Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - résistance livre

lundi 12 octobre 2009

La résistance du blogueur de fond

Narvic propose un billet plus impressionniste que démonstratif mais stimulant intitulé Web de flux contre Web de fond (Novövision 2, 10 oct 2009, ici) dont il introduit ainsi le propos :

Nous sommes en train de passer insensiblement sur le web d’un modèle dominant de diffusion de l’information à un autre. Du « modèle Google », construit autour d’un « web de fond » et de l’analyse algorithmique de la popularité des contenus, à un « modèle Twitter », construit autour d’un « web de flux » et de la recommandation sociale des contenus selon la réputation du prescripteur.

Le web de fond intéresse, selon l'auteur du billet, directement les professionnels de l'information et cette présentation résonnera agréablement aux oreilles des ebsiens :

Ce « web de fond » tient l’une de ses particularités d’ailleurs de ses allers-retours permanents entre l’actualité et l’archive, la documentation, les données... J’aime bien l’image proposée sur ce thème par Nicolas Vanbremeersch dans son livre, l’image des « trois webs ». L’un d’entre eux est précisément pour lui ce web de l’archive, un web qui resterait statique, totalement inanimé, si des blogueurs, documentalistes, experts ou journalistes, ne participaient à son « animation », en plongeant à l’intérieur pour faire remonter à la surface des liens vers les contenus profonds.

Mais le Web de flux séduirait de plus en plus certains d'entre les spécialistes de l'information d'après toujours Narvic :

Il est très symptomatique, à mon avis, que Twitter séduise aujourd’hui avant tout des spécialistes de l’information sur le net, c’est à dire - en gros - des blogueurs « techno » et des journalistes, et que l’usage principal qu’ils en font, c’est de diffuser des liens vers des billets dont ils recommandent la lecture.

Et il remarque la déconnexion, par exemple, entre la pratique du blogue et celle de Twitter. Ainsi, un écart de plus en plus manifeste se creuserait entre les deux dynamiques, celle du Web de fond et celle du Web de flux, qui sont supportées non seulement par des pratiques différentes, mais aussi par des sociétés commerciales différentes.

Mais pour reprendre la thématique de ce blogue, rappelons qu'il y a un abîme entre les rentrées financières de Google et celles des concurrents qui développent selon Narvic le Web de flux (Twitter, FaceBook..). Restons donc prudent face au flux éphémère, non parce qu'il est inefficace, moins sérieux, ou se renouvelle sans cesse, mais parce qu'il n'a pas de base économique. Bien des services vedettes du Web ont déjà été oubliés par le passé..

Pour ma part, je continue de croire au travail de fond. Celui qui est supporté notamment par des experts, et je crois même, contrairement à bien des sirènes post-modernes, à leur chance renouvelée. Ce billet d'A Kluth sur sa pratique d'information (ici), repéré par Pisani () me conforte dans cette idée :

Conclusion d'A Kluth (trad JMS):

Ce que j'ai découvert en observant ma propre pratique des médias, c'est que je suis aujourd'hui bien mieux informé que je ne l'ai jamais été. Mais que bien des informations que je consulte ne viennent plus des journalistes.

Elles viennent aujourd'hui en beaucoup plus grand nombre des universités, des groupes d'experts (think tanks) sur mon fil RSS et iTunes de l'Université, de scientifiques et de penseurs et experts à des conférences comme TED, et de vous, qui vous êtes un groupe auto-sélectionné et donc qualifié d'éditeurs.

mercredi 17 septembre 2008

Wikipapier et les sept piliers

Le lancement par Bertelsmann d’une version papier de Wikipédia a été le premier sujet de discussion du forum des étudiants du cours en ligne. L’exercice consistait à analyser le projet de l’éditeur, présenté dans un précédent billet (ici) grâce aux éléments apportés par le premier cours ().

Comme l’actualité nous rattrape et que le livre est maintenant sorti (), je reproduis ci-dessous la synthèse de la discussion en reprenant, dans l’ordre, les «piliers» présentés dans le cours.

