Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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lundi 15 octobre 2007

Trois questions de B. Calenge sur le modèle bibliothéconomique

Bertrand Calenge, responsable de la prospective à la Bibliothèque municipale de Lyon, a posé dans le commentaire d'un précédent billet les trois questions ci-dessous. J'esquisse une première réponse, mais les questions s'adressent à tous les lecteurs de ce blogue. Alors n'hésitez pas à ajouter vos commentaires. Rappel du commentaire de Bertrand :

J'ai été très intéressé par les approches des différents médias (?) de diffusion ou d'appropriation des informations jugées utiles par leurs destinataires. Le modèle du polygone de l'appropriation de la mémoire, cité dans un des liens m'a conduit à réfléchir...

La différenciation des modèles économiques entre presse, édition, Toile et bibliothèque me semble très pertinente, mais non tant par sa version économique que par sa version culturelle. Étant bibliothécaire, l'étude des déplacements de points de vue m'intéresse dans la mesure où elle peut conduire à une action concrète. Or, j'ai pu constater dans l'établissement où je travaille, que la mise en oeuvre de nouveaux produits ou services ( le Guichet du Savoir (ici) puis le magazine Points d'actu ! () se heurtait non tant à une réticence gestionnaire ou - encore moins - à une réticence d'usage de la part des internautes, mais à des incompréhensions diverses - internes comme externes - de la part des bibliothécaires eux-mêmes.

Les réticences (et c'est tout le mérite des modèles que tu proposes) tiennent sans doute à une non-conformité de ces outils-services aux modes d'organisation fonctionnelle des bibliothèques : s'inscrire dans le 'lac' des savoirs comme pêcheur au gré des demandes (Guichet du Savoir), ou construire en fait un point de vue journalistico-éditorial sur des flots d'actualité, cela ne rentre pas dans le modèle que tu donnes de la bibliothèque. D'où deux questions livrées à toi et aux autres :

  1. à force de se fixer sur le "modèle" bibliothèque, ne risque-t-on pas de figer tant les bibliothécaires que leurs publics dans une fonction unique ?
  2. et la deuxième question explique la première : la BM de Lyon, selon ton modèle, s'égare avec les produits qu'elle a mis en oeuvre (cités plus haut) ; la bibliothèque (réelle et non modèle économique) ne peut-elle d'une part déplacer son objectif sur d'autres objectifs que la constitution-gestion d'une collection vivante ? Si l' "institution collective" bibliothèque s'intéresse d'abord à sa population (présente et à venir), ne peut-elle combiner plusieurs axes d'approches non exclusifs les uns des autres ?
  3. Et dans ce cas, comment un modèle économique du service public (pour autant que son action remporte les suffrages de la collectivité et des instances de tutelle, donc trouve d'une façon ou d'une autre les moyens de son financement à l'intention du plus grand nombre), s'inscrit-il dans ces questions d'accès, de diffusion, de polygone.... ?

Voici mes premiers éléments de réponse :

