Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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mardi 23 septembre 2008

Visiteurs et résidents

Lorcan Dempsey attire l'attention (ici) sur une proposition de David White :

David White, “Not ‘Natives’ & ‘Immigrants’ but ‘Visitors’ & ‘Residents’,” TALL blog, juillet 23, 2008, ici.

Le vocable Natives/Immigrants, passé dans le langage courant, est issu de cet article :

Marc Prensky, “ Digital Natives, Digital Immigrants - Part1” MCB University Press 9, no. 5 (Octobre 2001), .

David White n'est pas n'importe qui. C'est lui qui avait souligné les usages divers des étudiants en ligne dans une enquête menée à Oxford (UK) :

David White, Results of the ‘Online Tool Use Survey’ undertaken by the JISC funded SPIRE project, Mars 7, 2007, .

Sa proposition est fondée sur son expérience. Extraits (trad JMS) :

Quoi qu'il en soit, l'appropriation par nos étudiants des services en ligne ne semble pas suivre le niveau des compétences. Elle semble dépendre de la façon dont ils voient le Web : un «lieu de vie» ou une collection d'outils commodes. Cette motivation sous-jacente suggère deux catégories principales pour les étudiants à distance.

Le «résident»

Le résident est quelqu'un qui vit une part de sa vie en ligne. Le Web prend en charge la projection de son identité et facilite ses relations. Ces gens là ont une personnalité en ligne qu'ils entretiennent régulièrement. Cette personnalité est généralement d'abord sur un réseau social mais il est aussi probable qu'elle se manifeste sur un blogue ou dans des commentaires, au travers des services de partages d'images, etc. (..) Ils utilisent le Web dans toutes les facettes de leur vie : professionnelle, les études et le loisir. En réalité, le résident considère qu'une part de sa vie sociale est vécue en ligne. Le Web est devenu un élément fondamental de sa présentation personnelle et de l'entretien de ses réseaux d'amis ou de collègues.

Le «visiteur»

Le visiteur est quelqu'un qui utilise le Web comme un outil, de façon réglée et quand le besoin s'en fait sentir. Il peut réserver ses vacances ou faire une recherche sur un sujet particulier. Il peut choisir un outil de discussion audio s'il a des amis ou de la famille à l'étranger. Souvent le visiteur réserve un moment particulier pour se connecter plutôt que de s'assoir devant l'écran et de maintenir sa présence à tout moment du jour. (..) Il est réticent à donner son identité en ligne, ne ressent pas le besoin de participer à la culture du net comme le résident. (..)

La distinction n'est pas polarisée. Il s'agit d'un spectre dont le résident et le visiteur forment les deux extrémités. (..) Il est utile car il n'est ni basé sur le sexe, ni sur l'âge. (..)

Il ajoute que cette distinction est utile pour prévoir les outils disponibles pour les étudiants en ligne, selon qu'ils sont susceptibles d'être plus utilisateurs du Web (visiteurs) ou plus plongé dans la culture Web (résidents). Selon son expérience et ses enquêtes, c'est moins une question d'âge, même s'il y a plus de résidents chez les jeunes et plus de visiteurs chez les plus âgés, ni une question de compétence que d'approche du Web.

Complément du 7 octobre 2008

Voir l'analyse de Michel Roland :

1. Michel Roland, “Google generation?,” Bibliothécaire ?, Octobre 7, 2008, ici.

samedi 30 août 2008

Temps libre.. et amnésie

La fondation Edge, dont l'objectif est de favoriser le débat intellectuel aux USA, a mis en ligne une conférence de Clark Shirky prononcée à Web 2.0 expo en avril dernier.

Clay Shirky, “Edge: GIN, TELEVISION, AND COGNITIVE SURPLUS,” dans (présenté au Web 2.0 Expo, San Francisco, 2008), ici.

Voici un extrait (trad JMS) qui en résume bien le propos :

A l'issue de la deuxième guerre mondiale, une foule de facteurs, comme la hausse du PIB, la hausse du niveau de scolarité et du niveau de vie, a forcé le monde industrialisé à prendre en compte quelque chose de nouveau : le temps libre. Beaucoup et beaucoup de temps libre. La taille agrégée de temps non organisé parmi la population éduquée a enflé, jusqu'à représenter des milliards d'heures par an. Et que nous faisions de ce temps là ? En général, nous regardions la télévision.

Tout d'abord, la société ne savait pas réellement quoi faire avec ce surplus (c'est ce qui en faisait un surplus). Alors nous avons du trouver quelque chose à faire avec ce soudain excédent d'heure de reste. Les séries TV ont été notre Gin, une réponse toute faite à la crise du temps libre. La télévision est devenu un travail à mi-temps pour la plupart des citoyens du monde industrialisé. à une moyenne de 20h par semaine, chaque semaine, pendant des dizaines d'années.

