Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 28 septembre 2007

Roger et le graphe social

De brillantes synthèses et analyses ont été produites récemment en Français sur la question très discutée du graphe social lancée par le fondateur de FaceBook. Elles sont à lire, relire et à méditer :

  • Comprendre le graphe social par H. Gillaud sur InternetActu. Html
  • Ce que l'on sait des réseaux sociaux par Olivier Ertzscheid. Html 1 et 2
  • Actu du 29 sept Fragments de recherche sur FaceBook par M. Lessard. Html

J'ajouterai une remarque inspirée (encore..) de Roger, même si à l'époque on ne parlait pas encore de graphe social.: c'est aussi, et peut-être surtout, une question documentaire.

Roger T. Pédauque, Document et modernités, 16 Mars 2006. Html

Extraits :

L’imprimé serait directement associé à la première modernisation, celle qui a permis l’esprit scientifique, la rupture avec les traditions de l’Ancien régime, l’expérimentation et sa validation à travers des comptes-rendus détaillés comme critère de la scientificité, celle aussi qui débouche progressivement sur la reconnaissance des autorités et en même temps des auteurs et des États-nations. Une bonne part des relations dans les sociétés dites « modernes » sont fondées sur et cimentées par la stabilité du document papier et sa reproductibilité industrielle à l’identique (effet de série) ou encore sa permanence sécurisant les contrats, les règles et les identités. Plus encore, cette modernité est à mettre en relation avec une certaine façon d’écrire et de penser dans la linéarité et l’argumentation. Ainsi, il y a toujours eu un étroit rapport entre l’ordonnancement des idées et une certaine conception de l’espace non pas simplement scriptural mais aussi topographique. La classification du savoir en différents domaines, par exemple, selon les schémas classiques de l’encyclopédisme s’appuie sur une représentation de l’espace inspirée elle-même des arts de la mémoire. L’encyclopédisme utilise métaphoriquement les mots de champ, domaine, aire, qui sont en rapport avec la segmentation de l’espace et qui ont trouvé dans la feuille, le codex, les collections de volumes reliés des technologies propres à les représenter.

La seconde modernisation introduirait un effet retour sur cette prétention à la maîtrise qui caractérisait la première car les conséquences ne peuvent plus être repoussées au-delà de nos générations. La prétention à la totalisation du savoir et au triomphe des autorités scientifiques seraient battues en brèche : la seconde modernisation introduit l’exigence d’une réflexivité, d’un savoir qui se déclare lui-même et qui se contrôle en connaissant ses limites et ses conditions de production. Ainsi le modèle politique change (cf. le principe de précaution) mais aussi, pour ce qui nous concerne ici, les politiques documentaires. Le numérique introduit de façon massive et inédite à cette échelle la réflexivité sur notre propre activité documentaire. La documentation générale de nos activités, y compris les plus triviales, constitue désormais une seconde nature, qui correspond bien à cette seconde modernisation.

Le professionnalisme dans quelque domaine que ce soit, se juge à la capacité de réflexivité sur sa propre activité, sur la capacité à la déclarer, à l’expliciter, à la transmettre, à la tracer, toutes choses qui font émerger une énorme activité documentaire. Selon cette proposition, la rupture avec la première modernisation est importante. C’est aussi une sorte de retour à un régime d’auteur pré-moderne, où l’on ne se souciait guère de l’authenticité des écrits et qui permettait à tout un chacun de reproduire en déformant à volonté les textes supposés les plus intangibles.

Or, cette exigence est directement concomitante des outils numériques permettant de générer, de suivre, de traiter, de calculer tous les éléments composant les sources du processus documentaire. Plus que sur le document, il convient de mettre l’accent sur la documentarisation généralisée de nos activités, de notre vie sociale. Les contributions, facilitées par la dissémination et la convivialité des outils numériques, ne sont plus réservées à quelques uns, mais que ce soit dans l’atelier pour les remontées des défauts ou dans les blogs, chacun est tenu de produire et même souvent d’indexer l’information qu’auparavant seuls quelques professionnels pouvaient générer et mettre en forme.

