Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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dimanche 17 février 2008

«L'eau (information) est-elle propre et fraîche ?»

Repéré grâce à la liste ADBS-Info.

Davenport Thomas, Privilégier l'information sur la technologie, Les Échos, 17 février 2008. Ici

Extraits :

Imaginez-vous dans un monde obnubilé par la plomberie. Dans cet univers étrange, des centaines de livres, de magazines et même quelques chaînes de télévision traitent uniquement de la plomberie et font l'éloge des dernières innovations en matière de valves, d'installations et de tuyauterie. Dans les soirées mondaines, la question qui alimente toutes les conversations est de savoir si telle marque de lavabo se vide plus vite que telle autre. Les magnats du secteur de la plomberie sont en couverture des magazines spécialisés (ou non) et figurent parmi les citoyens les plus riches du monde. Les entreprises paient des milliards de dollars pour relier leurs systèmes de plomberie afin que leurs tuyaux atteignent tous les bureaux et même les voitures. Dans ce monde étrange, un seul sujet est pourtant totalement négligé : l'eau. Est-elle propre et fraîche ? Les consommateurs souhaitent-ils même boire de l'eau ? Ont-ils soif ? (..)

Dans le secteur informatique, les personnes chargées de l'information sont généralement des programmeurs, des administrateurs de réseau et des analystes de support technique. Mais si ce personnel technique doit aussi représenter l'essentiel de votre effectif dédié à l'information, il y a tout à parier que la qualité de votre information laissera à désirer. Heureusement, il y a plusieurs autres catégories de personnel sur lesquelles on peut compter pour créer un environnement informatif plus efficace.

Tout en haut de la liste, on trouve les documentalistes (qualifiés aussi de « scientifiques de l'information », même si leur tâche principale n'est pas très scientifique). Les compétences de ces documentalistes dans le domaine du classement, de la recherche et de la récupération des données, ainsi que leur compréhension des besoins sur le plan de l'information, représentent un excellent potentiel pour une entreprise qui se lance dans la gestion de bases de données. Cependant, pour de multiples raisons, ils risquent de rater le coche précisément au moment où leur valeur potentielle pour l'entreprise est à son maximum.

Et ce, parce que nombre de documentalistes, ainsi que les institutions qui les forment, se ruent tête baissée dans l'informatisation. Bien évidemment, un minimum de compétences informatiques leur est nécessaire puisque l'information est de plus en plus basée sur l'informatique, mais ont-ils réellement besoin de connaître toutes les subtilités des réseaux client/serveur ? Il y a déjà suffisamment de personnes pour s'en charger. L'autre problème est de nature complètement différente : il est lié au fait que les documentalistes se considèrent comme les gardiens de documents bien palpables qui se trouvent dans leur centre de documentation. Mais, l'acte d'informer ne se limite pas à un lieu particulier. Au contraire, il implique l'établissement de relations avec d'autres personnes de l'entreprise en vue de répondre à leur besoin d'informations. (..)

vendredi 15 février 2008

Dossier médical : redocumentarisation et modernité

Le dossier médical électronique (DME) est exemplaire des thématiques reliant redocumentarisation et nouvelle modernité. Le site Euractive qui popularise le travail de l'Union européenne propose une excellente synthèse sur le sujet.

Dossiers médicaux électroniques. Publié: mercredi 19 décembre 2007 | Mis à jour: mardi 15 janvier 2008 (ici)

En voici quelques extraits. Il ne rendent pas compte de la richesse documentaire du site. Mon objectif est juste de pointer quelques thématiques de la nouvelle modernité pour montrer sur cet exemple à quel point elles sont étroitement corrélées avec le processus de redocumentarisation.

1 Ubiquité :

Alors que les patients sont de plus en plus mobiles en Europe, le DME, consultable par les cliniciens dans différents lieux de soins et différentes langues, peut rendre les traitements plus sûrs et réduire les coûts.

La question de la mobilité est étroitement liée à l’interopérabilité. Si les normes du DME restent nationales, cela dressera de nouvelles barrières à la mobilité des patients. Cela signifie en revanche que ces normes devront surmonter non seulement les obstacles linguistiques, mais également les différences entre les systèmes de soin de santé, allant des traitements médicaux à la commercialisation des produits pharmaceutiques. (..)

2. Maîtrise des coûts de santé :

Avec un investissement initial relativement faible, les dossiers médicaux électroniques permettraient aux médecins et au personnel médical de partager les résultats des examens médicaux plus efficacement, évitant ainsi de pratiquer plusieurs fois le même type d’examen sur le même patient, lorsque celui-ci va consulter un autre médecin ou est traité dans un autre centre de soin.

