Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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lundi 05 mars 2007

Web-média et télévision, l'un ne remplacera pas l'autre

La mise en place de la nouvelle génération de télévision avance très rapidement. Laurent Esposito propose une bonne synthèse des dernières données et analyses sur la télévision sur l'Internet et notamment l'évolution des téléspectateurs américains.

Les négociations vont bon train du côté de YouTube pour régler les problèmes de droits. Un récent article du New York Times indique que les plus intéressés sont les petits producteurs :

Google Courts Small YouTube Deals By MIGUEL HELFT, March 2, 2007

“Smaller guys want mass distribution and are willing to face the risk of copyright infringement for access to this huge audience,” said Allen Weiner, an analyst at Gartner. “It is a relatively low-risk deal for them.”

Plus de mille partenariats auraient déjà été signés. Et progressivement, on voit réapparaître la notion de canal spécialisé, afin de concentrer et mesurer l'audience.

“We are creating channels on YouTube for each of these content owners,” said Jordan Hoffner, head of premium and information content partnerships at YouTube. “Those who do deals with us will have an opportunity for monetization.”

Mais, même si certains gros ont claqué la porte (Viacom, ou NBC), d'autres, comme la BBC s'y intéressent de près. Voici l'extrait du communiqué de presse indiquant l'accord entre les deux sociétés sous-titré Benefits :

The non-exclusive partnership reflects the BBC's commitment to reach audiences in new ways.

The aim is to offer audiences a taste of BBC programming with clips which will (subject to the conclusion of the ongoing PVT process) link them to the BBC's proposed iPlayer service on bbc.co.uk.

For BBC Worldwide the partnership forms part of a strategy to bring great British content to new audiences around the world through its global TV channels and its proposed new digital businesses - the commercial iPlayer and the commercialisation of international traffic to bbc.co.uk. Increasing levels of funds will be returned to the BBC for investment in new programming.

Clips on BBC News (available to users outside the UK only) and "BBC Worldwide" will benefit from Google and YouTube's advertising platforms, generating new revenues for investment in BBC programme development and creation. Advertising will be governed by a comprehensive set of guidelines.

Le retrait des 100.000 vidéos de Viacom n'a pas vraiment affecté l'audience de YouTube. Dans les quinze jours qui ont suivi indique l'article du NYT, le traffic s'est accru de 14% (Didier Durand montre de son côté que la synergie avec Google porte ses fruits.).

Bill Tancer, general manager for global research at Hitwise, said that based on an analysis of the search terms funneling users to YouTube, clips created by users appear to be the main drivers of growth. But he said premium content from professional producers could be a factor, too.

“To the extent that it is short and has high entertainment value, it can only help YouTube grow,” Mr. Tancer said.

Reste quelques problèmes encore non résolus pour construire une rémunération classique de la production, comme le signale une récente analyse de Cnet News.

Paying YouTube content creators easier said than done, CEO Hurley said the site will compensate video creators, but copyright issues and YouTube's huge inventory complicate the plan, Greg Sandoval Staff Writer, CNET News.com, January 31, 2007, 10:00 AM PST

En résumé, du côté de l'audiovisuel aussi le Web-média prend ses marques. Il semble logiquement se construire sur ses points forts : la multiplication des programmes courts organisés par thèmes et recherchés par moteur. Pour la télévision traditionnelle c'est à la fois un outil de promotion et un marché de seconde main supplémentaire.

Reste qu'il est peu probable que nous assistions à une fusion entre les deux modèles, même s'il existera sans doute bien des situations intermédiaires. Il y a deux raisons à cela :

  • Tout d'abord, le circuit de la récolte publicitaire n'est pas le même. Pour le Web-média, la publicité est recueillie à partir de l'acte de recherche de l'internaute. Pour la télévision, c'est la régularité construite par le diffuseur qui est la source du revenu. Je reviendrai dans un billet sur la différence radicale de ces flux.
  • Rappelons de plus que la télévision traditionnelle, juste sur la France de 20h30 à 22h30, réunit 30 millions de personnes oisives devant le petit écran du lundi au vendredi. On ne tue pas un modèle construit sur une telle régularité. voir le schéma ci-dessous :

Tiré du diaporama TDM Media in Life Voyage au centre du média-consommateur, Médiamétrie. 20-12-2006.

mardi 13 février 2007

Musique et longue traîne

Repéré par J. Charlet, merci à lui.

