Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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jeudi 23 novembre 2006

Redocumentarisation et révisions historiques

Voici une anecdote révélatrice de quelques effets de la redocumentarisation sur l'histoire de la littérature.

Chacun sait combien il est facile de retrouver des plagiats dans des livres récents, au point que c'est devenu un petit jeu à la mode aux US, soulevant l'ire des auteurs pris la main sur la souris. Mais un ingénieur de Google, recherchant le livre d'un auteur du XIXè (Howlett, 1899) à partir d'une phrase dont il se souvenait, a eu la surprise de la retrouver chez une auteure plus ancienne (Baring-Gould, 1892). Et poursuivant ses recherches, il s'est rendu compte que cette dernière avait aussi puisé largement chez un de ses prédécesseurs (Thorpe, 1851)..

L'ensemble de l'histoire est ici. Dead Plagiarists SocietyWill Google Book Search uncover long-buried literary crimes?, Paul Collins, Slate Nov. 21, 2006

Les outils de traitement numérique en redocumentarisant les oeuvres nous conduiront petit à petit à une révision de l'histoire de la littérature et sans doute à une révision de la littérature elle-même. Déjà B. Mélançon avait montré que nous étions les premiers à pouvoir lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, telle que l'avait imaginée les concepteurs. Les lecteurs contemporains des auteurs, du fait des délais d'impression entre les différents tomes et des mauvaises correspondances, volontaires ou non, ne pouvaient utiliser sa forme "naturelle", tandis que les outils numériques d'aujourd'hui facilitent la navigation fluide d'une rubrique ou d'une référence à l'autre.

Sommes-nous les premiers lecteurs de l'Encyclopédie ?, 2002.

mercredi 22 novembre 2006

Le document comme prothèse de la mémoire et les services associés

Un document est une prothèse de notre mémoire, comme une main articulée est une prothèse de la préhension pour un manchot. Nous n'avons pas assez approfondi cette affirmation. Et cette paresse nous conduit souvent à simplifier l'analyse, nous interdisant de bien comprendre les mouvements en cours.

Pour utiliser sa prothèse, une main articulée, un manchot doit d'abord trouver celle qui s'adapte correctement à son bras, puis apprivoiser la machine par un apprentissage, enfin il pourra s'en servir dans la vie courante.

Pour le document, nous avons aussi un processus en trois temps : repérer le document qui pourrait nous être utile, le lire (ou en prendre connaissance) et enfin en intégrer les éléments de connaissance dans notre vie courante. Il s'agit, dites autrement, des trois dimensions proposées par Roger.

Chacun de ces temps forme une étape dans le service de mémoire, et pour chacun, il est possible de construire une activité en tenant compte des particularités économiques du document.

Les bibliothèques ou aujourd'hui les moteurs s'en tiennent à la première étape. L'astuce des moteurs est de valoriser la captation de l'attention associée.

Les médias classiques ont construit leur économie sur la seconde étape : la valorisation du contenu pour lui-même. Aujourd'hui, ils sont fragilisés d'une part par la concurrence sur le marché des annonceurs apparue dans l'étape précédente et par la constitution de contenu par les internautes eux-même dans le Web 2.0. Le manchot bricole un peu sa main tout seul.

La troisième étape n'a pas jusqu'ici eu de valorisation économique autonome, mais certains documents y participent directement (ceux que M. Zacklad appelle les "documents pour l'action" ou ceux que manipulent des record-managers). Le projet de Web sémantique, rebaptisé récemment Web 3.0, est une tentative, discutable si elle n'inclut pas les particularités documentaires et sans projet économique clair, d'aller dans cette direction.

lundi 23 octobre 2006

Identité, trace, génération et post-modernité

La question de l'identité numérique fait l'objet de discussions régulières et animées au sein du RTP-DOC et ailleurs. Elle renvoie aussi bien à la notion d'auteur, qu'à celle de frontière privé/public ou encore à celle de traces, toutes questions largement abordées dans le réseau et synthétisées dans le troisième texte de Roger.

Dans un très stimulant billet, Franck Cavazza nous permet d'avancer en proposant une représentation de ses multiples dimensions sur un tableau que je reproduis ci-dessous :

Il suggère que le problème à l'avenir sera pour les individus de maîtriser la gestion de leurs traces numériques. Il me semble qu'il y a là un problème surtout générationnel. La construction d'une identité ne se décrète pas, même avec les meilleurs outils, elle se bâtit pas à pas dans des routines d'apprentissage sur la durée.

