Aucun lecteur assidu de ce blogue ne pourra me reprocher de ne pas avoir tiré très tôt la sonnette d'alarme devant la bulle financière et médiatique autour de FaceBook (ici, là, et puis surtout : là et là). J'ai écrit, et je le répète, que la blogosphère ne peut s'abstraire de ses responsabilités dans ces engouements où l'opinion joue un rôle majeur. Aujourd'hui, le mouvement est inversé et l'on décrie sans vergogne ce que l'on encensait, il y a même pas une semaine ou deux..
La cause de ce retournement est l'entrée de la publicité commerciale dans le réseau. La belle affaire ! Comme si celle-ci n'était pas le seul véritable revenu sur le Web-média, et donc inévitable une fois l'effet d'échelle suffisant pour intéresser des annonceurs. S'offusquer de cette entrée est faire preuve, disons de naïveté. Mais à lire les billets et commentaires, il n'est pas sûr que la lucidité soit revenue.
Au risque d'agacer une nouvelle fois, voici quelques idées manifestement fausses :
FaceBook = Big Brother, non
Si la firme s'intéresse aux données personnelles des internautes qui s'inscrivent sur la plateforme, il est erroné de considérer celles-ci comme des données privées. Chacun les a en quelque sorte publicisées librement en les divulguant sur le réseau. Elles n'ont, dès lors, plus rien de privées, pas plus que les vêtements que chacun porte dans la rue, ou l'itinéraire qu'il suit.
Par ailleurs, la firme n'est pas intéressée par le contrôle des individus, pris séparément, mais simplement par la carte de leurs liens hypertextuels pour y déposer des annonces commerciales. Il n'y a pas là une tendance à la surveillance policière, simplement un parasitage opportuniste.
Il existe un marché de la publicité virale, non
Le principe du marketing viral, dont d'ailleurs l'utilisation réelle est surestimée (voir à ce sujet l'intéressant billet d'O. Ezratty) est d'utiliser la chaîne des communications adressées entre individus ou entre groupes pour faire se diffuser un message de plus en plus largement. L'intérêt de ce genre de publicité est double : son coût peu élevé et surtout la confiance associée au message liée à celle que l'on accorde à l'émetteur.
Mais bâtir un phénomène de résonance sur des individus qu'on ne contrôle pas n'est pas chose aisée. Le phénomène est difficile à répéter, car il s'épuise vite. Pire, le phénomène s'autodétruit souvent, car les vecteurs des messages parasites, émetteurs ou destinataires, vont avoir tendance à rejeter des informations qui dévalorisent leur relation. Sans parler de la difficulté à construire un marché quand on ne mesure, ni ne maitrise une situation.
FaceBook joue l'ambigüité à ce sujet et c'est sans doute une bonne part de là que vient le trouble actuel.
FaceBook est un réseau social, non
En effet, on joue quelque peu avec les mots en baptisant réseau social, ce qui n'est qu'un réseau de machines. Il est vrai que les plateformes jouent de l'ambigüité en utilisant un vocabulaire intime. On se fait des "amis" sur FaceBook. Mais on s'en fait aussi dans la rue, dans des cafés ou dans bien d'autres lieux et par bien d'autres truchements que l'on ne baptisera pas de social pour autant.
La métaphore la plus pertinente me parait être celle des réseaux de chemins et de routes. Certains chemins dans la campagne ont été tracés par les déplacements répétés de promeneurs, de visiteurs. Des routes, des rues découlent d'habitudes ou de plans d'urbanisme. On a réalisé des plans de circulation, mis en place un code de la route, organisés divers moyens de transports.. et puis on a mis des panneaux publicitaires, le facteur dépose des prospectus dans les boites aux lettres. Les gens de marketing observent les habitudes de consommation en fonction des codes postaux, etc.
En conclusion, la question est de savoir s'il est possible de rentabiliser une plateforme de rencontres et d'échanges par la publicité. La réponse est manifestement oui, pour certaines utilisations. MySpace ou Skyblog l'ont déjà montré. Ces plateformes construisent d'autres chemins de communication qui progressivement s'affirmeront et trouveront leur place. Mais ne nous laissons pas entraîner dans des superlatifs intéressés. FaceBook en joue beaucoup, vraiment beaucoup. Il n'y a pas pour autant coïncidence entre le temps du développement des algorithmes et celui de la communication sociale (ici). Mais l'enflure de la réputation permet d'intéressantes levées de fonds.
Actu du 14 nov 2007 Voir le billet désenchanté de F. Cavazza et ses commentaires contrastés