De plus, l’informatique pourrait être utilisé pour réduire les coûts additionnels, comme les prescriptions pharmaceutiques et les frais d’hospitalisation et de transport. Une base de données anonymes concernant la santé de tous les patients pourrait être utilisée pour rendre les marchés des soins de santé plus efficaces. Par exemple, l’efficacité et la sécurité des médicaments génériques par rapport aux médicaments originaux pourraient être testées indépendamment et plus efficacement. (..)

3. Dangers de contrôle social :

Le groupe de travail ajoute : « en rassemblant les informations médicales relatives à une personne en provenance de différentes sources, facilitant et généralisant ainsi l’accès à ces informations sensibles, les systèmes de DME créent de nouveaux risques et donnent une ampleur inédite au danger d’abus des informations médicales relatives aux personnes ».

Cela dit, les collègues qui travaillent sur le sujet me soufflent que les difficultés de mise en œuvre sont encore très sous-estimées.

mardi 05 février 2008

Culture documentaire ou médiatique

La discussion initiée par un billet précédent sur deux rapport sur les pratiques de lecture et de navigation des jeunes (ici) a rebondi de façon passionnante sur deux autres blogues. Celui de Virginie Clayssen (ici) et celui d'André Gunthert ().

Je reproduis ci-dessous des extraits d'un commentaire d'Alain Pierrot sur le billet de Virginie, car il touche de front les problématiques développées sur ce blogue :

Mais la discussion me paraît comporter un autre aspect, celui de la documentation, avec deux aspects : son accessibilité et son statut pour le savoir. Le problème n’est plus alors celui de la lecture, mais celui de la définition de ce qu’est un document — Roger Pédauque écrit là-dessus de manière pertinente et originale —, et de son “sens” pour l’utilisateur. (..)

De mon point de vue, la croyance en l’universalité et la globalité de la documentation accessible sur écran (Google, Wikipedia, …) est très analogue à la confiance initiale conférée aux outils de référence traditionnels. L’important est de savoir quand il est pertinent de démystifier cette confiance, d’en donner les moyens, de capter l’attention des intéressés et de leur donner le temps nécessaire pour une démarche de “savoir”. Je ne vois pas là de rupture majeure dans l’irruption du numérique.

Les réflexions d’André Gunthert me paraissent identifier des phénomènes intéressants, impliquant de nouveaux statuts de documents, mal décrits ou inexistants avant l’extension du virtuel : son analyse des vidéos “brutes” postées sur YouTube comme des “photos étendues” plus pour une assertion d’existence que comme une création de document (un discours construit) interroge sur le document de création à côté du document “d’expression”.

Alain pointe là, je crois, une dimension fondamentale pour comprendre les pratiques actuelles. Mais elle se double d'une dimension médiatique qui se porte sur l'attention, sa captation, sa focalisation, qui débouche sur l'appropriation du média par une génération entière (voir à ce sujet l'émission de PBS ici).. un des aspects du problème vient du fait que l'économie du Web est portée pour le moment par cette économie marchande de l'attention. À la lecture de Alain Pierrot, je me demande si cette dernière est vraiment compatible avec une organisation documentaire.

Quoi qu'il en soit, je crois que collectivement nous avançons, ce qui est déjà une aventure bien réjouissante.

lundi 04 février 2008

«Grandir en ligne»

Pour faire suite au billet précédent sur les alarmes de la culture lettrée, Le Devoir de ce jour signale et commente (ici) un passionnant documentaire de la chaine publique américaine PBS : Growing up online.

On peut le visionner sur le site de la chaîne (), découpé en chapitres et accéder au débat intense qu'il suscite. Je n'ai pas encore eu le temps de tout voir, mais je peux déjà dire que c'est un très remarquable travail télévisuel et le témoignage à vif du questionnement d'une société toute entière.

samedi 02 février 2008

Alarmes sur la culture lettrée

Deux études récemment publiées, l'une aux US, l'autre en Grande Bretagne, tirent la sonnette d'alarme.