C'est un peu comme l'apprentissage des langues. De ce point de vue, les jeunes, nés avec l'internet, auront une facilité que n'atteindront jamais les générations précédentes et sans doute un point de vue fort différent, s'installant radicalement dans une post-modernité.

La fracture des technologies numériques est d'abord générationnelle. C'est tout particulièrement évident dans l'usage du téléphone mobile. Et même sur un sujet pourtant bien délicat, si l'on en croit une enquête citée par Internet Actu, les jeunes ont une moindre réticence face aux puces sous-cutanées :

Interrogée par le Time, l’une des auteurs de l’étude relève à ce titre que la facilité avec laquelle les adolescents partagent les détails de leur vie privée sur MySpace et les blogs témoigne du fait que la prochaine génération de consommateurs se sent moins concernée par les problèmes de vie privée.

Inversement, on peut se souvenir de cette lourde expérimentation lancée par Microsoft MyLifeBits (diaporama) où il s'agissait d'enregistrer toutes les traces de la vie quotidienne d'une personne. Est-il anodin que le "cobaye", Gordon Bell, soit un senior ? C'est une vision d'un autre âge.

lundi 16 octobre 2006

La redocumentarisation des visages

Repéré par l'excellent communiquer par l'image

Un récent article du New York Times : Cyberface: New Technology That Captures the Soul By SHARON WAXMAN Published: October 15, 2006

présente les travaux d'une firme californienne Image metrics.

Il s'agit d'une reproduction animée des expressions du visage d'une personne sur un avatar en 3D. Ce ne serait qu'une avancée ordinaire de plus dans la reconstitution virtuelle du monde réel si le visage humain n'était pas porteur des principaux "kinèmes" (unités de signe gestuel) de la communication non verbale humaine. Dès lors, c'est bien à une redocumentarisation du cinéma, qui est fondé sur les acteurs et bien souvent piloté par l'expression de leur visage, auquel on pourrait assister.

Extrait de l'entretien du responsable de la société :

Nous pouvons réanimer une séquence du passé (..) Nous pouvons mettre Marilyn Monroe et Jack Nicholson côte à côte. (..) Nous pouvons directement reproduire un comportement humain sur un modèle. Nous pouvons inventer de nouvelles scènes dans de vieux films, ou des anciennes scènes pour de nouveaux films.

Bien sûr, il y a sans doute encore du chemin à faire pour en arriver là, mais la vidéo qui accompagne l'article du NYT est déjà très impressionnante.

vendredi 13 octobre 2006

Les quatre âges de l'imprimé

Ce billet m'a été inspiré par une communication d'Alan Marshall, directeur du musée de l'imprimerie de Lyon, à une journée de l'Association québécoise pour l'étude de l'imprimé.

On a l'habitude d'évoquer les trois révolutions du livre (Gutenberg, l'ère industrielle, la dématérialisation) en hésitant parfois sur le terme (livre ou imprimerie), mais si on raisonne en terme d'imprimé et non de livre, ce découpage est trompeur.

À partir de l'imprimé, A. Marshall propose une autre périodisation, j'adapte ici le vocabulaire à ma compréhension : l'âge du livre (Gutenberg au 19è), l'âge de la presse (19è), l'âge de la paperasse (20è) et j'ajouterais volontiers l'âge des fichiers (21è). Ce découpage me paraît très fertile et en phase avec l'évolution des techniques de l'écrit, et celle de l'organisation documentaire en relation avec le social.

Nous démarrons par l'ordre des livres où l'imprimé dominant est bien le codex ; puis la presse grand public s'installe avec l'imprimerie industrielle, la rotative, et l'organisation des États modernes ; avec le développement explosif du commerce et de l'État-providence, contrats, factures, formulaires, circulaires, bordereaux, réclames (la paperasse) envahissent le monde du travail et de l'administration tandis que les machines à imprimer se font plus légères et permettent les petits tirages ; enfin le numérique explose avec la redocumentarisation, une nouvelle modernité et la composition et l'impression mise à la disposition de tous par l'intermédiaire du réseau et des ordinateurs personnels.

Il y aurait aussi beaucoup à explorer sur l'évolution de la typographie et du graphisme concomittante et A. Marshall nous a invité à aller plus loin avec quelques exemples pris dans la collection du musée.

Reste qu'il y a sans doute une limite physique à la dernière, à moins de se passer de la sortie d'imprimante.

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