Aujourd'hui donc, pour la première fois de son histoire, les jeunes regardent moins la télévision que leurs ainés, et la raison de ce déclin est la concurrence du partage du temps libre avec un média qui autorise une participation sociale active, pas simplement une consommation passive et individuelle.

La valeur dans le média ne vient plus des sources, mais du flux; lorsque nous mettons ensemble nos surplus cognitifs, cela créé une valeur qui n'existe pas quand nous opérons seuls. Le déplacement de l'audience télévisuelle vient de personnes qui utilisent leur temps pour fabriquer des choses et de faire les chose, parfois seuls, parfois ensemble, et de partager ces choses avec d'autres.

La thèse est séduisante, et elle a visiblement séduit si l'on en croit son écho. Pourtant elle est, sinon complètement fausse du moins largement simpliste. Et surtout, comme c'est malheureusement courant chez les analystes actuels du numérique, persuadés que le Web fait table rase du passé et passablement agaçants, elle oublie de se demander si, par hasard, il n'y aurait pas eu des recherches sur ces questions par le passé. Or, il y en a eu, beaucoup et pas des moindres.

Le plus célèbre, peut être, des sociologues à avoir travailler sur le temps libre est Français : Joffre Dumazedier, mort il y a peu en 2002. Voici des extraits d'une conférence qu'il a donné dans un colloque en son honneur :

Il me faut rappeler tout d'abord l'énorme malentendu qui a accueilli mon livre de 1962 : va-t-on «Vers une civilisation du loisir?». La plupart des commentaires ont oublié le point d'interrogation pour traduire que nous sommes déjà dans une civilisation du loisir. Je n'ai jamais écrit cela. (..)

Ce livre a eu curieusement un grand succès fondé probablement sur un malentendu. Il a été tiré à environ un million d'exemplaires aux éditions du Seuil. (..)

C'est pourquoi j'ai abandonné provisoirement les problèmes d'une civilisation du loisir pour tenter de révéler d'abord les dimensions culturelles au sens anthropologique du temps libre dominé à plus de 80% par un loisir d'expression de soi.

C'est en 1988 que j'ai décidé de rassembler différents faits sociaux et statistiques autour de «La révolution culturelle du temps libre». C'était pour démontrer, révéler comment les valeurs et contre-valeurs du loisir en tant que temps social dominant du temps gagné sur le travail, changeait notre culture quotidienne au sens anthropologique du terme : une foule d'activités autrefois réprimées par la convenance, la politesse ou la loi, osaient s'exprimer dans ce que certains appelaient «une société permissive» qui aurait été, pour eux, l'expression d'un «individualisme» destructeur du lien social. C'était, pour la sociologie du loisir, une interprétation parfois fondée mais c'était aussi oublier que nous assistions à une promotion sociale du sujet lui-même, de son individualité, dotée d'une nouvelle légitimité sociale. Cette promotion sociale oblige les institutions familiales, scolaires, professionnelles, sociales, à se transformer pour laisser à leurs membres individuels plus de libertés compatibles avec les normes nouvelles de l'institution. (p.31-32)

Anne-Marie Green, Les métamorphoses du travail et la nouvelle société du temps libre, Autour de Joffre Dumazedier, Rencontres sociologiques de Besançon . (L'Harmattan, 2000).

Ainsi, non seulement il est abusif de considérer que la télévision a rempli l'ensemble du temps libre, même si son influence a été et est toujours considérable, mais encore l'émergence d'un individu actif dans son temps libre et ses conséquences sur la société dans son ensemble, sont bien antérieures à l'arrivée du Web, qui plus est du Web 2.0. On pourrait plutôt dire que ce dernier a joué comme une caisse de résonance pour un mouvement déjà bien présent.

Pour le dire autrement, il n'y a pas de déterminisme médiatique, mais plutôt un accompagnement par les médias de mouvements sociétaux. On peut même faire l'hypothèse que le succès du Web a été favorisé, sinon initié par les changements culturels qui l'ont précédé. N'oublions pas qu'à son origine, la radio était interactive et qu'elle s'est imposée comme un média de masse.

vendredi 20 juin 2008

Gros lecteurs, vraiment ?

