Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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lundi 16 octobre 2006

La redocumentarisation des visages

Repéré par l'excellent communiquer par l'image

Un récent article du New York Times : Cyberface: New Technology That Captures the Soul By SHARON WAXMAN Published: October 15, 2006

présente les travaux d'une firme californienne Image metrics.

Il s'agit d'une reproduction animée des expressions du visage d'une personne sur un avatar en 3D. Ce ne serait qu'une avancée ordinaire de plus dans la reconstitution virtuelle du monde réel si le visage humain n'était pas porteur des principaux "kinèmes" (unités de signe gestuel) de la communication non verbale humaine. Dès lors, c'est bien à une redocumentarisation du cinéma, qui est fondé sur les acteurs et bien souvent piloté par l'expression de leur visage, auquel on pourrait assister.

Extrait de l'entretien du responsable de la société :

Nous pouvons réanimer une séquence du passé (..) Nous pouvons mettre Marilyn Monroe et Jack Nicholson côte à côte. (..) Nous pouvons directement reproduire un comportement humain sur un modèle. Nous pouvons inventer de nouvelles scènes dans de vieux films, ou des anciennes scènes pour de nouveaux films.

Bien sûr, il y a sans doute encore du chemin à faire pour en arriver là, mais la vidéo qui accompagne l'article du NYT est déjà très impressionnante.

vendredi 13 octobre 2006

Les quatre âges de l'imprimé

Ce billet m'a été inspiré par une communication d'Alan Marshall, directeur du musée de l'imprimerie de Lyon, à une journée de l'Association québécoise pour l'étude de l'imprimé.

On a l'habitude d'évoquer les trois révolutions du livre (Gutenberg, l'ère industrielle, la dématérialisation) en hésitant parfois sur le terme (livre ou imprimerie), mais si on raisonne en terme d'imprimé et non de livre, ce découpage est trompeur.

À partir de l'imprimé, A. Marshall propose une autre périodisation, j'adapte ici le vocabulaire à ma compréhension : l'âge du livre (Gutenberg au 19è), l'âge de la presse (19è), l'âge de la paperasse (20è) et j'ajouterais volontiers l'âge des fichiers (21è). Ce découpage me paraît très fertile et en phase avec l'évolution des techniques de l'écrit, et celle de l'organisation documentaire en relation avec le social.

Nous démarrons par l'ordre des livres où l'imprimé dominant est bien le codex ; puis la presse grand public s'installe avec l'imprimerie industrielle, la rotative, et l'organisation des États modernes ; avec le développement explosif du commerce et de l'État-providence, contrats, factures, formulaires, circulaires, bordereaux, réclames (la paperasse) envahissent le monde du travail et de l'administration tandis que les machines à imprimer se font plus légères et permettent les petits tirages ; enfin le numérique explose avec la redocumentarisation, une nouvelle modernité et la composition et l'impression mise à la disposition de tous par l'intermédiaire du réseau et des ordinateurs personnels.

Il y aurait aussi beaucoup à explorer sur l'évolution de la typographie et du graphisme concomittante et A. Marshall nous a invité à aller plus loin avec quelques exemples pris dans la collection du musée.

Reste qu'il y a sans doute une limite physique à la dernière, à moins de se passer de la sortie d'imprimante.

jeudi 12 octobre 2006

Pilier 3 : L'interprétation

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

L'achat de deux baguettes a, sans doute, largement résolu votre problème alimentaire et celui de votre ami(e). L'achat de votre journal n'a résolu votre problème informationnel que si vous avez le sentiment qu'il contient toutes les informations que vous souhaitiez connaître en ce début de journée. Autrement dit, vous demandez à votre journal d'avoir repéré, recueilli, trié, classé, organisé, commenté les informations qui vous intéressent.

Mais en lisant, vous choisissez vos rubriques, vous portez plus d'attention sur certains titres ou articles, vous en sautez d'autres. Vous faites, vous-aussi, un travail de repérage, de tri, de combinaison, de classement, d'interprétation. Votre interprétation de l'actualité sera sans doute différente de celle de votre ami(e). Vous pourrez en débattre, le (ou la) convaincre ou être convaincu(e), rester sur vos positions respectives ou encore trouver une synthèse ou un compromis.

Ce qu'on appelle communément l'information résulte d'un double processus d'interprétation. Une interprétation des évènements et de leur importance par les rédacteurs débouche sur une représentation, ici le journal. Cette représentation est, elle-même, interprétée de nouveau par les lecteurs. Personne ne peut avoir l'assurance que les interprétations soient homologues et que rédacteurs et lecteurs attachent une importance comparable aux mêmes représentations. Néanmoins l’objectif est bien de tendre vers cet idéal, faute de quoi le journal ne sera pas acheté.

Chacun interprète les informations selon son contexte. Le contexte varie dans le temps, selon les histoires et expériences individuelles et selon l’histoire des collectivités grandes ou petites. La fugacité de l’interprétation rend la valeur des informations contenues dans votre journal très aléatoire. Certaines peuvent vous paraître essentielles, bien d’autres inutiles. Une information peut acquérir un poids très important pour une personne et/ou à un moment donné ou, au contraire, perdre tout intérêt.

La baguette de pain est sans surprise. Réalisée avec de la farine, un peu d’eau et du levain, elle garde le même goût jour après jour. Tout au plus, vous l’apprécierez diversement selon votre état physique ou votre humeur.