  • Pilier 1 : la non-rivalité a permis de proposer une encyclopédie gratuite en ligne à tous les internautes. C’est un apport essentiel de Wikipédia. Mais celle-ci interdit en réalité sa valorisation pour les producteurs. Le passage sous format papier, redonnant quelques caractéristiques rivales d’une marchandise ordinaire, permet cette valorisation. Pour vous en convaincre, je vous suggère la lecture de ce billet ci-dessous qui est un autre exemple du même processus (La publication par P. Assouline des commentaires de son blogue). La différence entre les rémunérations est frappante.

Nicolas Kayser-Bril, “Brèves de blog: Une nouvelle forme de monétisation?,” Window on the Media, Septembre 11, 2008, ici.

  • Pilier 2 : le cout de la première copie de Wikipédia est dérisoire comme rappelé dans le billet, du fait de l’appel au bénévolat et d’une économie du don. Ceci amène à une situation étrange pointée par H. Le Crosnier où 90.000 auteurs sont répertoriés sur 27 pages, sans évidemment bénéficier de la moindre rémunération, ni en argent, ni même en prestige. Dans ce processus Bertelsmann sort grand gagnant puisqu’il n’a assumé aucun coût de création et paie des droits minimes. Même s’il faut prendre en compte les coûts d'édition (mise en page, correction..), les risques de l’édition papier deviennent très réduits.
  • Pilier 3 : Bertelsmann ne publie évidemment pas la totalité du site, mais simplement certains articles dument validés. La publication papier stabilise le contenu et lui confère un statut plus fort, encore souligné, comme cela est suggéré dans le billet, par l’aura du livre. Il y a là une tentative intéressante d’appuyer la valeur du contenu sur l’apport symbolique des deux supports.
  • Pilier 4 : Les liens et la possibilité de navigation à l’intérieur de Wikipédia en ligne sont une réelle valeur ajoutée par rapport au papier. Le numérique permet une utilisation optimale de la plasticité des informations. Mais celle-ci est-elle valorisée pour les producteurs de contenu ? En réalité, elle ne bénéficie qu’au lecteur, la production de Wikipédia étant bénévole et quasiment anonyme. Il ne faut évidemment pas négliger ce bénéfice, important pour la société dans son ensemble, mais l’absence d’économie du contenu fait de l’expérience Wikipédia, une expérience unique, peu reproductible. L’intérêt de la plasticité est aussi qu’elle permet d’utiliser les fonctionnalités différentes de différents supports et dispositifs pour un même contenu. Il s’agit bien de deux produits différents. Il s'agit néanmoins de la même marque et des mêmes éléments de contenu dont seulement les fonctionnalités et la plasticité seront différentes. Le livre papier a aussi des avantages fonctionnels qui expliquent sa résistance, alors même qu’il est sur le déclin depuis de longues années. Il est vrai que le pari n’est pas gagné puisque, justement malgré la résistance globale du livre papier, le marché des encyclopédies, lui, s’est écroulé face au numérique. Mais dans ce cas précis le risque financier est maigre (voir Pilier 2). La mise en abime, grâce à la plasticité, est encore plus fascinante puisque le livre est aussi consultable sur Google-books, comme le signale Olivier (ici).
  • Pilier 5 : la notoriété capitalisée par Wikipédia autour de sa marque sert à lancer le produit papier. Si des lecteurs achètent le livre, ce sera grâce à cette dernière. Inversement, comme indiqué dans le billet, Wikipédia bénéficie de la reconnaissance officielle et non-négligeable compte-tenu des polémiques à son sujet, d’un éditeur.
  • Pilier 6 : Par sa position dans l’audience captée sur le Web, Wikipédia pourrait valoriser une vente d’attention. Elle n’a pas fait ce choix qui risquerait peut-être de tarir l’ardeur de ses bénévoles. Néanmoins, l’attention ainsi captée ne peut non plus être valorisée par un autre acteur, sinon au niveau des requêtes par un moteur de recherche. D’un point de vue marchand, il y a là une destruction nette de valeur. Ironiquement, celle-ci peut-être en partie récupérée via Google-books. Wikipédia se positionne alors comme un «bien public», hors économie marchande et en concurrence avec cette dernière.
  • Pilier 7 : En choisissant les thèmes les plus consultés, Bertelsmann se positionne dans la partie gauche de la courbe, ce qui est tout à fait en cohérence avec une économie éditoriale. Il y a là la possibilité d’une complémentarité entre la version papier et la version en ligne qui autorise une consultation de l’ensemble des articles, y compris les moins populaires. De ce point de vue, la version en ligne est proche d’une économie de bibliothèque. La bibliothèque est en effet la première structure à avoir utilisé l’économie de la longue traîne. Bien avant que C. Anderson propose ce nom, les bibliothécaires avaient repérés cette distribution de la demande chez leur lecteur. Et on peut même faire l’hypothèse que c’est parce que les coûts de stockage, classement, distribution des documents peu demandés étaient trop lourds qu’un marché n’a pu se développer dans ce domaine avant l’arrivée du numérique.