(..)

Une hypothèse pourrait être que le développement d’une condition post-moderne, en concurrence avec la normalité moderne, est précisément rendue possible par la facilité matérielle donnée à chacun de constituer de manière autonome des collections de documents en gérant, grâce à la numérisation et internet, le passage de ces collections entre les trois contextes de médiations notés. Cette gestion permettrait aux acteurs de dessiner les contours de leur identité dans la dimension individuelle, collective et sociale de manière plus autonome et interactive qu’auparavant, leur rendant accès à une localisation redéfinie géographiquement par les réseaux. Inversement, elle permet de rendre visible, par la mise en réseau de mémoires personnelles, de nouvelles socialités et de nouvelle géographies d’imaginaires collectifs au travers de traits communs partagés ou reliés. Le développement des outils portables (téléphone, iPod, ebooks, etc.), l’augmentation explosive de leur capacité de mémoire, accroit encore les facilités fonctionnelles à la disposition des individus et décloisonne les espaces de communication en favorisant le nomadisme.

Pourtant, il nous paraîtrait bien imprudent d’en conclure que la migration généralisée des populations conduit, d’une part, à une société documentarisée sans contrôle des États ou des acteurs commerciaux et, d’autre part, à un recul des marges par une intégration sociale nouvelle des migrants au travers du renouvellement de leurs partages documentaires. Les frontières et les marchés sont aussi en voie de « migration » et sujets à une redocumentarisation où la traçabilité des individus par l’enregistrement de leurs transactions électroniques sur des banques de données remplace le contrôle par l’échange de papiers, d’identité, administratifs, monnaie, contrat ou facture. Et la marginalité se déplace elle-aussi vers ceux qui n’ont pas ou plus de possibilités d’accès aux réseaux (adresse électronique, carte magnétique, portable, code secret, etc.).

Le numérique favorise à la fois l’autonomie et le contrôle social. Il ne fait qu’accuser des tendances déjà à l’œuvre.

dimanche 12 août 2007

Économie des réseaux sociaux (suite)

Voici quelques chiffres. Communiqué de eMarketer : Social Network Ad Spending Keeps Rising, AUGUST 13, 2007. Extraits (trad JMS) :

La semaine dernière News Corp. a annoncé que Fox Interactive Media avait eu sa première année bénéficiaire à partir d'un chiffre d'affaires de 550M USD (note JMS le bénéfice net serait de 10M). Avec une estimation de 80% des revenus en provenance de MySpace, cela traduit environ 440M de chiffre d'affaires pour le réseau pour l'année fiscale qui se termine fin juin. Presque tout provient de la publicité.

À ceux qui avaient des doutes sur MySpace, le président de News Corp. Rupert Mudoch a ajouté ceci durant le discours aux actionnaires : « Il n'y a pas si longtemps - 24 mois - beaucoup disait que nous nous embarquions dans une stupide aventure. Dans les 12 mois avant notre acquisition de MySpace, le site avait généré 23M de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, sur la base de cette persévérance et ce succès, nous prévoyons que MySpace seule générera au-delà de 800M de chiffre d'affaires en 2008.

Je rappelle de R. Murdoch a acheté MySpace 580M USD à l'été 2005, chiffre à l'époque considéré comme démesuré et pourtant bien inférieur aux folles acquisitions qui ont suivi.

L'analyse d'eMarketer ajoute :

Alors, tout baigne pour les réseaux sociaux, pas vrai ? Pas tout à fait. Avec la publicité par bannière et par recherche qui représentent la grande part de ces revenus, que reste-t-il de la promesse originelle du social marketing : délivrer un message à LA personne et voir cette personne diffuser le message à son réseau ? Cette partie est encore en chantier.

Les professionnels du marketing sont encore à se demander comment mesurer l'efficacité des groupes.

