur. À titre d’auteur d’une oeuvre, vous êtes le titulaire des droits d’auteur, à moins que vous ne cédiez ces droits à un tiers par une entente signée.
  • Céder vos droits comporte des conséquences. De façon générale, le titulaire de droits d’auteur détient les droits exclusifs de reproduction, de diffusion, de représentation ou d’affichage public et de modification de l’oeuvre originale. L’auteur ayant cédé tous ses droits ne pourra accomplir aucune des choses mentionnées ci-dessus sans avoir au préalable obtenu une autorisation, à moins qu’il ne s’agisse d’exemptions prévues dans la Loi sur le droit d’auteur.
  • Le titulaire des droits d’auteur contrôle l’oeuvre. Les décisions relatives à l’usage de l’oeuvre, telles que la diffusion, l’accès, le prix demandé, les mises à jour et toute restriction d’utilisation, appartiennent au titulaire des droits d’auteur. Les auteurs qui ont cédé tous leurs droits peuvent ne pas être en mesure de diffuser leur oeuvre sur des sites Web destinés à des cours, de la copier pour la distribuer à des étudiants ou des collègues, de la déposer dans des archives ouvertes tels que le dépôt institutionnel de leur université ou d’en utiliser des parties dans le cadre d’une publication ultérieure. C’est pourquoi il est important que vous conserviez les droits dont vous avez besoin.
  • Vous n’avez pas à céder vos droits de façon exclusive. La loi vous permet de céder des droits d’auteur tout en conservant certains droits pour vous-même et des tiers. C’est ce que l’Addenda de l’auteur canadien SPARC vous permet de faire.

J'ajoute que, pour un chercheur, maîtriser la propriété intellectuelle de ses oeuvres est un droit.. mais qu'en faciliter la diffusion est un devoir.

lundi 21 mai 2007

Droits numériques : les bons plans de la BAnQ

Voilà un mémoire exemplaire d'un jeune diplômé de l'Enssib qui devrait intéresser beaucoup de monde des deux côtés de l'Atlantique :

Une collection numérique face au défi des droits d'auteur : l'exemple de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Lionel Maurel. Diplôme de conservateur des bibliothèques, Montréal, Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, 09 mai 2007. Accessible ici

Commentaire de l'auteur sur l'opportunité d'une étude comparative.

Résumé

Les technologies numériques offrent aux bibliothèques de nouvelles opportunités en matière de conservation et de diffusion de documents. Mais les règles du droit d'auteur peuvent constituer une entrave importante à de telles initiatives, dès lors qu'il s'agit de numériser des documents protégés Ce mémoire propose une étude comparée de la situation en France et au Canada, à partir de l'exemple particulier de la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). La question est abordée à la fois sous l'angle du droit comparé et de la bibliothéconomie. Cette étude de cas prouve qu'il existe une marge de manoeuvre importante pour les bibliothèques en matière de numérisation de documents protégés et propose plusieurs pistes de réflexion aux établissements français pour le développement des collections numériques.

Sommaire

Introduction..

Partie 1 BAnQ et la définition des droits d’auteur : L’environnement juridique de la collection numérique..

1. La politique documentaire audacieuse de BAnQ en matière de droits d’auteur

2. L’intérêt d’une comparaison entre le droit français et le droit canadien de la propriété intellectuelle.

3. Bibliothèques numériques et droits d’auteur..

Partie 2 La libération des droits d’auteur : une politique volontariste pour développer la collection..

1. Une véritable « diplomatie » des droits d’auteur : l’obtention des licences à BAnQ..

2. La libération des droits en action : étude de quelques cas remarquables

3. La procédure particulière des demandes de licence pour titulaire de droits introuvable.

4. Les moyens de faciliter la libération des droits.

Partie 3 Les droits d’auteur en question : quelles pistes de réflexion pour l’avenir des bibliothèques numériques ?.

1. Les paradoxes de la piste contractuelle.

2. Les perspectives étroites de la piste législative.

3. Pour une exploration des pistes alternatives balisées par la Culture Libre

Conclusion..

Bibliographie sélective..

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