mercredi 11 juin 2008

Persistance du livre

J'ai déjà eu l'occasion de le répéter maintes fois. Le plus remarquable pour le livre n'est pas son passage au numérique, mais sa résistance sur papier. Une récente enquête réalisée pour la maison Random House fournit des confirmations et précisions intéressantes :

The Reading and Book Buying Habits of Americans, Zogby International, mai 2008. Pdf. repéré grâce à Pinitiblog ici.

L'enquête a été passée en ligne auprès d'un échantillon de 8.218 adultes américains. A priori, faute d'éléments supplémentaires sur la méthodologie, on peut lui faire une relative confiance, d'autant que les résultats ne sont pas favorables au numérique, du moins pour la lecture, pour l'achat c'est autre chose.

En voici un échantillon suggestif (dans l'ordre des numéros de question, trad JMS) :

Où achetez-vous le plus souvent des livres ?

  • En ligne = 43%
  • dans une chaîne de librairie = 32%
  • chez un libraire indépendant = 9%

Quel format de livre achetez-vous le plus souvent ?

  • Relié = 43%
  • e-book = 0%

Quel vendeur en ligne fréquentez-vous ?

  • Amazon = 66%
  • Barnes & Noble = 10%

Prévoyez-vous d'acheter une tablette de lecture (liseuse, e-book reader) ?

  • Oui je le prévois = 4%
  • Oui, j'en ai une = 3%
  • Non je ne prévois pas d'en acheter = 80%
  • Pas sûr = 13%

Avez-vous déjà acheté un livre numérique (e-book) ?

  • Oui = 15%
  • Non = 85%

La réponse est encore plus radicale pour un clavardage avec un auteur ou la participation à un groupe de lecture en ligne : 95% de non.

Naviguez vous sur le Web pour des livres sans savoir exactement ce que vous cherchez ?

  • Oui = 62%
  • Non = 37%

Éloquent, non ?

Actu du 16 juin 2008

On peut aussi prendre le raisonnement à l'inverse et s'interroger sur le modèle économique du livre électronique. On trouvera plein de comptes-rendus d'expérience et d'interrogation après la tenue du premier Bookcamp à Paris :

Guillaud Hubert, BookCamp : Atelier Economie de l’édition numérique, La Feuille, 16 juin 2008. ici

Sans minimiser l'intérêt de toutes ces expériences et analyses, il est frappant qu'après tant d'années on n'ait que si peu avancé. En 2000, la vedette du Salon du livre de Paris était le « village du e-book » (). Voir par exemple à la même époque la déclaration de Jean-Pierre Arbon, pdg de 00h00h et principal artisan de ce village :

L'heure de l'édition en ligne, février 2000.

En 2006, on annonçait son retour, après avoir tiré le bilan de ses échecs :

Livre numérique 1996-2006, E-book, le retour, Fluctuat.net, dossier,

Cruel. Pour une chronologie complète, voir l'excellent dossier d'Educnet

samedi 29 décembre 2007

Pointer du doigt ou taper sur l'épaule : économie de l'attention

J'avais dit que je reviendrai sur la relation entre la résistance du livre et l'économie de l'attention. À première vue, les deux notions sont étrangères l'une à l'autre, l'économie de l'attention fait en effet référence à la captation de l'attention de leur audience par les médias en vue de la revendre à des annonceurs intéressés. Chacun sait qu'il n'y a pas de publicité, ou très rarement, dans les livres.