Voici un argument de poids en faveur de la lecture traditionnelle qui devrait faire réfléchir Hubert :

Shields Margot, Tremblay Mark S. Comportements sédentaires et obésité, Statistiques Canada, 19 juin 2008. Synthèse ici, Étude ()

Extrait du résumé :

L'étude, fondée sur des données relatives à 42 600 hommes et femmes âgés entre 20 et 64 ans, a permis de dégager des preuves convaincantes de l'existence d'un lien positif entre le temps passé devant le téléviseur et l'obésité, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Il s'agit de l'une des premières études reposant sur un ensemble de données représentatives de la population nationale dans le but d'examiner les liens entre les comportements sédentaires et l'obésité chez les Canadiens adultes.

L'étude a également mis en lumière un lien entre l'utilisation d'un ordinateur et l'obésité, et ce, chez les deux sexes. Par contre, aucun lien n'a pu être établi entre une troisième activité sédentaire, la lecture, et l'obésité, ni chez l'homme ni chez la femme.

lundi 19 mai 2008

Archivistique et Cloud computing

L'expression consacrée pour le calcul parallèle est maintenant Cloud computing. Elle renvoie à une technique informatique ancienne visant l'amélioration de la performance des machines pour de très gros calculs scientifiques, mais elle est aujourd'hui appliquée pour notre communication et documentation ordinaire grâce aux centres de données mis en place par les firmes comme Google ou Amazon dans le cadre de leur activité.

Christian Fauré vient de prononcer une intéressante conférence à l'association Ars Industrialis sur le sujet. Il faut passer au-dessus de la tentative un peu agaçante de vouloir enfermer le propos dans une pensée globalisante, qui est le péché mignon de cette association pilotée par B. Stiegler. Je ne suis pas sûr, par exemple, que la théorie des coûts de transaction soit applicable à ce phénomène et encore moins d'A. Gramsci et son intellectuel organique aient vraiment un rapport, pour parler d'auteurs que je connais un peu. Néanmoins le propos de C. Fauré est important pour la thématique de ce blogue, très important même. Il rejoint des constatations faites par François Bourdoncle, responsable d'Exalead, entendues à la journée d'études évoquée dans le précédent billet.

Christian Fauré, La gigantomachie autour des data centers, 17 mai 2008, Vidéo (je n'ai réussi qu'à avoir le son sur ma machine)

La puissance des centres de données des firmes s'adressant au grand public, alliée à la facilité pour l'utilisateur (ergonomie, rapidité..) des outils documentaires et de communication disponibles tend à externaliser l'activité documentaire des organisations. Chacun peut en faire l'expérience quand il utilise Gmail ou Yahoo! plutôt que la messagerie mise à sa disposition par son organisation, ou quand il préfère un de leurs services partagés pour un travail collectif. Les demandes des utilisateurs, habitués à la facilité des outils qu'ils ont expérimentés dans leur vie quotidienne privée et dans leur loisir, sont de retrouver le même confort sur leur poste de travail. Or cette puissance de calcul est hors de portée de chaque organisation prise individuellement et les outils internes ne peuvent rivaliser avec ceux mis à disposition gratuitement par des firmes qui se rémunèrent sur un autre marché, en particulier celui de la publicité.

Toute organisation est confrontée à ce phénomène, y compris les universités où les étudiants, les chercheurs et les professeurs, font suivre leur courriel dans leur boite Gmail, ouvrent des blogues ou des services partagés pour leurs travaux à l'extérieur des services informatiques à leur disposition. Bien sûr cela pose des problèmes de confidentialité, mais l'essentiel est ailleurs.

Comme le souligne C. Fauré, l'organisation elle-même se trouve menacée, comme si des morceaux essentiels de son activité lui échappait de plus en plus. Il s'agit ni plus ni moins de ce qui la cimente : sa communication et sa mémoire. J'ajouterai pour ma part que le problème est d'abord archivistique, au sens québécois des archives intégrées. Les archivistes jusqu'à présent étaient confrontés avec le numérique à une explosion quantitative et qualitative, mais elle ne remettait pas vraiment en cause leurs principes fondamentaux. Ils font face avec ce phénomène à un défi beaucoup plus grand. Comme les bibliothécaires avant eux qui ont vu leurs fonctions principales s'externaliser (collection, traitement, accès..). les archivistes voient à leur tour les documents leur échapper.

Il y a là une réflexion à mener d'urgence et des pratiques nouvelles à inventer. Selon que l'on est optimiste, on dira que l'archiviste sera celui qui sauvera l'organisation de son éclatement documentaire en lui permettant de ne pas perdre sa mémoire vive et à long terme, ou pessimiste que l'archivistique va s'éclater et ses compétences se diluer avec l'organisation elle-même.