Long et stimulant entretien en français avec C. Anderson le promoteur de la longue traine sur l'économie de la musique, chez Abeilleinfo, à mettre en relation avec un précédent billet sur le même domaine.

Non sans quelques perles (c'était le 29 janvier), je cite :

Mais Apple restera implacable sur les DRM…

Chris Anderson : Effectivement et je ne les vois pas changer de politique sur cette question. Le vrai changement interviendra le jour où un grand label décidera de lever les DRM.

Et le 6 février.. comme quoi il est préférable de se méfier des affirmations péremptoires.

mercredi 20 décembre 2006

"Internet ne doit pas être la poubelle des images"

E. Hoog, pdg de l'Institut national de l'audiovisuel français à l'avant-garde de la numérisation et de la diffusion des archives audiovisuelles, donne un entretien au journal Le Monde du 19-12-06, dont j'extrais ce passage :

Internet est surtout un média de texte, pauvre en images et en sons. Ceux-ci sont souvent piratés. De plus, les images y relèvent du divertissement ou du gag - comme sur YouTube ou DailyMotion - ou encore de la violence. Les sites des chaînes sont des sessions de rattrapage, pour revoir par exemple un journal télévisé de la veille, ou payants, via la vidéo à la demande (VOD). Il manque encore des sites d'avant-garde comme celui de l'INA, dont les sources sont référencées, authentifiées et éditorialisées, avec un volume d'heures gratuites important.

Ces sites doivent inventer leur modèle économique, grâce à la publicité ou au téléchargement payant. Internet ne doit pas être la "poubelle des images", surtout s'il constitue le média majeur pour les jeunes générations.

Voici la structure de revenu de l'INA, indiquée en encadré dans l'article : 115,5 millions d'euros. 75,4 millions proviennent de la redevance, 40,1 millions des activités commerciales, principalement liées à la cession de droits (33 %) et de prestation d'archives (36 %).

En réalité, le financement de la diffusion publique des images d'archive de l'INA a été réalisé principalement par la parafiscalité.

dimanche 19 novembre 2006

Musique : le partage du gâteau et les leçons de l'histoire

La musique est, avec l'information scientifique, un des secteurs-clés où se testent les nouveaux modèles économiques du document numérique.

L'actualité récente nous montre que les batailles commerciales y sont encore vives,

  • entre les industriels du contenant d'un côté avec le lancement par Microsoft de Zune pour contrecarrer la position dominante prise par Apple son IPod et son système de distribution ITunes ;
  • entre les industriels du contenant et du contenu avec les négociations entre les détenteurs de droits et les plateformes d'échanges.

Dans ces batailles et polémiques, le manque de recul nous laisse souvent croire que nous assistons à une aventure inédite. Il faut relativiser. Sans doute la situation est nouvelle, mais les arguments et les stratégies ne se renouvellent guère. Les mêmes logiques perdurent. Ainsi en est-il, par exemple, de la relation industrie du contenant / industrie du contenu.

Dans un article célèbre Andrew Odlyzko a montré, en proposant une rapide histoire économique des médias, qu'en terme de rentabilité financière, le contenu n'était pas le roi. Content is not king, First Monday, volume 6, number 2 (February 2001). Nous le retrouvons aujourd'hui, par exemple avec le partage des revenus de Apple entre les ventes du IPod et ceux de ITunes (un rapport presque de 1 à 10..), comme le rappelle D. Durand.

Mais surtout cette histoire nous renvoie aux tous débuts de la radio, où les fabricants de matériels, comme Westinghouse, payaient leurs ingénieurs pour qu'ils mettent du contenu en onde afin de vendre des récepteurs radio. L'avènement de la radio, dans les années 1920, s'est accompagné d'un effondrement des ventes de disques, d'une restructuration de l'industrie de la musique enregistrée avec le développement du star-system.

