Ce billet a été rédigé par Christian Labbé et Louis-Nicolas Dolbec dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.
L'économie de l'industrie musicale a changé radicalement au cours des dernières années. À la fin des années 90, qui disait musique en ligne disait téléchargement illégal, c'est pourquoi l'industrie anticipait une crise majeure. Avec l'arrivée de services d'achat de musique en ligne légaux (dominés par le iTunes Store) l'économie de l'industrie musicale ne s'est pas écroulée, mais elle s'est profondément modifiée. Les ventes de musique en ligne sont en hausse de 12% en 2009 et leur part s'élève maintenant à 27% du chiffre d'affaires mondial et même à 40% aux États-Unis (ici).
La popularité de la musique dématérialisée est si grande que Linn Products, une marque importante dans le monde de l'audio haute-fidélité a récemment décidé de cesser de produire des lecteurs CD afin de se concentrer sur la vente de systèmes de lecture en continu (streaming) sans fil (ici). Le fondateur de Linn Products, Ivor Tiefenbrun, soutient que les gens sont maintenant habitués à télécharger et écouter de la musique sur leur iPod et qu'ils n'achètent plus de lecteurs CD.
Il est vrai que les ventes de CD sont en chute libre, mais peut-on affirmer pour autant que ce support est désuet et qu'il se dirige vers une mort certaine ? La réalité, c'est que le marché de la musique est de plus en plus fragmenté. Le CD n'est maintenant qu'une des multiples façons d'écouter de la musique. Oui, l'industrie du disque est en difficulté, mais la musique elle-même et les artistes se portent plutôt bien avec l'arrivée du web. La démocratisation de l'enregistrement et la popularité des home-studios y sont nécessairement pour quelque chose, car il est plus facile que jamais de produire des enregistrements de qualité à moindre coût. De plus en plus de musiciens décident même d'offrir des albums complets gratuitement en ligne. Les coûts de production d'un album en version numérique étant moindres, la musique gratuite devient un outil de promotion. Au Québec, le groupe Numéro# a profité de cette option et tout récemment, l'artiste de musique électronique Akido annonçait sur Twitter et sur son site internet un mini-album gratuit à télécharger contenant des morceaux rares (là).
Et la révolution n'est pas terminée ! Comme l'annonce Alain McKenna dans son blogue, les courants technologiques attendus en 2010 pourraient bouleverser encore davantage l'industrie. Il parle bien sûr de la nouvelle tendance de l'heure : le cloud computing. Le géant Apple ayant récemment acheté un plus petit acteur de l'industrie (Lala.com), il est probable que le iTunes Store offre dans un avenir rapproché la possibilité d'écouter des pièces entières en streaming (ici).
Il reste à voir sur quel modèle économique cette nouvelle façon de consommer la musique sera fondée. D'autres sites du genre (comme Musicme.com, Deezer.com et Spotify.com) existent déjà à l’étranger et génèrent des revenus à partir d'abonnements mensuels ou à partir de la publicité. Mais est-ce que le consommateur moyen a vraiment envie d'ajouter une nouvelle facture mensuelle à son budget ?
Nous savons depuis déjà quelques années que la vente de musique en ligne dépassera éventuellement la vente de disques. Selon la firme Forrester Research, cela se produira en 2012 (ici), soit un an plus tôt qu’indiqué par les prévisions de la même firme l’an dernier (là). Et ces chiffres ne tiennent pas compte du téléchargement illégal et du streaming, deux autres façons de consommer de la musique en ligne.
Malgré cela, il y a des consommateurs de musique qui préfèrent posséder un objet plutôt que des fichiers numériques et leurs habitudes ne changeront pas du jour au lendemain. Le CD demeure le support physique de prédilection pour la musique. Enfin, l’est-il vraiment ? La Presse révélait récemment des statistiques étonnantes : Les ventes de vinyles ont bondi de 90%, de 2007 à 2008, et de 33%, de 2008 à 2009 (aux États-Unis), tandis que celles des albums ont chuté de 14% et 13% (là). Ce sont les meilleures ventes pour les disques vinyles depuis 1991.
Le disque vinyle est considéré comme le support physique préféré des collectionneurs et des mélomanes, mais les propriétaires de tables tournantes sont-ils assez nombreux pour permettre au disque vinyle de redevenir le support physique le plus vendu pour la musique ? Le CD a l’avantage d’être compatible avec les nouvelles technologies. Qui ne possède pas au moins un appareil qui lit les CD, si ce n’est pas plusieurs ? Pour les artistes indépendants ou les artistes en tournée qui vendent eux-mêmes leurs albums, le CD demeure le format le plus pratique puisqu'il peut être écouté par tout le monde.
Toutefois, le CD n’est pas parfait. On lui reproche souvent d’être trop fragile. En ce sens, il n’a pas vraiment évolué depuis son arrivée sur le marché. À titre de comparaison, on fabrique désormais des disques vinyles de 180 grammes qui sont plus résistants que les modèles antérieurs, ce qui allonge leur durée de vie. Sans compter que les nouveaux disques vinyles sont souvent vendus avec des codes de téléchargement. Le meilleur des deux mondes ?
Néanmoins, le CD a dominé le marché pendant au moins deux décennies. Il s’est vendu une quantité énorme de CD depuis son arrivée sur le marché. Il disparaîtra peut-être éventuellement des grandes chaînes de magasins de disques, mais il sera encore longtemps présent dans les magasins de disques usagés.
Va-t-il falloir attendre l’arrivée d’un nouveau support physique pour finalement passer le KO au CD ? En septembre 2008, avec l’appui de Sony BMG, EMI Music, Warner Music Group et Universal Music Group, la compagnie SanDisk annonçait le lancement d’un nouveau support physique pour la musique (ici). Il s’agit essentiellement d’une carte mémoire de format microSD, compatible avec différents appareils mobiles et que l’on peut brancher à l’ordinateur avec un adaptateur USB (là). Ce nouveau support réussira-t-il à s’imposer dans un marché déjà très fragmenté ?
Bref, le CD n’est qu’une des nombreuses façons de consommer de la musique aujourd’hui. Reste-t-il une place pour lui dans un marché qui depuis quelques années est en constante évolution, si petite soit cette place ? Le CD peut-il continuer d'exister, mais de façon plus modeste ? A-t-on publié son avis de décès trop tôt ou a-t-il déjà un pied dans la tombe ?