  1. Il y a deux mouvements en cours qui se concurrencent parfois. L'un sur la base de l'ordre documentaire traditionnel tend à renforcer le pentagone. Dans celui-ci, le Web-média trouve sa place entre TV et bibliothèque. L'autre, qui relève plutôt d'une redocumentarisation, fait exploser l'ordre en question en faisant muter son unité de base : le document. Dans ces changements, les frontières entre les métiers traditionnels évoluent. L'édition, quand elle passe réellement au numérique, construit des collections (au sens bibliothéconomique). La bibliothèque numérique emprunte, par exemple, à l'archivistique (en collectant des documents uniques issus de l'organisation) et à l'édition (en publiant). Il serait donc imprudent pour les bibliothécaires de s'enfermer dans une conception traditionnelle de leur métier, d'autant que d'autres, et de très gros, se sont donnés la même vocation. Cela pose, bien entendu, aussi la question de la formation.
  2. Donc la réponse de principe est oui, il est nécessaire de diversifier les services, d'autant que la relation à l'information se modifie très rapidement avec la redocumentarisation. Ensuite c'est une question de stratégie au sens marketing. Tout dépend du positionnement particulier de la bibliothèque en question dans sa collectivité. Je n'ai pas étudié de près celui de la BM de Lyon, mais on peut penser que compte tenu de sa taille, de sa tradition d'innovation, elle peut être ambitieuse et innovatrice dans les services à ouvrir. L'objectif est d'avoir un portefeuille de services qui dynamise la bibliothèque sans la dénaturer. Les services de bases restent et font le principal de l'activité, mais des services-vedettes, ou même ce qu'on appelle des dilemmes (car on n'est pas sûr de leur réussite) tirent la bibliothèque vers la modernité. Il ne faut évidemment pas que ces services soient confinés dans le modèle traditionnel. Je ne saurais répondre sur les deux exemples donnés. Il me faudrait les étudier plus précisément.
  3. Cette troisième question est la plus difficile, mais à mes yeux la plus importante. J'aurai deux réponses complémentaires, une locale et une globale. Une bibliothèque municipale a, comme son nom l'indique, vocation à servir une population locale. Mais le Web et l'internet, comme leur nom l'indique aussi, ne sont pas localisés. Il pourrait dès lors y avoir une contradiction : pourquoi une ville financerait-elle un service planétaire ? La réponse locale me paraît être la promotion de la ville. Plus un service est apprécié au delà de ses murs, plus l'image de la ville en bénéficie avec toutes les retombées possibles. Là encore, il s'agit d'une question de marketing. Pour les bibliothèques la stratégie est toujours double : en direction de son public et en direction de ses tutelles. En l'occurrence, il faut que l'élargissement du public par la valeur ajoutée du service proposé bénéficie à la ville. La seconde partie de ma réponse sera globale. Il est très important qu'une part des services développés sur le Web gardent une vocation de service public (au sens de leur financement). Cette importance est d'autant plus grande que le dit Web 2.0 tend à instrumentaliser à des fins mercantiles la mutualisation, le don, l'amitié, les échanges privés, etc. Aujourd'hui les bibliothèques, avec par ailleurs Wikipédia (et c'est une des raisons pour laquelle l'encyclopédie doit être défendue), sont parmi les rares acteurs à œuvrer sans ambigüités en ce sens. Ainsi, même s'il est parfois difficile de savoir quel service développer, il est très important que les bibliothèques prennent des initiatives ambitieuses sur le Web. Cela devrait faire partie de leur mission.

jeudi 11 octobre 2007

Pour une bibliothèque vraiment moderne

Dans un billet, if:book lance un appel à commentaires sur une réflexion qu'ils souhaitent démarrer autour de la numérisation de masse.

Extraits (trad JMS) :

Nous sommes à mi-parcours d'un « transfert (upload) » historique, une course frénétique pour basculer notre culture analogique dans le numérique. La numérisation en masse des imprimés, des images, du son, des films et de la vidéo découle des efforts d'acteurs des secteurs privés et publics et on ne sait pas bien encore comment les médias du passé doivent être préservés, proposés et interconnectés pour l'avenir. Comment pourrons-nous emporter avec nous les traces de notre culture dans le respect de l'original, mais aussi avec les avantages des nouvelles technologies qui les enrichissent et les réinventent ?

Notre objectif avec le projet « Pour une bibliothèque vraiment moderne » n'est pas de construire une bibliothèque physique, ni même une bibliothèque virtuelle, mais de susciter des réflexions nouvelles sur la numérisation de masse et, au travers des générations de nouveaux et inspirants dispositifs, interfaces et modèles conceptuels de stimuler l'innovation dans l'édition, les médias, les bibliothèques, les universités et les arts.

Ils ne parlent pas de redocumentarisation, mais c'est tout comme..


Actu un peu plus tard

Voir aussi l'article :

Ross Seamus, Digital Preservation, Archival Science and Methodological Foundations for Digital Libraries, ECDL 2007. Pdf

Extrait du commentaire de L. Dempsey (trad JMS) :

L'archivistique, avec ses principes d'unité, de provenance, de classement et description, d'authenticité, d'évaluation et ses outils comme la diplomatique peut nous offrir un cadre pour une fondation théorique de la bibliothèque numérique.

Ils ne parlent pas d'archithèque, mais c'est tout comme..

Repéré par Pintini

vendredi 28 septembre 2007

Quand la bibliothèque s'efface..