Mais on se pose rarement la question de la raison de cette absence. En réalité, il y a bien une économie de l'attention du livre, même si elle contraste fortement avec celle des autres médias de masse. Un livre captive l'attention de son lecteur qui doit s'y «plonger» pour l'apprécier. C'est comme si l'auteur pointait du doigt son texte pour le proposer au lecteur. Cette attention profonde est rare, focalisée sur le texte et donc peu monnayable car peu capitalisable et transposable. Bien sûr, il arrive souvent que l'on feuillette, consulte des livres sans s'y plonger, mais alors l'attention se partage entre plusieurs, sans pouvoir non plus se capitaliser sur un support monnayable.

Cette caractéristique est peut-être une des explications économiques fortes de la valeur d'un livre. Il n'y a pas partage de l'attention, le prix est à la hauteur de cette promesse.

Les médias traditionnels : journaux, puis radios, puis télévision, jouent une autre partition. Comme le livre, ils pointent du doigt pour forcer notre attention, pourtant en même temps, ils nous tapent sur l'épaule pour l'entretenir, la maintenir et la fragiliser. C'est ainsi qu'elle peut être capitalisée par la régularité, partagée par son ébranlement, et bien entendue revendue. Là encore, nous tenons peut être une explication de la baisse des prix pour les lecteurs, c'est aussi une baisse de la valeur de l'attention.

Avec le Web, l'économie de l'attention se cherche encore souvent, mais dans une relation qui se renverse : on nous tape sur l'épaule d'abord, pour pointer du doigt éventuellement ensuite. Autrement dit, l'attention sera continuellement fractionnée et distraite par la connectivité du réseau et les liens qu'il propose. Dès lors le principal de la capitalisation de l'attention ne se produit pas par les textes, mais par le mouvement, par la tête que l'on tourne. D'où la prospérité de ceux qui sont capables d'orienter le mouvement et le recul au contraire de ceux qui misent sur le contenu qui nécessite une attention prolongée. Pour l'internaute tout devra être gratuit, car il n'est plus capable de fixer une attention continuellement sollicitée.

Je n'ai pas mis de liens dans ce billet pour ne pas distraire l'attention du lecteur. J'espère même avoir réussi à la captiver un court instant ;-)

mardi 04 décembre 2007

Romancière digital native

Il y a six ans Mark Prensky écrivait (trad JMS) :

Les enfants d'aujourd'hui sont socialisés d'une manière très différente de leurs parents. Les chiffres sont impressionnants: plus de 10.000 heures à jouer des jeux vidéo, plus de 200.000 courriels et SMS envoyés et reçus, plus de 10.000 heures à parler sur leur téléphone cellulaire, plus de 20.000 heures à regarder la télévision (dont un pourcentage important sur MTV), plus de 500.000 spots publicitaires vus – tout cela avant de quitter le secondaire. Et, peut-être, tout au plus, 5.000 heures de lecture de livres. Ils sont aujourd'hui des étudiants "Digital Native"..

Prensky Marc, Digital Natives Digital Immigrants, 2001, Part II Pdf

Il parlait des enfants de 15 ans, qui en ont donc aujourd'hui 21, comme cette jeune Japonaise dont un journal australien rapporte le propos (trad JMS) :

«J'ai commencé à écrire des romans sur mon cellulaire quand j'étais au lycée et j‘étais vraiment rapide avec mes pouces. Donc au bout d’un moment, cela ne me prenait pas beaucoup de temps. Je n'avais pas envisagé d'être romancière, si vous voulez m’appeler ainsi, et je suis encore très surprise par ce succès. »

Un succès tel qu’un volume de son livre, qui a commencé sa vie dans une série d’épisodes téléchargés d’un site Internet sur les cellulaires de milliers de jeunes abonnés, s’est vendu à plus de 420.000 exemplaires depuis qu'il a été publié sur papier en janvier.

Norrie Justin, In Japan, cellular storytelling is all the rage, December 3, 2007, The Sydney Morning Herald. Html (repéré par F. Pisani)

Dans le même article, on apprend que la moitié des 10 romans les plus vendus cette année au Japon ont été écrits sur des cellulaires. Ainsi les digital natives, à leur manière, participent eux-aussi à la résistance du livre !

Actu du 5 février 2008 Voir l'article du NYT, compte rendu par H. Guillaud (ici) :

Norimitsu Onishi, “Thumbs Race as Japan’s Best Sellers Go Cellular,” The New York Times, Janvier 20, 2008, Html

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