Décidément beaucoup de monde se pose la même question.

mercredi 08 août 2007

Économie des réseaux sociaux : perplexité

Donc, tout le monde s'extasie sur l'explosion des réseaux sociaux, et certains prétendent même qu'ils sont à l'aube d'une nouvelle étape, plus explosive encore en Asie. On trouvera une bonne synthèse des différentes analyses chez Olivier. F. Pisani a aussi présenté une série de billets intéressants sur Facebook. En anglais, parmi une multitude d'autres, on trouve bien des réflexions stimulantes sur le blog ''Many2Many''.

Le succès mesuré en terme de fréquentation est en effet impressionnant en chiffres absolus et en rapidité d'évolution. Néanmoins, ce succès public a-t-il son pendant économique ? Il est trop tôt, sans doute, pour répondre et les chiffres ici sont encore hasardeux. Beaucoup néanmoins y croient. Je suis plus circonspect, le modèle d'affaires ne me paraît pas très clair.

Grâce à Jean-Daniel Zeller (merci à lui !), j'ai pu parcourir le premier document d'une série à venir sur les réseaux sociaux par Forrester Research : Charlene Li, How Consumers Use Social Networks, Interactive Marketing Professionals, June 21, 2007.

Voici sa conclusion, qui n'est pas sans rappeler une autre étude du même genre déjà citée sur ce blogue (trad JMS) :

Le marketing sur les réseaux sociaux doit se réorienter

Avant de plonger la tête la première dans les réseaux sociaux, les professionnels du marketing doivent se demander comment approcher la communauté, tout particulièrement ses usagers réguliers et importants qui sont les plus susceptibles de répandre viralement leur enthousiasme pour un nouveau produit ou service. Comme étude de cas, il faut observer Victoria’s Secret dans la campagne de PINK®, qui a réussi avec son approche fine des réseaux sociaux. Les professionnels du marketing doivent :

  • Rompre avec les tactiques traditionnelles du marketing. Pour être présents sur les réseaux sociaux, ils importent souvent ce qu'ils considèrent comme les éléments les plus novateurs de leur Site Web - vidéos, jeux en ligne et concours interactifs. Mais sur un réseau social, ces éléments peuvent tomber à plat ; comme cela a été dit, l'usager d'un réseau social veut participer à une conversation ou bâtir une relation, et ne pas rester spectateur sur le bas-côté. Le Victoria’s Secret a utilisé sa présence sur Facebook et MySpace pour encourager les usagers à discuter de leurs dernières offres en lingerie, mettre en ligne des photos, télécharger des environnements et des logos sur leurs propres pages pour favoriser la diffusion virale de la campagne.
  • Favoriser les relations amicales. À première vue, il peut paraître ridicule de devenir un « ami » d'une marque - après tout l'amitié concerne les relations entre les personnes, pas vraiment entre une personne et une société commerciale. Mais les pages de marketing sur les réseaux sociaux peuvent être un endroit où des amis construisent une forte relation avec la marque. Par exemple, le profil du Victoria’s Secret de PINK avait 203.000 amis sur MySpace et 314.000 membres sur Facebook fin mars 2007. Cela signifie que le logo de PINK apparait sur plus de 500.000 profils, qui suggèrent à leurs amis de cliquer dessus et de visiter la page du profil du Victoria’s Secret.
  • Renouveler régulièrement le contenu. Comme dans toutes relations, les même sujets de conversations à table sont vite éventés. Les professionnels du marketing doivent avoir une stratégie pour motiver leurs plus fervents fans - quelles interactions, contenus et dispositifs feront que les usager reviendront encore et encore. Dans le cas du Victoria’s Secret, le dispositif actualise le profil, avec les produits, les promotions, aussi bien que les photos de célébrités prises dans les dernières réceptions de PINK.

Pour ceux qui ne connaissent pas Victoria’s Secret, voici une vidéo : du vrai glamour Yankee, très marqué par une esthétique américaine James Bond Girl, pas vraiment ma tasse de thé, mais cela marche au moins de ce côté de l'Atlantique ! Le sujet explique sans doute une partie du succès, on n'imagine pas le même buzz avec une marque de boites de cassoulet..