Si le jeu Clue devait se moderniser, le colonel Moutarde n'effectuerait plus sa sinistre besogne dans la bibliothèque. Il tuerait plutôt sa victime dans la salle d'ordinateur, quelque part entre l'imprimante et les haut-parleurs du iPod.

Ainsi commence un article de Cyberpresse qui constate qu'il y a de moins en moins de maisons privées disposant d'une pièce réservée à la bibliothèque au Québec, alors qu'autrefois il s'agissait d'un signe de distinction. (repéré par Bibliothécaire). L'article se conclut par la remarque optimiste d'un observateur :

«Il y a plusieurs facteurs qui expliquent que les propriétaires d'aujourd'hui ne consacrent plus de pièce fermée à la lecture, avance-t-il. Un des plus important est la disponibilité des livres aujourd'hui. Il y a 100 ans, le clergé mettait plusieurs livres à l'index, et nous n'avions pas autant de bibliothèques publiques qu'aujourd'hui. Les livres étaient précieux, et plus rares, donc les riches intellectuels les conservaient et les collectionnaient. Aujourd'hui, ils circulent plus.»

Peut-être, mais dans une réunion récente en France, un responsable en charge de la construction d'une école prestigieuse d'enseignement supérieur confiait qu'il y a dix ans il mettait sans hésiter la bibliothèque au centre de l'édifice.. et qu'aujourd'hui il ne savait plus très bien quel espace lui consacrer. L'information sera accessible partout dans le bâtiment par le réseau.

mercredi 26 septembre 2007

Le collectionneur, l'assureur et le médiateur

Un entretien d'un historien du livre J-Y Mollier publié par la revue française Télérama (n° 3006 - 25 Août 2007, Html) a beaucoup été commenté sur les biblioblogues et surtout sur la liste Biblio-fr (archives de la liste). Le point qui a cristallisé le débat et agacé nombre de bibliothécaires est l'inquiétude de l'historien face au « désherbage » (élagage en bon québécois, c'est à dire l'élimination des documents les moins demandés afin de faciliter la gestion des collections). Sans revenir précisément sur les arguments, je voudrais faire ici remarquer que souvent les incompréhensions viennent de confusions sur la notion de collection et de document, qui peuvent s'éclairer par un point de vue plus économique.

Trois valeurs différentes, au moins, d'une collection se croisent dans les arguments que j'ai pu lire. Elles méritent d'être distinguées : une valeur de collectionneur, une valeur d'assurance et une valeur de médiateur. Ceux qui suivent ce blogue y retrouveront les trois dimensions du document (forme/texte/médium, voir ce billet).

Le collectionneur

Pour un historien du livre, le livre est d'abord un objet, un monument plus qu'un document pourrait-on dire. Le livre doit être conservé parce qu'il existe tout simplement. C'est à l'évidence la valeur prônée par J.-Y. Mollier. C'est nécessairement la valeur qui justifie les bibliothèques à vocation patrimoniale.

Mais c'est aussi celle du collectionneur dont il ne faut pas négliger l'importance dans l'histoire des bibliothèques. Le collectionneur garde des objets auxquels il accorde une valeur affective. Bien des collectionneurs ont dans l'histoire été l'instrument du sauvetage de patrimoines documentaires importants. Nombre d'entre eux ont participé à l'enrichissement des bibliothèques. Aujourd'hui encore, les collectionneurs jouent un rôle non négligeable. Il serait peu responsable de croire que le patrimoine ne perdure que par une action administrative planifiée. Les initiatives individuelles y jouent un grand rôle.

L'économie du collectionneur est spéculative. Il garde parce que, à tort ou à raison, il pense que les objets conservés vont gagner en valeur en vieillissant, mais c'est un pari. C'est le même modèle que celui du marché de l'Art, même si évidemment nombre de collectionneurs n'ont pas de motivation mercantile.

Dans cette perspective, les bibliothèques qui n'ont pas vocation patrimoniale n'auraient pas de raison de garder des documents anciens, qui ne sont plus demandés. Pourtant, dans leur histoire particulière, elles peuvent avoir intérêt au contraire à se spécialiser sur tel ou tel fonds spécifique qui les différenciera d'une autre bibliothèque, à la façon un collectionneur : cela leur donne une identité, les rattache à leur histoire et, qui sait, pourrait bien être hautement rentable à l'avenir. Tout ici est question de subjectivité et d'envie, car il est évidemment trop coûteux et contreproductif de tout garder.