Patrice Flichy fut un des premiers à l'analyser en France. Une thèse récente (attention 360 pages en format zippé) poursuit le raisonnement en le prolongeant jusqu'à aujourd'hui. Voici un extrait de la conclusion :

Outre la mise en évidence d’un pouvoir de négociation supérieur pour les artistes, notre principale conclusion réside dans la remise en cause du modèle économique de star-system sur lequel s’appuient les majors. Cette remise en cause s’explique par l’effondrement des fonctions de distribution et de promotion, traditionnelles clés de voûte de l’industrie. Les majors devraient alors passer d’un modèle économique fondé sur les économies d’échelle à un modèle fondé sur les économies d’envergure. A l’inverse, la faculté des nouveaux entrants (issus principalement du secteur informatique et télécoms) à exercer conjointement ces fonctions en aval de la chaîne de valeur les place en position de force dans l’industrie. Alors que l’apparition de la radio dans les années 30 avait permis l’instauration du star-system, Internet est susceptible de renverser ce modèle. Il n’en reste pas moins que les débats sur la mort annoncée de l’industrie phonographique suite à l’arrivée de la radio sont en tout point comparables à la problématique rencontrée par l’industrie du disque à l’heure actuelle. p.307.

LABARTHE-PIOL Benjamin, L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance, Thèse en Sciences économiques, Université Paris Dauphine, 4 juillet 2005.

Autrement dit si l'histoire se répète, les industriels du contenu seraient néanmoins avisés de se positionner sur la longue traîne, car la transformation explosive des modalités de la distribution illustre sans doute un tournant important de la consommation contemporaine de musique. Là nous sommes dans une nouvelle donne.

lundi 06 novembre 2006

Les quatre âges de l'audiovisuel

J'ai parlé dans un précédent billet des quatre âges de l'imprimé. L'actualité m'amène à revenir sur les quatre âges de l'audiovisuel. Revenir, car il s'agit d'une proposition faite, il y a maintenant vingt années, qui aboutit aujourd'hui.

Dans un vieux livre donc (À qui appartient la télévision ? Aubier, 1989, 238p.), j'ai proposé d'analyser l'audiovisuel grand public selon une évolution par génération, croisant un état de la technique, un mode d'usage et une organisation économique (p.26) :

  • La première génération est celle du cinéma qui combine un système de circulation de copies sur pellicules, de salles de spectacles et une pratique de sorties culturelles ou récréatives ; elle a eu son heure de gloire ; malgré un net recul elle a su s'appuyer sur les nouvelles techniques qui lui permettent de survivre en multipliant les occasions de valoriser les catalogues ;
  • la deuxième génération est celle de la télévision de masse, qui combine un réseau hertzien, une recette indirecte, une forte pénétration de téléviseurs chez les ménages, et une forte pratique de visionnement quotidien ; c'est la génération dominante à l'heure actuelle, qui donne néanmoins les premiers signes de vieillissement ;
  • la troisième génération est celle de la télévision fragmentée, nous reprenons ici une formule célèbre popularisée par J.-L. Missika et D. Wolton (1983), qui combine un réseau à large capacité ou multiforme (câble, satellite), un financement multiple (abonnements, télévision à péage, vente directe, publicité locale) et une pratique de visionnement à la carte ; elle n'a pas encore trouvé un véritable équilibre, malgré des avancées importantes ;
  • la quatrième génération sera peut-être celle de l'interactivité, combinant réseau à large bande, recette au temps d'utilisation et intervention de l'usager, mais il est trop tôt pour en parler...

Il était trop tôt, vraiment trop tôt : Internet n'était qu'un outil confidentiel, l'image était analogique. Mais la roue a tourné et le temps est venu d'en parler. La quatrième génération est arrivée à la pré-adolescence, comme l'était la troisième en France dans les années 80 : la demande existe, elle explose même sur les sites de partage vidéos ; les canaux de réception sont multiples et hésitants (quelle combinaison dominera entre le téléphone mobile, l'ordinateur ou le téléviseur numérique ?) ; et le modèle économique est incertain, hésitant entre la publicité (YouTube) ou le paiement à la demande (ITunes).