Actu du 20 mai 2008

Voir le billet de D. Durand sur l'investissement de MS dans le domaine :

Cloud computing: microsoft monte sur le nuage avec 100+ millions de boîtes à lettres Exchange pour 2012, Média & Tech, 20 mai 2008. Ici

Actu du 21 mai 2008

Repéré par le compte-rendu de Virginie Clayssen (ici), voir l'excellente synthèse :

Naugès Louis, Web 2.0, “On the cloud” : mais où ?, 13 avril 2008,.

et en suivant les liens, suite à la question d'A. Pierrot en commentaire :

Koomey Jonathan G., ESTIMATING TOTAL POWER CONSUMPTION BY SERVERS IN THE U.S. AND THE WORLD, Final report, February 15, 2007. Pdf (pas encore lu)

Actu du 31 mai 2008

Repérés par F. Pisani (ici) qui en fait une lecture un peu superficielle, deux articles de presse sur le sujet :

Down on the server farm, The Economist, 22 mai 2008. ici

Thompson Bill, Storm warning for cloud computing, BBC-News, 27 mai 2008.

Actu du 7 juin 2008

Repéré grâce à H. Le Crosnier, cet article ancien mais révélateur :

Stephen Baker, “Google and the Wisdom of Clouds,” BusinessWeek: magazine, Décembre 13, 2007, ici.

vendredi 09 mai 2008

Archithécaires toujours..

Cette semaine est celle des Congrès professionnels au Québec. Aujourd’hui s’ouvre dans la ville de Québec le congrès de l’Association des Archivistes du Québec (ici). Dans la seconde moitié de la semaine, se déroulera le congrès conjoint de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec et de l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (). Malheureusement je n’ai pas la disponibilité pour y assister.

Alors pour réduire un peu ma frustration, voici juste quelques réflexions complémentaires. J’ai proposé l’année dernière le néologisme, un peu barbare mais éloquent, d’ «archithécaire» (voir et aussi ) pour signifier l’effacement par le numérique ou le déplacement de plus en plus manifeste des frontières entre les fonctions bibliothéconomique et archivistique. L’occasion est bonne pour y revenir.

L’archivistique québécoise prône une vision intégrée qui ne réduit pas l’archiviste à une intervention in fine, quand il ne reste plus qu’à conserver et classer des documents devenus inactifs, mais au contraire prend en compte la gestion des documents courants. En France, l'archivistique dominée par l'École nationale des Chartes, met en avant les archives historiques. Pour les archives courantes, on y reprend l’expression anglophone de records management (bonne présentation ici) dont la fonction relève souvent des documentalistes.. que l'on préfère appeler bibliothécaires spécialisés au Québec. Ainsi d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, une même fonction est assumée par deux familles différentes des professions documentaires. Difficile d'illustrer plus clairement que dans le monde de l'organisation, la gestion des documents doit être assumée dorénavant avec une vision globale.

Au congrès de l'AAQ, Carol Couture présente un premier bilan de la fusion des Archives nationales du Québec et de la Bibliothèque nationale devenue pour l'occasion BAnQ. Le bilan est éloquent. La synergie a permis une forte amélioration des capacité financière, des ressources humaines et de l'organisation

  • Soutien d’une équipe informatique spécialisée dans la gestion d’outils propres au domaine documentaire
  • Refonte en profondeur de l’interface Web de Pistard
  • Développement d’interfaces de repérage pour certaines séries d’archives numérisées (Ex: les greffes de notaires)
  • Développement du site généalogique Voici ma famille et de son moteur de recherche
  • Développement d’un extranet dédié aux organismes publics et privés du milieu des archives en mode informationnel et bientôt interactif
  • Hébergement et prise en charge du Réseau de diffusion des archives du Québec
  • Renouvellement complet des équipements informatiques des centres d’archives
  • Accélération sensible de la numérisation des archives
    • de 900 000 images numérisées au moment de la fusion, on en est maintenant à plus de 2 000 000. Par ailleurs, 50 000 000 d’images à forte teneur généalogique seront numérisées en partenariat avec la Société généalogique de l’Utah dans un horizon de 5 ans

Autre exemple, au congrès de la CBPQ-ASTED, Gérard Boismenu présente l'initiative de Bibliothèques et Archives Canada, intitulée: Stratégie canadienne sur l’information numérique (voir ici). La présentation de son intervention indique : La question première et qui reste posée, ne concerne pas tant l’opportunité d’une action concertée en matière d’information numérique au Canada, mais bien plutôt la capacité de réalisation d’une telle action au Canada. Tout le monde s'accorde en effet à penser que les problématiques sont transversales aux professions. Reste à trouver la meilleure échelle pour l'application de ces principes.

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