L'assureur

Les scientifiques en général sont allergiques au désherbage, mais souvent pour une raison différente de celle de l'historien ou du collectionneur. L'inquiétude ici vient du fait qu'un document très peu demandé peut-être à l'origine d'une avancée scientifique plus importante que ceux connus de tous, justement parce qu'il a été négligé auparavant.

Le raisonnement se rapproche ici de celui de l'assurance. On paye une police d'assurance non pas parce que l'on souhaite avoir un accident, ni même pour ne pas en avoir, mais pour le cas où on en aurait. De même on garde un document peu demandé au cas où il puisse apporter dans l'avenir une valeur bien supérieure au cout de sa conservation. Mais personne n'est en mesure de garantir cette valeur, tout comme les mensualités de l'assurance seront dépensées sans contrepartie si aucun accident ne se produit.

Il est impossible pour une bibliothèque, ici une bibliothèque scientifique, de tout garder, même si c'était la tradition en Amérique du nord pour les grandes bibliothèques de recherche. Mais le critère de la demande du document, appliqué souvent mécaniquement par les bibliothécaires, est peu pertinent. La seule façon de s'en tirer, me semble-t-il, est de se servir des outils d'évaluation des chercheurs eux-mêmes : l'expertise des pairs, la scientométrie. Tout comme, dans l'assurance, le calcul des mensualités se réalise à partir d'outils statistiques.

Néanmoins, ici ce n'est pas l'objet qui est important, mais son contenu. Dès lors la numérisation change la donne car l'accessibilité ne se fait plus dans un lieu, mais sur un réseau et, dans cette perspective, tout récemment l'ARL vient de retirer de ses critères d'évaluation la taille des collections. Il y a là tout un champ nouveau qui s'ouvre car dans le même temps le numérique conduit au stockage inconsidéré.

Le médiateur

Une grande part des bibliothécaires, qui ont réagi à l'article cité plus haut, ont souligné que le désherbage était indispensable pour pouvoir mettre en valeur les livres les plus demandés et répondre aux attentes du public sans être étouffé par l'ampleur des collections et de leur gestion.

Cette réaction peut se traduire économiquement comme une volonté de réduire les coûts de transaction. C'est un peu comme dans un marché où l'on aurait retiré le vecteur de la monnaie. Il est naturel que cette façon de raisonner se retrouve dans les bibliothèques où l'affluence est forte, bibliothèques publiques, bibliothèques de premier cycle universitaire. L'objectif est de maximiser la relation de médiation.

Ici l'outil classique des bibliothécaires : la fréquence de demande des documents a toute sa pertinence. Mais j'espère avoir convaincu que les deux précédentes dimensions ne devaient pas non plus être négligées.

dimanche 23 septembre 2007

Bibliothéconomie, archivistique et bases de données

N. Morin signale et commente (billet) un article important de D-Lib Magazine :

Anna Gold, Cyberinfrastructure, Data, and Libraries, D-Lib Magazine, Sept/Oct 2007,Vol 13 N 9/10, Part 1, Html, Part 2 Html

Extrait de la conclusion de l'article (trad JMS) :

Une fois que les bibliothèques et les bibliothécaires auront compris l'intérêt d'intégrer la gestion des données dans leurs services et objectifs, et qu'ils seront convaincus de la valeur qu'ils peuvent amener sur la table, ils devront investir du temps pour développer de nouvelles compétences et pour franchir les barrières culturelles. Une fois qu'ils auront construit des collaborations nouvelles avec les chercheurs et les gestionnaires de données, les bibliothèques et les bibliothécaires feront vraiment de la gestion des données une partie fondamentale du patrimoine scientifique.

La gestion documentaire des bases de données est, à vrai dire, une illustration nouvelle du croisement des fonctions bibliothéconomique et archivistique, souvent évoquées ici. Marc Lebel a déjà abordé du point de vue archivistique la question de la conservation des bases de données (Pdf).

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