Mais ma question est celle-ci : même si on peut imaginer toute sorte de bricolages pour rémunérer une communication virale, fondamentalement, celle-ci doit rester gratuite. Dès lors, comment peut-on construire un modèle d'affaires solide sur ces pratiques qui contredisent l'organisation économique classique de la publicité, où le principe est de payer pour un espace publicitaire ? Il me semble plutôt que ces plate-formes ont vocation à être rachetées par des firmes qui, elles, maîtrisent la régie publicitaire des sites profitant de l'augmentation générée du trafic.

Ce questionnement n'est néanmoins valable que dans le cas où les identités des participants restent virtuelles. La Corée nous offre un contre-exemple de réseau social, très rentable lui, où les participants sont clairement identifiés et donc les transactions peuvent être payantes.. et les usagers plus âgés. Si on fait un petit retour en arrière, le minitel en France présentait les mêmes qualités économiques.

vendredi 15 juin 2007

Diffusion vs accès : illustration par l'image

À lire une excellente analyse (version pdf) de l'évolution de la photographie de reportage ou de témoignage selon qu'elle est soumise à une logique de presse ou du Web 2.0, par A, Gunthert, même si je ne goute pas vraiment le titre de son billet/article, qui suggère un jugement de valeur : L'image parasite. Après le journalisme citoyen.

Préprint Etudes photographiques, n° 20, juin 2007 (à paraître). Référence: André Gunthert, "L’image parasite. Après le journalisme citoyen", Études photographiques, n° 20, juin 2007, p. 174-186

Conclusion du billet/article (les chiffres entre parenthèses indiquent des notes non-reproduites ici) :

En revenant à la confrontation au document brut, les images électroniques diffusées par l'intermédiaire des plates-formes visuelles renouent avec les toutes premières motivations du recours au document iconographique dans les publications illustrées(18). Les photoreporters qui tentent de défendre la production professionnelle au nom de la compétence et du bon goût n'ont pas encore compris à quel point les usages récents s'inscrivent à rebours de cette tradition du photojournalisme qui a privilégié la qualité éditoriale au détriment du pouvoir du document(19). L'image parasite n'est nullement une panacée – elle constitue une réponse partielle et provisoire à un certain état de la production de l'information. Après les affrontements de la gare du Nord, le 27 mars 2007, de nombreux témoins ont envoyé leurs enregistrements sur Dailymotion. Pourtant, ces séquences réalisées au téléphone portable, trop brèves, affreusement pixellisées, ne donnaient à peu près rien à voir d'un événement complexe. Ramenés à l'attestation d'un pur acte de présence, ces documents ne contenaient que très peu d'information visuelle et n'apportaient rien de plus que les extraits choisis des journaux télévisés. Mais le réflexe était acquis: plusieurs centaines de milliers d'internautes allaient consulter ces vidéos dans les jours suivants. Même si ce public n'a pas forcément trouvé les éléments d'information qu'il recherchait, sa réaction signalait que le traitement de l'événement par les médias autorisés n'avait pas été jugé satisfaisant.

C'est une illustration par l'image de la thèse souvent défendue sur ce blogue de l'antagonisme actuel entre deux modèles économiques de médias : ici pour la proposition de base, pour son application concrète, pour l'évolution du marché publicitaire et dans bien d'autres billets encore.

Et sur un registre complémentaire, c'est une illustration des propositions de Roger sur l'évolution du document dans une nouvelle modernité.

vendredi 01 juin 2007

Web 2.0 : un dossier et pas de bulle ?

Olivier Ezratty signale un dossier de 20 Minutes, intitulé : Le Web 2.0 en pleine crise de croissance. Le dossier fait un tour de la question avec des développements sur la musique, la vidéo, la téléphonie mobile. Rapide, mais clair et attrayant.

Périodiquement, la question de savoir si nous sommes entrés dans une nouvelle bulle refait surface. L'auteur explique, arguments convaincants à l'appui, pourquoi il n'y croit pas.

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