Pour réduire l’incertitude de l’interprétation, difficile à gérer d’un point de vue économique, les industriels de l’information et de la culture emploient plusieurs moyens :

  • Les médiateurs, les « gate-keepers » ici les journalistes, jouent le rôle central. Ils ont un pied dans le monde de la représentation qui suppose des savoir-faire particuliers et autre dans le milieu qu’ils servent pour ne pas se couper de ses préoccupations et en repérer les transformations à signaler. L’implication personnelle des médiateurs et leur crédibilité est vitale ;
  • La diversité des propositions, qui se traduit par le journal dans la diversité des rubriques, des cahiers, l’étendu de la couverture géographique, la multiplication des comptes rendus impliquant des personnes etc., permet de réduire les risques en les étalant sur de nombreuses propositions d’information ;
  • Le renouvellement. Nous avons souligné le caractère d’innovation de l’information dans le 2e pilier, nous verrons dans le 5e pilier qu’une information chasse l’autre. Disons ici que le contexte évolue, que les médias sont un des facteurs important de cette évolution par la représentation qu’ils renvoient et donc qu’une vertu économique de l’information est son renouvellement continu.

Pilier 2 : Le prototype

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Après tout, pour résoudre le problème de la baguette entamée, vous pouvez toujours en acheter une seconde pour votre ami(e). Deux baguettes comblent mieux la faim matinale qu'une seule !

Mais si vous achetez deux fois le même journal, vous ne serez pas mieux informés pour autant. Tout au plus, vous serez informés tous les deux en un temps record, puisque vous pourrez lire ensemble le journal au même moment sans vous gêner.

Les documents identiques ne s'additionnent pas dans leur consultation. Alors même qu'ils ont été reproduits à de nombreux exemplaires, ils gardent pour les individus une valeur unique, celle du prototype. Cette unicité est aussi valable du côté de la production. Les journalistes-rédacteurs d'un quotidien conçoivent un journal et un seul par jour mais chaque jour différent, si sa maquette est inchangée, son contenu est renouvelé. Il est ensuite reproduit par les imprimeurs ou diffusé par les réseaux ou encore proposé dans les bibliothèques. Chaque exemplaire diffusé garde une vertu de prototype et peut être copié ou enregistré, et éventuellement reproduit, prêté ou encore diffusé par électronique. L’industrie de l’information est donc une industrie de prototypes.

Le boulanger est obligé de pétrir autant de baguettes qu'il veut en produire (la multiplication des pains demande des compétences particulières réservées à de rares élus !) et il les réalise chaque jour selon la même recette. Il y a bien longtemps que le prototype de la baguette de pain est au point et bien des boulangeries reçoivent des baguettes pétries en usine qu’il ne reste qu’à cuire. L’industrie alimentaire est, pour une grande part, une industrie de produits en série.

Un prototype est toujours coûteux à fabriquer. Ainsi l’industrie de l’information a mis en place des procédures pour protéger sa valeur ajoutée et réduire ses coûts :

  • La propriété intellectuelle y est essentielle pour protéger l’innovation contenue dans chaque produit. Inversement, le développement de son contraire, la copie, vite baptisée « contrefaçon », puis « photocopillage » et aujourd’hui « piratage » par les industriels installés, est tout aussi naturel ;
  • Nombre d’éléments de création sont externalisés, afin de réduire les coûts et les risques pour autant qu’ils ne conduisent pas à la perte de l’indépendance de l’industriel. Pour le journal, on peut citer le recours aux agences ou aux pigistes ;
  • Tout ce qui peut être industrialisé en production l’est. Cela concerne aussi bien la standardisation de la fabrication (ex : maquette du journal stable), que la reproduction (imprimerie) ;
  • La distribution est le maillon faible du processus car le plus coûteux et le moins porteur de valeur ajoutée. Mais c’est (était) aussi une forte barrière à l’entrée et donc une protection pour les industriels installés, décourageant d’éventuels nouveaux concurrents. La diffusion par le réseau électronique opère une rupture radicale de cette protection en réduisant brutalement les coûts.

Jeune média / ancien média

Repéré par l'Atelier.

Un élément de réponse à la question de savoir si nous assistons à la naissance d'un nouveau média est donné par une enquête réalisée sur 5.000 Européens (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie et Espagne) qui confirme l'installation de l'internet dans le quotidien des familles en comparant le temps passé aux différents médias et qui souligne la place particulière de la vidéo et de la musique.

Il faut être prudent quant à l'interprétation de ce genre de résultats fondés sur des déclarations subjectives. Néanmoins, il s'agit d'une indication instructive et surtout sa publication dans le Financial times montre bien toute l'attention portée par les milieux d'affaire aux mouvements en cours. Et notamment il éclaire l'opinion des décideurs sur les choix à faire..

En voici quelques extraits traduits :

La lecture de la presse est restée stable à trois heures par semaine depuis deux ans, tandis que le temps passé connecté a doublé de deux à quatre heures. Les téléspectateurs ont aussi augmenté leur consommation en passant de 10 à 12 heures par semaine.

(..) La même enquête sur les États-Unis a montré que les Américains dépensaient 14 heures par semaine en ligne - autant de temps qu'ils passent devant la télévision - et juste trois heures à lire la presse. (..)

Jusqu'ici, la majorité du temps des Européens en ligne est consacré au courrier et à la recherche d'information. Les contenus de loisirs comme la musique et la vidéo ne comptent que pour 22%.

La recherche montre "une rupture générationelle très claire entre nouveau et ancien médias", dit M. Mulligan. Les moins de 25 ans passent six heures par semaine en ligne, la moitié du temps qu'ils passent devant la télévision, mais trois fois celui consacré à la presse. Les 15-24 ans consomment presque le double que la moyenne de la musique et de la vidéo en ligne. "Leurs habitudes sont en train de changer le web car ils en deviennent l'élément principal".

Source : Web use overtakes newspapers, By Andrew Edgecliffe-Johnson in London, October 8 2006 22:19

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