Pour prendre seulement l'exemple des hésitations sur le téléphone mobile, la lettre sectorielle Convergences numériques et Audiovisuel aux État-Unis de l'Ambassade de France (n13 oct 2006), montre que d'un côté les ventes de téléphone recevant la TV devraient passer de 130.000 en 2005 à 155,5 millions en 2010, que c'est l'équipement dont on ne se détache jamais et qui comprend un mécanisme de paiement intégré. Mais d'un autre côté, la diffusion de masse individualisée est trop gourmande en bande passante pour cet équipement..

Alors, tout comme dans les années 80 pour la génération précédente, les grandes manœuvres et négociations vont bon train sur les rachat des audiences, comme sur les droits de diffusion. Dans la même lettre, on peut lire : Depuis l'été, AOL a amorcé un changement complet de sa stratégie, de son modèle économique et de sa philosophie. De fournisseur d'accès Internet de bas débit payant, AOL souhaite devenir un site Internet fournisseur de contenus qui a pour philosophie le forum audiovisuel, l'échange, la communication, l'interactivité et l'accès à plusieurs formats multimédia.

Autre exemple spectaculaire, bien sûr, le rachat de YouTube par Google. Certains, comme Emmanuel Parody, ont considéré que cet épisode ne touchant que la distribution de contenu ne relèverait pas d'une activité média. C'est méconnaitre l'histoire des médias, qui se sont tous construits, écrit, son, comme audiovisuel, d'abord en commençant par la distribution pour remonter progressivement à la production afin d'alimenter leurs canaux avides de contenus. Il n'a pas fallu très longtemps, quelques semaines !, pour que le nouvel acquéreur se trouve à négocier avec les détenteurs de droits, et tout particulièrement avec les ligues sportives, comme de banales chaines de télévision.

Voici un extrait significatif d'un article récent du Monde à ce sujet :

Google courtise les géants des médias pour qu'ils laissent YouTube mettre en ligne leur contenu, Pascal Galinier Le Monde 03.11.06

Trois semaines après avoir annoncé l'acquisition du site de vidéos en ligne YouTube, pour 1,65 milliard de dollars (1,29 milliard d'euros), Google est engagé dans une véritable course contre la montre. Selon le Financial Times du vendredi 3 novembre, Eric Schmidt, le PDG du moteur de recherche, est engagé dans "un round de négociations frénétique" avec les grands groupes de médias, pour les persuader de continuer à fournir du contenu à YouTube.(..)

"Les mentalités ont changé depuis dix ans, observe Daniel Rappoport, associé et directeur des opérations du site Dailymotion, un site français comparable à YouTube. Les majors ont mis quelques années à comprendre les mutations du marché, mais elles sont aujourd'hui dans une logique de partenariat avec les nouveaux médias." Contrairement à ce qu'avait tenté de faire Bertelsmann en rachetant Napster, il ne s'agit donc pas aujourd'hui de transformer les sites gratuits en sites payants, mais de conclure des accords de partage des revenus publicitaires générés par l'audience des contenus mis en ligne. "Pas question d'instaurer des péages ou des "comptes premium" payants, confirme M. Rappoport. Nous ne sommes pas dans un système de téléchargement, mais de visionnage en ligne. Il s'agit de monétiser notre audience via la publicité."

Faut-il alors soutenir comme Jean-Louis Missika que nous assistons à la fin de la télévision, comme il avait suggéré le déclin de la télévision de masse en 1983 ? Il est plus vraisemblable que nous aurons un entrelacement de générations avec un repositionnement des unes par rapport aux autres. La première génération, celle du cinéma est encore bien vivante, elle a trouvé dans les autres générations audiovisuelles des canaux de diffusion renouvelés.

Néanmoins, tout comme pour le quatrième âge de l'imprimé, celui de l'audiovisuel est en phase avec une société dont les relations sociales se sont largement transformées.

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