To Read or Not To Read, A Question of National Consequence (Washington: National Endowment for the Arts, Novembre 2007, 98p.), Pdf. (Repéré par H. Guillaud sur La Feuille qui a traduit quelques éléments du débat critique, ici)

Comme le titre le suggère, le rapport américain est donc très alarmiste. Il constate, comme d'autres avant lui, le fort recul de la lecture, au sens traditionnel du terme, principalement chez les jeunes. Mais, au delà des résultats, l'argumentaire est important. Voici un extrait caractéristique de la préface (trad JMS) :

To Read or Not To Read confirme l'importance centrale de la lecture pour une société libre et prospère. Les données démontrent que la lecture est une activité irremplaçable pour produire des adultes productifs et actifs autant que des communautés en bonne santé. Quels que soient les bénéfices des médias électroniques plus récents, ils apportent un substitut non-mesurable pour le développement intellectuel et personnel initié et soutenu par la lecture régulière.

To Read or Not To Read n'est pas un regret nostalgique (une «élégie») des jours anciens de la culture imprimée, mais plutôt un appel à l'action, ne s'adressant pas seulement aux parents, professeurs, bibliothécaires, écrivains et éditeurs, mais aussi aux politiques, hommes d'affaires, économistes et acteurs sociaux. Le déclin général de la lecture n'est pas simplement une question culturelle, bien qu'il ait d'énormes conséquences pour la littérature et les autres arts. C'est un sérieux problème national. Si l'Amérique continue à perdre l'habitude de la lecture régulière, au rythme actuel, la nation subira de substantiels revers économiques, sociaux et civiques.

Le rapport a été critiqué. On lui a reproché notamment de méconnaitre la lecture à l'écran. On trouvera ici un résumé par H. Guillaud de quelques-unes de ces critiques. Mais à la réflexion et à la lecture du second rapport, britannique, je ne suis pas sûr que celles-ci soient vraiment très solides.

Information behaviour of the researcher of the future, UCL, 11 janv 2008, 35p. Pdf.

La lecture des jeunes à l'écran n'y apparait pas vraiment en effet comme encore très efficace. Le rapport présente les résultats d'une enquête sur la façon dont les jeunes naviguent sur le Web et s'y informent. Sans surprise non plus, il montre que la « génération Google » n'a pas beaucoup d'esprit critique face aux outils et que les bibliothèques ne positionnent pas leur service de façon pertinente. Mais il prend, lui aussi, des accents alarmistes quand il élargit son propos. Extraits de la page 32 (trad JMS) :

La littérature de recherche est peu pertinente dans ce domaine et les éléments sérieux sont éclipsés par les proclamations anecdotiques et non fondées. Les bibliothécaires ont besoin d'investir plus dans le recueil de données et dans l'analyse et de prendre exemple sur les leaders commerciaux (comme TESCO, par exemple, JMS : hypermarchés) qui ont une connaissance de leur clientèle et de ses préférences bien plus détaillée et éclairée. En particulier, le besoin se fait sentir de séries de données longitudinales et d'outils de compréhension pour lancer des alertes vitales et rapides sur les changements à venir. Pourquoi les plus grandes bibliothèques nationales n'ont-elles pas un département interne d'études sur les usages ? Sans cette compréhension, les services standards peuvent s'éloigner facilement de la réalité.

À un niveau national, il y a un besoin fondamental d'un programme bien financé de recherche et d'enquête sur les compétences informative et de lecture numérique de nos jeunes. Si le comportement erratique que nous observons dans les bibliothèques numériques est vraiment la conséquence d'une carence du "terminal bibliothèque", alors la société a un problème majeur. Les compétences informationnelles sont plus que jamais nécessaires et à un niveau plus élevé pour que les gens puissent se prévaloir des bénéfices de la société de l'information.

Les premières recherches aux États-Unis soulignent que ces compétences doivent être inculquées durant les années de formation de l'enfance : à l'université ou au collège, il est trop tard pour renverser des habitudes profondément enracinées, en particulier la confiance aveugle dans les moteurs pour fournir des solutions miracles.

Cela suppose une action concertée entre les bibliothèques, les écoles et les parents.

Alors, on pourra encore prétendre que l'étalon de mesure est toujours ici la culture lettrée, issue de l'imprimé, et que, aujourd'hui avec le numérique, le rapport au savoir se déplace. Peut-être, mais se contenter d'une telle spéculation me parait prendre un pari risqué sur l'avenir, à la fois en termes d'efficacité économique et en termes de responsabilité démocratique.

Actu du 03-02-2008 Contre-argument ? Où ? En Corée bien sûr.. Vu ici chez David Touvet.

Actu du 04-02-2008 Voir sur le sujet les billets de Virginie Clayssen (ici) et André Gunthert (). Et aussi le billet suivant ().

Actu du 04-02-2010

A lire absolument en complément : Alain Giffard, “Lecture numérique et culture écrite,,” Skhole.fr, Janvier 18, 2010, ici .

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